Spirit n°77

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Rewind / Spirit#77 / décembre•janvier 2012

Ça ricane !

Novembre !

© Marthe Lemelle

L’art de la farce n’est pas chose facile. Se montrer outrancier ne saurait garantir l’assentiment ni le rire. Plutôt abonné à l’écriture contemporaine (Lagarce, Minyana), Frédéric Maragnani ose s’attaquer à Barouf à Chioggia, l’une des pièces de Goldoni les plus difficiles à monter en raison de son utilisation d’un dialecte vénitien vernaculaire, mais aussi pour son jeu avec l’argot et les fautes de syntaxe. Dans un souci de modernité, il a préalablement confié à Jean-Paul Manganaro, professeur de littérature italienne à Lille, une nouvelle traduction. Louable initiative en soi. Toutefois, cette intrigue mince comme du papier à cigarette, un clochemerle entre femmes de marins sur fond de noces, subit un ripolinage contemporain, dont le résultat, une fois mis en bouche, flirte bizarrement avec la novlangue inventée en son temps par Albert Dupontel et phagocytée jusqu’à la nausée par la génération Jamel Debbouze. On est loin du travail d’Anthony Burgess pour Orange mécanique…

Si le dispositif scénique opte pour une sobriété bienvenue, on ne saurait dire la même chose des costumes (on hésite entre l’influence de l’école Deschiens et la satire des années Berlusconi) et autres perruques. Si le Gérard Depardieu à six pattes provoque le fou rire dans un épisode du regretté Centre de visionnage d’Édouard Baer, l’overdose dans l’accessoire nuit ici rapidement. Inutile d’en rajouter. Enfin, la distribution souffre d’une certaine disparité en dépit d’un « temps » de parole équitable. Un dépoussiérage certes distrayant, mais nullement inoubliable. — [Marc Bertin] Baroufs, mise en scène de Frédéric Maragnani, lundi 21 novembre, TnBA, salle Jean-Vauthier. —

Cui-cui Il s’appelle Gianni Fornet et signe une œuvre poétique touchant à tous les langages de l’art (texte, musique, film, mise en scène) pour tenter de rendre visible et audible une traversée organique nourrie de voyages dans le temps et dans l’espace, de pratiques ascétiques et de réminiscences obsessionnelles. L’écriture en cours d’un nouvel opus provisoirement titré Francesco théâtre – qui a bénéficié d’une bourse de l’O.A.R.A (Office Artistique de la Région Aquitaine) – s’articule à la croisée de trois sources, que l’auteur tente de faire dialoguer : Nudité, de Giorgio Agamben, La nuit sexuelle de Pascal Quignard et la vie de Saint François d’Assise, notamment peinte par Giotto. Pour clôture du Festival Ritournelles, l’homme a livré une première lecture publique d’un Parler aux oiseaux aussi douce que prometteuse. Sur scène une simple table en bois massif, une lampe de lecture, une enceinte sur pied et un homme, dont on ne saurait dire l’âge – verticalité à peine maturée – attablé devant les premières pages d’un texte qui n’attend que lui pour être lu et entendu. Dans l’obscurité de la salle, entre deux rangées de spectateurs, un pupitre et une lampe encore, devant lesquels se tient un autre homme, l’auteur, également lecteur – guitare à portée de main. Se faire face, comme un jeu de miroir, pour lire et se lire dans le temps suspendu et attendu du théâtre. En guise d’avertissement, une citation de Mark Twain avec laquelle le spectateur accepte l’invitation, excité à l’idée d’être enfin surpris : « Quiconque essaiera de trouver un motif à ce récit sera poursuivi ; quiconque essaiera d’y trouver une morale sera exilé ; quiconque essaiera d’y trouver une intrigue sera fusillé. » Gianni Fornet échappe à tous les codes et tous les formats imposés par l’institution de l’art. Si bien qu’il lui est sans doute difficile sinon d’y frayer son chemin, d’y trouver une place. Le Festival Ritournelles a su voir dans le travail de cet artiste ce qui le caractérise avant toute chose : la poésie. Après Flûte en 2010, Dans un

vaste jardin en 2008, La Cabane des Délices en 2006 et O% de croissance en 2004, Fornet délaisse donc ici la forme théâtrale comme première restitution/exposition publique d’une écriture, qui méritait sans aucun doute d’être remise au centre, et livrée comme telle. « Les gens aiment qu’on leur raconte des histoires. Une personne avec laquelle on couche aussi. Il doit bien y avoir une fonction rassurante, constitutive de l’être humain là-dessous. » À considérer l’assemblée comme « grisée » au sortir de cette expérience, cela doit être vrai. « C’était comme une caresse, merci beaucoup » dira un spectateur… N’hésitant pas à emprunter à différents régimes d’écriture, du conte au monologue, en passant par la chanson, le premier chapitre de ce Fransesco théâtre nous aura embarqué bien loin. Du souvenir de la terrasse en construction où des adolescents s’essaient à des rapprochements du type cousin-cousine, à l’histoire de ce jeune garçon contraint de faire la lecture à ses proches : « il faut écarter les chairs du conte pour entrer en lieu, et commencer par nommer : les silhouettes, les objets, les formes émergés de l’obscurité ». Ainsi, d’auditeurs en auditeurs, le jeune garçon répond à la demande des adultes qui l’entourent, mais satisfait surtout ici l’attente perverse d’un père qui lui commande d’aller lire ce livre-ci et aucun autre à « Tantine » ou « aux copines de sa femme »… Se cognant sempiternellement à l’incompréhensible réprimande « Cochon ! », l’enfant avance et grandit, de « la vulve qu’il vient de quitter » à cette « purification de la mémoire » vers laquelle lui et l’auteur semblent tendre, ensemble, l’un en l’autre, l’un avec l’autre. Nul doute que nous reviendrons écouter la suite de cette histoire. — [Sèverine Garat] Gianni Fornet, Parler aux oiseaux, samedi 26 novembre, Maison cantonale. —


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