N°7 Le Quotidien de la Biennale-Paris 2012

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un oBJet, un écrivain

vénus attrape-mouche Par abha dawesar

The Venus F lytrap

Marcel Coard (1889-1974), flat desk, frame in black lacquered oak.

marcel coard (1889-1974), bureau plat à bâti en chêne laqué noir.

GAlerie Felix MArcilhAc, stAND s08

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ts form is linear, simple. And yet, despite its right angles and straight edges it should have belonged to a woman. Possibly a woman who tried to write like a man; who tried hiding her curves under a man’s riding coat or favored severe high-collars. For so long we’ve divided the world into male and female, reason and sentiment, linear and circular, as if experience itself had two facets. The brain was considered a machine that separated feeling from that meticulous process called Reason, which proceeds through a sequence of binaries to arrive at conclusions no less systematic than those reached though a massive computational edifice.But the brain is all lace. Its impulses are conducted through delicate, branching axons.The shapes and rules of biology impose their free-form on chemistry and physics. The Venus flytrap detects prey after an object touches first one hair and then another within thirty seconds. To “remember” the first hair being touched, the flytrap uses the same calcium-ion channel to conduct impulses that the neurons in our brain use to pass information. A narrow vase with a stem of this carnivorous plant sits on the desk and serves as a muse for the woman with the highcollar who wants to write like a man.Why would she want to write like a man? Life is complicated. That slippery slope between who we are and who we want to be, who we think we are and how we are seen, sends us into an aerial dance – stretching, contracting, rotating, swinging.Why would this woman write at all? To express, to discover, to affirm, to imagine? In the drawers to her right are the tools of her trade. Pens and inkpots.The left contains well-thumbed notebooks replete with annotations, possibly even a sketch of a flytrap.For a writer this desk is an invitation. She begins on a blank sheet of paper and writes because she doesn’t want to de dependent. To write is to be formless. There is no reality other than hers on this paper. She no longer wants to write like a man or a woman. To create is to start at the beginning and in the beginning she can be anyone, even herself, or no one.

a forme est linéaire, simple. et pourtant, malgré ses angles droits et ses bords rectilignes, il a dû appartenir à une femme. sans doute une femme qui essayait d’écrire comme un homme ; qui tentait de cacher ses courbes sous une veste d’équitation masculine ou préférait les cols hauts et sévères. cela fait si longtemps que nous divisons le monde en couples opposés : mâle et femelle, raison et sentiment, linéaire et circulaire, comme si l’expérience elle-même avait deux facettes. on a considéré le cerveau comme une machine qui séparait le sentiment de ce processus méticuleux appelé raison qui, grâce à une séquence de couples binaires, parvient à des conclusions non moins systématiques que celles obtenues au moyen d’un énorme outil informatique. mais le cerveau est tout entier dentelle. ses influx sont conduits dans de délicats axones arborescents. Les schémas et les règles de la biologie imposent leur libre forme à la chimie et à la physique. La vénus attrape-mouche détecte ses proies après qu’un objet a frôlé un poil sensitif, puis un deuxième en l’espace de vingt secondes. pour « se souvenir » du premier poil effleuré, l’attrape-mouche utilise le même canal conducteur à ions calcium que les neurones de notre cerveau pour transmettre l’information. posé sur le bureau, un vase au col long et étroit avec la tige de cette plante carnivore sert de muse à la femme au col haut qui veut écrire comme un homme. pourquoi voudrait-elle écrire comme un homme ? La vie est compliquée. cette pente glissante entre ce que nous sommes et ce que nous voulons être, ce que nous croyons être et la façon dont nous sommes perçus nous entraîne dans une danse aérienne – extension, contraction, rotation, balancement. et pourquoi cette femme écrirait-elle ? pour exprimer, découvrir, affirmer, imaginer ? Dans les tiroirs, à sa droite, reposent les outils de son art. plumes et encriers. Les tiroirs de gauche contiennent des carnets lus et relus, emplis d’annotations, peut-être même le croquis d’un attrape-mouche. pour une femme écrivain, ce bureau est une invitation. elle commence sur une feuille de papier vierge et écrit parce qu’elle ne veut pas de dépendance. écrire, c’est être devant le néant. il n’existe d’autre réalité sur ce papier que la sienne. elle ne veut plus écrire comme un homme ou une femme. créer, c’est commencer par le début et au début, elle peut être n’importe qui, elle-même aussi, ou personne.

Abha Dawesar, née en 1974 à Delhi, est diplômée de philosophie à Harvard. Elle a été élue personnalité de l’année par india’s femina et time out lors de la parution de son premier roman Babyji. Publié en France aux Éditions Heloïse d’Ormesson en 2007, il est en cours d’adaptation cinématographique. En 2009, L’inde en héritage, sélection du Médicis et du Femina étranger, est désigné comme l’un des 20 meilleurs livres de l’année par Le Point. Abha Dawesar vient de publier sensorium aux Éditions Héloïse d’Ormesson.

a philosophy graduate from harvard, abha Dawesar was born in Delhi in 1974. she was named person of the year by India’s Femina and Time Out, when her first novel Babyji was published. Published in france by Éditions héloïse d’ormesson in 2007, it is being adapted for the cinema. in 2009, Family Values, selected for the Medicis Prize and the femina Prize, is said to be one among the 20 best books of the year by Le Point. abha Dawesar just published Sensorium (Éditions héloïse d’ormesson). Coordination : Stéphanie Des Horts

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