états unis
Paysages Intérieurs Sophia El Mokhtar
POESIA * MIAMI BEACH temps 1 * ART BASEL temps 2 * MIAMI BEACH temps 3 * AMTRAK * NEW YORK CITY * QUEEN MARY 2
POESIA Novembre 2012
Sur le point de me barrer Fucking News
Sur le point de me barrer Pas grand chose à écrire, pas le temps en plus, mon cerveau est trop pris par les dernières choses à faire avant de partir. Dans 5 jours, fini le quotidien. Je fais une “résidence d’artiste" dans un monde mouvant, en déplacement. Pas de lieu fixe, mon atelier sera partout où je pourrais me poser pour bosser. Un coin de bateau, ma petite chambre, un bar à Barcelone? un salon de thé à Casablanca? un banc à Funchal ? stop-stop pas le temps de causer… état d’esprit morcelé, écartelé entre la réalité d’aujourd’hui, le concret du projet et l’inconnu aux mille et un rêves.
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Fucking News
Je ne serai pas une “artiste à suivre" en 2013* (sauf si désistement d’un artiste…) J’espère que je saurai prouver le contraire! Ce soir je boirai à cet échec si plombant, 1 ou 2 mojitos feront l’affaire : mes yeux s’imbiberont d’alcool, mon cerveau alors modifié par cet adjuvant très “hot" mènera une lutte acharnée contre les pensées nocives de cette nullité validée par un jury d’experts. Je préfère que mes yeux baignent dans des vapeurs d’alcool, plutôt que dans des larmes idiotes, même si compréhensibles. C’est une sacrée claque dans ma gueule cette nouvelle… en effet, cet événement local me semblait être à ma portée, et qu’il me permettrait de m’installer encore un peu plus dans le paysage artistique audois…mais la dure loi des jurys en adécidéautrement - “regnum ad libitum fuckum" ! Souvent j’égraine un chapelet de perles virtuel dans ma tête ; 3 perles composent actuellement ce chapelet : la perle de l'Abbaye de Saint-Hilaire (1ère et 3ème expo), la perle de Carcassonne (2ème expo), et la perle du CLAP de Paraza (1ère résidence d'artistes). La transatlantique se termine bientôt, j’arrive le 27 novembre à Miami, et j’y reste un mois. Cette croisière aura été parfaite jusque là, des escales de rêve, des découvertes de lieux hallucinants, et se retrouver seule parmi des inconnus… Un régal pour qui aime observer les mœurs des gens. Mon anglais s’est révélé pitoyable, mon allemand ridicule, et j’ai réalisé que l’espagnol était une langue que l’on pouvait comprendre sans jamais l’avoir étudiée. J’ai beaucoup dessiné durant les treize premiers jours, presque autant que je respirais, et puis, le soleil et la chaleur venant me frapper le corps tout entier, eurent raison de ma “working-girl-attitude"… C’est à Bridgetown, que j’ai pris mes premières heures de vacances, et j’ai continué aujourd’hui à me prélasser dans un transat… Je n’ai même pas du tout dessiné une seule fois aujourd’hui.
* j’ai finalement participé à “artistes à suivre" 2013, mon chapelet de perles virtuel s'est épaissi.
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MIAMI BEACH Temps 1 Novembre/Décembre 2012
Miami Beach Ces hommes qui ont perdu leur félinité Library Les hurlants Ocean Drive Dans le bus Seule Les ensablés Les tétons de prédilection
Miami Beach ...voilà, j’y suis. J’ai marché des heures hier, le matin, le long de la plage mais pas dans le sable, j’ai préféré rester sur les planches en bois, cette sorte de pont longeant l’océan crée une ambiance formidable ; les joggueurs bronzés, liftés et dégoulinants y sont armés d’appareillages complexes et high tech, semblant les soutenir moralement dans leur effort. Ce que l’on peut constater aussi, en se promenant, c’est qu’ “ici, même les mémés aiment porter des strings”. Il y a aussi une communauté juive importante et visible par le style vestimentaire : les femmes, toutes générations confondues, sont souvent enturbanées ou portent le béret et sont vêtues de jupes ou robes noires style années 40/50 allant au dessous du genou, elles portent des collants épais de couleur foncée, couture à l’arrière, les hommes portent la kipa, ou le total look “rabi Jacob”. Il y a aussi bimboland, mâles et femelles, qui sculptent au quotidien leur “body” et savent trouver leur contentement dans le fait de montrer le résultat à chaque personne croisée. Faut dire que Miami Beach ça a de la gueule! C’est punchy et fun! C’est bubble! c’est boumbastic! yeah! On surfe sur une vague, la plus grande, et la plus belle et on s’hallucine les uns les autres de se voir dans cet endroit lumineux, chacun se débattant pour frimer avec ce qu’il a dans sa besace, l’une ses gros seins, l’autre son énorme cou indiquant à l’évidence un corps plus que bodybuildé, genre incroyable Hulk en moins vert quand même, une autre son lifting matinal qui l’a totalement défoncée, mais dont elle est fière d’afficher la facture entre ses yeux, et celui-ci le bon son à fond dans sa super bonne grosse caisse noire, et cette autre qui maîtrise la marche ondulée dans sa robe Gucci moulante, au bras de son mari. Quittons les humains et ces groupes identitaires, et apprécions le cadre de vie en passant par la ville. À l’angle de Washington Avenue et Espanola Way on est au coeur de South Beach, du quartier Art Deco et latino! Je suis d’ailleurs rentrée dans le “mondialement connu” : American Apparel (tous les vêtements sont Made in USA). Une jeune vendeuse m’a gentiment débarrassée de mes courses, et m’a signifié que si j’avais besoin d’aide (etc…) ; je lui ai dit que j’étais française… Et à ce moment précis mes amis : “Charlotte Gainsbourg”, avec “le chat du café des artistes”! Du coup, je teste pour voir si la jeune vendeuse connaît Charlotte Gainsbourg, en lui disant que c’est une artiste française… Elle ne connaissait pas, on se sourit, elle s’éclipse et met le son à fond. Collins Avenue, est bordée de très hauts hôtels, toujours de style Art Deco. Ce style des années 20-30 s’allie parfaitement aux palmiers, au soleil et aux grosses voitures stylées aux moteurs vrombissants... ces moteurs chantent véritablement tels des « sirènaux ». 17
Ces hommes qui ont perdu leur félinité Si l’on associe plus fréquemment la félinité à la femme, c’est encore une fois à cause du point de vue omniprésent des hommes hétéros dans la littérature, l’art, la publicité, le cinéma, la tv et j’en passe… Soyons sérieux messieurs, un peu d’objectivité, la félinité n’est pas exclusivement feminine! La félinité est une grâce naturelle, affinée plus ou moins consciemment depuis l’enfance, ce qui donne une poésie sensuelle à chaque individu. Les ondulations et balancements des différentes parties du corps, forment un langage pouvant nous informer sur la sensibilité, le caractère voire l’éducation du sujet observé. Les postures décontractées de l’individu, le swing de la démarche, le style de la gestion spontanée des changements de direction imprévus, les revirements souples, les retournements équilibrés, les passages d’obstacles fluides sont autant de témoignages de la félinité. Et ce qui me perturbe aujourd’hui, à Miami, c’est cette perte de félinité chez 40% des hommes entre 20 et 45 ans que je croise. L’abus de muscuĺ couplée à la prise de produits “gonflétiques” cela donne des corps “troncs” aux mouvements mortifiés, saccadés et limités, les muscles semblent hypertrophiés, le corps gainé comme le bibendum Michelin ou l’incroyable Hulk. Ce qui me trouble le plus ce sont ces cous énormes le long desquels sortent difficilement des paroles sur une expiration douloureuse… On peut comparer ce phénomène dommageable, à celui des femmes “barbietrifiées” raidies par des mamelles malades, des lèvres sacrifiées, des expressions du visage assassinées, des ongles handicapants et du maquillage défigurant. Ces hommes et ces femmes modifiés par des adjuvants artificiels se revendiquent avant tout comme objets je pense, plus que comme félins.
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Library J’avais repéré la “library” un soir, alors qu’elle venait de fermer, et je fus agréablement surprise de pouvoir me connecter gratuitement à internet, sans même être à l’intérieur… La première fois que je suis rentrée dans la bibliothèque, je me suis dit que ça allait me coûter cher de profiter de cet espace ravissant, lumineux et vaste, décoré de tableaux d’art contemporain. Et bien… Rien du tout. Absolument gratuit à partir du moment où je ne touche ni aux livres ni aux ordis. Je m’installai donc sagement à une table, puis je trouvai qu’il y avait trop de monde, je montai alors en me disant que ça serait plus calme là-haut chez les enfants. En effet, il n’y avait personne. Je profitai de ce calme durant une bonne heure, de la vue sur le Collins Park, jusqu’à ce qu’une bibliothécaire accompagnée d’un garde armé m’invite à quitter cet espace. Je me retrouvai alors avec 2 autres personnes dans une grande salle de travail nettement moins confortable. Depuis je reste en bas, en cherchant le meilleur endroit pour pouvoir travailler tranquillement… Pas si simple, car les gens qui viennent ici, sont purement et simplement des clochards, la bibliothèque joue les rôles de dispensaire, de maison de retraite, de maison de repos, voire parfois d’asile. Les fauteuils qui me faisaient tant envie sont en y regardant de plus près, hyper crades, car les gens y mangent, y boivent, y posent leurs pieds gonflés par une blessure non soignée… Certaines personnes font juste quelques tours de piste, puis repartent et reviennent plus tard se poser ; d’autres squattent véritablement les lieux du matin au soir, ils viennent lire, se reposer, papoter un petit peu, regarder des videos sur internet, ils s’échangent de la nourriture, et se saluent. Je surfe donc sur internet dans une bibliothèque ultra moderne, entourée de pieds-beaux, de clochards, de vieillards, de malades, et d’aliénés.
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Les hurlants Il y a ici un pourcentage de désespérés ultra précaires qui crient. Je fais cette remarque car toute ma journée a été ponctuée par des hurlements de pauvres gens. Situons un peu, le cadre de la 1ère scène que je m’apprête à vous retranscrire : cela se passe au niveau du grand hôtel de “mr chow”-oui, c’est écrit comme ça sur le mur- situé entre la Collins Avenue et le front de mer, un bâtiment moderne et colossal, pas bien beau mais apparemment sachant attirer une population friquée, car il y a un défilé constant de Ferrari et autres bijoux automobiles, de femmes totalement refaites, passant de sas en sas, je veux dire que ces femmes-là, monsieur, ne touchent jamais une porte! Bref, il se trouve que je passe souvent devant ce colosse vitré puisque c’est mon parcours le plus agréable… sauf que j’ai appris à marcher, comme tout le monde, sur la route à cet endroit- là, car le trottoir du hall de l’hôtel n’est pas fait pour les gueux! les mecs de la sécurité te font comprendre par quelques mouvements corporels du type agitation sarkozienne -regard vide, mouvement d’épaule vers l’oreillette, demi-tour rapide..- ce bouillonnement interne de ces gardes de l’Empire Chow, te transmet un message de nonbienvenue dans la zone autodécrétée” VIP”. Je ne m’explique pas comment, moi, rebelle parmi les rebelles, j’ai préféré marcher sur la route, plutôt que sur ce trottoir public privatisé? Comme s’il m’était trop désagréable de me sentir “indésirable” dans cette zone… limite “intouchable”. Mais cela ne se passera pas comme ça, j’affronterai chaque jour cette zone ennemie en souriant! La partie terrasse avec piscine et palmiers de ce luxueux hôtel, donnant sur la promenade du front de mer (“waterfront promenade”) diffuse toujours du bon son, à première ouïe une sorte de techno lounge, qui me donne très envie d’y aller à chaque fois. C’est à ce moment-là qu’amour et haine se mixent en moi : “-J’ai envie de me vautrer dans l’herbe fraîche, en grignotant des frites puis danser sur ton son, hey DJ-hey!”, un peu de luxe, de calme et de volupté… Forbidden! Bon, voilà le cadre, et un peu ce qui se passe dans ma tête au moment où, je manque de me faire écraser par un beau gosse en décapotable rouge, en tort, mais totalement indifférent… Je rejoins agacée la place du Bass Museum of Art, d’où j’entends les premiers cris virulents du jour. Ils proviennent de l’abri-bus d’en face, et sont émis par une vieille femme édentée, entourée de ses affaires, rigidifiée par ses propres hurlements, tournée vers un type attendant son bus, qui vient de faire ses courses à Wallgreen. Il se met à chercher dans ses sacs de quoi la faire taire, il lui remet quelque chose qui ressemble à un sandwich ou un paquet de gâteaux, elle continue à gueuler, toujours dans la même rigidité pré-cadavérique. Je continue mon chemin le long de la Collins Avenue, puis poursuis le long de la Lincoln Road… Pas mal, la Lincoln Road, et surtout sa partie piétonne avec de beaux agencements de bassins et plantations qui peuvent évoquer les jardins de Grenade, mais les magasins alentours nous rappellent que l’on n’est pas au temps de la contemplation, mais dans le temple de la consommation.
La veille j’avais repéré le Starbucks, j’y étais rentré, mais la clim´ trop puissante avait eu raison de ma motivation à tenter une connexion, …trop jeune pour tenter une cryogénisation. Ce matin, c’est armée de 2 gilets dont un en laine polaire que j’y suis revenu. C’est ici que ma route croise celle des 2ème hurlements de la journée, ceux d’une petite et frêle mémé en guenilles, aux yeux bleus à l’aide desquels elle lançait des rayons laser aux personnes dont elle croisait le regard. Elle poussait son trotteur en tremblotant mais déterminée à faire ce qu’elle était venue faire, soit ses besoins. D’abord, elle a crié pour qu’on lui ouvre la porte massive, ensuite une fois son affaire finie, elle a crié dans l’entrebâillement de cette même porte, pour qu’elle puisse s’extirper de là, et enfin quitter lentement ce lieu où tout le monde a le nez dans son iiiii-pad-pod-mac-phone. Une heure plus tard, toujours dans le Starbucks, c’est une femme d’une quarantaine d’années, imposante, qui a pris sa boisson en gueulant très fort, en tapant sur la table, ses gestes brusques, et ses vociférations la faisaient vibrer au point que j’eus l’impression qu’elle allait y laisser ses dernières dents. La douceur chocolatée qu’elle s’était offerte, ne l’a pas apaisée du tout, au contraire elle s’en voulait surement de payer pour ce plaisir, … plaisir qu’elle n’avait même plus la capacité de prendre. Je quittai les lieux avant elle, devrais-je avouer à cause d’elle, car si elle ne faisait pas peur au gringalet assis à côté d’elle, à moi, elle faisait peur… Sur le chemin du retour, c’est un homme aux cheveux longs, ressemblant au Agassi des années 90, qui gueulait des “Fucking…” à tue-tête. Ce type était relativement bien équipé, il portait des vêtements sportswear et de bonnes chaussures de marche, et sac à dos de montagne, il eût pu avoir l’air normal… je me réjouissais d’être sur le trottoir d’en face, surtout que les rues ici sont aussi larges que nos autoroutes, et les trottoirs, nos rues… on peut dire que j’avais une marge. Ces personnes, qui n’en sont certainement déjà plus, seraient même plutôt des fantômes, prêts à disparaître sans que personne ne se soucie d’eux. Mais avant de quitter ce réel douloureux, ces mort-vivants, gris et flous, sont traversés de hurlements viscéraux, que leur corps émet, malgré ce qu’il leur reste de raison. C’est l’animal qui crie, l’esprit, cela fait bien longtemps qu’il a quitté le terrain. Si les esprits rodent encore au-dessus de ces corps on pourrait les entendre dire : “Et merde… je suis encore en vie.” Après avoir fait l’amer constat de cette catégorie des “hurlants”, il me vient à l’esprit une certitude qui est la suivante : si je doute fort qu’il y ait une vie après la mort, en revanche je suis sûre qu’il peut y avoir la mort pendant la vie. 23
Ocean Drive Je sais que là où je suis en ce moment, personne de mon entourage n’aimerait s’y trouver. C’est bruyant, une musique principale celle de mon “restau” type reggaeton, et une autre voisine moins forte, mais dont j’entends les boum-boum. La frime est au rendez-vous, bagnoles clinquantes, culs moulés dans des shorts courts et trop petits par rapport au volumineuses fesses, seins surboobés, pulpés par des artifices vestimentaires, petit nez vers l’avant, droit devant, pour une démarche à la cambrure anti-naturelle. Les gars marchent par paire minimum, ils se photographient photographiant le 3eme qui fume un cubain énorme. Il y a une excitation générale ici qui nous dit de se dépêcher de vivre, il est urgent de vivre et vivre c’est se montrer : muscle luisant oppressant les veines pour les hommes, et parties molles pulpées et position “open” pour les femmes. Océan drive, on se mate matant, on se regarde regardant ce qu’on a à proposer de meilleur de nous même, du point de vue du domaine du visible. C’est phénoménologique après tout, c’est l’expérience au strict premier degré de l’existence. Couple d’alcooliques de 40 ans environ s’apprêtant à prendre le taxi, groupe de jeunes chauds, chicha à la main rentrant de la plage, particulièrement bitocentrés, une serviette enroulée servira de bite factice histoire de faire rire les copains pour la millième fois de la journée autour du manque de sexe pesant. Tenter désespérément d’accrocher le regard d’une petite blonde latino sans cou, à joli cul, mais elle fuit. Un truc qui bouge sur l’asphalte au couchant… Oh !? une grosse blatte, je me doutais qu’il y avait de tels engins dans ce pays si chaud, ça me stresse un peu, je voulais profiter de ce cadre bling-bling à mort, au prix où j’ai payé cette assiette de frites au goût de poisson et ce smoothie trop grand… 30 dollars putain. Je ne me sens plus assez bien, je vais bientôt partir.
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Dans le bus Dans le bus, c’est ambiance pourrave. C’est crade, les vitres ont un revêtement tel que l’on ne peut voir que des ombres de paysages, parsemés de paillettes dorées, plus ou moins envahissantes en fonction des impacts solaires. L’ambiance colorée est bleue électrique, peut-être cobalt, du jaune citron ponctue le tout. Ce même jaune souillé, noirâtre par endroit, est la couleur d’un fil plastifié, de l’épaisseur d’un fil électrique. Il m’a fallu 5 trajets pour comprendre à quoi ce fil disgracieux pouvait servir. Les passagers tirent dessus sèchement occasionnellement, il y a tout un système de poulies, l’importance résidant je crois dans la mollesse du fil : c’est en fait ce qui permet de demander un arrêt sans avoir à se lever. Il arrive de voyager avec des sdf, forcément odorants mais comme les bus passent 2 à 3 fois par heure, soit 20 à 30 minutes d’attente, on reste jusqu’au point nauséeux. Au fond du bus, cela peut être ambiance “jeunsss”, pieds sur les sièges, et gesticulations bien sympathiques de raggadance hall, smurphées dans le buste. La musique est audible, et pour me fondre dans cette ambiance que je veux mienne durant le trajet, je gigote aussi, bats la mesure de la tête aux pieds, un peu du buste, histoire d’être dedans, en communion avec toi mon frère black de Miami… et toujours penser qu’une danse improvisée est possible (toujours partante pour danser, quelle que soit la danse, mais cela n’arrive jamais). Durant les trajets en bus, nombreuses sont les personnes qui mangent, alors que c’est interdit, la jeune fille que je viens d’observer, s’est sorti une sorte de nem sur lequel elle a fait dégouliner une sauce orangée à la texture de miel, cette sauce a lentement coulé le long du nem pendant qu’elle le bouffait, mais ces personnes “grunges” ont souvent de la chance dans leurs pratiques peu ragoûtantes, en effet elle a fini le nem avant que l’ultime goutte n’atteigne son sac.
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Seule Cela fait un mois que je suis face à moi-même et en face d’inconnus, tout le temps. Cette absence de liens sociaux ne me manque pas, car il me semble que je me crée un monde chaleureux autour de moi : le moindre sourire d’une caissière de Walgreens, celui du gardien de la Library que personne ne salue jamais sauf moi, le serveur qui me demande de payer, la moindre question dans la rue, je confère à chacune de ces connexions avec d’autres humains bien plus d’intensité qu’elles n’ont en réalité, cela me permet d’entretenir un petit monde imaginaire pavé de très bonnes intentions. L’absence de relations familiales, et amicales me forcent évidemment à l’introspection, action auto stimulante pour laquelle j’ai aussi voulu partir. Il ne faut pas être sujet aux idées noires, ou aux angoisses, il faut être du genre à transformer tout évènement négatif, en truc positif, du moins constructif. C’est reposant pour mon cerveau, quelque part, qui là, ne peut que se focaliser sur la création. La première des créations quand on se retrouve seul, c’est la création de pensées nouvelles suscitées par des évènements inhabituels, ayant engendré en moi des comportements originaux et inédits. La création, l’invention existe déjà dans ces nouveaux embranchements de la pensée. Ces créations dans le monde des idées, me font dessiner différemment, mais surtout me font beaucoup écrire. Et je prends un plaisir à cela comparable au plaisir de peindre, et je ne semble pas m’essouffler. L’écriture journalière me rend heureuse, il me semble avoir poussé une porte qui m’ouvre à un espace de liberté infini. L’expérience de la liberté est ce que je cherche constamment, que ma vie sur terre, cette chance et cette condamnation, n’ait été que la recherche absolue de la liberté. Il me semble que c’est cette offrande que je souhaite faire à la vie quand elle me sera prise. Si cela semble bien beau dit comme ça, il y a des conséquences à ce comportement anormal, l’égocentrisme et l’égoïsme. Pour une force, il faut bien des faiblesses. Si tout le monde est plus ou moins égocentrique, je crois l’être beaucoup “i am the woman!” concernant l’égoïsme, il s’exprime chez moi par ma capacité à me couper de mes proches d’une façon aussi radicale et froide, que la hache décapitant le beau poulet de Lautignac. Je pourrais passer des mois, sans communiquer avec mes proches, mes proches semblent s’y être fait, et ne me font aucun reproche. 29
Les ensablés
C’est amusant de provoquer le réel, cela nous fait découvrir des trucs étranges parfois. Je marchais dans le sable blanc, entre South Beach et Miami Beach, sous un ciel bleu envoûtant teinté d’un rose acidulé, quasi fluo, et zébré de jaune citron, quand je tombai sur un papier cartonné blanc… J’ai hésité à déployer de l’énergie pour ce bout de papier, et puis je me suis stimulée en me rappelant le choc spatio-temporel qu’avait provoqué la carte bancaire de l’année 1989, appartenant à un suédois… Cela m’avait fait penser à plein de trucs, à l’océan poubelle, à mes débuts au patinage artistique, au bicentenaire de la révolution française, à la vie/mort possible de ce monsieur, à le retrouver sur facebook… Ce bout de papier, je me suis dit que ce devait être une carte de visite, et que ça pouvait être drôle de voir à qui elle appartient, le nom de la personne ou de l’entreprise, le style graphique choisi… Etc.. Mais je n’y étais pas du tout, j’étais à des années lumières de ce que j’avais entre les doigts, à des années culturelles! À des années coutumières! C’est une photo dont la surface “glacée” accroche les grains de sable comme un aimant accroche la limaille de fer, de façon à ce qu’il m’était impossible de savoir à quel type de photo j’avais à faire… Une photo d’un ancêtre tombée d’un porte-feuille? une photo d’enfants, de chiens, de chat? J’ai frotté doucement cet objet de convoitise bidimensionnel, de façon à le désensabler progressivement, je prenais un plaisir tel, que j’ai immortalisé les étapes. Cette photo doit être dans le sable depuis la veille, ou cet après-midi-même dominical. Elle a dû être oubliée ou jetée sciemment au sel par le copain de classe jaloux de ne pas avoir été le cavalier de la jeune fille, en fin d’année dernière, pour le bal de promo. Il aura décapité son rival avec toute sa haine d’adolescent introverti, d’un coup de pointe de compas ou de ciseau. Ce serait facile de retrouver le couple… Ça se passe dans un lycée de Miami Beach, ou Miami, et y en a pas 36000 qui ont dû choisir le décor de la petite sirène… Cette photo me révèle tant de la société américaine, elle m’informe que ça existe vraiment les bals de fin d’année, les bouquet-bracelets, les chaperons, le punch, les slows, l’autorisation de minuit dans la mustang, les jalousies, la bagarre. Dans les mailles du filet du photographe/ Un couple immortalisé sur fond d’aquarium/ Se noie en affichant un sourire imposé/ Alors que des poissons leur broutent les fesses/ 31
Les tétons de prédilection
Cette ville est accro aux seins. Naturels ou pas, pourvu qu’ils explosent le corsage, qu’ils envahissent généreusement l’espace public, créant un halo automatiquement sexualisé de 9 mètres carré ; pour peu que la fille ait la mâchoire coincée, la contraignant ainsi à rester la bouche ouverte, et porte une robe moulante et courte de couleur claire permettant de rendre ultra visible une étrange humidité, et bien à partir de ce tableau-là je crois que l’on est parfois projeté dans un film porno en 3D. Certains gars aussi diffusent ce halo sexualisé, en laissant entrevoir leurs tétons par-devant lesquels ondulent les bretelles fines en coton fluo, en surmoulant leur bite et leurs muscles, genre voilà ce que j’ai dans mon armoire -à glaces- voilà ce que je propose comme matos, et toi, t’as quoi dans ta boutique? Ah oui je vois… T’as les critères. Les types d’ici, semblent regarder les femmes en distribuant des notes, on peut lire “j’ai déjà vu plus gros”, ou alors au contraire ” ah ouais, c’est impressionnant, je peux prendre des photos?”. Les femmes semblent laisser venir à elles ces poissons, et feront le tri en les cuisinant un petit peu.
GI-Joe et Barbie sont enfin réunis/ Dans cet éphémère paradis/ Où tout le monde est assujetti/ À l’apparence à tout prix/
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ART BASEL Temps 2 Décembre 2012
Short message du 5/12/12 Opening night d'Art Basel Marches et démarches Art Basel De l'art du galeriste Des phares dans la nuit J'erre Pulvérisée sur l'Indian Creek
Short Message du 5/12/12 Miami Art Basel est sur les starting blocks! Moi-même je suis en pleine ébullition, au fur et à mesure de mes allers et venues à la “Library”, j’ai vu se monter les sculptures et installations du Collins Park. Les festivités commencent ce soir à 20h avec des performances et concerts. Dès demain tout au long de la journée c’est “conférences sur conférences” à l’auditorium du Convention Center, qui n’est qu’à un bloc de mon QG, ou PCQ plutôt, soit la bibliothèque, mon Point de Chute Quotidien.
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Opening night d'Art Basel Hier soir la majorité des gens étaient dans le parc en tenue de soirée, coupe de champ´ à la main pour découvrir la dizaine d’oeuvres installées, et assister aux 3 performances se passant autour de l’œuvre de l’artiste mexicain Jose Davila (1974). Tout ce beau monde s’en foutait un peu des performances, mais à être là vêtus en Gucci ou Dolce et Gabana, style “prostituée de luxe” pour les femmes et “Mac” pour les hommes, autant se montrer! Les évènements se passaient donc autour de l’œuvre “sans titre” fraîchement terminée. Il s’agit d’un espace en carreaux de céramique d’environ 50m2 , orange, jaune, blanc et le carré central le plus profond (50cm), en rouge. Performance de Jason et Alicia Hall Moran - Cette première performance était de la musique assistée par ordi, et guitare, accompagnée d’une danse/théâtre/chant autour et dans l’œuvre “sans-titre”. Moment agréable et à la fois lassant… La répétition des phrases simples chantées, devenaient risibles ; d’ailleurs, une partie du public reprenait ces phrases en se moquant, je faisais partie des plus assidus, la plupart était là pour jeter un regard, comme on jette une pièce à un mendiant. Performance de My Barbarian - Celle-ci, était un opéra en 4 actes, sur la crise. Les chanteurs étaient vêtus de tissus m’évoquant une tribu vaudou de l’Afrique du Sud… J’espère que ça existe, mais au niveau de ma culture actuelle, c’est à cela que je pensais. Durant le 1er acte, j’étais très captivée, un écran nous permettait de lire ce que les chanteurs disaient… Mais cela n’allait pas très loin en face de ce par-terre de “boss”, plus que de “workers”! Donc, ce 1er acte prometteur n’a pas tenu la longueur… Hélas! cela reste juste un agréable moment sous la voûte aux étoiles invisibles de Miami Beach. Il y a eu cependant au moment des prédictions amusantes de My Barbarian telle que celle-ci : “one day, the president of the USA, will be black, …. And he might be,… a republican!” Rires et claps. Ensuite My Barbarian a transmis le micro au public pour que ce dernier fasse des prédictions dont une qui a suscité encore plus de claps et des houra : que Steeve Jobs allait se réincarner en i-phone9! Performance d’Alex Israel - No comment. Si j’en fais un, ça va être violent… Bon, bon… ok… Comment on appelle ça déjà, quand tout le monde se met à danser*? Une…? Enfin ce truc déjà démodé, ici exécuté par une vingtaine de personnes qui ont surgi du public en tenues d’aérobics des années 80 sur une musique sympa ; certains comme moi se sont levés pour leur laisser la place, d’autres sont restés assis, au cœur des pseudosdanseurs. C’était immonde. Ambiance kermesse ratée. Vous voyez les kermesses quand vous allez voir votre enfant s’agiter sur une scène, déguisé en pauvr' fleur, et que tout le reste du temps n’est que souffrance… Ben pour cette pseudo-performance personne n’était de la famille. 41 *Une flash mob.
Marches et démarches Je marche 6 à 15 kilomètres par jour le long du front de mer, ou dans les rues hallucinantes, je me rends compte que je souris souvent, ne pouvant contenir mes étonnements quand je croise un “hurlant”, un “hyperbodybuldé”, une “barbietrifiée”, une famille au complet de “juifos” c’est à dire l’équivalent de nos “cathos” en version “années 50’ black” (décrits dans la première note sur Miami).Les américains sont très disciplinés en public, et même les plus jeunes, ils ne laissent transparaître aucune émotion par rapport à ce qu’ils voient, ils ne se retournent qu’exceptionnellement quand ils voient une allure au-delà du bizarre, et ne se moquent jamais de quelqu’un dans la rue. Jamais. Alors qu’en France, il arrive fréquemment que les gens se retournent et chuchotent ou rient ouvertement, voire même interpellent le sujet hors normes. Pour ma part, si il m’arrive de me retourner, ce n’est pas pour me moquer, mais pour tenter de comprendre ce qui peut pousser quelqu’un à en arriver à certains extrêmes, tout comme ce couple, un homme et une femme* aux regards illuminés, déguisés de manière identique en “femme au foyer” qui aurait choisi ses vêtements pour se rendre à un anniversaire familial. Ils ont les crânes rasés, l’effet produit n’est pas agréable à l’œil. À ce moment-là, venant de passer le long des bars branchés d’Ocean Drive, dont un bar gay qui m’avait l’air bien sympathique, j’étais convaincue qu’ils étaient le couple “mascotte” de ce bar… Enfin j’essayais d’expliquer l’inexplicable. Dans mes accoutrements, jamais d’extrême, dans mes comportements, par contre, je n’ai jamais su cacher mes émotions et mes pensées. Heureusement, j’ai d’assez grandes lunettes noires, derrière lesquelles je cache mes failles expressives, …et mate discretos héhé! “Souris au monde et le monde te sourira”, c’est ce que je pratique en tout cas depuis mes années lycée, c’est d’ailleurs comme ça que j’ai “pêcho” Rémi, et lui m’a “pêcho”en déployant toute sa félinité… Bon baiser de Miami Beach où il fait boum-boum vivre!..
* Eva et Adèle : un couple d'artistes « performers ». 43
Art Basel Le couple homme/femme deguisé en femmes au foyer ultra maquillées*, était au rendez vous d'Art Basel et durant les 4 jours. Peut-être ont-ils un concept à vendre? Peut-être sont ils déjà connus par ici? En tout cas ils ont été reconnus, et photographiés et approchés par des galeristes. Des monstres à la paire ça a du charme, du moins ça capte l’attention. On pouvait entendre dans les allées d’Art Basel “mais ce sont des artistes ou pas alors” et un galeriste hésitant sérieusement à les interpeller… Contrat ou comptera pas?.. Hum… Hum… gouttelettes d’hésitation… Concernant la foire, la qualité était au-dessus de ce que j’attendais, pour 90dollars soit environ 70€ j’ai eu accès à toutes les conférences, et cela durant toute la durée de l’événement. 1/3 des conférences auxquelles j’ai assisté étaient vraiment intéressantes.
* Eva et Adele : « The Hermaphodit Twins in Art »
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De l'art du galeriste J’ai une impression, sûrement fausse, mais je l’ai donc je vais la partager, que les galeries parisiennes vivent un peu sur leurs acquis (acquis de renommée autour d’une typologie d’artistes, ça a marché, ça marche encore, continuons comme ça… ) mais du coup, ces galeries présentent leurs œuvres sélectionnées telles des incontournables, avec une froideur hautaine imprégnée d’une certaine morbidité, alors que d’autres tentent de nouvelles pistes audacieuses et intéressantes. Berlin, Sau Paulo, Barcelone, Moscou… Pour en revenir aux galeristes français présents, la plupart croisés sur leur territoire commercial où le non-client n’est rien, sont prétentieux, imbus d’eux-même, soit ils parlent entre eux, les yeux dans leurs magazines où l’on parle de leur artiste, ou de leur galerie, soit ils envoient des jeunes loups sur la moquette du salon, qui se régalent de parler vente en dollars et c’est une affaire qui marche. Oh!... ce que j’aime observer ce monde paranormal, je dis cela sur nos galeries parisiennes, parce que je suis française, mais je crois bien que cette posture de “nous sommes les meilleurs, et on va remporter des marchés” est assez internationalement partagé par cet univers composé de chevaux de course, au poil brillant, et harnachés des plus beaux apparats de cuir, …mais à œillères.
Les galeristes n’aiment pas qu’on écoute aux portes… Sauf qu’il n’y en a pas… de portes. J’étais en train d’annoter le nom de l’artiste Raul Illarramendi- Venezuela (2012 dessin sur gouache, technique au rendu intéressant) quand la galeriste parisienne m’a physiquement éjectée tout en parlant tarifs avec un couple d’américains. Je lui ai souri, et elle a eu beaucoup, mais alors beaucoup eu de mal à me sourire en retour, ça vibrait autour de sa bouche. Ça c’est typiquement un truc que tu peux vivre en pointillé tout au long de la journée dans un salon international de cette envergure. Mais je garderai aussi en souvenir, des sourires sympathiques de galeristes n’ayant pas perdu de leur humanité, et ressentant un plaisir certain à voir des personnes s’intéressant viscéralement à l’art. (Galeria Sur- Punta del Este avec sa “first lady” de Botero -1967). 47
Des phares dans la nuit Les œuvres qui m’ont fait le plus vibrer, c’est à dire qui ont résonné en moi sont des œuvres m’apportant le bonheur immédiat, la plénitude absolue, le plaisir de l’œil et de l’esprit. Durant les 4 jours d’Art Basel, je suis allée contempler ces oeuvres, me plonger en elles, au bord des larmes de joie, tellement l’émotion était forte. Comme cela est précieux. J’espère revoir ces entités un jour. Avec le recul, certaines œuvres restent accrochées à mon cœur plus intensément que d’autres. Leur influence positive est telle qu’elles vivent et vibrent en moi, des phares dans la nuit de mon océan intérieur. “first Lady” (1967) de Botero. Jusqu’à Art Basel, je dois bien avouer être passée totalement à côté de l’œuvre de Botero, j’appréciais le travail et l’originalité mais sans plus. Mais là, toutes ses œuvres dans la réalité du rapport œuvre/spectateur, me sont apparues en chef-d’oeuvres, toutes habitées d’une pointe d’humour, d’amour, le tout dans une grande maîtrise esthétique. “venere del promo sdraiata” (2005) purement magnifique, ” cat” (2008) superbe, Estelle (1973) extra et tant d’autres à chaque fois une belle émotion en offrande. Et First Lady ! … je crois que je débute un culte pour First Lady, en photo, je ne suis pas certaine que l’on puisse capter la puissance du truc. En vrai, déjà elle est colossale, et à la fois ses petits doigts boudinés tenant un petit drapeau et un petit chat-chien dont les pattes se mêlent aux doigts, ces 2 là ne formant plus qu’un, sorte de bête à 4 yeux, 2 pattes et 14 doigts, sur fond de paysage joyeusement morbide. Cette peinture est un délice pour moi, et ultérieurement je me renseignerai sur l’œuvre (quand/comment/où…) pour le moment, je ne veux avoir à l’esprit que les hypothèses autour du plaisir esthétique pur. “the girlfriend of my friend” (1996) de Sergei Bratkov. Cette photo, et je suis à la limite de dire cette femme immortalisée sur papier glacé abîmé, illumine quelques cases de mon cerveau d’une façon si puissante que je doute de parvenir à expliquer correctement ce ressenti intense. Selon ma lecture, dans cette photo sur fond d’idéal communiste, surgit la force vitale de la femme qui affronte l’objectif avec un courage phénoménal, une posture massive et à la fois gracieuse, son déterminisme viscéral, sa félinité palpable dans son immobilité, tout cela et bien d’autres choses perçues, font que je la fais porte parole de ma condition féminine. “Man and woman on their way to morning coffee” via Sapori, Rome 1990 - Joël Sternfeld Je repense aussi à cette photo qui m’a fascinée durant les 4 jours et encore aujourd’hui. Moins fortement, que la précédente, mais tout de même elle reste délicieusement installée dans ma tête. Cette photo aussi a de la gueule, et c’est peu de le dire, mais comme celle de Bratkov, elle porte tellement de choses que chacun peut se la recomposer à sa “sauce” ou pas d’ailleurs. Elle m’évoque la Dolce Vita à l’envers, ou en négatif, et c’est pour ça que je l’aime. Faire écho en négatif à ce chef d’œuvre cinématographique ça m’émeut forcément. C’est cru, beau et vivant.
J'erre J’ai passé mon dimanche à errer comme j’aime à le dire dans ma tête. J’erre puisque je sors marcher, sans but précis. Parfois j’en ai un, qui ne dure que 2 kilomètres, après c’est fini, je ne respecte plus mes objectifs premiers. Je cède à la tentation, de me laisser porter par le vent, le soleil, les sons, les couleurs, les ambiances. Aujourd’hui je voulais me refaire Ocean Drive, me prendre un truc à boire, pas trop cher, pas alcoolisé, dessiner les gens, observer leur façon de vivre, leur fureur de vivre. Et puis en marchant vers le sud le long de la plage, dans le flot aéré et stimulant des joggeurs, des cyclistes, des piétons, des rollers, des skates, et de ces engins qui avancent en basculant le corps vers l’avant, j’ai vu une scène que j’ai voulu dessiner. Une fois le dessin enregistré dans l’iPad, j’ai repris ma marche dynamique, toujours vers le sud, mais enthousiasmée par ce dessin “surprise”, et donc par ce premier grain de sable dans les rouages de mon horloge journalière, au lieu d’aller à droite vers Ocean Drive, je suis allée à gauche, c’est à dire dans le sable! À cet endroit-là de South Beach, la plage est vaste. Un jeune homme m’accoste pour me vendre l’accès à un siège et un parasol “How much?” 25$… Un homme d’environ 56 ans, a trouvé la parade dans plusieurs domaines, dont l’apparence et la drague. Ce gars-là mon pote, il est terrible… Concernant l’apparence, il la travaille finement, il ne s’agit pas de faire jeune en passant par une chirurgie esthétique excessive, il s’agit d’y passer juste un peu, choisir des vêtements jeunes, mais pas les vêtements clichés trop tapeà-l’œil, les vêtements normaux sportswear. Faire de la muscuĺ, mais là encore pas d’excès, dynamiser le tout, muscles et abdos clairement dessinés, mais ne pas aller se tuer à la tâche sportive pour tenter de faire disparaître une peau flasque sur les flancs. Tout cela dans quel objectif mes amis? Et bien oui domaine n°2 maîtrisé par le monsieur : la drague à la chaîne! Ce fut extraordinaire d’observer ce cougar en action! Dès son arrivée, il sonde le terrain, il flaire la proie, jeune et lumineuse. Trop loin pour entendre, mais les gestes ne trompent pas, sa méthode est parfaite, c’est un charlatan, un bonimenteur, un magicien, un astrologue du domaine de la drague. Il lance une discussion, va savoir sur quoi, puis la fille parle, il acquiesce avec une sincérité quasi parfaite, puis il relance, et écoute à nouveau, et acquiesce encore et encore, tel le chien à l’arrière des voitures, puis il passe son tel à la fille, et la fille lui passe le sien. Une fois cette fille partie, il enchaîne sur 2 autres et rebelote. Hop-hop-hop! Faut pêcho quoi, un point c’est tout. Parmi toute cette poisscaille, y en aura bien une qui va mordre… La marche les pieds dans l’eau au couchant me fera un bien énorme, et les couleurs apaisantes de 17h30 deviendront de plus en plus fluorescentes. Le rose vif foudroyait le ciel, et modifiait totalement les couleurs de l’océan. J’ai de suite pensé à son tableau de ciel, qui était fait exactement de ces couleurs-là… Et Los Angeles ou Miami, ça doit être kif-kif… Au moment où je me mettais à penser à son travail, je souriais et me répétais que ce type n’était peut-être pas le guignol que je m’étais fabriqué dans ma tronche…
Pulvérisée sur l'Indian Creek J’ai failli mourir avant-hier soir, si j’avais traversé au moment autorisé par le petit bonhomme blanc sans vérifier sur ma gauche, je mourrais écrasée sur l’Indian Creek le 9/12/12. Le mec en 4x4 est passé au rouge bien rouge, et s’en foutait complétement, je lui ai fait un signe dans le genre “qu’est-ce k tu fous, mec?” Il a accéléré de plus belle. Les accidents doivent être fréquents. En m’écrasant, sa vie aussi aurait basculé : il aurait dû vendre ses bagnoles, sa maison, pour payer le procès, il aurait passé 3 à 10 ans en prison, perdu son travail, sa femme, ses enfants. En 2020, ce mec serait devenu un “hurlant”, errerait au « Collins Park » la nuit, et passerait ses journées dans la Library de 10h à 18h. Et moi en poussière de moi sur l’Indian Creek pour toujours. Alors le lendemain même heure, j’ai rejoué la scène de ma potentielle pulvérisation de la veille. L’iPad me photographiait traversant l’Indian Creek, et je vivais chaque pas comme si il était le dernier. Je voulais voir ma tête légèrement apeurée, petit oeil du lapin se doutant que sa fin est proche dans la grosse main du fermier, ou petit oeil du poulet qui sait que l’heure est grave et qu’il ne la vivra peut-être pas en entier, dans cette cage ballotée à l’arrière de la Volvo. Je n’aurais pas eu le temps de finir mon expression terrifiée, donc pas la peine de la jouer Sarah Bernard, juste ce petit œil d’avant la projection finale. Une dernière séquence, floue, effarée, désaxée, perturbée, spontanée, dans les phares des voitures, qui ce soir se sont arrêté. Mais petit œil joue la comédie de ce drame.
Rejouer la dernière scène de sa vie/ Pulvérisée sur l’Indian Creek/ C’est petit œil qui m’a tout dit/
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MIAMI BEACH Temps 3 Décembre 2012
Quand il pleuvait la nuit Immeubles Credit or debit ? Si peu ou pas du tout Shalom Les ÂŤ lisants Âť Le majeur ennemi Freesby Facial Style Une ville en travaux
Quand il pleuvait la nuit N’avez vous pas déjà rêvé d'un pays où il pleut la nuit et fait soleil le jour? Et bien il semblerait que la Floride l’ait fait! “It´s raining cats and dogs" chaque nuit “and it´s warm, and cool" dixit 88.9 fm, dès que le jour se lève. Quand je dis “chats et chiens", selon l’expression anglaise, cela traduit bien tout ce qui tombe la nuit. Jusque là pas d’orage, juste de l’eau, comme une vache qui pisserait des chats et des chiens finalement. Je comprends mieux ces grosses flaques stagnantes… En fait, elles ne stagnent pas vraiment, elles sont renouvelées nuits après nuits. C’est bon ça, pour la nature,… pour tout ce qui essaye de pousser entre les bâtiments énormes et les routes phénoménales. Cela fera 2 semaines ce mardi 11 décembre que je suis à Miami Beach, et si la première fut étonnement pluvieuse, durant les nuits, la deuxième ne l’est plus vraiment. Cette deuxième semaine est très humide aussi, mais c’est dans l’air. Dès que tu quittes un espace public réfrigéré à outrance, l’air chaud et humide t’enveloppe de son manteau de moiteur, dont les invisibles particules d’eau s’agrippent jusqu’à tes poils de nez ; tu sens alors ces raisins nasaux vibraient à chaque inspiration et expiration, pas de raison de se mettre en colère même si tu te mets à visualiser ton nez en double corne d’abondance. Tes mains sont dégoulinantes et grasses, tu te sens sales, pourtant après courte réflexion, tu te rappelles ne pas avoir réparé de vélo ayant déraillé, ou manipulé de moteurs de voiture, ou avoir cuisiné des beignets.
Immeubles Le studio que je loue est situé dans un bâtiment de 4 étages de style art Deco il donne sur l’Idian Creek, boulevard très passant, au niveau de la 30ème rue, et est à 2 blocs de la plage. Les immeubles en front de mer de mon quartier sont des monstres, par leur taille colossale et leur non-style. Pourtant leurs dimensions, qui leur fait porter des noms tels que “Triton Tower", m’hypnotisent à chaque fois que je passe devant, leur laideur me charme. C’est sûrement le coup des palmiers, du sable blanc et du soleil. J’en ai pris quelques uns en photo dès mon arrivée, mais je ne sais pas si ces photos sont assez radicales pour rire ensemble de leur monstruosité.
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Credit or debit ?
Faire les courses quand on est seul, c’est simple, on ne pense pas au plaisir en premier, on pense à l’aspect économique associé à un plaisir plus basique (je vais prendre des aliments simples, que je vais aimer sur la durée, et la répétition). Au début je faisais mes courses dans un genre “d’épicerie" à 1 block du studio, tenue par des latinos “Triton SUPERMARKET". Pas très propre vu de loin, et dégoûtant de près. Le père fait le boucher, beaucoup de choix en viandes pour 1m2 de vitrine, mais la viande est irisée de gris-bleu, et la vitre n’est pas propre, le boucher non plus ; les cartons qui me séparent de la zone viande, me tiendront éloignée pour toujours. Ce monsieur à la barbe peu soignée de boss-worker mexicain, il a un air sympathique, souriant dessous sa transpiration formant un épiderme luisant. Sa femme fait très probablement des plats délicieux, chez elle, mais à les voir là sur 2 mètres, dans des plats attirant quelques mouches derrière une vitre trouble, je ne pourrais jamais imaginer les goûter. Des humains s’y risquent, à y regarder de plus près, ils semblent qu’ils fassent partie de la famille des “hurlants" en mode sourdine ; 1 rangée de carton et le mini stand de fruits et légumes me tiendront à distance ad vitam eternam. Les filles sont aux caisses, nous y reviendront au moment de payer. Le magasin est petit mais costaud, les aliments ne sont pas juste là, ils sont coincés là pour que le maximum puisse être casé. Les “fromages" sous la forme râpée, en sachet de 226g “mexicain", “italien", ou “cheddar" ne sont même pas du fromage de type “gruyère" le plus bas de gamme, ce fromage râpé c’est en fait du sel sous une forme lactée-solide … Je cherche mais ne trouve pas d’équivalent en France, enfin, je n’ai jamais goûté un fromage aussi insipide. Le rayon boisson minimum 2 litres, on sait... Le rayon sucreries, alors voilà, c’est là que ça devient un peu plus gore : il y a un produit alimentaire américain ou mexicain, à l’apparence d’une pâte de fruit énorme, peut-être n’en est-ce pas du tout, qui forme un mur de briques orangées compactes, coagulant et suintant par delà le plastique. Cela doit être comme ça depuis 1984, année probable de leur mariage et de l’ouverture du magasin. Surprenant, vraiment! Ce magasin est tellement étriqué qu’on y circule en travers, et quand les beaux-fils garnissent les rayons déjà surchargés, les clients ou les employés doivent faire le tour par une autre allée.
Vient le moment de payer, et là on a à faire aux filles. Horribles. Pas de hello, regard dédaigneux, une des 2 te remplit tes sacs de course lasse avec un air hautain et hébété pendant que l’autre passe le matos à la machine : “Crédit or débit?" prononcé sur l’expiration - expiration venant mourir dans tes cheveux. “thirty-three seventy-one!" … Là, toi aussi tu fais la gueule et les dédaigne... ce n'est pas facile hein, de jouer à ce jeu débile de la meuf impolie… j’ai réussi… Je m’étonne tout en cherchant mon porte-feuilles! Oh non… Non! oh!…. Putain, mon fric? J’ai oublié mes sous “oh! I’m really sorry, I’ve forgotten my money! I come back, I’m near!" Et là elles me fusillent du regard sur une expi qui devait mourir dans mes cheveux, mais j’étais déjà partie! Hé-hé ! Quelques jours plus tard, je décidais de changer de crémerie, je découvrais Wallgreen. Cela a l’apparence et la taille d’un Monoprix, mais en fait c’est pas du tout ça. C’est ouvert 24h/24, il y a très peu de choix concernant la nourriture. C’est plus spacieux que le magasin mexicain, plus lumineux et plus propre… Erreur! Il y a des blattes qui n’ont pas peur de la lumière du tout. Je n’arrive pas à comprendre d’où elles proviennent : des fruits ou des donuts en boîte? Je pencherais plus sur la petite zone de fruits où cela grouille de bébés translucides jaunes à petit abdomen noir, surtout dans les bananes. La famille de cafards est très localisée au fond du magasin, mais circule jusque dans les boissons d’un côté, et les donuts de l’autre, soit sur un espace de 5m² environ. Le rayon des produits congelés s’étend sur 4 mètres, 1/3 des produits ont fondu puis recongelé plusieurs fois (les traces de coulures blanchies témoignent de ça) en face il y a un rayon de sachets d’oléagineux sur 2 mètres, biscuits européens sur 1 mètre, et finalement 1 mètre pour les produits frais tels que beurre, bacon, œufs, fromage et biscuits au fromage et jambon. L’autre fond du magasin, opposé à celui des blattes, est une pharmacie. La moitié du magasin est finalement voué aux produits pharmaceutiques. Wallgreen serait donc plutôt une pharmacie vendant aussi de la nourriture.
À noter : Aux États Unis, du moins à Miami Beach, il n’y a pas du tout de mode bio, on est même à fond sur les produits les plus trafiqués, on se fout totalement de ce qu’on mange, les trucs hydrogénés ne font pas peur du tout, de toutes façons on ne lit pas les étiquettes. Un fruit coûte 1dollar (soit 76 centimes d'€), et un fruit en morceau, genre 1/4 d’ananas ou 1/2 mangue dans un verre en plastique 4 dollars. 63
Si peu ou pas du tout
Je m’étonne de n’avoir vu que 3 tacots, dont 1 jaguar et un genre de mustangl le reste n’est que véhicules flambant neufs, gros et clinquants. Aucune burka. J’ai vu 1 femme voilée dans un bus, une autre dans un Starbuck avec ses 2 petites filles, une à Art Basel avec 2 amies, une autre dans la rue et aujourd’hui une jeune femme avec son fiancé au sortir de la plage. Les barbus type intégristes, pas vu un seul. Je n’ai pas vu non plus de “vampirella" ou autre “gore attitude". Bimboland n’a donc pas que des défauts, il éloigne les femmes fantômes et autres vampires. Pas de double vitrage. Pas de produits bio dans les magasins. Pas de mode BIO. Pas de comportement écolo, on s’en fout totalement de notre coût énegétique. Les clims' disfonctionnent fréquemment, l’eau coule et coule encore. Un phénomène rare mais existant en France qui est ici la norme : allumer le moteur de la voiture, pour avoir la clim' dedans, pendant la pause déjeuner, ou autre moment d’attente, tout en laissant la portière ouverte. Je n’ai que très rarement vu un conducteur qui ne téléphone pas - la prévention routière américaine en est à passer une pub à la radio concernant le danger de conduire en tapotant des SMS, téléphoner au volant semble être toléré*. * exagération probable de ma part.
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Shalom
Petit stand tenu par 3 barbus, et 2 jeunes barbotant, tous portent la kipa et des franges autour de la taille. Il est 17h00, sur la Lincoln Road, l’allée piétonne et centrale de South Beach. Cela se passe entre Sushi Thai et 4D, à l’endroit où j’ai pris ma glace goût “hazelnut" (noisette) à 5$. Les gens sortiront bientôt du boulot, et les hommes blancs seront accostés avec un enthousiasme de vendeur de beignets du bord de mer. Le plus patriarche des 5 intervenants, petit et bedonnant, interpelle les hommes de tout âge, en les montrant du doigt, genre toi mec t’es juif, c’est sûr, viens que je t’embrasse… C’est étrange cette stigmatisation à l’envers, je veux dire qu’en rameutant les passants soupçonnés, préjugés d’être juifs, et les autres de ne l’être pas, pour faire une prière devant tout le monde, ces hommes-là s’isolent et du coup nous isolent. Etant donné qu’ils font en fonction du faciès, ils n’interpellent ni les noirs, ni les asiatiques, ni les femmes. ”- Shalom, you are jewish? - No. - Have a good day! ”- Shalom! Vous êtes juif? - Certains jours oui, d’autres non… Et aujourd’hui oui!" S’écria joyeusement un monsieur pressé. "- Bonne journée!" ”- Shalom, vous êtes juif? - Quoi? Est-ce que j’ai l’air d’être juif?" Hurla le passant, retenu et calmé par sa femme.
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Les « lisants »
Les gens de la rue souffrent moralement et physiquement, les plus forts s’obstinent à tenir un cap, celui de la culture, ils lisent de 10h à 20h les lundi et mardi, et de 10h à 18h les autres jours de la semaine, sauf le dimanche, puisque la « Library » est fermée. Ils dorment sur les trottoirs alentours, ou près de la plage sous les palmiers. Il est vrai qu’il fait bon ici, à l’air libre, cela n’empêche pas le désarroi, et ce vide dans leurs yeux. Ils sont salués par des gens “normaux" travaillant à la « Library », ou habitant le quartier, qui les interpellent par leur prénom. Je crois que ça leur fait du bien. Mais si ils tiennent, c’est à leur mental qu’ils le doivent, lire tous les jours, comme c’est écrit en gros sur le comptoir de l’accueil de la « Library » : READ. Il y a un autre genre de lecteurs acharnés, un couple de quinqua' à sac à dos, dans la rue, en face du « Triton SUPERMARKET », qui passe ses journées et soirées à lire, à même le trottoir. Les pauvres de South Beach ne mendient pas : ils lisent ou ils hurlent.
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Le majeur ennemi J’ai croisé un hurlant en chaise roulante en mode silencieux mais à gestes sonores et trébuchants! À toutes les femmes croisées, dont moi , il faisait des doigts d’honneur tant qu’il nous avait dans son sillage. C’est un genre de vade retro satanas, son doigt devient un crucifix que l’on pointe en direction du mal pour s’en protéger… Sympa. Sa détermination à faire ce signe est d’autant plus visible qu’à chacun d’eux, il doit redoubler d’effort pour relancer le roulement de sa chaise. C’est une sorte de TOC lié certainement à son histoire personnelle. Perdu par l’Amérique, il trimballe toute sa vie sur cet îlot mobile, il y crèvera sûrement dessus dans sa crasse, dans ses gobelets, dans ses chiffons, ses bouts de papiers, de ficelles, ses pensées négatives et légitimes, l’entraînant dans une spirale vicieuse de la déchéance. Bernard-Lhermitte perdu par l’Amérique, Qui étais-tu avant de n’être plus Que cet escargot des fonds de South Beach, Où tu erres en pointant un majeur ennemi, À toutes les femmes que tu crucifies?
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Freesby Facial Style Ou l’attraction de tout objet manipulé par les enfants, vers soi… Que ce soit en France ou aux États-Unis, j’attire systématiquement les jouets volants en tout genre. Mais ici on est en Amérique, c’est tout pareil mais en plus fort, et en amplifié. Donc, on va dire que j’ai eu raison d’anticiper et me dire, "tu vas voir que ce freesby, manipulé par un petit latino très dégourdi pour ces 4/5 ans, va finir dans ma gueule!" Mon anticipation était telle que j’étais la gardienne de but que je suis habituellement quand Rémi me fait jouer au foot, c’est à dire ne jamais rien stopper, sauf que là, ce défaut devenait une qualité! Encore fallait-il être “aWAre!" Et bien oui, ce fut une réussite, quasi un grand écart facial pour éviter de me recevoir le freesby dans les tibias, parce que ces gamins-là sont des enragées avec des jouets. Je me demande pourquoi ils ne visaient pas leurs mères. En tout cas, j’ai vu dans les yeux de ces petits de la fascination, par ma prouesse technique et sûrement aussi par la réaction en chaîne qu’ils avaient provoquée… je suppose qu’ils ont dû refaire l’expérience avec une autre personne, et se recevoir deux claques… Pas de leurs mères, bien trop occupées à parler fringues et « shoes ». Elles sortaient leurs gamins, comme on sort des chiens faire leurs besoins.
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Une ville en travaux
La ville était en travaux un peu partout juste avant Art Basel, puis cela s’était arrêté et maintenant elle est en travaux absolument partout. Il y a dans la ville un bruit continuel de machines. Les trottoirs sur lesquels j’ai plusieurs fois marché depuis mon arrivée sont aujourd’hui défoncés, de nombreux bâtiments vides sont en train d’être rénovés, je reste souvent figée dans la rue, fascinée par ces bâtisses Art-Deco vidées de leur intérieur. Ces trous béants, ces trottoirs bombardés, ces maisons déchiquetées dont il ne reste plus que leur façade, ces rues coupées à la circulation, je ne verrai pas la fin de ces travaux. J’éprouve un peu de mélancolie quand je vois ces démolitions qui martèlent le temps qui passe, et m’éloignent un peu plus de mon aventure solo que je bois à plein goulot.
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AMTRAK Décembre 2012
Good Bye Florida En gare! Dans le train Feliz navidad
Good Bye Florida Je suis un peu troublée de quitter la Floride, car après tout, peut-être ne reviendrais-je jamais en ces terres ensoleillées, par-dessus lesquelles planent des aigles élégants et fiers. Quand il m’arrivera de déguster un pamplemousse de Floride, il sera bien plus à mes yeux que ce qu’il n’était auparavant, il sera porteur, des couleurs fluorescentes du ciel, de la chaleur en hiver, des champs de pamplemousse. /Adieu terre fluo de Floride, Je t’aurai tant aimée! Tu as su m’accueillir, Me troubler, m’inspirer! Tenez bon les lisants! Rien à dire aux hurlants! Un peu de félinité, Aux bodybuldés, Et autres bodipulpées./
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En gare ! Objectif : être en gare de Miami à 11h20, le train partant à 11:50 - Je devais remettre la clef du studio dans la « petite box à code » située dans la rue /prévoir bug éventuel de ma part ou de la petite box/ - Je devais prendre le bus L, prévoir là encore une marge d’erreur par rapport au trafic réduit un lendemain de Noël, ou un accident ou autre ennui. Je quittai donc le studio à 8h30. Finalement, tout fut laborieux (j’étais très chargée)! Le bus me déposa à 9h50 dans un quartier ultra glauque, à deux blocks de l’Amtrak Station de Miami. À mon arrivée, les contrôleurs de valises m’ont stoppée-NET! Ils avaient flairé que la mienne pesait une tonne, et c’était vrai, je dépassais la limite de 20 pounds… Voilà un problème auquel je n’avais pas pensé. Ça les a bien fait rigoler, ils ont dû se dire que je n’y arriverai pas, mais c’est ne pas me connaître! Je tiens de ma mère-Macgiver. Bref, je gérai parfaitement ce problème en 45 minutes environ, puis je dessinai à côté d’une obèse défigurée, qui dévorait un gros sandwich de type kebab, en guise de collation matinale…Glups… Puis l’heure avançant, je me retrouvais dans la petite auto qui allait me conduire jusqu’à mon wagonabsolument parfait. /New York, I am coming, I had such a good feeling about you in two-thousand-ten I hope walking on you, disturbing you, be happy with you New York, I am coming, And I know I will love you like I love Paris For totally different things, that´s why I love you dear Apple/
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Dans le train /Proche de Fort Lauderdale - Repas du midi en charmante compagnie d’un couple vivant à Fort Lauderdale, la femme d’environ 40 ans, Nawal de père lybien parlant très bien français me précisa-t-elle, ayant mangé les meilleures pizzas en Lybie, m’expliquait qu’elle avait passé sa soirée à voir et revoir le film de Noël intitulé “Christmas story", en buvant du vin jusqu’à 3h du mat, le mari s’était couché. /Après Orlando, Florida - Le repas du soir avec un autre couple ( la femme d’origine roumaine et lui d’origine franco-chilienne) je me suis régalée de parler avec ce 2ème couple aussi, tellement sympathique et tellement américains. “Mon patron est un très mauvais patron, très méchant, il ne me laisse pas prendre de vacances"…. Hum-hum il y a baleine sous gravillon, un américain qui critique son patron aussi directement et avec autant d’insistance ne colle pas avec l’image de l’américain que j’ai…. “Mon mari est d’humeur taquine ce soir, il plaisante, il est son propre patron!" … On a parlé voyage, et tout plein d’autres choses bien sympathiques. /Selma - North Carolina - Et ce matin, 3 solitaires à table, un homme mince d’environ 53 ans, une femme grasse d’environ le même âge et moi, cheveux mi-gras, laqués pour faire plus volumineux et plus propres, 33 ans. L’anglais que parle le monsieur de Philadelphie est modifié par la barrière trop avancée de ses dents, je ne comprends donc qu’1/3 de ce qu’il raconte, et c’est dommage, car il semble avoir beaucoup d’humour, un humour à la Woody Allen du gars timide, mais en fait pas tant que ça. Juste ce qu’il faut pour apparaître au monde comme quelqu’un de raffiné. La femme est partante pour les bons mots, et la rigolade, elle a un aspect de limace, je pense qu’elle prend des antidépresseurs qui la rendent lente, et la bouche pâteuse et blanchie, le cheveu montre une racine grise de 2 cm, le carré mi-long frangé est d’un blond venitien, c’est une maîtresse d’école, divorcée, une fille, qui enseigne l’anglais aux enfants dont la première langue n’est pas l’anglais. Je crois qu’elle habite en Floride. Elle doit être fort sympathique elle aussi “oh my godness, what an horrible Christmas you spent! Hihihihihi!" Le type a décrit son Noël en famille, qu’il n’a pas pu éviter cette fois-ci, ce que je comprenais était drôle, les enfants, je crois qu’il ne supporte pas les enfants, ont ouvert les cadeaux à 23h30, tout le monde devait amener un cadeau d’une valeur de 100$, et à la distribution untel a eu le cadeau d’un tel. Je crois que ces 2 américains étaient finalement des opposés, et ils se comprenaient, et discutaient tout simplement. J’émets une hypothèse selon laquelle, l’américain a la capacité d’adapter un langage courtois avec des inconnus, non dénué d’originalité et d’humour, ce qui crée une ambiance bien sympathique durant les repas et autres lieux, je crois que nous ne sommes pas comme cela. Nous préjugeons d’avantage, et cela nous empêche de discuter aussi aisément avec des inconnus ; il faut cependant ajouter que le train américain est propice à tous ces échanges.
/Petersburg – Virginia - La limace a vécu 4 ans en Allemagne avec son exmari, l’homme a vécu à New York, il a visité l’Europe à 4 reprises, dont un voyage de 3 semaines - il a tout vu : Pise et sa tour, Rome, Venise, la France avec Paris et sa Tour Eiffel, Londres, Bruxelles, … En fait, chaque jour une ville, enfin une capitale. Il expliquait qu’il a voulu voir en vrai, ce que depuis tout petit il voyait en photos, sa façon de voyager, qui est la plus répandue et la plus économique aussi, permet de rentrer dans la photo vue depuis l’enfance, mais voyager ce n’est pas cela pour moi, j’ai besoin de me fondre dans ce que vivent les gens, la photo, je m’en fous, être dans la photo je m’en fous, je veux ressentir de quoi on est fait quand on prend un café ici avant d’aller bosser par-là, quand on marche le long de la plage au couchant là-bas après une journée de travail, quand on prend le bus pour Aventura Mall, énorme galerie marchande, où 3h avant le repas de Noël on vient manger en famille dans des plats en polystyrène les cuisines du monde des 30 “restaus" sur 100m2 alentours environ / endroit bruyant-surchargé-fatigant mais très apprécié par les habitués. /Richemond - Voyager, c’est pour moi l’éventualité de vivre à peu près ce que voient et vivent les habitants d’une ville. Il me semble pouvoir rester plusieurs jours à observer une partie d’une rue, pensant que ce lieu soit révélateur d’une façon de vivre. Je me suspend aux comportements humains induits par les architectures des lieux, si je vivais ici, j’adopterais probablement telle posture, j’aurais ce rythme de vie, ou peut-être serais-je à la rue? 14:30 fin d’un repas bien sympathique en compagnie d’un père et ses 2 enfants, ils s’arrêteront à Washington DC à 15:14, puis reprendront le train le 29 décembre pour passer le Nouvel an à New York, une semaine de vacances sans la femme d’origine ukrainienne rencontrée il y a 9 ans, qui travaille dans la restauration, et sans une première fille, très belle / j’ai vu la photo/ décédée dans un accident de voiture à l’âge de 21 ans. Les enfants restants sont moins beaux, mais vivants. Après le franco-chilien, il est le 2ème homme d’environ 55 ans qui me dit que c’est la première fois qu’il prend le train. C’est aussi la première fois qu’il se rend à New York, ses enfants se moquent de lui car ils trouvent qu’il parle trop. Le fils trapu, doit avoir mon âge, il a 2 faux-jumeaux d’environ 5 ans, il m’a montré une photo de leur premier jour d’école, la fille de 18 ans vient de rentrer au “collège", c’est à dire l’Université en France. Elle a choisi d’étudier l’espagnol, pas le français. Juste avant d’attaquer le Angus Steak Burger, il m’a demandé si je savais qui était le type sur les sachets de vinaigrette? Non… Je ne reconnais pas?… Paul Newman, l’acteur. Ah bon? On le reconnaît pas du tout je trouve… On a regardé le dessin de la sauce basilic, de la sauce italienne, de la texane et 2 autres, et il a convenu qu’on ne le reconnaissait pas vraiment… En tout cas, il m’a expliqué que Paul Newman s’était mis dans la vinaigrette, et comme indiqué au dos des sachets, il donne 200 millions de dollars à une œuvre de Charité.
Feliz navidad Les 24 et 25 décembre : toutes les radios diffusent les chansons de Noël « non- stop »! versions jazz, latino, rock, blues, country “I’ll be home for christmas"," baby, it´s cold outside" (des versions différentes), “let it snow", " feliz navidad, i wanna which you a Merry Christmas “etc en boucle. Les américains sont assez excessifs finalement… C’est un peu comme avec le drapeau il y en a partout, pour les particuliers ça va de mini sur la boîte aux lettres à grand flottant au vent tel que l’œuvre de Ry Rocklen “A Touch of Grace II", voire tout un mur de maison peint, ou un drapeau cousu main sur le tableau de bord de la voiture, les villes les éclairent, leur font des socles aux couleurs du bâtiment sportif voisin, les privés tels que les concessionnaires auto, les déploient en grande quantité et jusqu’à ce qu’ils ne soient plus que des tissus délavés et déchiquetés. Il y a des symboles avec lesquels il est bon d’abuser, depuis la France on peut penser à du nationalisme exacerbé, en réalité il s'agit plutôt de clamer qu’on aime son pays, cela ne veut pas forcément dire, “mon pays d’abord", en tout cas, je ne ressens pas du tout cette étroitesse d’esprit que serait ce mode de pensée, les gens rencontrés de tous milieux, sont curieux de l’autre et notamment du mode vie à la française… Messieurs les français vous faites rêver les américaines, vous êtes perçus comme étant particulièrement romantiques, la langue française est jugée très belle, évoquant la culture et l’histoire, notre rythme de vie serait plus cool, et le vin remporte définitivement tous les lauriers de ce qu’aiment les américains chez nous! La religion, qui est jusque sur les billets de banque, et bien, dans la vraie vie, n’est pas du tout présente, du moins par rapport à ce que j’imaginais.
New York City Décembre 2012 Janvier 2013
Plus Que Géant Tâche structurée Un whisky et au lit! Fin d'un mythe Les Isadora Blue Note Good Job ! MOMA Coeurs battants asphaltés Le dernier jour de l'année One, one, 2013
Plus Que Géant De l’air, de l’espace, des électrons libres, de la couleur, du gigantisme, du rythme, de la vitalité, du street style, du strict, des détails, La totalité de mon être est convoqué à chaque rendez-vous avec la ville. Je marche dans les rues de New York et ne me lasse jamais, bien au contraire, il me semble avoir dépassé l’appréciation des clichés, j’ai basculé dans autre chose, je me sens désormais, certes une étrangère à New York, mais connectée aux américains. Je suis venue avec mon bagage intellectuel et sensible, telle un être morcelé, composé de multiples expériences, de multiples facettes de ma personnalité, attentive à m’enrichir par de nouvelles rencontres et expériences. Mon PQGD intérieur s’est grandement déployé.
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Tâche structurée Assise au Café Gitane, restaurant de l’Hôtel, j’observe la table en face de moi. Il y a trois couples. Je ressens les femmes comme des sucres d’orge, elles ont une voix sucrée, lisse et aiguë. La petite revendique un style très classique façon Amérique conservatrice républicaine, avec cheveux strictement tirés, maquillage discret mais exacerbant de grands yeux compatissants d’une bonne future mère, puis grand-mère, puis arrière grandmère. Ce genre de fille, vieille avant d’avoir trente ans, me donne envie de me vautrer sur mon siège, telle une worker après un travail harassant dans les champs de tabacs, en fumant un cigare, c’est étrange. En tout cas, je suis en face de cette tablée de femmes monolithiques en perles et cachemire, menant les discussions parmi leurs hommes transparents acquiesçant par principe, et moi je suis en mode liquide, une tâche structurée. Puis elle se lève tellement raide que je pense qu’elle veut prendre ses potes en photo, je lui propose de les prendre en photo, en mimant puisque je ne trouve pas mes mots en anglais, et il me semble qu’elle me répond « non, votre présence ne nous dérange pas ».
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Un whisky et au lit! Le hasard des rencontres m’a totalement détournée de mon programme muséal. Je rencontrai Annbeth sur le toit du 230, puis en discutant de nos expériences artistiques, nous décidions de manger ensemble : au goodburger, bonne adresse selon mon guide New yorkais qui tenait cette info d’autres New yorkais. Excellent burger, mais surtout excellent moment de partage avec Annbeth, qui s’est terminé vers 22h00, suivi d’une marche solo en total sentiment de sécurité durant les 2 kilomètres qui me séparaient de l’hôtel. En arrivant au Jane, du bon son m’accueillait “il se passe quoi?” “C’est le bar”. Ambiance coloniale avec des animaux austères accrochés aux murs, cerfs et autres brebis égarées telles qu’un mini singe empaillé, une peinture d’une femme nue plate au pubis de même composition, les personnes qui font la fête sont bien plus jeunes que moi d’environ 5 à 10 ans. 80 % des filles présentes bougent bien dans un champ lexical de mouvements restreint. Je me mêlerais à elles et à eux pour ressentir ce que c’est que de sortir des grandes écoles coûteuses, de balancer son chapeau à pompon, et de danser en chantant des paroles que l’on comprend. Les gars dansent moins qu’ils ne passent et repassent entre les filles. Ils sont des anguilles ondulantes se frottant aux coraux. Super, une heure de danse, un whisky, et au lit.
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Fin d'un mythe C’est tellement euphorisant de marcher dans une ville si différente des villes françaises, je me sens projetée dans une autre façon de vivre, tout mon être est modifié, ma vision se structure au travers d’une logique urbaine inhabituelle. Je me sens petite parmi les montagnes de buildings reflétant les lumières changeantes du ciel, et à la fois je me sens géante, poussée par l’enthousiasme général d’une ville pleine d’énergie. Marcher avec du rythme, fouler le sol à grandes enjambées, danser en réaction à ce que me donne la ville, pour tenter de m’ancrer toujours un peu plus dans un New York de moins en moins abstrait pour moi. Loin de moi le “mythe” de cette ville désormais. Trop de respect pour elle pour la penser comme un rêve idéal, ou comme une muse. Elle est concrète et poétique grâce aux hommes et aux femmes qui la font, à ceux et à celles qui l’ont faite et à ceux et à celles qui la feront. Et dire que je vais quitter ce beau monde bientôt qui continuera à tourner dans une dynamique hallucinante, une force palpable et palpitante. Les habitants de la classe ouvrière et certainement aussi ceux de la classe moyenne, continueront à dire que c’est “busy” de vivre à New York, en serrant les dents et en plissant les yeux plus ou moins fort selon les difficultés sociales vécues, les privilégiés parleront de New York avec une étoile perçante dans chaque œil, comme l’étrangère que je suis.
Les Isadora Totalement éparpillée, tellement excitée par cette ville qui m’émeut. Nous n’avons pas ce paysage gigantesque de dentelles architecturales en France. En journée, la lumière d’hiver vient y frapper ses rayons, créant une ambiance de film des années 70 - juste la classe. Des fumées vaporeuses sortent du sol, toute la poésie de cette ville pourrait se cristalliser dans ces Isadora Duncan surgissant des évacuations en tout genre (égouts, métro, cheminées…). Un taxi passe et elle nous frappe dans un solo naturaliste en pleine Greenwich, Fifth ou Broadway avenue, elle meurt vivante, éternelle vapeur blanche aux volutes envoutantes. Ces danseuses des rues nous évoquent les peintures de Turner, on pense à la révolution industrielle, on vibre alors avec une histoire proche et accélérée, la beauté partout dans une ville moderne. Je marche et je ressens. Je reviendrai. Peut-être déjà en manque, telle une droguée ayant besoin de cette vitalité ultra urbaine pour me sentir vivre. 99
Blue Note Alors il faut savoir un truc pour avoir une place assise au bar sans réservation, il faut attendre 1 à 2 heures dehors, le long du trottoir, mais il faut faire attention, il y a 2 files d’attente, l’une concerne les réservations de tables et l’autre sans réservation. Lors de ma première venue au Blue Note, j’étais l’une des premières, mais dans la mauvaise file… J’eus tout de même la chance de pouvoir rentrer, et d’être bien placée, mais debout. Ce fut quand même chouette, je suis restée pour le concert « Mental Notes » qui suivait 10$, place assise en table. Super! Ce 2ème chanteur très bon, dont il faudra que je retrouve le nom* se terminant par “child” a fait intervenir plusieurs artistes hip hop très bons aussi. J’étais hyper bien, le chanteur ultra “peace and love”, ne cessait de dire des trucs pacifistes appuyés, limite Bisounours, un peu trop à mon goût, mais pour le coup, on ne peut tout de même pas reprocher cela à un humain. En plus, tout cela accompagné d’une bière et de phrases telles que “n’hésitez pas à venir danser, à venir exprimer ce que vous inspire la musique, personne ne vous jugera ici!” Ça te désinhibe pas mal, et tu te dis que si tu ne danses pas ce soir à New York, au Blue Note dans cette salle mythique du jazz, alors tu n’es qu’une poule mouillée… Ce soir, “xxxxchild” ne cesse de clamer en rythme zoulou-street, qu’on est en totale communion finalement. Je dessinai un peu, et ne tenant plus sur ma chaise je dansai sur les 2 derniers morceaux avec d’autres personnes, mais j’ai ressenti une sorte de racisme. C’était léger, mais je sais que si j’avais été noire, cela aurait été une soirée transcendantale… Je fus en communion avec une blanche, les autres restèrent de glace. Dommage, la soirée eut été parfaite.
*Spiritchild
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Good job ! Installée à la vitre du Corner Bistro, voilà, j’y suis, c’est ce coin de rue que j’observerai, bière burger et “french fries” (frites) en assiettes. Je m’installe pour faire des petites aquarelles, mais j’ai envie d’écrire, en voyant ce jeune couple de trentenaires aux manettes d’une poussette moderne, rejoignant leur logis à Greenwich Village, qui me fait penser que j’ai vu pas mal de couples avec enfants dans cette ville. Les trentenaires sans enfant, eux, se donnent rendez-vous ici, au Corner Bistro, où l’on dit faire les meilleurs burgers de la ville… Ce qui est certain c’est que le rapport qualité/prix est phénoménal : french fries+ burger (le meilleur steak bien épais et juteux… ça c’est sûr!)+ 1pinte de bière = 13$ ! Le groupe à côté de moi composé d’une femme noyau dur, d’un groupe de 5 dont une nouvelle recrue fille, très certainement noyau dur d’un autre groupe de gars dans un autre quartier de New York. Ces trentenaires me semblent fort sympathiques, la fille dit aimer sa ville et ne pourrait s’imaginer vivre ailleurs, elle demande à son pote des nouvelles d’une fille, puis d’une autre. Les bonnes copines New yorkaises semblent jouer les entremetteuses, et les conseillères en amour de leur copains. Je lève la tête tout en dégustant mon burger, et le visage du type que je vois ne m’est pas inconnu, puis mon anglais pitoyable me permet d’entendre que la nouvelle recrue du groupe, a eu la même réaction que moi mais extravertie, je me retourne, on se comprend : - Qui est-il? Ouhuuuu ça va être dur… Puis elle lance - “Tv show” (série Tv) …. Le temps de terminer ma bière… Et eurêka “mad men”! Et elle me dit : “good job!”. Ce type, est l’acteur qui vire bouddhiste dans la série Mad Men. Puis rapidement, une photo de l’acteur circule, d’iPhone en iPhone. Et voilà l’acteur qui revient avec des lunettes de soleil, trop tenté par les meilleurs burgers de la ville. Les rayons de soleil continuent à frapper la vitre du pub. -Vous partez déjà? Me dit un mec au crâne rasé au bar, de petite taille, genre rugbyman trapu. 103
MOMA L’œuvre inaccessible à l’oeil au MOMA, comme l’est Mona Lisa au Louvre, c’est “le cri” de Munch. N’aimant pas me mêler aux foules en tout genre (à part les manifs) et donner des coups de coude comme le pratiquent la majorité de l’humanité, je ne tenterai même pas une approche, je fuirai purement et simplement le cri, et son halo de crispations nerveuses et névrotiques, et flashs frénétiques. J’ai particulièrement apprécié la découverte de l’art japonais des années 50/70, au dernier niveau. Ce sont des œuvres que je n’avais jamais vues et encore moins étudiées. Ces oeuvres japonaises ont quelque chose de spécial, cela passe par une vision crue du réel parsemée de délires hautement sexualisés. /C’est de la bombe, bébé/ Faut-il que je sois en France pour apprécier les impressionnistes? Il me semble que oui. L’effet carte postale que produisent ces paysages français et européens, peints à une époque lointaine qui représentent une Belle Époque qui n’existe plus, rabaisse la qualité globale de ces œuvres, les rend fades et inconsistantes. C’est terrifiant de dire cela, mais c’est pourtant ce que j’ai ressenti. Certainement pour un américain ces peintures impressionnistes suscitent-elles de la passion, du rêve, mais pour une française bizarre comme moi, ça sonne faux. Pour vibrer encore plus avec New York, j’aurais aimé être projetée dans la peinture de Rothko, plonger dans ses grands formats, faire face à celles de Pollock, ces peintures auraient eu leur sens à New York, je sais que j’en aurais pris plein la tronche, et contempler les peintures de de Kooning, découvrir les oeuvres de Kenneth Noland, et Norman Rockwell, Wesselman, Paul Cadmus, Hopper et tant d’autres artistes américains. A New York, je ne voulais pas voir Paris, La Riviera, et la Bretagne. À New York, je voulais voir l’Amérique.
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Cœurs battants asphaltés Ce soir j’ai trop bu de bières, 3 pintes de 18h à minuit. C’est trop. Mais j’ai eu besoin de ce “trop”, de ce taux d’alcool dans mon sang bouillant de me faire exister, bouillant de me faire vivre dans un état second-aire mes ultimes moments dans la grande ville. Je pars bientôt, et ça me rend triste. C’est trop tôt pour quitter mon amie New Yorkaise, Beth, je voudrais avoir avec elle d’autres rendez-vous sur des terrasses de buildings, des Musées fascinants, des métros express, des restaurants grecs, et des Temples. Et puis il y a ces bras invisibles, ces cœurs battants asphaltés, ces “Isadora” qui me font leurs danses tant adorées et hypnotisantes, et ces voix de passages cloutés qui me crient “Waite! ….Waite! …Waite!…”, … Et les lumières de New York qui me font croire en un monde meilleur. Je suis donc au chaud dans le Corner Bistro, tout près de mon hôtel. Je resterai assise près de la fenêtre avec vue sur le bar, de 18h à minuit. J’observerai les gens en buvant à la santé des vivants, et en pensant à mes morts chéris partis trop tôt. J’aime cet endroit car les gens sont vrais, simples et trentenaires en moyenne. Il y a autant de femmes que de gars. Restant attablée durant 6 heures, je verrai défiler un groupe de copines dont les propos français resteront inaudibles, un couple d’anglais, un groupe d’allemands, puis je me retrouverai entre une famille française catho sur ma gauche, jouant au jeu du “qui suis-je” autour de leurs burgers/frites (Sarkozy aura été une des “personnalités” à deviner) et un groupe de 4 hommes français sur ma droite qu’il me sera très intéressant d’écouter. Je terminerais ma dernière bière entre des jeunes femmes gentiment tatouées sur ma gauche, et une famille d’italiens sur ma droite. J’étais bien et prête à faire mes adieux au Corner Bistro, et à New York.
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Le dernier jour de l'année Je traversai tout New York, enfin 74 blocks, depuis Greenwich Village jusqu’au Metropolitan Museum. Grâce à mon corps débordant d’enthousiasme pour la longue marche en direction de Central Park et mon esprit impatient de retrouver mon amie Beth, la fraîcheur hivernale n’eut pas d’occasion de me refroidir. Craignant d’être en retard, je courus ponctuellement durant les 30 derniers blocks parmi la foule se dirigeant déjà vers Time Square pour le Ball Drop de minuit, ou vers les grands magasins. Je slalomai entre les consommateurs d’évènements et d’objets en tout genre, je traversai les passages cloutés avec une anticipation qui me fit me sentir américaine. Je ne fus finalement pas en retard, j’eus le temps de visiter les impressionnistes, puis je rencontrai mon amie Beth au Pavillon américain, puis son cousin nous rejoignit au moment de la fermeture. Nous prîmes le métro EXPRESS pour rejoindre Union Square et accompagner mon amie au Temple. N’est-ce pas original de se rendre en ce dernier jour de l’année 2012 dans un lieu de communion, de prière et de chant quel qu’il soit, pour l’éternelle athée que je suis? Pousser les portes vitrées et surveillées du magnifique building dédié au SGI, prendre l’ascenseur et arriver comme un cheveu sur la soupe dans une salle de type conférence, éclairée à en griller des insectes, au cours du “chant psalmodique" du “Nam-Myoho-Renge-Kyo". Au centre, contre le mur face au public, un meuble de type armoire en bois précieux, contenant des ustensiles probablement pratiques aux connexions divines, dont les poignées sont à peine manipulées à l’aide de tissus duveteux par des agents dont c’est la mission. Des vigiles tournent le dos à ce temple-meuble et surveillent les entrées et sorties. Les fidèles de cette religion bouddhiste sont cosmopolites, hommes, femmes, et trans ´, transfigurés par la joie autosuscitée d’unir leurs voix dans un rythme variable du “chant" des 4 mots clefs d’un idéal de bonheur, qui fait visiblement du bien. Les représentants et sousreprésentants, uniquement des hommes, ont une allure cravatée de chefs d’entreprise. Les hommes et les femmes qui prennent la parole pour lire des “prières" concernant le monde actuel, ont aussi cette apparence commerciale. Je prendrai un plaisir immense à observer ce qui m’entoure et à dessiner l’homme grand, mince, vieux, seul et pelliculeux juste devant moi. Sur le bourdonnement du “Nam-Myoho-Renge-Kyo", j’imaginais sa vie par l’observation de sa raideur thermoformée dans son manteau à l’odeur rance d’un demi siècle d’utilisation, sa tête de laquelle surgissent quelques poils gris et de nombreuses pellicules de grosse taille que son crâne pleure : une vie certainement parsemée d’embûches, sa solitude depuis son divorce dans les années 80 ou 90, ses enfants qu’il n’a pas eu le temps de faire, son isolement progressif suite aux décès des ultimes membres de sa famille, dont il a hérité des biens qui le font vivre encore aujourd’hui.
One, One, 2013 Ground Zero. J'entamais ma marche volontariste de Greenwich village vers Tribeca. C’est étonnant cette impression de s’enfoncer dans quelque chose de plus dur, moins poétique, c’est du moins ce que j’ai ressenti en allant vers le sud. C’est plus dense, plus concentré, plus saturé, j’ai cependant beaucoup apprécié cette descente ponctuée par de nombreux terrains de sports engrillagés, mais aussi des scènes qui me rappelèrent combien la vie est souvent cruelle. Mon enthousiasme pour 2013 fut trouble-fêté par un couple de riches, le mec 50, la meuf 35, promenant leur vieux chien qu’ils n’aiment plus. Pendant que la fille iphonait, le gars tapait son petit chien, jusqu’à lui faire pousser un cri qui me transperça le cœur, un cri d’un animal qu’on égorge. Mais j’observais la méchanceté de ce couple friqué qui allait probablement assassiner ce petit chien d’une façon ou d’une autre. De quoi ces gens sontils faits en ce premier jour de l’année, pour cette haine quasi invisible, sur ce petit chien dont les yeux crient la souffrance. Ça me cassait toute ma positivité. Mais alors : grave! J’avais envie de pleurer pour ce chien, moi la carnivore. Et je haïssais ces humains maltraitant leur animal, moi qui avais abandonné mes chats durant 2 mois. Et je les regardais jusqu’au bout, prendre le taxi, et toujours ce chien tendu à mort, apeuré dans le bras de son maître. “Unlucky dog!” Et puis, il fallait bien avancer, dans la rue et dans la vie, et je croisais celle d’une asiatique lisant un journal gratuit, sur un banc public, dans un froid glacial. Si on devait lui donnait un nom comme on nommait les gens au moyen-âge, ce serait madame Black Bibendum. Elle est une dame de la rue, elle s’est fabriqué un sur-vêtement complet en sac poubelle noir gonflé d’air, et elle trimballe ses ultimes affaires dans de nombreux sacs plastiques posés à ses pieds. L’horreur quoi. Pourtant elle est attentive à la lecture de son journal de pacotille qui lui permet de détourner ses pensées de l’enfer terrien. Et puis il fallait encore une fois avancer, en ce premier jour de l’année. Je marchai sur une crotte dans son sac en plastique en fredonnant une des chansons que Marylin Monroe a interprétées, “Lazy”. J’arrivai à Ground Zero, fébrile, trouble, ne sachant trop que faire dans ce brouhaha touristique, je n’eus qu’à suivre les flèches, contourner l’incontournable tour, longer l’espace historique dans l’ombre des bâtiments oppressants. Finalement j’atteignis l’entrée informelle du mémorial, saturée de gens bruyants, et surtout inaccessible à quelqu’un qui n’a pas de réservation. Il y a 2 jours d’attente. Je décidai de poursuivre mon chemin introspectif au hasard des rues et des avenues. Je tombai rapidement sur une limo qui ne m’attendait pas, et qui déversait un flot de filles enguirlandées de taffetas gris et de fleurs. Un bel homme noir attendait sa livraison du premier jour de l’an, sur les bords de l’Hudson, sa femme chantilly. N’est-ce-pas un cadre magnifique, vaste, et élégant pour demander la main de l’autre? 111
QUEEN MARY 2 Janvier 2013
Bye Bye New York QM2 En vogue entre deux occidents Rythme de croisière Duos ombilicaux Un peu du coq et de la poule La dernière nuit fut blanche
Bye Bye New York
Le dernier taxi, celui qui me fit quitter New York fut un calvaire pour mes nerfs. Le chauffeur était un jeune homme noir, mince, grand, aux yeux effarés, speed, et vide, ou peut-être vidé par le stress d’un nouvel emploi dans une nouvelle ville… Et quelle ville! Il parlait français, très mal l’anglais et il ne savait pas conduire : je fus tellement gênée d’être coupable malgré moi, de l’embouteillage grandissant dans la rue Jane, provoqué par mon taxi juste devant l’Hôtel, que je me sentis obligée de lui conseiller de se garer juste à côté pendant qu’il recherchait l’endroit où il devait m’amener : Brooklyn Cruise Terminal, Pier 12. Ça commençait très mal, et ce fut l’angoisse durant tout le trajet… Une fois à Brooklyn, il ne cessa d’arrêter le véhicule un peu partout, pour demander son chemin à la police, aux pompiers, à des passants, à un chauffeur de bus, sans dire "bonjour" et sans remercier les personnes. Je les remerciai à sa place, pendant qu’il épongeait ses gouttes de stress. J’arrivai à temps. Hébétée. Encore agitée par les trépidations d’un taxi horrible. Je lui donnai tout de même son pourboire, à contre-cœur, mais en me disant qu’il m’avait tout de même amenée à bon port, et à temps. Je ne lui dis pas au revoir, mon esprit eut fait cet effort, par compassion du travail difficile qu’est celui de taxi à New York, mais mon corps s’y refusa, encore saturé d’un trop fort taux de stress. Il me fallut physiquement un certain temps pour reprendre mes esprits, je restai raide, figée, statue ridicule à côté de bagagistes pressés, sympathiques et souriants. Puis il fallut récupérer ma “tonne et demi" de bagages-à-main pour débuter mon long parcours d’embarcation sur le Queen Mary 2.
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Marche Hello - Hi Hi - Hello Passeport? Zigzag Ticket Contrôle des bagages à mains Le type de derrière est pressé Impoli Marche Sourires Hi Hello CB Numéro de Cabine Ai-je un des symptômes du norovirus? Non. Marche Escalator Marche Photo Oh no thank you! Ils insistent Je me cache derrière mes récents cheveux blonds et ondulés qui n’ont finalement que 3 mois, je les aime bien, je les trouve plus gais que quand ils étaient bruns. Click! Je souris en les remerciant, et les salue, puis me retourne Les photographes du QM2 se foutent ouvertement de moi Je crie “victoire" intérieurement à mon nano-acte de rébellion Ne pas faire comme les autres En récolter des moqueries est une belle récompense Marche Le personnel me coupe sur ma lancée à plusieurs reprises pour me proposer massages, et autres repères commerciaux sur le bateau - Cela m’agace I am tired, where is my room please!!!!! Marche Ascension Marche Ouvrir la porte avec la carte magnétique Lâcher les sacs S’écrouler un instant dans la cabine 6087, pont 6 Le lit fait envie, le Champagne aussi, la salle de bains beaucoup moins. Vérifier le programme de la soirée.
QM2 Me voilà sur le Queen Mary 2. Mon grand voyage se poursuit ainsi, sur ce prestigieux bateau anglais. Son esthétique globale est à la fois élégante et intrigante, avec ses volumes extérieurs parfois étranges, sa vaste promenade, ses chaises longues parfaitement alignées, et ses points de vues “labyrinthiques". Les extérieurs racontent beaucoup de choses, bien plus que les intérieurs légèrement victimes de la mode uniformisée et mondialisée de la fin des années 90 : c’est finalement le même mobilier que l’on trouve dans les hôtels du genre Ibis (pour les cabines, la cafétéria, et quelques autres endroits). Ça commence à dater dans ma cabine, et c’est particulièrement visible dans la salle de bains. On ne peut pas parler de sanitaires irréprochables, surtout au niveau du lavabo vert d’oxydation, et de la douche avec son camaïeu de jaunes douteux, et je ne vais pas rentrer dans les détails, mais tout n’était pas propre dans la salle de bains à mon arrivée. Je faisais la moue. Je grommelais même. D’autant que nous rentrions dans le bateau avec la phobie du norovirus ayant transformé la croisière précédente en véritable cauchemar, pour le personnel naviguant, et les passagers bien sûr. La dizaine d’oreillers disposés sur le lit me faisait espérer une excellente nuit.
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En vogue entre deux occidents Dès mon arrivée, je ne cessais de vérifier si mon mastodonte de valise avait été livrée devant la porte. J’ouvrais - un coup d’oeil à gauche, à droite…. Rien. Je rentrais pour ranger mes autres affaires. Et je répétais cette attitude semblable à un trouble obsessionnel compulsif, une dizaine de fois comme si ce brassage d’air, ces frottements moléculaires, cette énergie déployée en pensant à cette énorme valise, allait me la faire venir plus rapidement… “ne te perd pas mon mastodonte!" Au bout d’une bonne heure, elle était là, devant ma porte telle un iceberg dans ce long couloir plutôt austère d’environ 150 mètres de long (peut-être plus) où des pingouins se dandinaient déjà. Je défaisais donc ma valise en prenant plaisir à réfléchir à la “Tenue Décontractée Élégante" que j’allais mettre, tenue requise dès 18h : pour les dames “une chemise avec jupe ou pantalon". Qu’allais-je porter le soir-même pour participer au vernissage au Champagne, de l’exposition de la Galerie d’Art Clarendon, Pont 3? Mon haut rouge des Batignolles, devenu fétiche, sans manche, à nœuds noirs dans le dos, un pantalon style années 20 noir, devenu trop grand, veste et chaussures noires, cheveux froissés, maquillage habituel léger, sourire niais me caractérisant. Première marche molletonnée, hallucinée et ravie d’être là. Le méritai-je? Certainement pas. Je poursuivais simplement ma carrière d’enfant gâtée. Argent gagné/argent cramé. Même si j’avais une toute autre analyse la plupart du temps, ce soir-là je pensais ainsi, mais cela n’assombrissait pas un instant ce début de soirée. J’assistai donc au départ du bateau, une coupe de Veuve Cliquot à la main, entre une New York illuminée et une galerie aux fausses toiles de nonmaîtres… en effet, la majorité des “oeuvres" présentées, était des impressions sur toile de peintures “cul-cul" à souhait, sortes de croûtes insupportables qu’il devrait être interdit de nommer “art". Ces reproductions imprimées, signées de la main de l’artiste, représentaient des chevaux maniérés, des bateaux aux couteaux, des monuments anglais bien léchés, et des “femmes" traitées en figurines inhabitées, éternelles et laçantes muses, dont les seins débordant d’une robe moulante rouge, étaient associés au ballon de vin rouge qu’elle tenait elle-même. De toutes façons, je n’étais pas là pour faire une critique d’absence d’art, j’étais là pour la coupe de Champagne offerte, et faire ma curieuse comme d’hab´. 120
La Veuve savourée et terminée, j’allais à mon restaurant le Britania, et l’on me plaçait à côté de 3 sœurs américaines de plus de 60 ans, absolument charmantes, drôles et causantes. Sunny, Bonnie et Sophia. Le fait de porter le même prénom nous rapprocha particulièrement, et dans l’enthousiasme je commandai comme elles une trop petite dose d’un délicieux vin rouge néozélandais conseillé par le sommelier (j’apprendrai son tarif au moment de quitter la table : 12$…). Je retrouvai Sophia, qui aimait aussi danser, au Queen´s Room, puis au G32 où nous prîmes un grand plaisir à danser avec les autres voyageurs. Des couples de quinqua-, sexa-, septua-, octo- et nonagénaires bougeaient divinement bien sur les musiques caribéennes de l’orchestre : tous ces gens argentés reprenaient en coeur les reggaes du Grand Bob, tout en effectuant des danses enthousiastes et enthousiasmantes. Il y avait aussi une pincée de couples trentenaires, et des “quadra". Vers 3h je décidai de quitter les lieux comme mon amie Sophia, après avoir dansé en compagnie de ces couples débordant de joie. Une joie de l’instant, éphémère, et insouciante. Moment unique de partage et de communion, à la fois sincère et futile, à la fois plein d’un amour humaniste et probablement aussi vide qu’une bulle de savon, à la fois chaleureusement réel mais aussi abyssalement imaginaire. J’ai fait le choix d’y croire. Je fais souvent le choix de croire en la sincérité profonde des moments que je vis.
Songe d’une nuit d’hiver, Où j’entrais dans la danse, Du tribal, de la transe, Une rencontre chamanique, En vogue entre deux occidents.
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Rythme de croisière Le lendemain je me lève vers 11h. Je prends un pti’ déj´ à base de café américain-pain-beurre-confiture, et fruits, puis j’erre un peu, histoire de voir ce que le QM2 a dans le ventre. J’éprouve un énorme plaisir le long de la vaste et confortable promenade extérieure, à tel point que j’en sautille d’un bonheur naïf /quelques résidus comportementaux de mon enfance si proche et si éloignée pourtant/. Tout me met en joie : les très nombreux joggueurs, la garderie de chiens, les terrains de sports engrillagés, les formes intrigantes et fascinantes comme par exemple celle de la cheminée rouge, et la salle de jeux et puzzle mis à la disposition du voyageur. Puis je reviens au King´s Court pour savourer un thé anglais et écrire. Écrire pendant des heures. Vers 18h je réalise qu’ il est temps de mettre ma tenue de soirée. Sur le chemin en direction de ma cabine, je croise des couples scintillants, laqués et fardés, qui se font déjà photographier sur fond de Queen Mary flamboyant, ou autre ciel “photoshopisé". Je croise aussi deux duos étonnants, que je reverrai tout au long de la croisière : des mères et leur fille…
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Duos ombilicaux
Deux jeunes femmes forment des duos inséparables avec leur mère. Ces 2 duos se sont peut-être croisés sans reconnaître leurs similitudes. Je les vois la première fois charmantes et unies devant la photographe puis je les verrai souriantes au restaurant, en train d’étudier le français au Commodore Club, et gigoter à la discothèque. Je les aime à la première rencontre, puis les trouve “poupées ridicules" semblant chercher l’air de rien des hommes de leur rang, et enfin je les déteste quand elles se moquent, tout en s’agitant sur la piste de danse, de personnes alentours et peut-être de moi-même. Pour l’un des 2 duos, mère et fille sont brunes, taille mannequin, et toujours élégantes. La mère ressemble à Christine Deviers-Joncour en plus jeune et plus grande, la fille ressemble à sa mère en plus jeune et légèrement plus grande, ce qui lui fait adopter une posture voûtée, et rend ses mouvements empotés, et maladroits. Son allure dégingandée assassine sa beauté. Se tient-elle ainsi inconsciemment pour apparaître plus petite aux yeux de sa mère, en guise de respect symbolique, ou par méconnaissance de son corps? L’autre duo du haut de ses un-mètre-cinquante-huit, fait des efforts pour s’apprêter, mais c’est peine perdue. La fille âgée d’environ 20 ans, laisse dégouliner maladroitement sa ravissante poitrine, elle rend ses atouts mortifères : le haut de sa robe noire forme 2 mini-hamacs pour seins fatigués et las de n’être pas correctement présentés au monde. Quant à sa bourgeoise de mère, on pourrait l’appeler “La Goulue Désossée", son corps excité vadrouille sur la piste, et mime des danses d’adolescentes qui n’ont ni queue ni tête : un embryon d’ondulation interrompue par un déhanché frénétique et hors rythme, provoqué par un bras fou, emportant tout le corps dans son brassage d’air - rotation imprévue. Heureusement La Goulue a son repère pour garder un peu de sa stabilité : les bouées de sauvetage flottant sur le petit corps de sa fille. Des femmes /Si proches de leur mère/Qu’elles eussent pu les téter.
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Un peu du coq et de la poule Quand je danse, c’est pour moi que je danse. Mais sur le QM2, dès le premier soir où il nous a été offert du Champagne à volonté en offrande à nos danses, j’ai greffé à mon indétrônable plaisir personnel, le plaisir d’une tierce personne secrète, et invisible. J’observe à mon tour, dans la pénombre enfumée à l’étage du G32, la caste de ces hommes en cire, postures sur papier glacé du New York Times Magazine, cambrure assurée, fessiers en arrière, élégants en costume de trader et de gentlemen fortunés. Allure plus que soignée : pas un poil ne dépasse, pas un cheveu n’est rebelle, pas une paire de lunettes n’est pas celle de Woody Allen, pas un faux-pli, pas un point noir sur leurs peaux, pas une ombre au tableau de cette gente masculine éclatante et fière. Sourires open de Pin'up, bustes « empoumonnés » et rigidifiés, leur donnant une allure à la fois autoritaire et sensuelle : il y a en eux, un peu du coq et de la poule ayant la certitude de détenir l’oeuf originel. Une seule personne parmi eux n’est pas de leur milieu, c’est le serveur, un beau jeune homme souriant, blond, grand et fin. Il prend les commandes en faisant du bouche à bouche, du buste à buste, du bite à bite. Tous ces hommes entourent un étrange personnage très beau dans sa raideur théâtrale jusque dans ses cheveux gominés ; peut-être un aigle d’Allemagne bagué d’un peu d’or et de cristaux, ou bien un membre de la famille royale d’Angleterre. À 2 mètres de ce Prince pincé, tiré à mille et une épingles, je suis hypnotisée par cette poupée de la Haute. C’est étrange comme l’excès de tout ce qui nous déplaît en général, peut susciter de la fascination, c’est le « Bœuf écorché » de Rembrandt, c’est la « Galerie des Glaces » de Versailles, c’est Michael Jackson. Ses prétendants créent autour de lui un mur de corps protecteurs, parfaitement proportionnés, un véritable harem testostéroné, un cercle de muses, ou plus précisément de « museaux », pour toute artiste. C’est donc un peu pour cet homme-O mystérieux que j’ai dansé les soirs précédents ; c’est cet homme-O, qui, la veille au soir, nous a invités, moi et une dizaine de noctambules, dans sa suite royale jonchée de sacs Louis Vuitton. C’est bien lui qui m’a parlé en un français déformé et transpirant, comme récité : “Vuzèt´ un artist!! je connéy dé personn’ du MOMA, je pu veu donné contact". Hébétée j’ai fui.
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La dernière nuit fut blanche Je quittai le QM2 à l’unisson des cœurs ardents d’une jeunesse provenant du monde entier, certainement aisée, peut-être même plus, et tout à fait aimante et accueillante. Notre meneuse s’appelait Natasha, on ne pouvait que la suivre : gentille, gracieuse, et felliniennement belle. Un peu de Björk et de Bardot, en passant par Anita Ekberg. Visualises-tu cette femme-enfant qui possède une force énorme? et notamment une force semi-consciente de persuasion? Car ce n’était pas elle qui voulait qu’on la suive, mais nous qui voulions qu’elle nous guide. C’est mon endurance “on the dance floor" qui m’a connectée au groupe des “under thirty" dès le premier soir de la croisière. C’est avec eux, que je dansais et buvais mes six nuits à bord du Queen Mary, et je passais la dernière et la meilleure avec eux. Tels des papillons de nuit, nous battions des cils, des épaules, et des bras, d’abord dans le G32, puis dans tout le bateau, comme pour signifier, qu’il nous était impossible de nous quitter sans quelque chose de spécial dans ce bateau endormi - même le DJ avait fui son poste vers 2h du mat´. Et nous nous obstinions à danser, rire, vivre, ne seraitce que dans le vide intersidéral du pont 12 des piscines, avec sa musique d’ambiance en sourdine, où nous nous installions. Et nous nous parlions, nous nous photographions, heureux de vivre cela.
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Sophia El Mokhtar sophia.elmokhtar@wanadoo.fr 06 29 88 60 59 http://paysagesinterieurs.com/ http://sophiaelmokhtar.com 1ère version (courte) imprimée en avril 2013 2ème version (complète) imprimée en août 2013 3ème version (complète avec images) imprimée en janvier 2014.