La musique, les musiques à l'exposition franco-britannique de 1908

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Le phénomène des exhibitions de sujets exotiques n’est pas historiquement de tradition coloniale, mais il a été systématisé aux Etats-Unis chez Barnum et en Allemagne chez les Hagenbeck. Il est rarement institutionnel, sauf précisément dans les expositions coloniales ou universelles64. La manifestation n’est d’ailleurs pas réservée aux peuples exotiques, mais ouverte à toute communauté humaine pittoresque. Les Britanniques sont plus friands de véritables spectacles que de villages, même dans les grandes expositions impériales, on va le voir. A Paris, en revanche, les étrangers accompagnèrent les envois d’animaux exotiques pour le jardin d’acclimatation à partir de 1877 ; la formule étaitt limitée, articulée avec l’anthropologie. L’exposition de 1889 proposait quatre villages permanents, dont le village sénégalais était le plus important. L’exposition universelle de Lyon en 1894 proposait aussi une importante section coloniale, avec des attractions ethnographiques en plus ds pavillons officiels. Dans les villages noirs à la française existait une programmation soutenue d’événements attractifs : des fêtes religieuses traditionnelles donnant lieu à des cérémonies (naissance, circoncision, mariage), des repas, le sacrifice du mouton, des danses, luttes, fantasia, la remise de la dîme, le marché d’esclaves sont mis en spectacle, mais ce pouvait être également le cas des épisodes d’actualité (mimés) ou de fêtes bouffonnes organisées. Des troupes de music-hall ou de cirque se produisaient généralement simultanément, proposant de petites pièces de théâtre à l’intrigue plus ou moins guerrière (et plus ou moins fine). Les villages Gravier privilégiaient nettement le théâtre, la musique et les artistes, plus que les artisans. Un petit détour par les expositions de 1889 et de 1900 s’impose si l’on veut comprendre la place des musiques pittoresques à l’exposition franco-britannique de 1908. Il faut dire tout de suite que beaucoup de ces musiques prétendues indigènes n’avaient rien d’authentique. Si l’on en croit Tiersot (mais on a vu qu’il était très partial !), les Tziganes, qui avaient eu beaucoup de succès à l’exposition de 1878, avaient été, pendant les onze années suivante, “entendus dans les brasseries, les cafés-concerts, voire même les soirées du monde le plus select” et ils s’en trouvaient “quelque peu défraîchis”. “Ils n’intéresseront plus que la province”65, concluait le critique. Mais si les Tziganes de Hongrie et les Laoutars roumains tombaient dans “l’exotisme des Batignolles”, d’autres musiques remportèrent plus de succès en 1889, au moins de succès de curiosité. C’est le cas de la musique des Arabes, déjà connue mais si différente des conventions occidentales qu’elle étonnait toujours. On pouvait l’écouter dans beaucoup de lieux et sous beaucoup de formes différentes : à la mosquée, aux concerts algérien et tunisien, rue du Caire, au concert égyptien, mais aussi dans les souks, au café egyptien et au café-concert marocain (sous des formes apparemment très dégradées dans ces deux derniers lieux). Au café tunisien, on pouvait entendre aussi la musique de transe des fameux Aissaouas. La musique asiatique était exécutée au village javanais, à la pagode indienne, au théâtre annamite. La musique de Cochinchine présentée dans ce théâtre rythmait la pantomime par des persussions, tandis que des instruments “plus musicaux”

64 .Cf. J.M. Bergougniou, Rémi Clignet, Philippe David, Villages noirs et visiteurs africains et malgaches en France et en Europe 1870 - 1940, Paris, Karthala, 2001. 65 . Ibid., p. 2.


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