Standard n°25

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Livres Chroniques

D’AUTRES LIVRES

BARRY

GIFFORD American Falls 13e Note Editions 272 p., 19 euros

SORJ

CHALANDON La Légende de nos pères Grasset 254 p., 17 euros

Frémaux, le narrateur de ce roman magnétique, est biographe. Il transcrit l’histoire des petites gens qui lui en font la demande, il consigne leurs vies minuscules. C’est de n’avoir pas su écouter son père, un résistant taiseux, que lui est née cette vocation. Quand lui vient un client nommé Beuzaboc, un surnom hérité justement de la résistance, sa vie tranquille se met à valdinguer. Frémaux écoute parler cet étrange combattant, il repense à son père. Il veut en savoir davantage sur cette période, il erre dans les bibliothèques, il recoupe des informations contradictoires, l’intrigue se noue, son écriture devient de plus en plus fébrile, elle nous enferme bientôt dans un grenier poussiéreux, sans issue, comme dans un cauchemar. Sorj Chalandon, ancien journaliste à Libération, raconte à petits mots cette descente dans la mémoire des hommes – et laisse entrevoir leurs accommodements avec l’authenticité. Les phrases, courtes, vont à l’essentiel : elles sont éclatantes. Elles disent combien on hérite de la vérité, ou des mensonges de nos pères. — Guillaume Jan

« J’avais laissé partir mon père. [...] J’avais laissé partir une page de notre histoire commune. J’avais oublié de m’asseoir à ses pieds, de rechercher ses yeux. J’avais tardé à l’assaillir, à le questionner, à moissonner sa mémoire. J’avais failli à mon métier de fils. »

Sorj Chalandon

Jeune écrivain de 63 ans, auteur de l’obscur Sailor & Lula adapté à l’écran par un certain David « Lynch » (quelque chose comme ça), puis coauteur avec ce même cinéaste conspué de, attendez, ça va me revenir, Lost Highway, Barry Gifford semble évidemment dénué de la moindre once de talent. Il en fait complaisamment la preuve dans ce judicieux recueil de nouvelles réunissant des personnages coincés entre deux cultures – l’américaine et la leur d’origine, japonaise, vietnamienne, italienne, mexicaine voire enfantine. A ces histoires « quotidiennes » d’une Amérique accueillant la différence le sourcil froncé, se juxtaposent des écrits nourris à d’autres sources : Borges, lors d’un supposé texte « anonyme » traduit de l’italien, rédigé par un homme sans bouche aux amours boiteuses ; Breton, avec Nadja qui, en 1928, « ne devait pas faire une grande différence entre l’intérieur et l’extérieur » d’une « maison de fous » ; ou la tradition du récit de témoignage à l’ombre des puissants, lorsqu’il fait parler Antonio Pulli, conseiller occulte du roi Farouk d’Egypte. En faisant abstraction de la dernière nouvelle, Les Solitaires et les Paumés, tout de même un tiers du recueil, on peut mettre en doute la proximité d’ambiance entre les univers de Lynch (prononcez [li-ntch]) et Gifford. Si l’on tient compte, en revanche, de ces soixante-dix pages au cœur d’une petite communauté bien américaine charriant son lot de shérif désabusé, tenancier de bar escroc, notables cocus, chanteuses aliénées et musiciens cambrioleurs, on mesure l’étendue de l’éventail littéraire hyper référencé de l’auteur – qu’il serait, bien entendu, coupable d’occulter. — François Perrin

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