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La nuit en liberté

Dès le coucher du soleil, une vibration particulière parcourt les rues de la capitale. Les soirées athéniennes sont connues pour leur variété et leur énergie, les Grecs pour leurs talents de marathoniens.

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On dit de New York que c’est la ville qui ne dort jamais. C’est peut-être vrai. Mais Athènes, c’est la ville qui n’a jamais dormi. » La formule est efficace et celui qui la prononce connaît son sujet. Konstantinos Dagritzikos est le fondateur et directeur artistique du six d.o.g.s, épicentre culturel de la capitale grecque. Le six d.o.g.s n’est pas un bar, ni un restaurant ni une salle de concert ou un espace d’exposition. C’est tout cela à la fois. Ce lieu résume bien l’état d’esprit qui règne à la nuit tombée sur Athènes. Liberté, diversité, créativité. « Les Grecs aiment sortir. On est des gens sociaux et joyeux. Il y a énormément de mouvement le soir, et tous les genres musicaux sont dynamiques. Nous sommes un point de rencontre des différentes tribus », poursuit Konstantinos.

Le six d.o.g.s (Monastiraki) est à la fois un restaurant, un bar, une salle de concert et un lieu d’exposition.

Le six d.o.g.s est niché dans une ruelle de Monastiraki, dans le « triangle », cette zone comprise entre le métro Monastiraki, la place Syntagma et la place Omonia. Sous le regard éternel de l’Acropole, le triangle concentre une bonne partie des activités commerciale et festive de la ville. On y recense quelques adresses incontournables de bars et de restaurants. Il faut notamment passer au Booze Cooperativa, rendez-vous de l’underground arty et rock sur trois étages, qui présente la particularité d’être un établissement à but non lucratif.

Les ruelles du quartier rebelle d’Exarcheia font de belles terrasses – improvisées ou non – d’ou s’échappent rires et bribes de discussions animées.

Le Baba au Rum, lui, est classé parmi les 50 meilleurs bars du monde. On peut y déguster des cocktails d’une inventivité incroyable — le menu des rhums est, en particulier, très bien fourni. Le patron Thanos Prunarus promet des « boissons sérieuses et une atmosphère relaxante, où le gars sorti du bureau peut croiser un skateur ». À toute heure. « La réglementation est souple. Il n’y pas d’horaires imposés. On peut faire la fête jusqu’au petit matin. » C’est une caractéristique rare dans une ville européenne : on a le temps de s’amuser. Les Grecs ne s’en privent pas. Athènes est une cité dense. Il suffit de quelques minutes de marche pour changer d’univers. À quelques rues du centre se trouve Exarcheia, le quartier rebelle. Ici, les murs parlent. Ils sont recouverts de slogans contestataires et de fresques street art. C’est le cœur de la culture alternative, le coin des libraires, des magasins de disques, des bars à vin intello-jazz.

Les Grecs aiment sortir. On est des gens sociaux et joyeux. Il y a énormément de mouvement le soir.

On pousse la porte de chez Angelos et on est happés par la voix de la chanteuse Lena Kitsopoulou, qui fait vibrer les standards du rébétiko, le blues grec. La salle reprend en chœur ces morceaux conçus pour noyer ses chagrins d’amour dans un verre de raki et assécher son spleen dans la fumée des tavernes. Le tour de chant commence à minuit et finit à l’aube. Figure de la vie culturelle, Lena Kitsopoulou est aussi écrivaine, peintre, comédienne. « Les Grecs aiment la nuit et c’était encore plus visible il y a quelques années. Les rues étaient pleines tous les soirs, pas seulement le week-end. Il y avait des embouteillages au milieu de la nuit. Mais on a toujours ce sentiment de liberté, ce côté un peu fou », confie-t-elle.

Géométrie variable

Au Frater & Soror (Pangrati), les cocktails coulent à flots, loin de la frénésie touristique.

Quelques rues plus loin, Kolonaki est l’antithèse d’Exarcheia. Sur les contreforts de la colline du Lycabette, c’est un repaire huppé, bien plus sage. Idéal pour un dîner chic et cher. Poursuivons la balade jusqu’à Pangrati et le quartier adjacent de Mets. On y perçoit la nouvelle dynamique de la capitale, loin de la foule touristique. Les adresses à la mode fleurissent, les hipsters ont débarqué autour des places Proskopon et Varnava. On dîne sur les terrasses paisibles, comme celle du Ohh Boy, repaire de Costas Voyatzis, tête chercheuse du design international (lire page 20).

La taverne traditionnelle Klimataria (Psiri) accueille des musiciens deux nuits par semaine.

De l’autre côté de la ville, Kypséli est le prochain territoire à découvrir. Un article du magazine Time Out l’a récemment classé parmi les 15 quartiers les plus cool du monde. Les rues y portent le nom d’îles égéennes et les artistes s’y précipitent, attirés par les loyers encore abordables. Le long de l’avenue arborée Fokionos Negri se dressent des restaurants du monde entier et des kafenio typiquement grecs où les hommes restent attablés pour jouer aux dominos. Sur la jolie place Saint-Georges, des jeunes tapent dans un ballon au pied des statues, pendant que les parents savourent un vin résiné.

C’est à Kypséli qu’on déniche un bar de poche au charme fou, qui est aussi le plus vieux d’Athènes : le Au Revoir. Ce serait une bonne façon de terminer notre périple, mais il est encore tôt pour se séparer. Comme le rappelle Konstantinos Dagritzikos : « Il n’y a pas de couvre-feu, alors les gens sortent tout le temps. On trouve à manger à 5 heures du matin. Les noctambules font ce qu’ils veulent. » Passée une certaine heure, la géographie de la ville n’a plus d’importance. Les amateurs de dance-floor se risqueront dans un club comme le Romantso ou le Lohan (qui appartient à la starlette américaine Lindsay Lohan).

Il faut passer une soirée au Batman (Syntagma), pour comprendre le vrai sens du mot « proximité »

D’autres préfèreront les adresses connues des seuls initiés. C’est le cas du Batman, un bar de nuit follement convivial, où on finit par chanter en grec à l’unisson — même quand on ne parle pas un mot de cette langue. On s’envole enfin vers le Galaxy, où l’on est accueillis par les serveurs cravatés, sous le regard d’Hemingway et de Beethoven, pour trinquer en haute compagnie. Dans un espace hors du temps. Comme une nuit à Athènes.

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