LE COMMUNITY LAND TRUST À BRUXELLES :
Vers une production architecturale capable de révolutionner le logement public
Mémoire de fin d’études présenté par Sebastian Persuric en vue de l’obtention du grade académique de Master en Architecture
Sous la direction de : Promotrice : Christine Schaut Co-Promoteur : Philippe De Clerck Année académique 2015-2016 Faculté d’Architecture La Cambre-Horta Université Libre de Bruxelles
Illustration sur la couverture par Sofie Van der Linden
LE COMMUNITY LAND TRUST À BRUXELLES :
Vers une production architecturale capable de révolutionner le logement public
Mémoire de fin d’études présenté par Sebastian Persuric en vue de l’obtention du grade académique de Master en Architecture
Sous la direction de : Promotrice : Christine Schaut Co-Promoteur : Philippe De Clerck Année académique 2015-2016 Faculté d’Architecture La Cambre-Horta Université Libre de Bruxelles
Remerciements Tout d’abord, je tiens à remercier les personnes suivantes qui ont contribué à la réalisation de mon mémoire de fin d’études : Christine Schaut qui a accepté d’être ma promotrice officielle et à Philippe De Clerck qui m’a encadré durant toute l’année en m’alimentant toujours avec des nouvelles pistes. Lorella Pazienza, Nele Aernouts, Elodie Degavre, Geert De Pauw et Nicolas Bernard pour leur générosité et leur temps consacré pour partager leurs connaissances autour les divers aspects du CLTB. Pascale pour la relecture et la correction soignée de mon travail en dernière minute. Florence pour m’avoir motivé et supporté à travers mes moments de faiblesse. Katja et Marco pour toutes les discussions fructueuses. Et finalement mes parents et mes proches pour avoir supporté ma colère contre les spéculateurs immobiliers.
Abstract Bruxelles est depuis plus d’une décennie confrontée à la crise du logement qui frappe notamment les ménages les plus pauvres, mais aussi les revenus moyens. Ces derniers sont dans l’impossibilité de trouver un logement abordable et décent. Tandis que la classe moyenne tend à quitter la ville, les familles à bas revenus cherchent désespérément à se loger dans le parc social, celui-ci étant caractérisé par une production lente qui ne peut pas absorber la demande croissante en logements sociaux. La source profonde de la crise peut être retracée à la spéculation immobilière et une gestion foncière dominée par le privé. Le modèle du Community Land Trust (CLT) autour d’une gestion collective de la propriété du sol semble pouvoir livrer des réponses sur plusieurs niveaux. Grâce au mécanisme de séparation foncière et au cadre juridique particulier, le CLT reste propriétaire du sol et la plus-value est verrouillée au sein de la collectivité, limitant ainsi la spéculation. L’objectif principal du CLT est la création de nouveaux logements acquisitifs abordables à long terme pour les bas revenus à travers une gestion démocratique et une démarche participative. Cette dernière engendre un nouveau mode de production architecturale au sein du logement public grâce auquel les projets peuvent être optimisés aux réels besoins des futurs occupants. C’est ainsi que le rôle de l’architecte se voit changer par rapport à ses missions habituelles pour établir un nouveau lien avec les habitants. La méthodologie du CLT est sans doute à considérer pour un développement futur plus intelligent des quartiers de la capitale.
Mots-clés community land trust ; logement social ; participation ; logement abordable ; communs.
Sommaire Introduction
9
Partie 1 : La crise de logement à Bruxelles
13
1. Situation actuelle à Bruxelles
15
2. Les causes de la crise du logement récente
3. L’évolution et les stratégie de l’habitat public à Bruxelles 4. Quels remèdes pour la crise du logement?
17
29
44
Partie 2 : Le foncier comme bien commun
49
1. Les communs
51
2. Questionnement sur la propriété et la valeur foncière
3. La coopérative pour une collectivisation de la propriété
4. La superficie et l’emphytéose pour de nouveaux rapports au sol 5. L’Espoir
54 57
61
66
Partie 3 : Les Community Land Trusts et le cas de Bruxelles
69
1. Les Community Land Trusts
71
2. Origines et développement des CLT
3. Émergence du premier Community Land Trust européen à Bruxelles 4. Une méthodologie innovante
72 77
81
Partie 4 : Une production architecturale innovante et responsable
95
1. La participation des habitants comme pilier des projets CLTB
98
3. L’implication des futurs habitants sous forme d’ateliers participatifs
108
2. Un rôle de l’architecte qui change
4. Intégrer les réflexions des habitants dans la pratique
104 119
5. La démarche participative comme contribution à la qualité architecturale 129
Conclusions
135
Bibliographie
138
Références graphiques
141
Introduction Depuis plus d’une décennie la capitale belge lutte contre la crise du logement. Cette dernière rend l’accès à un logement financièrement abordable et de qualité très compliqué. D’une part, la difficulté réside dans les prix trop élevés pour les habitations et concerne aussi bien la location que l’acquisition. Depuis les années 1990, les prix des loyers ont presque doublé et le foncier est devenu de plus en plus cher et rare. D’autre part, la région bruxelloise doit faire face à la dégradation et à l’inoccupation d’une partie importante de son parc immobilier. De nombreuses habitations présentent des problèmes d’insalubrité, ne les rendant plus conformes au droit d’un logement décent inscrit dans l’article 23 de la Constitution Belge. La crise touche en premier lieu les ménages disposant des faibles revenus. Mais les revenus moyens se trouvent également en difficulté et ont tendance à quitter la ville pour acheter ou louer dans les alentours de Bruxelles où le foncier est moins cher. La politique du logement doit désormais répondre à une demande sociale croissante. Les mal-logés les plus précarisés s’adressent au logement social en espérant pouvoir louer une habitation adaptée à leurs besoins et dont le prix est à la hauteur de leur budget. La demande pour un logement social est en augmentation constante avec presque 46.000 candidats demandeurs sur les listes d’attente1. Malgré les fonds disponibles, le parc social se caractérise par une production freinée et est icapable de répondre à une demande de telle ampleur. La problématique de la crise du logement concerne principalement trois volets. La difficulté économique est sans doute la plus critique pour les ménages concernés. La crise se caractérise en outre par un manque de qualité des habitations se rapportant sur la durabilité et l’adaptabilité du parc immobilier. Finalement, l’efficacité est un facteur à considérer pour combler le déficit en logements. Il s’avère que ces problèmes sont des conséquences de la spéculation immobilière due à un manque de régulation du marché immobilier bruxellois et d’une gestion foncière qui manque de maîtrise publique.
1
Le modèle du Community Land Trust (CLT) issu des États-Unis
Rapport annuel 2015 de la Société du Logement de la Région Bruxelles-Capitale, p. 36. 9
Introduction
semble fournir des réponses aux diverses problématiques qui caractérisent la crise bruxelloise. Le Community Land Trust est un modèle de propriété collective qui acquiert et gère le foncier comme un bien commun en séparant la propriété du sol de la propriété du bâtiment. Il tend à conserver la propriété de manière perpétuelle au profit de sa communauté. Grâce à une formule de revente régulée qui permet de verrouiller la plus-value au sein de la collectivité, un CLT peut garantir l’abordabilité à long terme des habitations. Le premier Community Land Trust européen a émergé à Bruxelles (CLTB) en 2010 dans un contexte de crise avec l’objectif de rendre la propriété d’un logement abordable et de qualité accessible à des des ménages à revenus modestes. La particularité des projets CLTB est sans doute la démarche participative qui inclut les futurs occupants dans le processus d’élaboration du projet afin de pouvoir déterminer leurs besoins. Ce mémoire a comme but d’explorer la production architecturale à travers la démarche participative du CLTB en se rapportant aux facteurs d’économie, de qualité et d’efficacité de ses projets. La participation des futurs occupants engendre une mentalité architecturale particulière qu’on retrouve notamment dans les projets d’auto-construction. Dans le cas du CLTB, la participation est réalisée dans un cadre public.
« D’une manière ou d’une autre, le simple fait de donner la parole aux futurs habitants résidents dès la conception, induit une architecture nouvelle, non formatée. Le résultat procure des quartiers plus attractifs, riches en détails, où on a plaisir à vivre, à se promener, et à dénicher les bonnes idées. »2 Bruno Parasote
Pour mieux situer l’expérience du Community Land Trust à Bruxelles, il faudra s’intéresser à l’idéologie de l’habitat à Bruxelles ainsi qu’aux questions liées à la propriété du sol. A cet effet, nous allons dans un premier temps analyser les causes de la crise du logement à Bruxelles en retraçant l’historique du développement de l’habitat public dans la capitale pour démontrer que l’exclusion des plus pauvres a toujours été le résultat de volontés spéculatives et d’une gestion foncière par le privé. Dans un deuxième temps, le foncier sera 2 Parasote, B., « Autopromotion, Habitat groupé, écologie et liens sociaux. Comment construire collectivement un immeuble en ville? », Editions Yves Michel, Gap, 2011, p.53. 10
Le Community Land Trust à Bruxelles
exploré par le biais des biens communs, un phénomène émergeant dans les discours politiques récents. La seconde moitié sera consacrée au Community Land Trust concernant ses origines, son développement et ses missions dans le contexte de Bruxelles. Finalement, nous analyserons l’impact de la participation sur l’architecture, proposant un mode de production innovant et responsable pour le développement de logements publics en région bruxelloise. La démarche participative a redéfini le rôle de l’architecte qui se retrouve désormais dans une position clé dans l’élaboration des projets CLTB. L’objectif sera ainsi d’explorer les bases, les difficultés ainsi que les perspectives de la participation dans la création de logements bon-marché.
11
Introduction
12
Le Community Land Trust Ă Bruxelles
PARTIE
1
La crise du logement à Bruxelles
13
La crise du logement à Bruxelles
[1] Illustration par Titom 14
Le Community Land Trust Ă Bruxelles
1. Situation actuelle à Bruxelles Trouver un logement décent à Bruxelles qui n’explose pas le budget s’avère comme une tâche très difficile pour une grande partie des ménages de la capitale belge. La crise du logement récente, persistante depuis l’abandon de l’État Providence durant les années 1980, est une des préoccupations majeures de la politique du logement bruxelloise. Les prix de loyers ont connu une hausse considérable depuis des années et le foncier dans la capitale reste cher et rare. À cela se rajoutent des problèmes d’insalubrité et une dégradation progressive de nombreux logements. Les plus précarisés sont sans doute les ménages à faibles revenus, issus principalement des mouvements migratoires des dernières décennies, mais la crise touche aussi les revenus moyens. Faute de capacités financières et en souhaitant devenir propriétaire un jour, ces derniers tendent à quitter la ville en vue de trouver une habitation financièrement plus abordable et de qualité dans les zones périurbaines. Le Bruxellois d’aujourd’hui est principalement locataire et fortement dépendant d’une offre immobilière qui est dominé par le marché locatif privé. Cette privatisation est le résultat d’une politique néo-libérale, adoptée à l’issu des Trente Glorieuses, et qui permet la libre fixation des prix de loyers des logements sans aucune régulation de la part des pouvoirs publics. De plus, ces derniers ont longtemps poursuivi une voie favorisant l’accès à la propriété en allouant des subventions d’achat et des crédits hypothécaires à taux favorables. Le boom immobilier des années 1990 dû à un accès facilité à la propriété a suscité l’intérêt pour la spéculation immobilière, au détriment de la population bruxelloise la plus pauvre. Ce développement a restreint l’accès à une partie importante du parc immobilier créant ainsi le besoin en logements bon marché et de bonne qualité. D’un point de vue purement quantitatif, l’offre de logements disponibles sur le territoire bruxellois correspond à peu près à la demande l’ensemble des ménages. Cependant, une démographie croissante, comptant annuellement entre 10.000 et 15.000 nouveaux habitants3 tend à aggraver la situation de logement dans la capitale. Avec 518.494 logements4 pour 542.560 ménages5, le nombre de ménages a surpassé celui des logements 3 Cité sans référence par Bernard, N., « Les défis multiples du logement social bruxellois en 2012 », dans: A+ revue belge d’architecture, n° 237, août-septembre 2012, p. 52. 4 Source: Statistique cadastrale du parc de bâtiments, Belgique et régions, 2015. 5 Source: IBSA, SPF Economie - Direction générale Statistique - Statistics Belgium, 2015. 15
La crise du logement à Bruxelles
disponibles sur le marché immobilier créant un déficit en logements disponibles et annonçant un risque de pénurie imminent. Nombreux sont les ménages mal logés qui cherchent à s’inscrire sur les longues listes d’attente du logement social, en espérant de pouvoir habiter un jour un logement décent avec un loyer qui correspond à leur revenu. Sur les 45.742 ménages candidats en 2015, il n’y en a que 1.122 qui se sont vus attribuer un logement social6. Les pouvoirs publics se retrouvent en difficultés de répondre à cette demande croissante. Le parc social avec ses 39.4927 logements ne représente que 88% de l’ensemble du parc immobilier locatif de Bruxelles, dont 11.2039 ont été construits dans la période entre 1971 et 1980 avant le déclin des investissements publics en 1989 atteignant une chute historique de la production en logements publics10. Les paragraphes suivants ont comme but d’approfondir dans un premier temps les causes à la source de la crise du logement à Bruxelles. Nous explorerons ainsi les remèdes que les pouvoirs publics tentent à y apporter pour résoudre la crise en analysant leur pertinence. Dans un second temps allons approfondir le sujet de la responsabilité politique pour assurer une habitation financièrement abordable et de bonne qualité à travers l’historique du logement public ainsi que les réponses architecturales du logement de masses à Bruxelles.
6 Rapport annuel 2015 de la Société du Logement de la Région Bruxelles-Capitale, p. 36. 7 Source: Société du Logement de la Région Bruxelles-Capitale 8 Bernard, N., « La crise du logement: à Bruxelles aussi », dans L’observateur de l’immobilier, n° 67, février 2006, p. 34. 9 Aernouts, N.; Ryckewaert, M., « Reconceptualizing the ‘Publicness’ of Public Housing: The Case of Brussels », dans: Social Inclusion, Volume 3, Numéro 2, 2015, p. 24, citant Zimmer, P., « Diachronische analyse van de Brusselse sociale huisvesting », Brussels: BGHM, 2009. 10 Aernouts, N.; Ryckewaert, M., ibid. op. cit., p. 25. 16
Le Community Land Trust à Bruxelles
2. Les causes de la crise récente du logement Comme nous avons pu le voir dans les paragraphes précédents, la crise du logement se caractérise par une pénurie en logements bon marché et de qualité. Outre une demande croissante en habitations abordables dans la capitale, la spéculation immobilière constitue un aspect majeur de la crise. La gestion privée du foncier vise à maximiser la plus-value générée par le bien en vue de rentabiliser les investissements réalisés par les propriétaires. Cette volonté spéculative des investisseurs privés a des répercussions negatives pour une grande partie de la population bruxelloise. En effet, les prix des habitations ne cessent de monter, de nombreux logements qui pourraient être occupés restent vides et se dégradent suite à un désinvestissement de la part des propriétaires privés. La conséquence de cette désaffection est que beaucoup d’habitations sont inadaptés aux réels besoins de la population bruxelloise. Pour illustrer les causes de la crise du logement, nous nous baserons sur la documentation du Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat (RBDH), regroupant 50 associations bruxelloises pour défendre le droit à un logement bon marché et pourtant de qualité. Leurs publications, notamment la revue Art. 23, qui fait référence au droit fondamental du logement inscrit dans la Constitution Belge, et le Baromètre du logement de la législature analysent et critiquent les mesures politiques prises, notamment celles liées à l’aménagement territorial, à la rénovation urbaine, aux allocations et au logement public. Les textes possèdent un caractère militant, mais les questionnements et les craintes du RBDH sont bien justifiés, rendant ces publications très pertinentes. En outre, j’avais l’occasion de rencontrer et d’interviewer Nicolas Bernard, philosophe, docteur en droit et professeur de droit aux Facultés Universitaires Saint-Louis à Bruxelles qui a publié de nombreux textes très convaincants sur la crise du logement à Bruxelles en suivant son développement depuis les années 2000. Un prix élevé à payer pour se loger Les habitants de la capitale sont principalement des locataires, même si le Belge a tendance à « avoir une brique dans le ventre », c’està-dire avoir la volonté de devenir propriétaire un jour. Bruxelles ne compte qu’environ 45% de propriétaires par rapport aux 70% pour le reste du 17
La crise du logement à Bruxelles
[2] Evolution des loyers Ă Bruxelles depuis 2004
[3] Prix moyens des terrains par m2 en 2014
18
Le Community Land Trust Ă Bruxelles
pays11. Une partie importante de la population bruxelloise est donc dépendante d’un propriétaire privé, auquel ils versent un loyer mensuel. Il s’avère que dans la capitale le droit fondamental de se loger décemment est très coûteux. En effet, une augmentation importante des prix des loyers des logements privés a pu être constatée depuis les années 1990. Par conséquence, une grande partie des locataires bruxellois se retrouvent dans l’incapacité financière pour trouver un logement abordable convenant à leurs besoins. L’explosion des prix s’explique en partie par un écart considérable entre l’évolution du revenu moyen et le prix de la location. En effet, ce dernier étant en croissance plus rapide par rapport à l’indice santé a conduit à l’appauvrissement général de la population bruxelloise par rapport au reste du pays12. La disproportion entre prix de location et revenus moyens se reflète désormais dans le taux de risque de pauvreté, étant avec 30% nettement plus élevé à Bruxelles que dans les régions voisines; 11% en Flandres et 18% en Wallonie. En 2013, le seuil de risque de pauvreté, fixé à 60 % du revenu disponible équivalent au médian national, était de 1085 euros par mois13. L’augmentation des loyers s’explique d’ailleurs aussi par l’introduction de la loi du 20 février qui permit aux propriétaires de mettre fin aux baux à durée indéterminée, pouvant ainsi augmenter les prix des loyers. Il est de même pour l’expiration des baux de 9 ans qui ont entraîne une hausse considérable des prix de location. Les propriétaires ont pu acquérir leur bien durant la relance immobilière durant les années 1990 grâce à des crédits hypothécaires à taux avantageux. Il est plus que logique que les bailleurs désirent réaliser des bénéfices sur les loyers afin de pouvoir aisément rembourser le prêt, tout en rentabilisant leur mise14. Par conséquence, la moitié des ménages bruxellois dépensent bien plus de 40% de leur revenu pour se loger. Dans les pires des cas, les plus précarisés doivent sacrifier jusqu’à deux tiers de leurs revenus pour leur logis, parfois même au détriment de leur santé. Si on stipule que le loyer ne doit pas dépasser un tiers du revenu des ménages, 60% entre eux auraient accès à seulement 10% du parc immobilier locatif. Faute de moyens finan11 Bernard, N., 2006, ibid. 12 Bernard, N., « Clefs pour appréhender la crise du logement à Bruxelles », dans: Les échos du logement », 2004, p.198. 13 SPF Economie - Statistics Belgium, EU-SILC 2005-2014 - Observatoire de la Santé et du Social de Bruxelles-Capital 14 Bernard, N., 2004, ibid. op. cit., p. 198. 19
La crise du logement à Bruxelles
ciers, une large partie de logements reste donc inaccessible à la plupart des ménages et crée ainsi le besoin en logements abordables15. La région détient avec l’Observatoire Régional de l’Habitat un organisme public effectuant un suivi objectif de l’évolution de divers facteurs liés à l’habitat à travers une enquête régulière. Cette dernière a pu donner des renseignements sur le développement des prix de location en région bruxelloise depuis 2004. Précédemment, les pouvoirs publics ne possédaient aucune réelle base de données concernant l’évolution des prix de loyers par rapport à celle des revenus moyens. Cependant, une hausse des loyers courants de 25% et une croissance de plus de 40% des loyers demandés à l’entrée dans le logement ont pu être observées entre 1998 et 200416. L’enquête récente montre une augmentation du prix de loyer mensuel moyen de 589 à 709 euros entre 2004 et 2015, ce qui représente une hausse d’environ 20%17. Or, ces valeurs restent très approximatives, comme le constate le RBDH, puisqu’elles ne touchent qu’à une petite fraction du parc immobilier locatif. Ce dernier, étant principalement privé, rend une évaluation exacte et objective très difficile18. En effet, l’enquête de 2015 portait sur environ 3000 logements, se voulant représentative pour l’ensemble des 300.000 logements mis en location sur le territoire bruxellois19. Le RDBH estime que l’enquête de l’Observatoire des loyers ne donne pas des renseignements concrets sur la réalité des prix de location, à laquelle doivent faire face les locataires de Bruxelles, et n’exprime donc pas les réelles difficultés concernant l’accès à un logement abordable. De son côté, le RDBH a réalisé une comparaison des loyers moyens dans la commune de Schaerbeek entre l’évaluation de l’Observatoire des loyers et des affiches repérées dans la rue, respectivement des offres locatives sur des plateformes immobilières populaires comme Immoweb. Cette comparaison, n’ayant pas de but scientifique, mais étant réalisée avec une taille d’échantillons similaire à l’enquête, a conduit à des résultats plus proches à la situation réelle à laquelle sont confrontés les candidats locataires. Il en résultent des écarts de 200 à 300 euros pour des biens du même type. 15 De Keersmaecker, M.-L., « Observatoire des Loyers. Enquête 2015 », Observatoire de l’habitat de la Région de Bruxelles-Capitale, Bruxelles, avril 2015, p. 33. 16 Bernard, N., 2006, ibid. op. cit., p. 35. 17 De Keersmaecker, M.-L., ibid. op. cit., p. 29. 18 Bauwelinckx, A.; Dumont, C., « Bruxelles ignore tout de ses locataires… Et surtout des plus pauvres! », dans Art. 23, n°59, RDBH, 2015, p. 8. 19 De Keersmaecker, M.-L., ibid. op. cit., p. 11. 20
Le Community Land Trust à Bruxelles
Le RDBH propose que l’Observatoire des loyers obtienne un accès à la base des données des baux enregistrés, afin de rendre les futures enquêtes plus précises en tenant compte de l’ensemble du parc immobilier locatif. Depuis 2007, le bailleur est obligé à enregistrer les contrats de bail conclus20. L’augmentation persistante des prix d’habitations est inévitablement couplée à la gestion de la propriété foncière. En effet, il n’existe pas de régulation des loyers. Les propriétaires sont libres de fixer leur prix de location après la privatisation du marché immobilier à Bruxelles. Suite à une politique favorisant l’accès à la propriété par l’allocation de subventions et des taux d’intérêts historiquement bas pour des crédits hypothécaires, la capitale a connu une réelle explosion immobilière durant les années 1990, avec la construction de nouveaux immeubles d’appartements privés, au détriment de la production de logements publics. L’État a encouragé les promoteurs à investir dans l’immobilier en incitant les propriétaires à la spéculation foncière21. Selon des statistiques récentes de 2014, le prix moyen au mètre carré d’un terrain à construire en région bruxelloise s’élève à 618 euros, comparant à 50 euros en région wallone et 179 euros en région flamande. Les prix ont quadruplé depuis 1992 pour les terrains à bâtir sur le territoire de la capitale22. Même la classe moyenne bruxelloise ne parvient plus à trouver un logement bon marché et de qualité correspondant à leurs besoins. De plus, en étant dans l’impossibilité de trouver un terrain à bâtir dans la capitale, de nombreux ménages plus aisés tournent le dos à la ville en espérant de pouvoir acheter ou construire une maison unifamiliale dans la périphérie verte de Bruxelles. Devenir propriétaire est un symbole d’émancipation pour beaucoup de familles. Même si la majorité des locataires voudraient devenir propriétaires dans la capitale un jour, le manque du pouvoir d’achat et les prix astronomiques des terrains rendent ce rêve lointain23. Le développement de la ville crée une impasse, qui est dépendante des investissements par des sociétés immobilières privées et des particuliers issus de la classe moyenne. Le maintien de cette dernière dans la ville est néanmoins un double gain pour les pouvoirs publics. D’une part, les particuliers investissent dans des quartiers peu prisés par les promoteurs immobiliers et d’autre part, les autorités peuvent en même temps percevoir 20 Bauwelinckx, A.; Dumont, C., ibid. op. cit., p. 9-10. 21 Bernard, N., 2004, ibid. op. cit., p.199. 22 Source: Statistics Belgium, 2014 - Prix moyen des ventes des terrains à bâtir par commune, arrondissement, province et région, 1992, 2000, 2005, 2012, 2013, 2014. 23 Statistics Belgium, 2014, ibid. 21
La crise du logement à Bruxelles
plus d’impôts des investisseurs aisés24. L’enrichissement des quartiers contribue au phénomène de la gentrification, qui engendre à son tour la hausse des prix des terrains ainsi que le prix des loyers de la part des propriétaires, qui profitent d’un développement « gratuit » de la ville pour augmenter leur bénéfice. Régulariser les loyers pour plus de contrôle? Bruxelles ne possède actuellement pas d’instruments pour réguler les loyers du parc locatif privé. Le marché permet une libre fixation des prix de location de la part des propriétaires, comme nous l’avons développé plus haut. Cette politique met cependant en difficultés une grande partie des locataires bruxellois, notamment les plus pauvres. Les pouvoirs publics ont élaboré deux dispositifs afin de s’attaquer aux loyers élevés et de financièrement soulager les locataires. Il s’agit d’une part d’une grille de loyers de référence proposant l’encadrement des loyers et d’autre part d’une nouvelle allocation-loyer destinée aux candidats inscrits sur les listes d’attentes du logement social. Cependant, le RBDH estime dans son Baromètre de Logement de la dernière législature, que ces mesures ne sont pas convaincantes et laissent ouvertes encore beaucoup trop de questions25. Une régularisation des loyers serait une première démarche logique pour contrôler les prix de location dans le but de protéger les habitants. Un tel dispositif a en effet été proposé en 2012 par le gouvernement et sous la direction de l’ancien Ministre du Logement Christos Doulkeridis. Il s’agit de la grille indicative de loyers ou la grille des loyers de référence, une liste des prix de loyers par quartier. Ce sont des valeurs locatives moyennes de logements liées aux caractéristiques objectives d’une habitation, en l’occurence sa superficie, l’équipement fourni et sa localisation26. Or, cette grille n’a jamais été appliquée et sert aujourd’hui juste de valeur indicative pour les locataires27. De plus, elle ne tient pas compte de la qualité réelle des logements en ne se basant que sur des facteurs objectifs relevés par 24 Aernouts, N.; Ryckewaert, M., ibid. op. cit., p. 25. 25 RBDH, « Le dernier baromètre du logement de la législature », Rassemblement Bruxellois pour le Droit à l’Habitat, mars 2014, p. 3-9. 26 Bernard, N., « Note de synthèse BSI. Logement à Bruxelles: diagnostic et enjeux. », dans Brussels Studies, n° 99, juin 2016.. 27 Source: « Politique du logement Bruxelles: 2014-2019 », Région de Bruxelles-Capitale, 2014. 22
Le Community Land Trust à Bruxelles
L’Observatoire des loyers. La grille constitue néanmoins un premier pas vers un encadrement des loyers, mais amène d’autres risques qui pourraient aggraver la situation sur le marché immobilier locatif. Les propriétaires pourraient en effet réduire ou même abandonner tout investissement immobilier supplémentaire si on leur imposait des prix de location régulés. Par ailleurs, les loyers en-dessous du prix de référence pourraient même être augmentés au détriment des locataires. Comme l’explique Nicolas Bernard, le risque élevé de faire fuir les investisseurs n’est certainement pas dans l’intérêt du développement de la ville. C’est pour cette raison, qu’il n’y a pas vraiment eu de projet d’encadrement des loyers à Bruxelles. Par contre le gouvernement devrait encourager les propriétaires à entretenir et à rénover les habitations afin d’empêcher l’abandon de certains logements et le risque de la dégradation progressive du parc locatif. La grille des loyers de références, estimée comme contre-productive, n’a donc finalement pas été appliquée28. Le second instrument de soutien financier pour les ménages les plus précarisés est l’allocation-loyer. Développée et très populaire en Allemagne, en France ou aux Pays-Bas, elle reste encore en phase de projet en Belgique et notamment à Bruxelles. La région possède avec l’allocation de relogement, qui a remplacé l’ancienne ADIL (Allocation de déménagement-installation) en 2014, l’allocation du fonds régional de solidarité et l’allocation-loyer communale déjà trois instruments différents pour aider les personnes qui en ont le plus besoin. Une nouvelle allocation-loyer, destinée aux candidats inscrits sur les listes d’attente du logement social, est encore en phase de projet. En effet, les procédures pour obtenir cette aide financière sont très longues et nécessitent l’intervention de nombreux agents devant réaliser des évaluations de la qualité des logements en question. Faute d’un effectif suffisamment grand, les familles ne se voient attribuer l’allocation qu’au bout de plusieures années. Le RBDH plaide en faveur d’une allocation-loyer unique en vue de simplifier ce processus avec une démarche purement administrative qui ne nécessiterait pas les contrôles ; elle se ferait simplement sur base des rapports entre loyer payé et revenus des ménages. L’allocation constituerait un complément de revenus non négligeable des ménages pour réduire l’impact du loyer sur leur budget29. Cet instrument ne constitue cependant pas une réelle solution à 28 Interview avec Nicolas Bernard. 2 mars 2016. 29 Dumont, C., « Allocation-Loyer. Situation actuelle et enjeux pour demain », dans Bruxelles en mouvements, n°267, novembre-décembre 2013, p. 12-13. 23
La crise du logement à Bruxelles
long terme, puisque l’écart entre revenus et loyers persistera. De plus, la qualité des logements ne s’améliorera pas forcément à la suite à de telles mesures. L’inoccupation de logements à Bruxelles Le second aspect majeur de la crise du logement se caractérise par un taux important en logements inoccupés sur le territoire de Bruxelles. Selon les estimations du RBDH, entre 15.000 et 30.000 logements seraient vacants mais laissés à l’abandon. D’autres chiffres laissent croire qu’un cinquième du parc locatif reste inoccupé30. En effet, les nombreux logements vides situés au-dessus des rez-de-chaussées commerciaux échappent aux statistiques. On estime que 5.000 de ces logements pourraient être mis en location de manière immédiate et sans rénovation. Outre les logements vides, la région compte aussi un taux élevé en espaces de bureaux inoccupés. Les raisons pour laisser une habitation à l’abandon sont multiples. Les propriétaires ne possèdent souvent plus les moyens financiers pour l’entretien ou pour la rénovation de leur bien, menant à la dégradation de ce dernier. L’abandon d’un logement peut aussi tout simplement être d’intention spéculative, si les propriétaires estiment que le bien ne génère le bénéfice souhaité lors de la vente ou de la mise en location. Ils ne sont plus prêts à investir dans leur logement se retrouvant dans un quartier défavorisé, explique Nicolas Bernard31. La région a néanmoins mis en place quelques instruments pour s’attaquer aux propriétaires qui laissent leur logements inoccupés. Ils n’ont pourtant pas tous le même effet incitatif. Au niveau local, nous avons les taxes communales. Cette mesure n’est cependant appliquée que par une commune sur deux, regrette N.Bernard. Sur le plan régional, nous retrouvons le droit de gestion publique qui permet la saisie des bâtiments laissés à l’abandon, mais là aussi, c’est un droit dont les pouvoirs publics ne font que rarement usage. L’outil désormais le plus efficace est l’amende régionale32. En 2011, l’administration régionale a mis en place la cellule logements inoccupés pouvant mettre en demeure les propriétaires dont les logements ont été signalés inoccupés depuis au moins 12 mois. Un 30 RBDH, « Bruxelles ignore tout de ‹ ses › locataires. Et surtout des plus pauvres! », dans Art. 23, n° 59, 2015, p. 4. 31 Bernard, N., 2004, ibid. op. cit., p. 200. 32 Bernard, N., interviewé le 02 mars 2016. 24
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dernier outil est l’action de cessation permettant aux pouvoirs publics et aux sociétés de logement agrées de s’attaquer au propriétaire devant le juge du tribunal de première instance, le forçant à remettre son bien sur le marché sous peine de lourdes amendes. Si le propriétaire ne paye pas ses amendes, le bâtiment ou les appartements concernés seront mis en vente publique afin de régler le montant dû aux autorités publiques. Le RBDH est la première société agréée ayant pu s’attaquer à un propriétaire avec succès. Ils estiment qu’il y a une réelle nécessité de renforcer l’action contre les logements vides33. Quant aux surfaces de bureaux inoccupés de longue date, une reconversion en logements serait envisageable. Or, cette mesure s’avère souvent aussi coûteuse qu’une construction neuve de sorte que les promoteurs privilégient en général la démolition de ces bâtiments. De plus, ces projets de reconversion sont très souvent destinés à devenir des appartements de luxe et donc peu abordables pour les bas revenus. Cela est dû au fait que le prix du foncier dans les zones administratives est nettement plus élevé que sur le reste du territoire. Parfois, on retrouve des petits espaces inoccupés dans le cadre des contrats de quartiers durables qui pourraient être convertis en logements financièrement plus intéressants, estime le RBDH34. Finalement, il y a la possibilité d’occuper des logements publics vides, dont la rénovation immédiate n’est pas envisageable. Une occupation temporaire de courte durée peut être offerte à des personnes en situation de précarité extrême dont le nombre recensé est cependant très bas dû à un flou administratif, regrette le RBDH35. Le parc social compte également un nombre important en logements inoccupés suite à une simple négligence administrative ou le fait qu’ils ne sont plus habitables et qu’ils nécessitent une rénovation. 3397 sur 39280 logements sociaux sont restés inoccupés en 2012, avec une perte de 13 millions d’euros en valeur de loyers. Une occupation temporaire serait donc une solution envisageable pour un bon nombre de personnes nécessiteuses.36
33 RBDH, « La politique du logement annoncée par le nouveau Gouvernement bruxellois: Trop peu sociale face à une crise du logement dramatique », dans Art. 23, n°57, 2014, p. 29-30. 34 RBDH, Art. 23, n°57, ibid. op. cit., p. 31. 35 RBDH, Art. 23, n°57, ibid. op. cit., p. 33. 36 art. 23, n°58, ibid. op. cit., p29. 25
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Un parc immobilier dégradé et inadapté Les ménages à bas revenus n’ont pas seulement du mal à trouver un logement abordable, mais on constate aussi qu’une bonne partie d’appartements du parc locatif ont des insuffisances qualitatives et ne sont pas toujours adaptés aux besoins des habitants. Le droit à un logement décent est pourtant un droit fondamental figurant dans l’article 23 de la Constitution Belge et détaillé dans l’article 3 du Code du Logement Bruxellois mais les pouvoirs publics ont longtemps échoué à garantir ce droit. En effet, le désinvestissement des propriétaires faute de moyens financiers pour entretenir ou rénover leur bien, l’inoccupation des logements ou la spéculation immobilière peuvent être cités comme causes possibles à la dégradation du parc immobilier locatif privé. L’enquête de l’Observatoire des loyers a montré que 22% des logements se trouvent dans un mauvais ou très mauvais état au niveau du confort. 7% des logements mis en location ne possèdent toujours pas de salle de bains privative et 19% des cuisines ont moins de 4m2 37. En outre, pour un quart des logements, des problèmes liés à l’humidité ont pu être constatés38. Ce sont des insuffisances liées à l’isolation thermique ou à une ventilation défectueuse qui peuvent avoir des effets néfastes sur la santé des habitants. La situation est sans doute sous-estimée, puisque cette enquête ne se base que sur l’évaluation d’une petite tranche du parc locatif, comme on a pu le voir précédemment. La situation semble cependant s’améliorer comme on peut le constater par exemple au niveau du chauffage et du type de fenêtres. 70% des habitations sont équipés actuellement de vannes thermostatiques et 49% possèdent un thermostat, contre 52% et 40% en 200839. Au niveau des fenêtres, 71% de logements sont équipés d’un double vitrage à toutes les fenêtres par rapport à 55% en 200840. Les nouvelles normes récentes liées à l’habitabilité définies dans le Code du Logement Bruxellois ainsi que les nouveaux standards énergétiques devront améliorer les conditions des logements dans un futur proche. Il s’avère très souvent, que les logements ne sont pas adaptés aux besoins réels de ses occupants. En effet, les ménages à bas revenus issus 37 De Keersmaecker, M.-L., ibid. op. cit., p. 38. 38 De Keersmaecker, M.-L., ibid. op. cit., p. 42-44. 39 De Keersmaecker, M.-L., ibid. op. cit., p. 48. 40 De Keersmaecker, M.-L., ibid. op. cit., p. 46. 26
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de l’immigration et vivant regroupés sous forme de familles nombreuses, ont des difficultés de trouver un appartement assez grand pour que chaque membre du ménage puisse avoir sa chambre. Ces familles constituent 5 à 6,5% de l’ensemble des ménages bruxellois qui seraient en nécessité d’un logement plus grand et adapté, représentant entre 6.300 et 10.000 unités. Certains propriétaires n’hésitent pas à diviser leur bien en plusieurs appartements plus petits pour générer plus de bénéfice41. Le type d’appartement retrouvé le plus couramment sur le marché immobilier est celui de une à deux chambres, répondant à une demande des ménages monoparentales ou des ménages constitués d’une personne vivant seule. Le fait de trouver surtout des petites unités s’explique aussi par de nombreuses conversions d’habitations, qui visent à réduire le nombre de chambres pour une meilleure habitabilité de l’espace, en l’occurence les lofts très prisés par la classe moyenne. Sur le marché immobilier locatif, on ne retrouve que 13% d’appartements à trois chambres ou plus, ce qui rend la tâche pour des familles nombreuses trés difficile pour trouver un logement convenant à leurs besoins42. La problématique des logements inoccupés et inadaptés est liée aussi à des questions de programmation architecturale, notamment les typologies d’appartements et les espaces partagés. Les habitations comportent très souvent des espaces communs peu ou pas utilisés, en l’occurence des buanderies et jardins communs. Nous venons de voir que la crise de logement se caractérise surtout par un manque en logements bon marché de qualité. La pénurie en logements en général et la volonté spéculative, encouragée par une domination du marché privé, ont engendré une augmentation considérable des prix des habitations ainsi que de plus en plus de logements inoccupés et dégradés. Les ménages à bas revenus sont sans doute les plus touchés par cette crise en étant dépendants du marché locatif privé et soumis à la pression des bailleurs. Il semble inimaginable que les mal-logés puissent un jour devenir propriétaires eux-mêmes. Désespérément, ils se détournent du marché locatif privé, injuste et parfois même discriminatoire, pour trouver une solution auprès du parc social. Cependant, avec des listes qui semblent infiniment longues, les pouvoirs publics sont incapables de répondre à une demande croissante en logements publics. Les critiques de la part du RBDH exigent que les pouvoirs publics 41 Bernard, N., 2004,ibid. op. cit., p. 201. 42 De Keersmaecker, M.-L., ibid. op. cit., p. 37. 27
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prennent la responsabilité afin d’améliorer la situation de logement pour les plus précarisés. Pour cela, ils recommandent que l’instrument des allocations de loyers soit développé davantage pour soulager les familles pauvres. En outre, le RBDH estime que les pouvoirs publics devront s’attaquer de manière plus conséquente aux problèmes d’insalubrité et d’inoccupation des logements afin de rendre une partie du parc immobilier de nouveau accessible pour les habitants de Bruxelles. Il faut agir simultanément sur les différentes facettes de la crise afin de trouver des solutions à long terme.
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3. L’évolution et les stratégies de l’habitat public à Bruxelles Le logement public a longtemps constitué une stratégie politique pour faire face à des problèmes liés à l’habitat lors de changements majeurs dans la société, notamment des crises économiques, des guerres ou des croissances démographiques considérables. La notion de logement public fit son apparition au cours du 19e siècle dans un contexte de pénurie en logements et de conditions d’habitat misérables suite aux grands flux migratoires durant la période de l’industrialisation des grandes villes européennes. L’intervention publique avait comme but d’améliorer la situation d’habitat des mal-logés en produisant des logements abordables qui offraient un certain confort aux habitants. Nous verrons par la suite que le progrès s’est traduit par différentes réponses architecturales innovantes, notamment liées à des questions d’implantation des bâtiments, de techniques de construction, de typologies de logements et d’idéologies d’habitat qui doivent répondre aux facteurs économiques, qualitatifs et d’efficacité. Bien que les pouvoirs publics investissaient dans le logement public et social, la politique de logement belge était toujours en faveur de l’accès à la propriété. Les stratégies politiques agissaient très souvent au détriment des plus précarisés, n’ayant pas la possibilité de devenir propriétaires. Les premières habitations ouvrières issues de l’industrialisation L’industrialisation avait comme conséquence une croissance démographique considérable qui a causé une pénurie en habitations pour loger les travailleurs. La volonté de ces derniers arrivés de la campagne et désirant habiter près des usines a entraîné la construction de premières habitations pour les ouvriers par des entrepreneurs de l’industrie. Vue une demande supérieure à l’offre en logements pour les travailleurs, les entrepreneurs d’usines trouvaient assez vite l’intérêt de la spéculation dans la construction afin de rentabiliser leurs investissements. Les habitations n’avaient pas de réels atouts en vue d’améliorer la condition de vie des ouvriers. La volonté spéculative des entrepreneurs se traduisait en général par une architecture qualitativement médiocre, visant à générer un rendement maximal via le revenu de la location, au détriment des ouvriers. 29
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[4] La cité-jardin Le Logis (1921-1930)
[5] Plan de la cité-jardin Kapelleveld (1922)
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En densifiant les terrains, l’architecture des habitations n’offrait aucune variété typologique et la qualité des matériaux n’avait aucune importance. On cherchait à maximiser le nombre des maisons sur la parcelle disponible en le réduisant à une typologie architecturale multipliée par la suite. Les « maisons-de-rapport » et les « impasses » constituaient les deux types de constructions principaux pour les habitations ouvrières. La « maison-de-rapport » a de nombreuses caractéristiques de la maison bourgeoise du 19e siècle, sauf qu’elle était sous-divisée en des petits appartements qui ont ensuite été loués aux familles. En outre, les entrepreneurs n’hésitaient pas de mettre aussi en location greniers et caves afin de maximiser leur bénéfice en revenus de loyers. Les « impasses » étaient des petites maisons identiques à un étage au plus, disposées en rangées et desservies par un chemin central. Elles comprenaient une chambre au rezde-chaussée et une à l’étage. C’est ainsi que des familles de 5 à 6 membres occupaient une petite chambre, vivant dans des conditions misérables43. Première loi du logement en 1889 Suite au mécontentement de la classe ouvrière concernant l’hygiène, les conditions de travail et d’habitat, une première loi du logement était entrée en vigueur le 9 août 1889, faisant apparaître pour la première fois la notion de d’habitation ouvrière. La loi visait la construction de nouveaux logements par des associations de construction, des coopératives et des particuliers, en considérant les problèmes liés à l’habitabilité du logement, en l’occurence l’hygiène. L’intervention des pouvoirs publics était couplée à des avantages fiscaux et à un financement par la Caisse d’Epargne et Retraite, grâce auxquels 63.000 logements on pu être construits entre 1889 et 1914 en Belgique44. Cette première loi de logement, destinée à l’amélioration de la situation de la classe ouvrière n’était cependant pas avantageuse pour l’ensemble des travailleurs, puisqu’elle encourageait surtout la construction de logements individuels pour les plus aisés. En effet, les ouvriers disposant de peu de moyens financiers étaient exclus des prêts hypothécaires à taux réduits. La politique du logement était en faveur des particuliers qui avaient 43 Smets, M., « L’avènement de la cité-jardin en Belgique: histoire de l’habitat social en Belgique de 1830 à 1930 », Liège, Pierre Mardaga Editions, 1977, p. 9-10. 44 Vandermotten C. et Jorissen D., « Le logement social à Bruxelles depuis 1919 », dans Espace populations sociétés, 1986, p.137. 31
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les moyens pour investir, et donc en faveur de la spéculation immobilière45. Ce développement était le résultat d’une dualité idéologique concernant l’habitat. D’une part, les socialistes prônaient la construction de maisons multi-familiales près du lieu de travail et les espaces de récréation, tandis que les libéraux et les chrétiens-démocrates étaient en faveur de petites maisons sur un étage en dehors de la ville malsaine46. La dernière option n’était donc pas jouable pour les plus pauvres. Il se trouvait qu’en 1897, un tiers de la population bruxelloise résidait encore dans un logement de la taille d’une chambre47. L’essor des cités-jardins à Bruxelles Dans la période d’après-guerre, la notion d’habitation ouvrière se transforma en habitation bon-marché avec l’introduction de la seconde loi du logement du 11 octobre 1919 créant ainsi la Société Nationale des Habitations et du Logement Bon Marché (SNHLBM). C’est dans un contexte de pénurie de logements financièrement abordables, que le modèle des cités-jardins a émergé en Belgique et notamment à Bruxelles. La cité-jardin, inspirée par le modèle développé par le théoricien anglais Ebenezer Howard (1850-1928) la veille du 20e siècle, a été perçue comme une solution possible aux problèmes de l’habitation ouvrière issue de l’industrialisation. Une des préoccupations principales de la société nationale était la lutte contre la spéculation privée, qui est notamment liée à la question de la propriété foncière. Verwilghen et Van Den Bempt constataient que les problèmes liés à l’habitation ouvrière retrouvaient leur source dans la propriété du sol urbain et sa gestion, encourageant la spéculation dans la construction. Verwilghen proposa ainsi que les sociétés devraient acquérir des terrains destinés à la construction de logements abordables dans des zones pas encore atteintes par la spéculation. En outre, il prôna la solidarité collective en vue de remplacer l’égoïsme individuel48. Les cités-jardins en Belgique et à Bruxelles ne se présentaient pas sous forme de villes satellites, comme l’imaginait Howard pour soulager les grandes villes comme Londres de la surpopulation, mais sous forme de 45 Smets, M., ibid. op. cit., p. 48-49. 46 Aernouts, N.; Ryckewaert, M., ibid. op. cit., p. 20. 47 Smets, M., ibid. op. cit., p. 49. 48 Smets, M., « L’avènement de la cité-jardin en Belgique: histoire de l’habitat social en Belgique de 1830 à 1930 », Liège, Pierre Mardaga Editions, 1977, p. 106-107. 32
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quartiers et de cités dans la périphérie verte de la capitale belge. Cette forme d’habitat visait à élever le standard de la santé ainsi que le confort des habitants. La cité-jardin permettait aux différentes couches de la société de vivre ensemble dans un même espace. C’est ainsi que la société nationale estimait l’importance de renforcer l’esprit communautaire dans un contexte d’après-guerre afin d’améliorer les conditions de vie pour la population. L’aspect social des cités-jardins à Bruxelles était notamment couplé à des réponses architecturales innovantes pour faire face à l’architecture médiocre caractérisant les habitations ouvrières construites avant la guerre. La SNHLBM rejetait la typologie du bloc résidentiel sur plusieurs étages et à logements nombreux en faveur de la maison individuelle avec un jardin. L’idée était de donner à chacun son propre logement49. Les habitations individuelles étaient implantées dans un milieu naturel avec des rues qui suivaient la morphologie des terrains dans un but de recherche esthétique. Les cités-jardins étaient équipées de services collectifs et comportaient selon leur taille des écoles, des installations sportives, des salles de conférences et tout autre équipement nécessaire. Ces infrastructures visaient à renforcer la cohérence et la solidarité entre les habitants de la communauté, se basant sur les valeurs d’entraide, de rapprochement et d’éducation mutuelle. L’architecture des cités-jardins en Belgique répondait aux aspects de qualité, d’économie et d’efficacité. Les habitations étaient réellement sociales, puisqu’elles visaient le confort des habitants et les équipements collectifs devaient répondre aux besoins de la communauté. En l’absence de toute velléité spéculative et sans viser un bénéfice pour rentabiliser les investissements, les maisons individuelles équipées d’un jardin étaient des projets de qualité ayant une identité50. D’un point de vue économique, les architectes cherchaient à réduire les coûts de construction en tentant des nouvelles techniques de mise en oeuvre, notamment en expérimentant avec le béton. Finalement, l’architecture des cités-jardins était réellement diversifiée, s’exprimant par les différents styles des architectes modernistes. Huib Hoste et Victor Bourgeois favorisaient une architecture rationnelle et standardisée, inspirée du purisme et du cubisme. Bourgeois est l’auteur de la Cité Moderne à Berchem-Sainte-Agathe, où il a employé du béton maigre mélangé de scories industrielles, utilisant un coffrage fac49 Smets, M., ibid. op. cit., p. 110. 50 Smets, M., ibid. op. cit., p. 116. 33
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[6] Une des nombreuses barres Etrimo
[7] Jean-Florian Collin (Ă droite) avec ses partenaires
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ilement démontable et réutilisable, donnant aux immeubles une expression particulière. Les architectes modernistes Antoine Pompe et Fernand Bodson étaient influencés par la tradition rurale allemande et anglaise, basée sur une expression sobre et utilitaire. Finalement, l’architecture des citésjardins réalisées par Jean-Jules Eggericx avait un caractère plus intimiste. L’abandon de la cité-jardin en faveur des immeubles à appartements Malgré son succès, le modèle de la cité-jardin a été abandonné dans la seconde moitié des années 1920 pour faire place aux immeubles d’appartements qui marqueront le début de la période moderniste. La fin des paiements de dommages de guerre par les Allemands, qui constituaient un apport financier important pour l’élaboration des projets, était une des causes pour l’abandon des cités-jardins. Une des critiques majeures était liée à leur aménagement territorial, jugé comme trop cher et consommateur d’espace. Le développement des cités-jardins était confronté à la vision catholique-libérale favorisant l’initiative privée pour accéder à la propriété individuelle51. L’expérience des cités-jardins à Bruxelles constituait un tremplin pour le Mouvement Moderne en Belgique et les architectes se détournaient progressivement du modèle pour s’intéresser aux immeubles d’appartements qui marquèrent le début de la période moderniste. Suite au Congrès International de l’Architecture Moderne (CIAM) de 1930 qui s’est déroulé à Bruxelles, la planification des villes préconise la construction en hauteur dans des espaces verts dégagés52. Jusqu’au lendemain de la Première Guerre Mondiale, l’idée d’habiter en hauteur était encore lointaine et la classe moyenne préférait habiter des maisons uni-familiales. C’est la loi de 1924 sur la co-propriété qui donna essor aux bâtiments d’appartements en Belgique.
51 Smets, M., ibid. op. cit., p. 143. 52 Smets, M., ibid. op. cit., p. 173. 35
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L’industrialisation de l’architecture d’habitation et l’essor des barres ETRIMO à Bruxelles L’architecture de logements à grande échelle en Europe a été révolutionnée avec l’émergence du Mouvement Moderne durant la première partie du 20e siècle. Les Congrès Internationaux de l’Architecture Moderne ont défini un nouveau style international préconisant la construction en hauteur et l’emploi de matériaux préfabriqués tout en réduisant l’espace de vie à un minimum. En effet, la période moderniste a été caractérisée par une industrialisation de l’architecture, introduisant un nouveau mode du logement bon marché. La force destructrice de la Seconde Guerre Mondiale avait causé une nouvelle fois une pénurie de logements dans les grandes villes, nécessitant des rénovations urbaines lourdes. La question qui se posait dès lors était de savoir comment assurer une production de logements à grande échelle de manière efficace et économe afin de réhabiliter les quartiers détruits sans pourtant négliger la qualité et le confort des habitations. Pour rendre les logements financièrement accessibles à une grande partie de la population, les architectes ont opté pour des procédés techniques de mise en oeuvre industrialisés, faisant émerger la préfabrication dans le domaine de l’architecture d’habitat. Des éléments constructifs modulables en béton, en acier et en verre ont ainsi pu être préfabriqués à la chaîne dans les usines. L’industrialisation de l’architecture représentait dès lors une solution rapide et financièrement avantageuse pour combler le déficit en logements sur une courte durée. Ce n’est qu’après la Seconde Guerre Mondiale que les immeubles à appartements en hauteur ont vu le jour à Bruxelles, notamment avec l’émergence des barres ETRIMO, le phénomène qui va marquer l’architecture de l’habitat en grand nombre dans la capitale belge. ETRIMO est l’abréviation pour la Société d’Études et de Réalisations Immobilières fondée en 1935 par l’architecte-constructeur, et par la suite entrepreneur, Jean-Florian Collin. Avec un chiffre d’affaires de deux millions de Francs Belges et une production de 20.000 logements en 1969, ETRIMO était le plus grand constructeur de logements en Europe en très peu de temps. Contrairement aux pays voisins comme la France, où l’industrialisation de l’architecture était destinée à la production d’Habitations à Loyers Modérés (HLM) pour accueillir la classe ouvrière et les nombreux immigrés des pays anciennement colonialisés, les barres ETRIMO étaient 36
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[8]Publicité pour le système préfabriqué d’Usidour
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[9] Ensemble de logements Ieder Zijn Huis à Évère réalisée par Willy Van der Meeren (1958-1960)
[10] Maquette de la Cité Modèle à Laeken (1955-1974)
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construites pour loger des ménages à revenus moyens. Le rêve de Collin était de « donner la possibilité à chaque famille d’acquérir un logement neuf et confortable, construit dans un cadre de verdure et en organisant le financement de manière telle que la dépense ne soit pas supérieure à celle d’un logement normal ». Collin exprimait sa volonté de vouloir favoriser l’accès à la propriété pour le Belge qui avait la brique dans le ventre; dans ce cas il s’agissait bien de la classe moyenne. Cela était possible grâce à des crédits hypothécaires à taux avantageux, motivant les ménages d’acheter ou de louer un appartement. La période des Trente Glorieuses était une époque d’optimisme. Une économie relancée a octroyé à la classe moyenne un pouvoir d’achat qu’elle n’avait pas connu auparavant et a fait émerger une société de consommation dans la seconde moitié des années 1950. Cet optimisme a notamment contribué au boom immobilier des années 1960, les « golden sixties ». C’était en même temps aussi le début de la spéculation immobilière à grande échelle suite à une demande de logements en pleine croissance. Le phénomène semblait se répéter encore une fois. Vivre dans un appartement en hauteur était quelque chose de novateur pour les revenus moyens, qui étaient habitués à vivre dans des maisons individuelles. Dans le cadre de la rénovation urbaine de Bruxelles, les immeubles détruits par la guerre ont fait place à des constructions en hauteur, implantées sur des terrains vagues dans la Deuxième Couronne de Bruxelles. ETRIMO proposait des immeubles d’appartements dans des « parcs » faisant partie du paysage urbain, tandis que les immeubles HLM en France étaient regroupés dans des zones suburbaines des grandes villes. L’architecture des barres ETRIMO se caractérise par son aspect sobre et répétitif d’un immeuble à l’autre: 12 logements autour de trois colonnes techniques répétés sur 13 étages, un total de 156 appartements par immeuble. Construire à l’identique selon des procédés industrialisés était le seul moyen de garantir l’abordabilité financière des logements. Pourtant, les habitations offraient un certain confort et des équipements modernes, comme une cuisine équipée d’une chaudière électrique et d’une hotte, ainsi qu’une salle de bains moderne et des chambres de taille moyenne. Pour garantir un confort supplémentaire des habitants, chaque logement possédait sa propre terrasse.53 Cependant, la mise en oeuvre technique était très souvent caractérisée par une qualité médiocre. Les façades ont en général été revêtues 53 Fances, M. ; Deroy, D., Monsieur Etrimo, Documentaire, 60’, Belgique, 2013. 39
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d’une pierre reconstituée, puisque la pierre naturelle était trop chère. En outre, il était très fréquent que ces logements étaient équipés d’un système de ventilation ne fonctionnant pas correctement. Cela était dû au fait, qu’à l’époque, les immeubles construits ne faisaient pas l’objet de contrôles techniques ou de normes constructives, et que l’obtention d’un permis d’urbanisme n’était qu’une simple démarche administrative. L’architecture des immeubles-barres à Bruxelles est fortement inspirée de la Cité Radieuse de Marseille, imaginée par Le Corbusier, l’architecte pionnier du Modernisme. Ce dernier avait préconisé le « logement universel pour un homme universel ». La Cité Modèle de Laeken, qui a été construite dans le cadre de l’Exposition Universelle de 1958 est à l’égard des projets de Le Corbusier avec ses immeubles-barres implantés dans un parc vaste. Il en est de même pour la coopérative Ieder Zijn Huis à Évère, dont le bâtiment a été conçu et réalisé entre 1958 et 1960 par l’architecte humaniste Willy Van Der Meeren. Le projet a été imaginé selon des principes similaires à l’Unité d’Habitation de Marseille; une galerie unique qui dessert les appartements duplex sur trois étages ainsi que des touches de couleur sur divers éléments architecturaux, rappelant fortement les réalisations de Le Corbusier. Les critiques de l’architecture des barres de logement Le style international de l’architecture des immeubles de logements modernistes n’a cependant pas été épargné de critiques. L’architecte néerlandais John Habraken s’interroge notamment sur la question de l’uniformité des bâtiments d’appartements due aux procédés industrialisés de l’architecture moderne. Les concepteurs ne semblent avoir pensé leurs projets que sous forme de plans qu’ils reproduisaient par la suite de manière infinie et sans variations. Contrairement à la diversité de l’identité architecturale que l’on retrouvait dans les cités-jardins, les barres de logements ne disposent guère de caractère et font penser aux HLM. Il semble que les développeurs de projets ne s’interrogeaient pas vraiment pourquoi ils construisaient de telle façon, mais se préoccupaient plutôt de comment répondre à la demande urgente de logements de manière économe et efficace. Habraken se manifestait ainsi contre l’abstraction de l’occupant en lui imposant un nouveau mode de vie sans vraiment prendre en considération ses besoins réels en terme d’habitat. Les architectes concevaient des unités de logements pour des usagers inconnus, qui sont censés de 40
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s’approprier et de consommer l’habitation qu’on leur impose à travers les catalogues et les plans sur mesure54. Toutefois, la question de diversité architecturale ne se posait pas dans un contexte d’après-guerre. Les habitants ne se souciaient pas du fait qu’ils possédaient un logement identique à celui du voisin, mais devenir propriétaire ou locataire d’un appartement moderne était une forme d’émancipation des ménages. L’esprit capitaliste était fondamental pour relancer l’économie et pour donner de nouveau de l’espoir après la guerre. Grâce à l’industrialisation, la production de nouvelles habitations a réussi à combler le déficit de logements et à faire face à la croissance démographique continue. Le but était de loger tout le monde dans des conditions de vie améliorées. Certes, la construction des barres de logements était soumise à une volonté spéculative de la part des entrepreneurs, mais les habitants étaient contents et ils le sont d’ailleurs encore aujourd’hui même si l’architecture des années 1960 semble dépassée55. La répétition d’une architecture identique d’un site à l’autre détachait les immeubles de leur contexte territorial. En effet, les barres de logements étaient très souvent implantés sur des terrains vastes verts, comme c’est le cas de la Cité Modèle de Laeken. Ces zones dégagées dues aux constructions en hauteur n’ont pas de réels atouts, puisqu’elles sont dépourvues de toute autre infrastructure complémentaire. La politique du logement investissait son énergie dans l’élaboration des logements en favorisant la propriété individuelle sans réellement être concernée par des équipements publics, ceux-ci étant estimés trop chers. C’est ainsi que les sites se caractérisent par des connexions faibles avec les quartiers avoisinants. De plus, l’architecture sobre des immeubles ne contribue pas à la mise en valeur de l’environnement56. La reprise de la production de logements sociaux par les pouvoirs publics Sur une période de 30 ans, les barres ETRIMO et les autres immeubles d’habitation à grande échelle ont pu loger de nombreuses familles en comblant le déficit de logements d’après guerre. Malgré son 54 Bossa, K.; Van Hoogstraten, D.; Vos, M., « Housing for the Millions. John Habraken and the SAR (1960-2000) », NAI Publishers, Rotterdam, 2000, p. 17-22.. 55 Dialogue avec Thierry dans l’émission Archi Urbain, 09/05, Bruxelles, 2014. 56 Aernouts, N.; Ryckewaert, M., ibid. op. cit., p. 24. 41
La crise du logement à Bruxelles
succès, le développement du modèle introduit par Collin a connu une chute soudaine suite à la surchauffe du marché immobilier en 1969. La hausse des prix de construction et des taux d’intérêts pour des crédits hypothécaires, remontant à 10,25%, rendaient l’achat d’un logement bon-marché très difficile. En 1971, un concordat a permis de poursuivre les activités dans l’intérêt des créanciers. C’est ainsi que les communes bruxelloises ont pu acquérir les terrains d’ETRIMO dans les années 197057. Au lendemain de la crise pétrolière ayant marqué le début des années 1970, le rôle de l’État s’est vu changer. Tandis que dans d’autres pays européens industrialisés la production en logements fut à l’arrêt, l’État belge a stimulé l’économie selon les principes keynésiens pour relancer la production d’habitations bon marché, en subventionnant les sociétés de logements sociaux. C’est ainsi que pendant la période entre 1971 et 1980, environ 11.000 nouvelles habitations publiques ont vu le jour, représentant un quart du parc social d’aujourd’hui58. Les difficultés du logement social aujourd’hui Avec la division de la Belgique en trois régions en 1989 (Bruxelles-Capitale, la Flandre et la Wallonie), la responsabilité de développement du logement social est à la charge des sociétés locales qui agissent en autonomie. Tandis que la Flandre poursuivit une politique d’extension de son parc social durant les années 1990, la production de logements sociaux se vit diminuer drastiquement à Bruxelles depuis la division territoriale59. Le passage du modèle de l’Etat-Providence à une politique plus libérale promouvant le libre marché, avait des répercussions directes sur la politique du logement. Elle se traduira par un déclin d’investissements publics ralentissent la production annuelle en habitations sociales pour favoriser l’accès à la propriété. En effet, le patrimoine immobilier dégradé et un endettement important de la ville ont rendu toute sorte d’investissements privés nécessaires. Le développement des logements CityDev par la Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale (SDRB) en constitue un bon exemple. En vue d’attirer et de maintenir la classe moyenne dans la capitale, la société propose des conditions avantageuses pour accéder à la 57 Fances, M. ; Deroy, D., Monsieur Etrimo, Documentaire, 60’, Belgique, 2013. 58 Aernouts, N.; Ryckewaert, M., ibid. 59 Aernouts, N.; Ryckewaert, M., ibid. 42
Le Community Land Trust à Bruxelles
propriété. Il s’agit de logements acquisitifs qui sont destinés aux revenus moyens. Grâce aux subsides alloués par la région, encourageant l’accès à la propriété, ces logements sont 30% moins chers par rapport au marché immobilier. Après avoir habité l’appartement pendant 20 ans, le propriétaire n’est plus soumis aux conditions CityDev et peut revendre son bien en remportant l’intégralité de la plus-value générée pendant son occupation. Ce développement de rénovation urbaine, intéressant pour la classe moyenne, contribue malheureusement à la gentrification des quartiers et à l’augmentation des loyers des logements environnants. Les logements CityDev ne s’orientent pas vers une abordablité financière à long terme, puisque la revente des biens n’est pas vraiment régulée. En effet, l’investissement public sous forme de subsides, constitue une aide unique à l’acquisition du bien, car ce dernier sera revendu au prix du marché au prochain candidat acquéreur60. Des prêts hypothécaires à taux d’intérêts avantageux ont permis aux sociétés immobilières privées et aux particuliers d’accéder à la propriété, soit par l’achat d’immeubles existants ou soit par la construction de nouveaux bâtiments, faisant grandir la part du marché immobilier privé. Cependant, les pouvoirs publics n’avaient jamais prévu d’instruments pour réguler le marché. Cette négligence a provoqué l’explosion des prix de loyers et a contribué à l’appauvrissement général de la population bruxelloise. Les plus précarisés d’entre eux, exclus des crédits hypothécaires faute de capacités financières, n’auront jamais l’opportunité de devenir propriétaires. Coincés dans le marché privé en tant que locataires, les mal-logés font de plus en plus souvent appel au logement social suite à un besoin croissant en habitations bon marché. Cependant, l’offre sociale ne peut pas absorber la demande croissante. Le parc social, caractérisé par une production très lente, ne représente que 8% de l’ensemble du parc immobilier et est principalement composé d’immeubles érigés durant la seconde moitié du dernier siècle61.
60 Bernard, N., interviewé le 02 mars 2016. 61 Bernard, N., 2006, ibid. op. cit., p. 34. 43
La crise du logement à Bruxelles
4. Quels remèdes pour la crise du logement? Nous avons vu que la préoccupation majeure de la crise du logement à Bruxelles, qui concerne une partie majeure des habitants de la capitale, est l’insuffisance en logements financièrement abordables et de qualité. La source profonde de la crise réside dans la volonté spéculative immobilière qui est liée à la gestion de la propriété du sol. Cette dernière engendre des prix élevés des logements, des problèmes d’insalubrité ainsi que l’inoccupation d’une partie importante du parc immobilier. Les conséquences de la spéculation immobilière touchent en première ligne les ménages les plus pauvres. Des responsabilités publiques… Le logement public a souvent une connotation négative, puisqu’il semble n’être destiné qu’aux plus pauvres. Il semble évident que les pouvoirs publics doivent étendre davantage l’offre sociale en logements pour les plus précarisés afin de répondre aux besoins d’abordabilité. Or, nous avons vu que la situation difficile d’habitat concerne aussi les revenus moyens. Le logement social seul ne peut pas constituer la réponse unique à la crise du logement. En effet, il ne pourra jamais absorber la demande croissante et d’autres alternative devront être proposés en vue de rendre le parc immobilier de nouveau plus accessible aux ménages bruxellois. C’est ainsi que le développement vers une politique du logement plus sociale nécessite un travail sur plusieurs niveaux: Le gouvernement bruxellois doit prévoir des structures juridiques pour promouvoir la mixité sociale et de nouveaux modes d’acquisition de biens immobiliers. En effet, des projets mixtes sont envisageables pour favoriser la cohésion sociale et réduire les différences entre les habitants. Nous avons vu que la crise ne touche pas seulement les plus pauvres, mais concerne aussi la classe moyenne. L’accès à la propriété doit se faire au-delà des formules classiques de la location et de l’achat individuel. Les coopératives de logements adoptent en l’occurence la formule d’achat collectif d’un bien pour le gérer en communauté. Les différents modes d’acquisition doivent ainsi être soumis à des conditions contractuelles. Celles-ci sont notamment liées à des critères d’admission selon différentes catégories de revenus ainsi qu’à des régulations de revente afin de diminuer le risque de la spéculation immobilière. Nele Aernouts estime que plus la commu44
Le Community Land Trust à Bruxelles
nauté profitant d’un même bien est grande, plus ce dernier devient public et social62. Suite au désinvestissement politique pour le parc social, ce dernier a subi une dégradation importante au cours des dernières décennies. 5 à 6 % de l’ensemble des logements sociaux restent ainsi inoccupés et nécessitent des travaux de rénovation. Le gouvernement a cependant repris presque la totalité de ces logements dans des plans d’investissement en 2013 et des crédits de rénovation alloués aux sociétés partenaires de manière plus rapides pour accélérer la réalisation des travaux. Les rénovations selon les nouvelles normes de performances énergétiques devraient ainsi alléger les factures de consommation des habitants. Malgré les loyers adaptés du logement social, les bâtiments considérés comme des « passoires énergétiques » ont souvent un impact financier très lourd sur le budget des locataires63. Poursuivre la production en logements publics constitue une des responsabilités primaires des pouvoirs publics afin d’étendre le parc social. A cet effet, le gouvernement vise une gestion publique de 15% en logements décents à caractère social avec la création de 42.000 nouveaux logements répartis sur l’ensemble des communes d’ici 2020. Le RBDH l’estime comme une volonté particulièrement ambitieuse64. Avec le Plan Régional du Logement introduit en 2005, la région a visé la création de 5000 nouveaux logements locatifs, dont 3500 étant des logements sociaux et 1500 des logements moyens. Cependant, après 10 ans, seulement 1500 logements ont été réalisés. La difficulté de trouver des terrains constructibles et le manque d’expertise des sociétés à gérer les chantiers sont entre autres les raisons pour avoir manqué l’objectif. Un second plan régional du logement a été présenté en 2013 avec l’Alliance Habitat, qui avait comme objectif la production de 3000 nouveaux logements sociaux et 1000 logements moyens65. Or, il est aussi important d’équilibrer le taux en logements sociaux par commune, variant pour l’instant de 3 à 20% d’une commune à l’autre, afin de supporter le même poids et renforcer la solidarité à travers le territoire66. 62 Aernouts, N.; Ryckewaert, M., ibid. op. cit., p. 19. 63 Aernouts, N.; Ryckewaert, M., ibid. op. cit., p. 52. 64 RBDH, « Baromètre du logement », ibid. op. cit., p.15. 65 RBDH, « Baromètre du logement », ibid. op. cit., p.10-11. 66 Bernard, N., « Les défis multiples du logement social bruxellois en 2012 », dans: A+ revue belge d’architecture, n° 237, août-septembre 2012, p. 53. 45
La crise du logement à Bruxelles
La région bruxelloise dispose avec le Fonds du Logement et l’organe de développement CityDev deux opérateurs importants et efficaces poursuivant les ambitions de la politique du logement. Le Fonds du Logement, propose des prêts hypothécaires à des taux avantageux aux ménages à faible revenus pour faciliter l’accès au logement. En outre, il a été chargé par les pouvoirs publics bruxellois de produire des logements acquisitifs afin de diversifier l’offre en logements et permettre davantage l’accès à la propriété pour les bas revenus. Les logements CityDev destinés aux revenus moyens visent à attirer et à maintenir la classe moyenne dans la capitale pour augmenter la mixitié sociale dans les quartiers. Les deux acteurs profitent d’une réduction de la TVA à 6% en tant qu’acteur de développeur de logements à caractère social, augmentant l’attractivité de cette offre67. La région semble très ambitieuse en débloquant de nombreux fonds afin de poursuivre la production de logements à Bruxelles. Les autorités proposent en l’occurence des subventions pour la construction de logements sociaux et de logements moyens, réduisant les coûts de construction de 50%, respectivement (33%)68. Finalement, la région doit viser la croissance de son patrimoine foncier pour contribuer au développement de l’habitat à Bruxelles. En effet, des capacités financières suffisantes ne vont pas accélérer la production de logements, puisque la difficulté de trouver des terrains constructibles à Bruxelles persiste. Il est souhaitable de s’attaquer à la gestion de la propriété du sol pour combattre la spéculation immobilière privée. Avec une réserve foncière publique très limitée, les pouvoirs publics devraient considérer d’autres ressources pour acquérir des terrains destinés à la construction de nouveaux logements publics. Les immeubles d’habitations vides pourraient constituer un départ en réquisitionnant une partie pour augmenter l’accessibilité du parc immobilier. Enfin, des modes alternatifs d’acquisition de terrains à travers des collaborations avec les communes (contrats de quartiers) ou des particuliers (dons) permettraient de gagner des terrains supplémentaires69.
67 RBDH, « Baromètre du logement », ibid. op. cit., p. 17-18. 68 RBDH, « Produire des logements sociaux aujourd’hui et demain », dans Art. 23, n° 58, 2014, p. 6. 69 RBDH, 2014, ibid. op. cit., p. 8. 46
Le Community Land Trust à Bruxelles
Le développement urbain nécessite un nouveau rapport de forces favorisant le dialogue entre les différents acteurs. Le regroupement des acteurs publiques, des acteurs locaux et des habitants donnerait lieu au débat pour rendre le logement public vraiment social. Une démarche de coproduction donnerait plus de crédibilité à la politique du logement bruxelloise. Le partage des ressources foncières, financières et d’expertise évoque notamment la notion des communs et la de participation citoyenne. Bruxelles connaît désormais déjà des expériences de coproduction et de participation, notamment avec la naissance du premier Community Land Trust, que nous développerons davantage dans les parties suivantes. … mais aussi responsabilités architecturales Les remèdes à la crise du logement proposés par les pouvoirs publics s’expriment notamment par des réponses architecturales. Quel est le rôle de l’architecte dans la production de logements publics? Nous avons vu que la plupart des architectes se contentent de répondre à la demande d’un maître d’ouvrage sans la remettre en question. L’architecte a cependant le pouvoir de créer des choses, mais aussi celui de pouvoir négocier avec les différents acteurs. L’architecture des logements publics est soumise à des critères d’abordabilité, de qualité, de durabilité et d’efficacité. L’abordabilité d’un projet se mesure notamment par le prix final de la construction ainsi que par les charges supplémentaires nécessaires au fonctionnement du bâtiment. Le coût peut néanmoins être réduit par un choix en matériaux économiques, la réduction du temps de chantier par des techniques avantageuses comme des éléments préfabriqués ou bien encore l’optimisation de la performance énergétique d’un immeuble. Construire un bâtiment qui résiste dans le temps est essentiel. La qualité d’un projet se définit aussi par le choix de matériaux et équipements qualitatifs. Néanmoins, la gestion et la maintenance d’un bâtiment contribuent énormément à la durabilité à long terme. Les habitants sont souvent en manque de connaissances pour comprendre le fonctionnement technique de leur logement. L’architecte pourrait y contribuer en informant les usagers de la bonne utilisation des équipements présents dans leur habitation. La durabilité d’une réalisation s’exprime aussi par une variété typologique des unités d’habitation et une certaine flexibilité des espaces, notamment par la création des espaces polyvalents permettant des usages multiples. Ils peuvent con47
La crise du logement à Bruxelles
tribuer à renforcer les liens sociaux dans le quartier. Enfin, l’efficacité se mesure par le temps nécessaire de la conception jusqu’à la réalisation des projets. La demande du permis d’urbanisme peut cependant être longue et fastidieuse, ralentissant la production des logements. L’architecte est donc en possession de nombreux outils pour contribuer au développement futur des logements publics.
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PARTIE
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Le foncier comme bien commun
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Nous venons de voir à travers l’analyse de la crise du logement à Bruxelles et l’historique des stratégies d’habitat poursuivies depuis le début du siècle précédent, que la source profonde de diverses crises de logement réside principalement dans la spéculation immobilière qui est liée à la gestion de la propriété du sol. Une politique du logement favorisant l’accès à la propriété pour les revenus moyens est la cause pour l’injustice et l’inégalité qui concernent notamment les plus pauvres. L’expérience des cités-jardins à Bruxelles compte cependant parmi les développements d’habitat les plus qualitatifs de l’évolution du logement public. Basé sur le principe de la collectivisation de la propriété du sol, le modèle imaginé par Ebenezer Howard la veille du 20ème siècle visait la lutte contre la spéculation immobilière. Déjà à l’époque, la gestion égoïste du foncier a été perçue comme la source de toute inégalité. Aujourd’hui, nous assistons à la renaissance de ce principe de propriété collective par le biais des biens communs. Le partage et la gestion démocratisée des ressources essentielles à la vie par une communauté mènent à une nouvelle forme de gouvernance au sein des différentes sociétés. Cette partie a comme objectif d’explorer le foncier comme bien commun à travers diverses théories concernant la gestion du sol. Nous explorerons par la suite les structures juridiques qui ont mené à des expériences de collectivisation du foncier en Belgique et dans la région de la capitale pour donner naissance au premier Community Land Trust européen à Bruxelles.
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1. Les communs Les ressources vitales de notre environnement deviennent de plus en plus rares et subissent des dégradations considérables. Certains types de biens comme l’eau, l’air, la terre ou les semences devraient être accessibles librement pour l’ensemble de l’humanité. Il s’agit de biens communs, qui constituent un patrimoine pour l’ensemble des hommes. Ces biens ne peuvent pas être saisis par une personne privée ou morale et doivent être exploitables de manière perpétuelle par tout le monde. Or, ce n’est malheureusement pas toujours le cas et le développement des sociétés a évolué vers une logique de dépossession de ressources primaires au bénéfice de certains individus. Ce phénomène remonte jusqu’au Moyen-Âge avec la privatisation des terres agricoles par les seigneurs. Le sol comme bien commun devient ainsi un générateur de plus-value monétaire, visant l’accumulation d’un capital. Les biens communs se distinguent d’autres biens, comme le pétrole ou le gaz, qui nécessitent un travail sous forme d’énergie pour leur production et qui ne sont pas forcément essentiels à la vie70. L’émergence de nouvelles pratiques autour de biens communs ou de communs au début de ce 21ème siècle vise à proposer des alternatives au dogme libéral construit sur la propriété publique et la propriété privée. La pratique des communs s’interroge sur des aspects liés à la propriété des biens et constitue une voie intéressante pour déborder du cadre classique de la propriété. Pour la concrétisation d’un modèle pareil, des structures juridiques solides sont nécessaires pour garantir le bon fonctionnement71. Le principe du commun est organisé autour d’une ressource partagée devenant une propriété collective, de l’octroi de droits d’usage et d’un mode de gouvernance propre à la communauté72. En effet, le commoning regroupe un certain nombre d’individus poursuivant les mêmes intérêts autour d’une ressource qu’ils possèdent collectivement et qu’ils tendent à promouvoir, préserver et exploiter ensemble. Il ne s’agit pas d’une politique ou d’une philosophie idéaliste, mais bien d’une simple volonté d’un groupe d’individus, prêts à gérer un bien commun, qu’il soit une ressource naturelle ou intellectuelle, de manière collective et perpétuelle 70 IEB, « Le champs des communs », Bruxelles en mouvements, n°279, 2015, p. 2. 71 IEB, « Le champs des communs », Bruxelles en mouvements, n°279, 2015, p. 17. 72 Coriat, B., « Le retour des communs », dans Revue de la régulation, n°14, automne 2013. 51
Le foncier comme bien commun
pour le bénéfice de la communauté73. Le discours autour des communs a émergé progressivement depuis le début du 21ème siècle résultant de luttes démocratiques et de divers mouvements sociaux s’opposant à l’idéologie politique libérale et s’engageant pour plus d’émancipation. De nouveaux groupes militants et intellectuels se forment pour critiquer la gestion des ressources naturelles, des espaces publics et d’autres propriétés par le capital74. Avant l’essor du libre-marché et de la globalisation, la responsabilité de la distribution de l’énergie et de l’eau, des transports publics, des médias, de l’éducation et de la santé ainsi que celle du logement appartenaient à l’État. Brigitte Kratzwald, activiste autrichienne défendant les communs, constate que la notion du « public » est apparue dans un contexte où ces ressources étaient assurées et distribuées par l’État-Providence. Or, Kratzwald estime que les citoyens doivent pouvoir s’engager dans la gestion des ressources pour qu’elles deviennent réellement « publiques ».75 La gouvernance dans l’intérêt général de la communauté introduit ainsi des notions de participation et d’inclusion sociale. La pratique des communs s’avère comme un lieu d’apprentissage et d’autonomisation de la communauté. Certains auteurs parlent d’empowerment, l’acquisition d’une capacité d’agir au bénéfice des autres membres de la communauté. En abdandonnant une gestion pyramidale, la gouvernance démocratique horizontale permet de nouveaux types d’interaction dans un esprit de coproduction pour atteindre un nouveau degré de « publicité » des biens communs76.
73 IEB, « Le champs des communs », Bruxelles en mouvements, n°279, 2015, p. 17. 74 Dardot, P., Laval, C., « Commun. Essai sur la révolution au XXIe siècle », Éditions La Découverte, Paris, 2015, p. 55. 75 Kratzwald, B., « Commons und das Öffentliche. Wem Gehören öffentliche Dienstleistungen? », dans Commons - Für eine neue Politik jenseits von Markt und Staat, Transcript Verlag, 2012. 76 Aernouts, N.; Ryckewaert, M., 2015, ibid. op. cit., p. 18. 52
Le Community Land Trust à Bruxelles
[11] Les trois aimants regroupant le meilleur de la campagne et de la ville
[12] Le diagramme des citĂŠs-jardins imaginĂŠe par E. Howard 53
Le foncier comme bien commun
2. Questionnement sur la propriété et la valeur foncière Les communs gagnent de plus en plus en importance dans les discours politiques récents et couvrent de nombreux domaines. Dans les paragraphes suivants, nous nous intéresserons à la question du foncier comme bien commun à travers différentes théories et structures juridiques qui préconisent la collectivisation de la propriété du sol pour s’attaquer à la spéculation immobilière. En effet, l’idée de posséder le sol collectivement et de récupérer la plus-value au bénéfice d’une plus large communauté avait déjà été énoncée à la fin du 19ème siècle à travers les théories de Henry George et John Stuart Mill ainsi que par le modèle de la cité-jardin, premièrement introduit par Ebenezer Howard en 1898. Henry George et John Stuart Mill pour une redistribution de la plus-value sociétale L’auteur et politicien américain Henry George ainsi que le philosophe et penseur d’économie politique britannique John Stuart Mill avaient déjà constaté à l’époque qu’une gestion foncière favorisant l’enrichissement de certains individus était source d’injustice et d’exclusion sociale. George avait des difficultés à comprendre que la plus-value d’un terrain puisse augmenter sans aucun travail ou investissement de la part du propriétaire. En effet, ce dernier pouvait profiter de la croissance et du développement gratuits de l’environnement dans lequel se situait son terrain pour générer une plus-value afin d’augmenter son capital. Les grands entrepreneurs de l’époque visaient un profit maximal en augmentant le prix de vente ou des loyers de leurs biens. Stuart Mill nomma la valeur du développement d’une communauté « la plus-value sociétale », puisqu’elle résulte du travail d’un ensemble d’individus et non pas de personnes individuelles. Henry George proposa ainsi d’introduire une taxe unique qui permette au gouvernement de récupérer la totalité de la plus-value sociétale, engendrée par le développement du quartier ou de la ville pour la redistribuer ensuite aux citoyens de la communauté sous forme d’investissements publics pour des nouvelles infrastructures, l’éducation ou d’autres services. Selon George, il était important de s’attaquer aux propriétaires « parasites » en reformulant
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[13] Diagramme de fonctionnement d’une coopÊrative 55
Le foncier comme bien commun
l’idée de la propriété du sol pour le bien d’une communauté entière77. Ebenezer Howard et le modèle des cités-jardins L’urbaniste britannique aux convictions sociales, Ebenezer Howard, poursuivit une voie similaire à celle de George et Mill en proposant le modèle des cités-jardins en 1898 à travers son ouvrage « Tomorrow. A peaceful path to real reform ». L’objectif primaire était de soulager les grandes villes croissantes comme Londres en redistribuant une partie de la population dans des « villes satellites » autonomes autour des centres urbains. Ces cités vertes à faible densité imaginées pour 32.000 habitants sur 2.400 hectares figuraient comme hybrides en proposant le « meilleur de la ville et de la campagne », ce que Howard appelait les trois aimants. La spécificité de ce modèle était de construire des habitations et des équipements sur des terrains loués, dont le propriétaire serait une personne loyale au sein de la fiducie agissant dans l’intérêt général de la collectivité. Tout comme Henry George, Howard se basait sur le principe de récupérer la plus-value sociétale en la redistribuant à la communauté afin de pouvoir financer toute amélioration future. Contrairement à la taxe unique proposée par George, une gestion du foncier de la part de la municipalité devrait garantir le verrouillage perpétuel de la plus-value au sein de la collectivité. Parmi les nombreuses cités-jardins développées en GrandeBretagne au cours du 20ème siècle, celle de Letchworth, conçue en 1903 par les urbanistes Raymond Unwin et Barry Parker, et celle de Welwyn, élaborée par Louis de Soisson en 1920, reprennent au mieux les idées de base exprimées par Ebenezer Howard78. Nous avons pu voir dans la partie précédente, que le modèle des cités-jardins a pu se développer en Belgique, et notamment à Bruxelles. Les cités d’habitations bon-marché, élaborées au lendemain de la Première Guerre Mondiale, étaient en fait les premières sociétés coopératives de logements qui visaient la collectivisation de la propriété en voulant s’attaquer à la spéculation immobilière. La structure juridique de la société coopérative a pu fleurir à travers diverses expériences d’habitation en Belgique. 77 Davis, J., « Manuel d’antispéculation immobilière. Une introduction aux fiducies foncières communautaires. », Les Editions Ecosociété, Montréal, 2014, p. 20-21. 78 Davis, J., ibid. op. cit., p. 22. 56
Le Community Land Trust à Bruxelles
3. La coopérative pour une collectivisation de la propriété Définition et caractéristiques Une coopérative est une société qui regroupe plusieurs associés et dont le nombre et les apports financiers sont variables79. Il s’agit en effet d’une structure juridique qui vise la propriété collective en réunissant les capitaux des ses membres. Ces derniers se rassemblent autour d’une même problématique qui concerne l’ensemble du groupe. La formule de la coopérative a été inscrite pour la première fois dans le volet des sociétés commerciales par la loi du 18 mai 1873. La société coopérative a un statut neutre et peut en effet agir dans un but social, idéologique, politique, humanitaire, culturel ou autre. Cependant, elle ne peut pas prévoir des activités purement commerciales80. La gestion démocratique de la société coopérative représente une des spécificités de cette formule juridique. La gouvernance égalitaire d’une coopérative se présente d’une part par la participation à la prise de décisions des coopérateurs. En effet, ces derniers possèdent un droit de vote lors des assemblées générales. Le poids de leur voix est calculé en fonction des parts acquises au sein de la coopérative, aussi appelées les quotes-parts. D’autre part, les sociétés coopératives visent la redistribution d’éventuels bénéfices au sein de la communauté. Cette dernière conteste toute forme d’enrichissement individuel. C’est ainsi que chaque coopérateur doit accepter qu’il ne puisse partir qu’avec un bénéfice minimal et que le reste soit réinvesti pour des améliorations au sein de la coopérative. En outre, les investisseurs extérieurs ne sont pas admis et la société agit en autogestion avec ses propres capitaux81. À la base, l’objectif primaire du modèle coopératif n’est pas social. Cependant, la participation des individus est un aspect très important dans l’idée de certains types de coopératives afin de défendre les intérêts de la collectivité. Dans le cas d’une coopérative de logements, les habitants 79 Source: Art. 350 du Code des sociétés, 7 mai 1999. 80 Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., « Coopératives de logement et Community Land Trusts », dans Courrier hebdomadaire du CRISP, n°2073, 2010, p. 11. 81 Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., ibid. op. cit., p. 10. 57
Le foncier comme bien commun
peuvent par exemple poursuivre la mutualisation des coûts énergétiques ou se répartir toute sorte de frais de fonctionnement afin de rendre les habitations financièrement plus accessibles à tous les coopérateurs. En outre, les parties communes d’un immeuble sont définies et discutées par la collectivité à travers les assemblées générales, tandis que pour les parties privatives, les habitants sont parfois tenus d’achever et de meubler individuellement leur appartement. Il est à noter que chaque société coopérative définit ses propres statuts82. Les expériences de coopératives en région bruxelloise Le modèle des sociétés coopératives connaît beaucoup de succès dans d’autres pays européens et est en train de reparaître sur le territoire belge en vue de faciliter l’accès à certaines ressources essentielles à la vie quotidienne. Dans les paragraphes suivants, nous explorerons différentes expériences de coopératives à Bruxelles qui se préoccupent des questions liées au foncier et à l’habitat en vue de limiter la spéculation immobilière. La première forme de logements coopératifs en Belgique, et principalement à Bruxelles, était inspirée du modèle des cités-jardins britanniques imaginé par Ebenezer Howard en 1898. Le mouvement des coopératives des cités-jardins à Bruxelles était en plein essor au début des années 1920. Les cités-jardins de Kapelleveld, Le Logis, Le Floréal comptent parmi les réalisations les plus connues. Les habitations étaient implantées dans un environnement naturel de la périphérie verte de Bruxelles, où le coût du foncier était moindre qu’en plein centre. Des terrains moins chers et des techniques de construction innovantes et moins coûteuses ont permis de rendre les logements financièrement accessibles à la classe ouvrière. Les cités-jardins étaient caractérisées par une gestion collective des terrains de la part des coopérateurs, qui étaient ainsi impliqués dans la prise de décisions. Les logements ont par la suite été loués aux membres de la coopérative. Les maisonnettes disposaient d’un jardin privatif, ce qui augmentait considérablement la qualité de vie des occupants, contrairement aux premières habitations ouvrières. De plus, les citésjardins étaient pourvues d’équipements collectifs comme des écoles, des magasins, des salles de réunion, des centres sportifs, des bibliothèque et d’autres. Le nombre d’infrastructures variait en fonction de la taille de la 82
Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., ibid. op. cit., p. 18-19. 58
Le Community Land Trust à Bruxelles
coopérative. Le mouvement des cités-jardins à Bruxelles était un succès dans la mesure où les coopérateurs avaient dès le début déclaré leur volonté de s’attaquer à la spéculation immobilière. En effet, ils avaient très vite compris que la source des inégalités concernant le logement était une gestion foncière injuste et égoïste de la part de quelques entrepreneurs83. Aujourd’hui, les quelques cités-jardins existantes sont gérées par des coopératives de logement qui sont adhérentes à la Fédération des Sociétés Coopératives de Logements à Bruxelles (FESOCOLAB). Cette dernière s’engage dans la lutte contre la spéculation immobilière en défendant les intérêts des locataires, membres des coopératives de logements. L’objectif primaire de FESOCOLAB est de faciliter l’accès à la propriété pour des ménages à revenus moyens par le biais de projets de rénovation et grâce à des prêts hypothécaires à taux avantageux84. Terre-en-vue s’organise autour d’une association sans but lucratif et d’une société coopérative à finalité sociale. Cette dernière poursuit l’achat d’un terrain afin de générer des bénéfices sociaux, environnementaux et humains. L’objectif primaire de Terre-en-vue est d’acquérir des terres agricoles productrices afin de les traiter comme un bien commun. Le foncier sera ainsi soustrait de toute volonté spéculative, de « modes d’agriculture destructrice » et de la propriété privée. La coopérative cède ainsi ses terres à des agriculteurs qui pourront par la suite développer des projets agricoles respectueux de l’environnement. Terre-en-vue tend à détenir les terres de manière perpétuelle au bénéfice de la communauté85. Le modèle coopératif gagne de plus en plus en importance dans le développement de logements à caractère social à Bruxelles. LivingStones est une société coopérative à responsabilité limitée dont l’objectif principal est de mettre des logements financièrement abordables et de qualité sur le marché immobilier pour les rendre plus accessibles à des familles à revenus modestes. La société coopérative a été fondée par trois Agences Immobilières Sociales (AIS) qui visent à socialiser le parc immobilier. L’apport des capitaux est assuré par des institutions et des personnes privées qui achètent leurs parts au sein de la coopérative. Cette dernière 83 Smets, M., « L’avènement de la cité-jardin en Belgique: histoire de l’habitat social en Belgique de 1830 à 1930 », Liège, Pierre Mardaga Editions, 1977. 84 RBDH, « Le logement coopératif: une nouvelle vie », Art. 23, n° 37, Bruxelles, 2009, p. 34. 85 Source: Terre-en-vue, http://www.terre-en-vue.be, consulté le 07 août 2016. 59
Le foncier comme bien commun
est continuellement à la recherche d’immeubles à rénover qui pourront être loués à des foyers à bas revenus. À cet effet, la coopérative s’adresse au second volet des contrats de quartiers durables qui permet d’acquérir des biens immobiliers à des prix plus avantageux. En outre, les projets peuvent bénéficier de primes pour la rénovation des immeubles, si le bien appartient à une AIS. Pour rendre les logements financièrement abordables, des subsides de la part de la région sont indispensables. Comme une société coopérative peut que très difficilement accéder à des subventions publiques, LivingStones crée des associations sans but lucratif indépendantes pour ses projets afin de capter cette aide financière. Le projet Helmet à Schaerbeek se caractérise par un mode particulier d’acquisition du terrain. Entre autre que le subside public, LivingStones s’est vu attribuer le terrain de la commune de Schaerbeek par le biais d’un droit de superficie. Ce mécanisme juridique, similaire au droit d’emphytéose, permet une dissociation de la propriété du sol de la propriété d’un immeuble. Dans le cas de Helmet, la commune de Schaerbeek reste propriétaire du terrain, tandis qu’elle octroie un droit d’usage à la coopérative qui est propriétaire du bâtiment et qui loue les logements aux familles86.
86 RBDH, « Le logement coopératif: une nouvelle vie », Art. 23, n° 37, Bruxelles, 2009, p. 45-46. 60
Le Community Land Trust à Bruxelles
4. La superficie et l’emphytéose pour des nouveaux rapports au sol Le droit d’emphytéose et le droit de superficie sont deux droits concernant la relation à la propriété du foncier qui sont en train de renaître dans certains montages de projets de logements bruxellois. Ces deux outils juridiques, introduits par la loi du 10 janvier 1824, semblent rouillés et moqués. Cependant ils pourraient constituer un instrument important dans les questions concernant la gestion foncière contrôlée et en vue de s’attaquer à la spéculation immobilière dans les développements urbains récents. Le droit de superficie Le droit de superficie, ou simplement superficie, est défini étant « un droit réel, qui consiste à avoir des bâtiments, ouvrages ou plantations sur un fonds appartenant à autrui »87. Il se porte en effet uniquement sur le foncier. Le tréfoncier (propriétaire du terrain) octroie au superficiaire (bénéficiaire du droit de superficie) le droit d’usage de son fonds, traditionnellement vierge de toute construction, pour y ériger des ouvrages construits. Le superficiaire bénéficie de tous les droits d’un propriétaire ordinaire. Le droit de superficie est un droit réel temporaire limité à une durée maximale de 50 ans. Le terme peut cependant être renouvelé de manière infinie. Ce droit propose des avantages financiers pour le superficiaire. En effet, ce dernier doit payer que 0,2% de la valeur du foncier en terme de droits d’enregistrement lors de la convention du droit de superficie, contrairement à 12,5% lors d’une transaction habituelle d’un bien immobilier. Au moment de l’extinction du droit, le tréfoncier accède à la propriété des immeubles construits sur son terrain par accession en payant des indemnités au superficiaire pour la valeur des biens88.
87 Article 1er de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de superficie. 88 Bernard, N., « Éléments de droit des biens », Anthemis, Bruxelles, 2013, p. 373-375. 61
Le foncier comme bien commun
Le droit de l’emphytéose L’emphytéose est « un droit réel, qui consiste à avoir la pleine jouissance d’un immeuble appartenant à autrui, sous la condition de lui payer une redevance annuelle, soit en argent, soit en nature, en reconnaissance de son droit de propriété »89. Le droit de l’emphytéose ne se porte pas uniquement sur le foncier, mais couvre aussi tout bâtiment construit. Le bailleur emphytéotique (propriétaire du terrain ou de l’immeuble) cède un droit d’usage du bien à l’emphytéote (bénéficiaire du droit) qui peut en jouir comme s’il était propriétaire. L’emphytéose est aussi un droit réel temporaire, mais contrairement à la superficie, la durée du bail emphytéotique varie entre 27 et 99 ans. L’emphytéote peut ériger des immeubles sur le terrain loué ou détruire ceux qui y existent. Il peut ainsi vendre, louer ou hypothéquer un bien immobilier construit pendant toute la durée du bail. Contrairement à la superficie, après l’extinction de l’emphytéose, le bailleur propriétaire récupère tous les ouvrages construits sur son terrain pendant la période du bail sans aucune indemnisation pour le constructeur. Celui-ci doit céder volontairement tous ses investissements. De la même manière que pour la superficie, l’emphytéote a droit à l’avantage fiscal de 0,2% pour le droit d’enregistrement au lieu de 12,5%. Cependant, il doit payer des redevances annuelles, appelées canon, au propriétaire pour pouvoir bénéficier du droit. Le montant du canon est calculé en fonction de la valeur du terrain et de la durée du bail emphytéotique. Les différences entre ces deux mécanismes juridiques La superficie et l’emphytéose sont très similaires, mais il y a cependant des différences entre ces deux outils juridiques. La superficie s’applique pour une durée maximale de 50 ans, tandis que le terme pour l’emphytéose varie de 27 à 99 ans au maximum. Outre que le foncier, l’emphytéose porte aussi sur des biens immobiliers construits, contrairement au droit de superficie. Ce dernier est cependant un droit réel « gratuit » tandis que l’emphytéose exige des canons sous forme de redevances annuelles en fonction de la durée du bail et du prix du foncier. À l’extinction du droit de l’emphytéose, le propriétaire récupère tous les ouvrages construits sur son 89
Article 1er, alinéa 1er, de la loi du 10 janvier 1824 sur le droit de l’emphytéose. 62
Le Community Land Trust à Bruxelles
terrain par cession, tandis que pour la superficie le tréfoncier doit payer des indemnités au superficiaire afin d’accéder aux immeubles construits sur son fonds. La superficie et l’emphytéose pour des logements plus abordables Ces deux outils juridiques semblent très intéressants en vue de rendre les logements plus abordables. Le prix d’achat d’un immeuble ou d’un logement diminue de manière considérable, puisque la valeur du foncier est soustraite du prix et l’acquéreur n’a qu’à payer l’habitation. De plus, l’acheteur d’un appartement bénéficie de l’avantage de 0,2% pour le droit d’enregistrement de son bien au lieu de 12,5% pour une transaction de bien classique. Le droit de superficie permet ainsi au superficiaire de vendre ou de louer son appartement pendant toute la période restante avant l’extinction du droit, ce qui n’est pas faisable dans la location par exemple. Cependant, le propriétaire du bien construit est tenu à entretenir son logement qui se trouve sur le foncier d’autrui en bon père de famille afin d’éviter toute dégradation de l’immeuble ou du terrain90. La superficie et l’emphytéose permettraient aux communes et à d’autres développeurs de logements sociaux ou moyens de céder le droit d’usage de leurs terrains à des futurs propriétaires d’habitation tout en restant propriétaire du foncier à long terme. Nous avons vu à travers l’exemple des logements CityDev que les habitations ne restent plus abordables au-delà de la première revente, puisque la maîtrise foncière n’est pas régulée. Or, le droit de superficie permettrait à la société de rester propriétaire du terrain et de lutter ainsi contre la spéculation immobilière. Vente de logements par la commune d’Etterbeek via la superficie C’était dans le contexte de la crise du logement en 2007 que la commune bruxelloise d’Etterbeek avait mis en vente des appartements à l’aide de la régie foncière et sous le mode du droit de superficie. L’intérêt pour acheter ces appartements était énorme. De nombreux candidats acheteurs avaient fait la file devant l’hôtel de ville en espérant décrocher un de ces logements. La grande affluence s’explique par le fait que le 90 RBDH, « Le logement coopératif: une nouvelle vie », Art. 23, n° 37, Bruxelles, 2009, p. 42. 63
Le foncier comme bien commun
droit de superficie permet aux acheteurs d’accéder à la propriété à un prix considérablement diminué, puisque la valeur du terrain est soustraite du prix d’achat de l’appartement. De plus, les nouveaux propriétaires sont épargnés des 12,5% dus au droit d’enregistrement et ne doivent payer que 0,2%. Les acheteurs deviennent ainsi propriétaires des logements tandis que la commune d’Etterbeek reste propriétaire des terrains. Par ailleurs, à l’extinction du droit, elle pourra récupérer ses biens par droit de préemption. Il est à noter que la formule appliquée par la commune d’Etterbeek ne correspond pas à l’idée de base du droit de superficie qui consiste à fournir un terrain vierge sans aucune construction. Or, le fonds de la commune avait déjà été bâti et elle vendait des appartements clé sur porte. L’accès à la propriété se fait donc à un prix abordable, mais reste intéressant que pour les revenus moyens, puisque la commune n’a pas considéré de vendre ses biens à des ménages à faibles revenus91. Chaque commune dispose d’un patrimoine d’habitations qu’on appelle les logements en régie locale. Il est intéressant que la commune ait mis ses logements en vente, alors qu’elle aurait pu percevoir des revenus plus élevés avec une mise en location, explique Nicolas Bernard. La taille du parc immobilier varie d’une commune à l’autre. Mettre les biens en vente via la superficie était un choix politique en vue de rendre les logements plus abordables pour une certaine partie de la population92.
91 Bernard, N., 2013, ibid. op. cit., p. 398-403. 92 Bernard, N., interviewé le 02 mars 2016. 64
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[14] Le projet l’Espoir est né d’une démarche participative
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5. L’Espoir Le projet l’Espoir est un projet d’habitat participatif composé de 14 logements passifs réalisé et achevé par l’architecte Damien Carnoy en 2010 dans la Rue Fin à Molenbeek-Saint-Jean. Les premières idées pour le projet ont été discutées en 2003 dans le cadre de la crise du logement à Bruxelles en voulant proposer des logements acquisitifs abordables et de qualité pour des familles mal logées à bas revenus. Le montage en-soi du projet est très particulier, puisqu’il vise à diminuer le prix d’achat des logements au maximum. Le projet est né d’un travail associatif dans le quartier de Molenbeek grâce à la Maison de Quartier Bonnevie et au CIRÉ (Coordination et Initiative pour Réfugiés et Étrangers). Les deux associations travaillaient avec des ménages issus de l’immigration qui avaient des difficultés à se loger décemment dans la capitale. L’accompagnement des familles dans leurs projets de logement constitue une des priorités de ces deux structures. Le but principal était de réaliser un projet d’habitations abordables et décentes en collaboration avec les futurs occupants. À cet effet, le groupe a fondé l’association sans but lucratif « l’Espoir » autour d’une épargne collective solidaire, une formule proposée par le CIRÉ, constituant la base financière du projet. Ce dernier est caractérisé par une démarche participative qui est mise en avant afin de pouvoir déterminer les besoins réels des futurs occupants. Pour pouvoir financer et réaliser le projet, Bonnevie et le CIRÉ se sont adressés au Fonds du Logement Bruxellois. Ce dernier s’est déclaré maître d’ouvrage du projet et pouvait allouer des prêts hypothécaires à taux avantageux aux familles à revenus modestes voulant acheter un appartement. Le Fonds du Logement a pu acquérir un terrain par le biais du second volet des contrats de quartiers durables, qui permet à des opérateurs immobiliers d’acheter un terrain ou un immeuble à un prix avantageux dans le cadre de la réhabilitation d’un quartier. Un terrain d’un peu plus de 1000m2 a pu être acquis au prix de 60.000 euros, représentant un quart du prix estimé sur le marché. Les prêts hypothécaires, que les familles rembourseront au fur et à mesure et en fonction de leurs capacités financières, ainsi que l’épargne collective solidaire constituent une base solide pour le financement du projet. Par ailleurs, l’association des habitants a pu bénéficier de subsides de la part du Ministère de la Politique Fédérale des Grandes Villes pour la 66
Le Community Land Trust à Bruxelles
construction de logements à caractère social ainsi que d’une prime pour la construction passive d’un montant de 100 €/m2. Finalement, le Fonds de Logement en tant que développeur de logements sociaux acquisitifs ou locatifs a pu construire avec une TVA de 6% applicable au lieu de 21%. Les différentes sources de financement ont pu considérablement réduire le coût final des logements, facilitant l’accès à la propriété pour des familles à faibles revenus. Le projet a cependant montré, que l’abordabilité des logements était possible que grâce à des subsides publics93. Le Community Land Trust pour une abordabilité à long terme Le montage du projet autour d’une gestion participative semble très intéressant, mais l’Espoir ne pourra pas garantir une abordabilité à long terme avec sa structure juridique existante. En effet, le projet reste une simple copropriété des habitants. Le Fonds du Logement a vendu aux familles non seulement le logement, mais aussi le terrain sur lequel il est construit. Une fois que les familles décident de vendre leur appartement, ils repartiront avec la plus-value générée par le marché et le logement ne sera plus abordable pour le prochain acquéreur. Il fallait trouver une formule pour garantir l’abordabilité financière à long terme des habitations en possédant un cadre de vente davantage régulé. La Maison de Quartier Bonnevie et le CIRÉ se sont ainsi rapidement intéressés au modèle de la propriété collective des Community Land Trusts (CLT). Il s’agit d’une formule qui est basée sur l’acquisition foncière en vue de la gérer comme bien commun et de la détenir de manière perpétuelle au sein de la communauté. En outre, le modèle reprend l’idée de Henry George et John Stuart Mill à propos du verrouillage permanent de la plus-value au sein du projet. Sur base de ces principes, le premier Community Land Trust européen a été créé à Bruxelles (CLTB) en 2010 en vue d’assurer une abordabilité à long terme de la formule proposée pour l’Espoir. Dans les parties suivantes, nous analyserons en détail le modèle des Community Land Trusts et le cas de Bruxelles. Nous nous intéresserons spécialement au projet l’Espoir, le projet prototype du CLTB, en s’interrogeant sur son mode de fonctionnement, son architecture et la participation des habitants dans le cadre de la réalisation de nouveaux projets par le CLTB. 93 De Pauw, G., « Le projet l’Espoir, rue Fin à Molenbeek », dans Art. 23, n° 37, RBDH, Bruxelles, 2009, p. 27-30. 67
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Les Community Land Trusts et le cas de Bruxelles
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[15] Diagramme sur le fonctionnement d’un CLT 70
Le Community Land Trust Ă Bruxelles
1. Les Community Land Trusts Définitions et préoccupations Le Community Land Trust (CLT) est un modèle de propriété collective, émergé des États-Unis à la fin des années 1960, qui se préoccupe en première ligne justement des questions liées à la maîtrise foncière. Le CLT dans le contexte de Bruxelles est défini comme un organisme sans but lucratif, qui propose d’acquérir, de posséder, de gérer, et de développer des terrains, en partenariat avec la communauté et à son profit. La mission primaire du trust est de créer sur ces terrains des logements abordables destinés à un public composé prioritairement de ménages à faibles revenus. Afin de garantir une abordabilité à long terme pour les générations futures, le CLT fait usage d’un mécanisme juridique permettant de séparer la propriété du sol de la propriété du bâti. De plus, la vente d’un logement est régulée dans un cadre légal, redistribuant la plus-value au bénéfice de la communauté. Outre que des habitations, le CLT peut concevoir d’autres équipements publics, destinés eux aussi à la communauté. Finalement, le trust détiendra la propriété des terrains de manière perpétuelle au bénéfice de ses membres94. Du point de vue terminologique, la notion de Community Land Trust peut être traduite en Fiducie Foncière Communautaire, l’équivalant français. Nous allons cependant nous référer dans la suite au terme original, puisqu’il a été adopté en tant que tel dans les pays de son expansion. La structure est composée selon trois valeurs: Community. Le CLT agit au sens large et au bénéfice de la communauté. Cette dernière représente le territoire d’affectation de la structure. Dans le cas de Bruxelles, il s’agit d’un CLT urbain qui intervient à l’échelle de la région et du quartier. La communauté n’est pas seulement composée des habitants des logements, ainsi que de toute autre personne intéressée par le CLT. C’est ainsi que l’organisme est construit autour d’une démocratie tripartite, représentée par les habitants eux-mêmes, les personnes sympathisantes du territoire ou du quartier et finalement les pouvoirs publics. Chaque entité détient la même pondération de vote lors des assemblées. 94 Étude de faisablité des Community Land Trust dans la Région de Bruxelles Capitale, Rapport final, Juillet 2012, p. 8. 71
Les Community Land Trusts et le cas de Bruxelles
Land. Le foncier est perçu comme un bien commun appartenant à la communauté du CLT. Ce dernier restera propriétaire à vie des terrains, qui ne pourront pas être achetés ou vendus. Ils sont retirés du marché de manière perpétuelle afin de servir la communauté et de combattre les volontés spéculatives. Cependant, ces terrains pourront être utilisés pour y ériger toute construction ou pour une finalité agricole, le CLT cédant un droit emphytéotique ou de superficie définissant l’usage du foncier95. Trust. Le terme de trust fait référence à un contrat de confiance entre les membres et les délégués de la communauté. Ces derniers ont la responsabilité de veiller à ce que les intérêts des habitants, mais aussi ceux de la communauté, soient toujours respectés. A cet effet, un cadre légal définit la propriété du sol et toutes conditions qui y sont liées. Les trustees doivent assurer que la communauté détient la propriété du sol de manière perpétuelle et que ce dernier soit protégé d’une dégradation éventuelle.
2. Origines et développement Les Community Land Trusts trouvent leurs origines dans des théories et des projets de logements utopiques du 18e et 19e siècle, que nous avons exploré dans la partie précédente. La cité-jardin de Ebenezer Howard ou le familistère de Godin étaient des sources d’inspiration pour faire émerger un modèle qui tend à collectiviser la propriété du sol. Pour explorer les origines et le développement des CLT, nous nous baserons essentiellement sur l’historique « officiel » retracé par le National CLT Network qui a été repris dans les ouvrages de John Emmeus Davis, qui a été longtemps engagé dans le mouvement des Community Land Trusts aux États-Unis. Lutte contre l’injustice et l’inégalité durant les années 1960 L’idée des Community Land Trusts naît dans le contexte de la lutte de droits civils pour la population afro-américaine dans le sud des États-Unis durant les années 1960. La population Noire discriminée par les Américains 95 Davis, J., « Manuel d’antispéculation immobilière. Une introduction aux fiducies foncières communautaires. », Les Editions Ecosociété, Montréal, 2014, p. 20. 72
Le Community Land Trust à Bruxelles
Blancs, était victime d’injustices et d’inégalités. En tant qu’ouvriers agricoles, ils travaillaient sur des champs, dont le sol était la propriété d’entrepreneurs et de fermiers blancs. Il était à l’époque impossible pour le peuple afro-américain d’accéder à la propriété de terres pour leurs propres usages. Initiateur du modèle CLT était une rencontre à l’occasion de la Marche pour la Paix entre le Québec et Guantanamo en 1964 entre Robert Swann, un militant de la paix, et Slater King, le cousin de Martin Luther King et supporter du mouvement pour les droits civiques. Les deux hommes étaient persuadés que la source d’injustice était liée à la propriété du sol et sa gestion privée et égoïste96. L’insécurité des afro-américains était due à un accès restreint aux terres. Ils n’avaient pas l’opportunité de les cultiver pour leurs propres usages, d’y construire leur maison ou de lancer leur entreprise. Swann et King partageaient l’avis qu’il fallait trouver des moyens pour rendre les terres plus accessibles pour la partie de la population exclue, afin de favoriser leur émancipation et l’autosuffisance économique97. En 1966, Robert Swann fit une autre connaissance qui devenait une source d’inspiration pour le modèle du Community Land Trust. Très intéressé par son travail, Swann rencontra Ralph Borsodi, qui revenait de son séjour en Inde. Borsodi y enseignait l’économie dans le cadre de sa School Of Living, qui louait des terrains à la communauté. Swann et Borsodi étaient particulièrement intéressés par le travail de Vinoba Bhave, le successeur spirituel de Gandhi qui a été assassiné en 1948. Ce dernier poursuivait l’idée que les terres devaient être gérées par une fiducie afin de servir aux pauvres. Convaincu de la même idée, Bahve avait parcouru le pays de l’Inde durant les années 1950 pour aller demander aux propriétaires riches, en possession de nombreux terrains, d’en céder une partie au profit de la population pauvre des campagnes. Son effort s’avérait comme un succès avec la distribution de 1,2 millions d’hectares de terrains pour les plus pauvres jusqu’en 1954. Le mouvement des dons de terrains, nommé Boodan, n’était cependant pas suffisant, puisque les individus avaient des difficultés à conserver la propriété du sol. Le Boodan a été par la suite remplacé par le Gramdan, le don de villages. Ce mouvement fonctionnait autour de fiducies qui détenaient la propriété du sol pour ensuite louer les terrains aux fermiers. Ainsi, 160 000 villages Gramdan ont pu être établis 96 Étude de faisabilité CLT, ibid. op. cit., p. 11. 97 Davis, J., ibid. op. cit., p. 28. 73
Les Community Land Trusts et le cas de Bruxelles
pendant le séjour de Borsodi et la propriété du sol restait dans les mains des fiducies98. Le principe de la location des terrains était une source d’inspiration majeure pour l’élaboration des CTL américains. Pour promouvoir le type de développement rural qu’il avait découvert lors de son séjour en Inde, Ralph Borsodi créa le International Independence Institute en 1967, qui devenait par la suite le Institute for Community Economics. En 1968, une délégation autour de Robert Swann a voyagé en Israël pour apprendre davantage sur les communautés agricoles locales, notamment les kibboutz et les moshav, qui se basaient sur le principe de location de terres par le Jewish National Fund. Ces expériences ont inspiré les initiateurs pour créer le premier Community Land Trust rural, le New Communites Inc., à Albany en 1969. Le CLT détenait les sols agricoles au bénéfice de la communauté rurale à laquelle on octroyait le droit d’usage99. La communauté était composée non seulement de travailleurs agricoles, mais aussi de tout membre désirant soutenir financièrement le mouvement. Le modèle des Community Land Trusts est un produit d’une synthèse de théories qui se sont développées pendant des centaines d’années. Depuis le premier CLT à Albany, les expériences ont généré différentes hybridations possibles. Il s’agissait de montages et de variations de la Fiducie Foncière Communautaire (FFC). Le phénomène s’est répandu dans d’autres villages, banlieues et villes100. Les guides des Community Land Trusts En 1972, le International Independence Institue fait apparaître le premier Guide du Community Land Trust dans lequel les auteurs décrivaient les expériences vécues avec le premier CLT New Communities. Les discussions avaient pour but de faire évoluer le modèle. Le guide soulevait deux éléments clés pour le modèle. D’une part, la structure de la propriété avait changé la relation qu’avaient les individus avec le sol. D’autre part, une structure organisationnelle définissait les relations entre les individus vivant dans les CLT et les gens vivant dans les alentours, en les acceptant néanmoins comme membres en vue d’atteindre une plus grande diversité dans la communauté. La redéfinition des termes au fil 98 Davis, J., ibid. op. cit, p. 32-33. 99 Davis, J., ibid. op. cit, p. 34. 100 Davis, J., ibid. op. cit, p. 19. 74
Le Community Land Trust à Bruxelles
des années poursuivait l’objectif d’optimiser le modèle d’un point de vue organisationnel et juridique101. Cependant, le phénomène des premiers CLT aux États-Unis restait longtemps un mouvement marginal durant les années 1970. Les initiateurs ont investi beaucoup d’énergie à reformuler les idées et les mettre au clair à travers la publication d’un premier guide synthétisant les propos des CLT. Ce n’est qu’à partir de l’intervention de Chuck Matthei, un autre pionnier important des FFC, que le mouvement a pu grandir et s’étendre à travers le pays durant les années 1980. Mathieu devint président de l’Institue for Community Economics et poursuivit la diffusion et la popularisation du modèle des Community Land Trusts. Après l’apparition du premier guide en 1972, l’Institute for Community Economics publia le second guide sous le nom de Community Land Trust Handbook en 1982. Ce dernier apportait son attention à des problèmes urbains, notamment liés aux questions d’abordabilité des habitations en ville. Le contenu soulignait ainsi qu’il fallait davantage soutenir les individus défavorisés. C’est ainsi que le guide recommandait une recherche d’équilibre entre les intérêts privés et collectifs. L’ouvrage introduisait une structure fonctionnelle qui visait à redistribuer les gains lors de la vente d’une maison afin de garder les habitations abordables de manière perpétuelle. Il est notamment question de limiter le gain grâce à la plus-value générée. La fiducie ne détient ainsi non seulement la propriété du sol, mais aussi une partie de la plus-value, dont l’augmentation ne résulte pas d’un travail humain, mais d’une volonté purement spéculative, comme l’avaient constaté Henry George et John Stuart Mill102. Le Burlington Champlain Housing Trust Le guide de 1982 met l’accent sur l’abordabiltié des logements et la revitalisation des quartiers en vue de favoriser l’accès au logement pour les plus démunis. En outre, les fiducies tendent à veiller à ce que l’abordabilité et la salubrité des maisons soit maintenue pour les générations à venir. L’ouvrage s’exprime en faveur d’une vision à long terme103. La nouvelle formule a permis un réel essor d’un modèle vers un mouvement avec la création du Champlain Housing Trust (CHT) à Burlington dans l’état du 101 Davis, J., ibid. op. cit, p. 35. 102 Davis, J., ibid. op. cit, p. 43. 103 Davis, J., ibid. op. cit, p. 54. 75
Les Community Land Trusts et le cas de Bruxelles
Vermont en 1984, qui était le premier véritable CLT urbain poursuivant une production important en logements abordables et décents pour des familles à faible revenus. Sa création était le résultat d’une augmentation des prix d’habitations avec l’arrivée des personnes de New York qui commencèrent à construire des villas autour du lac de Burlington. La conséquence en était qu’une grande partie de la population locale n’arrivait plus à se loger à un prix abordable104. Le CHT acquit ainsi des terrains en vue de construire des logements sociaux. La fiducie gère depuis non seulement des logements acquisitifs et locatifs, mais a aussi créé des espaces communautaires et des ateliers afin de revitaliser le quartier. Aujourd’hui, le CHT compte plus de 2000 ménages habitant dans la communauté et environ une centaine de personnes travaillant dans la gestion du trust. Les tâches vont du développement des projets, de la gestion des immeubles, de la mise sur marché et de la vente de logements jusqu’à la formation des futurs habitants. Le CHT est financièrement dépendant du gouvernement fédéral et de l’État du Vermont qui octroient des subsides annuels. Outre les financements publics, des investissements privés et des dons offrent un support financier supplémentaire. Suite à l’expérience du CHT, le modèle des Community Land Trusts a officiellement été reconnu dans une loi fédérale de 1992105. Le mouvement des CLT n’a su s’affirmer qu’à partir de la fin des années 1980 alors que les États-Unis faisaient face à une crise économique qui avait un fort impact sur le secteur immobilier. L’abordabilité économique était dès lors un grand défi pour le marché immobilier américain. Les investissements publics et privés ont permis de faire grandir le mouvement des CLT et de toucher un public plus large. Le Champlain Housing Trust a même reçu le prix de l’ONU du «Best Habitat Award» pour sa gestion particulière de la crise économique, étant capable d’offrir des logements abordables et une sécurité d’habitation.
104 Golluccio, A., « Les Community Land Trusts. Coopératives d’habitation à l’étranger », Habicoop, 2011 citant Davis, J., Stokes, A., « Lands in Trust, Home that Last. A performance évaluation on the Champlain Housing Trust », Champlain Housing Trust, 2009, p. 76. 105 Étude de faisabilité CLT, ibid. op. cit., p. 12. 76
Le Community Land Trust à Bruxelles
L’expansion des CLT à travers les États-Unis et à l’étranger L’essor du mouvement des CLT aux États-Unis a mené à la création du National CLT Network, l’association nationale qui assiste et supporte les communautés à travers le pays. Aujourd’hui, il existe environ 250 CLT aux États-Unis, dont le nombre de logements a été estimé à 10.000 en 2010106 avec une tendance croissante. Le modèle du CLT a cependant pu s’étendre au Canada et au-delà du continent américain, notamment dans les pays anglo-saxons (Angleterre, Écosse, Pays de Galles), mais aussi au Kenya et au Puerto Rico. Selon les pays et les territoires, les communautés poursuivent des buts différents. En Angleterre, 90% des CLT agissent en milieu rural avec une lente émergence de CLT urbains à Londres. Nous n’allons pas aller dans le détail de chaque pays, car les exemples sont trop nombreux. En 2010, le premier Community Land Trust européen a été créé à Bruxelles et a été officiellement été reconnu en 2012.
3. Émergence du premier Community Land Trust européen à Bruxelles Le modèle originaire des États-Unis autour de la propriété du sol collective du Community Land Trust a été exporté en Belgique avec la création du premier CLT en Europe continentale à Bruxelles. Suite à une étude de faisabilité, ordonnée par l’ancien Ministre du logement Christos Doulkeridis en 2010, le Community Land Trust de Bruxelles (CLTB) a très rapidement été reconnu par les pouvoirs publics de la Région de BruxellesCapitale. Inscrit dans le Code du Logement Bruxellois, le CLTB fait partie de l’Alliance Habitat et agit comme acteur public subventionné par le gouvernement. Avec un financement annuel de deux millions d’euros, l’association peut assurer une production de 30 logements par an. Le législateur a défini le CLTB dans l’article 27 du Code du Logement Bruxellois de manière suivante: « Alliance foncière régionale (Community land trust) : organisation sans but lucratif, agréée par le Gouvernement qui en détermine les conditions, qui a pour mission d’acquérir et gérer des terrains dans la Région de Bruxelles-Capitale en vue de 106 Source: Community Wealth. http://community-wealth.org/strategies/panel/clts/index.html, consulté le 28 juillet 2016 à 17.30h 77
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créer sur ces terrains aussi bien des habitations accessibles pour les ménages en état de précarité sociale que des équipements d’intérêt collectif, entre autres. L’alliance foncière régionale reste propriétaire des terrains mais transfère la propriété des bâtiments aux ménages via des droits réels démembrés. Elle détermine les règles de revente des bâtiments qui doivent permettre que ceux-ci restent toujours accessibles aux familles disposant d’un bas revenu. Pour les projets bénéficiant de subsides régionaux, ces règles doivent être approuvées par le Gouvernement. »
Le CLTB est structuré d’une part d’une fondation à utilité publique qui détient la propriété des terrains acquis et d’une association sans but lucratif qui gère le foncier et y développe en première ligne des projets de logements acquisitifs destinés à des ménages à faibles revenus. Enjeux pour l’établissement d’un Community Land Trust à Bruxelles Le Community Land Trust de Bruxelles fut émergé dans le contexte particulier de la crise du logement. Nous avons vu à travers le développement des premiers CLT aux États-Unis et son expansion vers des pays étrangers, que la création d’un CLT s’effectue toujours dans un contexte de crise ou d’inégalités avec l’exclusion d’une certaine partie de la population. Des prix des loyers trop élevés ont entraîné le besoin en logements abordables et décents pour une majorité des habitants bruxellois, constituant une des préoccupations principales de la politique du logement. Le marché locatif privé, n’étant soumis à aucune régulation, domine le secteur du logement et encourage la volonté spéculative des propriétaires des biens. L’enrichissement des quartiers et l’investissement dans les parties urbaines les plus défavorisées contribuent néanmoins au phénomène de la gentrification, de sorte que les ménages à bas revenus se retrouvent marginalisés et dans l’impossibilité d’accéder à un logement abordable et décent. De plus, l’offre en logements publics, caractérisée par une production freinée, ne peut pas absorber le nombre croissant de demandes de la part des mal-logés. La région a désormais anticipé en débloquant de nombreux fonds afin de relancer la production de logements publics dans la capitale. Cependant, une réserve foncière très limitée constitue l’obstacle principal qui tend a ralentir l’extension du parc public. La maîtrise foncière constitue une des priorités de la région afin de regagner des terrains pour une gestion publique. Comment améliorer la situation de logement des ménages les plus précarisés en investissant dans les quartiers sans autant contribuer directement au phénomène de la gentrification? Les améliorations apportées aux quartiers doivent rester dans l’intérêt général 78
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de la communauté locale afin de ne pas exclure les plus pauvres107. En reconsidérant la propriété du sol par une maîtrise foncière contrôlée, les pouvoirs publics peuvent s’attaquer à la spéculation immobilière en limitant ou récupérant une partie importante de la plusvalue générée par la gestion du foncier108. Le modèle du CLT proposant une gestion collective de la propriété du sol pourrait livrer des réponses à différents niveaux de la crise du logement et ainsi s’attaquer à la spéculation immobilière causant des inégalités. Le CLT complète la formule de l’Espoir Le CLTB a été créé grâce au travail de deux associations qui ont fondé la base pour le modèle de la propriété collective du sol à Bruxelles. En effet, la structure du CLT a pu rebondir sur le projet l’Espoir, élaboré préalablement par la Maison de Quartier Bonnevie et le CIRÉ. L’idée initiale pour réaliser le projet reposait sur le fait de vouloir trouver des réponses pour faire face à la crise du logement. Les familles à bas revenus accompagnées par ces deux associations avaient beaucoup de difficultés pour trouver un logement abordable et décent ; devenir propriétaire un jour était quasiment impossible. Suite à ce constat, Bonnevie et le CIRÉ ont regroupé les familles pour se lancer dans un projet participatif. Le but était de créer des logements acquisitifs abordables pour des ménages à faibles revenus avec l’aide du Fonds du Logement pour faciliter l’accès à la propriété. Divers dispositifs, comme l’acquisition du terrain à travers le second volet des contrats de quartier, diverses primes et subsides, ont été mis en place pour réduire le prix de vente des logements au maximum. De plus, les deux associations ont opté pour une démarche participative dans le but de déterminer les besoins réels des futurs usagers afin d’optimiser les projets d’un point de vue architectural et budgétaire109. Le projet l’Espoir avait atteint son but. Les acteurs ont parvenu à réaliser des logements acquisitifs abordables et de qualité à standard passif, destinés à un public pauvre, et tout cela avec une démarche participative. La formule élaborée pour ce projet pilote avait cependant des 107 Géronnez, L., « Vers des Community Land Trusts: essai à partir d’une pratique associative orientée vers une démocratie participative en milieu urbain », dans « Le droit à la ville comme bien commun », Les cahiers d’architecture La Cambre-Horta, n°9, Bruxelles, 2013, p.249. 108 Étude de faisabilité CLT, ibid. op. cit., p. 19. 109 Lorella Pazienza, interviewée le 25 mai 2016. 79
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limites. L’abordabilité a été atteinte, mais elle ne pourrait pas être garantie à long terme par manque de régulation de la vente. Une fois que les propriétaires décideront de vendre leurs appartements, ils remporteraient l’ensemble de la plus-value générée par le marché immobilier. C’est à ce moment-là, que les initiateurs de l’Espoir ont commencé à s’intéresser pour le modèle du CLT, notamment aux expériences du Champlain Housing Trust de Burlington aux États-Unis que l’équipe a pu visiter en 2009. Le modèle du CLT vise justement l’abordabilité à long terme grâce à la dissociation de la propriété du sol de celle des logements et grâce un cadre de revente bien régulé, redistribuant la plus-value au sein de la communauté d’une manière plus équitable. Le CLT garantirait un verrouillage perpétuel des terrains au bénéfice de la communauté, ce qui permettrait d’augmenter la maîtrise foncière publique. Le projet pilote réalisé par Bonnevie et le CIRÉ comportait déjà ainsi toutes les bases nécessaires pour la création d’un premier CLT à Bruxelles. La base juridique était présente avec le droit d’emphytéose et le droit de superficie, inscrits dans la loi depuis 1824. La séparation de la propriété du terrain avec octroi du droit d’usage à un tiers était possible. C’est ainsi que le CLTB a officiellement été approuvé par la Région de Bruxelles-Capitale le 20 décembre 2012 en tant qu’acteur public dans la production de logements à caractère social.
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4. Une méthodologie innovante Les missions et aspirations du CLTB L’établissement du premier Community Land Trust à Bruxelles (CLTB) fut motivé par les difficultés liées à la crise du logement. L’association répond directement à la question de la maîtrise foncière publique en dissociant la propriété du sol de la propriété d’un bien immobilier sur ce terrain grâce à l’outil juridique du droit de la superficie, que nous avons pu explorer dans la partie précédente. Ce mécanisme est censé permettre la production de logements acquisitifs abordables, destinés prioritairement aux ménages à bas revenus et favorisant l’accès à la propriété. La vente et la revente des logements acquis par les futurs habitants sont néanmoins régulées par le cadre juridique du CLTB, limitant les bénéfices du vendeur en redistribuant la plus-value au sein de la communauté. En récupérant une grande partie de la plus-value, mais aussi par le « recyclage » des subsides octroyés par la région, l’association peut garantir une abordabilité à long terme pour ses logements. La force du CLTB est néanmoins une gestion démocratique de la communauté. Cette dernière est représentée par différents acteurs, à savoir les habitants des logements, les acteurs locaux liés au quartier et les pouvoirs publics. Ces trois parts égales agissent dans une dynamique et dans l’intérêt général de la communauté. Les projets du CLTB veillent à une insertion territoriale en cherchant de renforcer les liens sociaux dans les quartiers et proposant une mixité sociale dans les réalisations. Outre que du logement, les projets peuvent inclure des équipements collectifs cherchant à dynamiser la mobilité du quartier et répondre ainsi aux besoins de la communauté. Finalement, le CLTB se caractérise par l’accompagnement des habitants en introduisant une démarche participative dans l’élaboration des différents projets. La participation a pour objectif de pouvoir déterminer les besoins réels des futurs usagers. Acquisition de terrains pour le développement de projets Acquérir des terrains abordables à Bruxelles semble être une tâche difficile voire impossible. Le foncier devient de plus en plus rare et le marché privé domine l’offre. Il existe néanmoins diverses possibilités pour le CLTB d’accéder à des terrains dans la région en vue de se constituer un patrimoine 81
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foncier dans l’intérêt de la communauté. Les sources d’acquisition sont désormais nombreuses et de natures très différentes110. Les contrats de quartier durables, qui existent à Bruxelles depuis 1993, peuvent constituer une source foncière importante à exploiter pour le développement de projets CLTB à Bruxelles. La région a débloqué divers fonds financiers pour revitaliser des quartiers, ayant subi des dégradations considérables durant les dernières décennies. À travers différentes opérations possibles, cet instrument de rénovation urbaine subventionné par le gouvernement vise à augmenter la qualité de l’habitat ainsi que celle des espaces publics. Le second volet des contrats de quartier durables permet à des promoteurs privés ou publics d’acheter des terrains auprès de la commune, en bénéficiant d’une réduction de 25% par rapport au prix courant du marché. Les opérateurs peuvent parfois aussi obtenir gratuitement des immeubles ou des terrains par un simple don111. Comme les promoteurs classiques n’osent pas toujours investir dans des quartiers défavorisés, ces terrains constituent une réelle opportunité pour le CLTB, pouvant lui agir comme opérateur privé dans le volet 2. La dimension sociale des contrats de quartier est en phase avec les missions que poursuit le CLT à Bruxelles. La priorité est désormais la production de logements accessibles financièrement à des revenus plus bas, tout en gardant les habitations abordables à long terme par rapport aux montages immobiliers classiques. Sur ces terrains pourront ainsi être développés non seulement des projets de logements, mais aussi des équipements publics dans l’intérêt du quartier afin de renforcer les liens sociaux112. Il est néanmoins possible que le sol de ces terrains bon marché soit pollué, nécessitant des opérations coûteuses de décontamination. Les communes bruxelloises possèdent une réserve foncière publique importante. Dans certains cas, ils vendent des logements à des familles pour un prix avantageux en leur accordant un subside d’acquisition. Cependant, une fois que la famille décide de vendre leur logement, ce dernier et le terrain sur lequel l’habitation est construite tomberont entre les mains du marché privé, menant probablement à une augmentation du prix pour le prochain acquéreur. Avec une maîtrise foncière de la part du CLTB, l’abordabilité du logement pourra être garantie à long terme. Les 110 Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., « Coopératives de logement et Community Land Trusts », dans Courrier hebdomadaire du CRISP, n°2073, 2010, p. 40. 111 Géronnez, L. et De Pauw, G., « Les Community Land Trusts: un modèle qui rend la propriété à nouveau accessible? », dans Art. 23, n°37, 2009, p. 21. 112 Étude de faisabilité CLT, ibid. op. cit., p. 30-31. 82
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[16] Dissociation du sol et du bâti 83
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communes devraient envisager des projets en partenariat avec le CLTB, tout en gardant la propriété du terrain en mains publiques113. Nous avons vu dans la première partie, que l’inoccupation d’un grand nombre de logements à Bruxelles contribue davantage à l’inaccessibilité à une habitation. Les remèdes possibles ne sont ainsi pas assez souvent appliqués par les pouvoirs publics, qui devraient s’attaquer davantage aux propriétaires privés qui laissent leurs biens inoccupés et se dégrader. Ces logements représentent désormais une source exploitable par le CLTB pour acquérir des terrains. Cependant, la lutte contre les logements vides n’est pas une volonté primaire de la communauté114. La vente de logements sociaux est aussi une source à considérer. Néanmoins, la crainte que la vente pourrait soustraire les logements du parc public est grande. De nouveau, une gestion de ces logements par le CLTB garantirait leur maîtrise publique par l’association, tout en faisant bénéficier les futurs acquéreurs des conditions financièrement avantageuses115. Mécanisme de découplage de la propriété La fondation du CLTB, qui détient la propriété des sols, tend à élargir son patrimoine foncier grâce à l’acquisition de nouveaux terrais suivant les différentes formules possibles explorées ci-dessus. L’objectif du CLTB est de soustraire le foncier acquis du marché spéculatif afin de conserver la propriété du sol de manière perpétuelle. Les terrains ne pourront être ni achetés, ni vendus116. À cet effet, l’association fait appel à deux mécanismes juridiques, à savoir le droit d’emphytéose et le droit de superficie, qui sont inscrits dans la loi belge depuis le 10 janvier 1824, pour procéder à une dissociation de la propriété du sol de la propriété de l’immeuble qui est construit sur le terrain. Les deux types de mécanismes sont complétés par des clauses propres au CLTB, modifiant légèrement leur application de base117 de l’emphytéose et de la superficie. Les droits d’usage de cette acquisition mixte, octroyés aux propriétaires des immeubles CLT ne se distinguent pas trop des droits d’un 113 Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., 2010, ibid. op. cit., p. 42. 114 Géronnez, L. et De Pauw, G., 2009, ibid. op. cit. p. 21. 115 Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., 2010, ibid. op. cit., p. 43-44. 116 Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., 2010, ibid. op. cit., p.28. 117 Dawance, T., Louey, C., « Quand l’Europe s’inspire des États-Unis. L’exemple du Community Land Trust Bruxelles. », dans Davis, J., « Manuel d’antispéculation immobilière », Editions Écocité, Montreal, 2014, p.171. 84
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autre propriétaire d’un bien immobilier. Contre un payement d’un canon de seulement 0,2% au lieu de 12,5% pour le droit d’enregistrement du terrain, l’acquéreur peut jouir du bien de manière perpétuelle et y apporter des modifications et améliorations, pour lesquelles il sera indemnisé en cas de revente du logement. Cependant, il doit habiter l’appartement lui-même et les conditions de revente sont adaptées au cadre juridique du CLT, sur lequel nous reviendrons plus tard118. Les biens construits sur les terrains du CLTB peuvent être acquis par le biais des prêts hypothécaires proposés par le Fonds du Logement. Par ce moyen, les futurs acquéreurs remboursent progressivement leur propriété119. Mesures pour favoriser l’accès à la propriété pour les plus pauvres L’aspect financier est primordial lorsqu’il s’agit de rendre les logements CLTB accessibles pour des ménages à bas revenus. La question est de savoir comment on peut parvenir à réduire le prix d’achat des logements pour faciliter l’accès à la propriété le plus possible. À cet effet, l’association est dépendante de diverses sources de financement pour pouvoir garantir le fonctionnement de la communauté et le développement de futurs projets. En faisant partie du plan de logement de l’« Alliance Habitat », le CLTB est soutenu financièrement par le gouvernement avec des subsides annuels d’environ deux millions d’euros pour assurer une production de 30 nouveaux logements chaque année. Le projet l’Espoir avait montré que sans les subsides de la part des pouvoirs publics, l’abordabilité des logements n’est pas garantie120. L’idéologie de l’État belge à toujours soutenir l’accès à la propriété, parfois même au détriment du développement du logement public est remarquablement en phase avec l’esprit du CLTB121. Outre les subsides de la part des pouvoirs publics, les projets CLTB peuvent également profiter de diverses primes en cas de nouvelles constructions à standard passif ou de rénovations visant des performances à basse énergie. Pour le projet l’Espoir, une prime de 100 euros par mètre carré a été consenti aux habitants pour la construction passive. 118 Géronnez, L., 2013, ibid. op. cit., p.251. 119 Géronnez, L. et De Pauw, G., 2009, ibid. op. cit., p. 18. 120 Dawance, T., Louey, C., 2014, ibid. op. cit., p. 170. 121 Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., 2010, ibid. op. cit., p. 45. 85
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Actuellement, les primes allouées pour des constructions neuves passives sont de 40€/m2, respectivement de 25€/m2 au-delà d’une surface au sol de 150m2122 ce qui représente un soulagement budgétaire conséquent pour l’acquisition de tels logements. Le partenariat avec le Fonds du Logement depuis la réalisation du projet l’Espoir est d’une valeur précieuse pour le CLTB. En tant qu’acteur public dans la production de logements à caractère social, le Fonds du Logement a droit à des avantages fiscaux considérables qui lui permettent la réalisation d’opérations nouvelles avec un taux de TVA réduit de 6% au lieu de 21%. Ce traitement de faveur constitue un atout non négligeable dans le financement des appartements123. Les ménages à bas revenus peuvent en plus bénéficier de prêts hypothécaires à taux d’intérêts réduits auprès du Fonds du Logement et rembourser leur prêt au fur et à mesure par un montant mensuel calculé sur base de leurs capacités financières et revenus. D’autres partenaires comme la Banque Triodos ou Credal peuvent également être considérés pour des demandes de prêts hypothécaires, Credal montrant son soutien envers d’autres projets de coopératifs124. Lors de l’élaboration du projet l’Espoir, l’association CIRÉ avait introduit les groupes d’épargne collective solidaires pour soulager les familles d’un point de vue financier en cas de difficultés imprévisibles. Ce dispositif est inspiré de la « tontine africaine » qui fonctionne sur le principe de la cotisation mutualisée de la part de ses membres dans un fonds collectif. Cette épargne a comme but de pouvoir financer des occasions particulières comme des mariages, des frais liés au décès ou à des études. Le montant de la cotisation est à définir par chaque groupe d’épargne en fonction des moyens financiers de chaque famille et pourra ainsi servir à tour de rôle pour les familles qui n’arrivent pas à rembourser leur prêt hypothécaire contracté auprès du Fonds du Logement125. C’est ainsi que le CLTB est organisé autour d’une épargne collective, invitant chaque nouveau membre inscrit d’effectuer une cotisation mensuelle de minimum 10 euros pour le fonds collectif. Chaque projet CLTB est habituellement organisé autour d’un nouveau fonds commun qui regroupé les apports préalables des habitants. 122 Source: Bruxelles Environement, Primes d’énergie 2016. 123 Étude de faisabilité du CLTB, ibid. op. cit., p. 46. 124 Géronnez, L. et De Pauw, G., 2009, ibid. op. cit., p. 19. 125 Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., 2010, ibid. op. cit., p. 41. 86
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[17] Formule qui peut garantir l’abordabilité à long terme 87
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Récemment, le CLTB a mis en place un « Fonds des Amis du CLTB » alimenté par tous les dons de la part de membres sympathisants ou toute autre personne intéressée par le Community Land Trust de Bruxelles126. Le CLTB est donc dépendant de différentes sources de financement pour garantir son fonctionnement. Finalement, l’abordabilité est fortement dépendante des choix architecturaux qui vont déterminer les prix de construction. Nous analyserons l’impact plus en détail dans la prochaine partie. Une abordabilité des logements à long terme Maintenir les logements subventionnés financièrement accessibles pour de futurs acquéreurs constitue certainement la priorité majeure du CLTB. En effet, ce n’est qu’un cadre de revente correctement régulé qui pourra pérenniser l’abordabilité des habitations CLTB. Le prix d’achat d’un logement pour le candidat acheteur est composé du prix de base de l’habitation, dont on soustrait la valeur du subside octroyé. Ce dernier est composé d’une part d’une subvention destinée au CLTB pour couvrir les frais de l’acquisition du terrain, et d’autre part d’un subside d’accessibilité, destiné au ménage candidat et calculé en fonction de son revenu et de son besoin en taille de logement127. On a donc une diminution du prix de base grâce à la soustraction de la valeur du terrain, du subside logement et des primes allouées dans le cadre d’une construction passive ou basse énergie. En cas de revente, le propriétaire récupère la somme investie dans son logement ainsi qu’une partie plafonnée à 25% d’une éventuelle plusvalue générée par le marché. En tant que membre du CLTB, le propriétaire s’engage donc à restituer le subside obtenu lors de l’acquisition de son logement ainsi que 75% de la plus-value engendrée par sa vente. 6% de cette partie de plus-value rétrocédée reviennent au CLTB même pour couvrir les frais de fonctionnement, tandis que les 69% restants servent à renouveler le subside pour le futur acquéreur. Le cadre régulé fournit également au CLTB un droit de préemption, permettant à celui-ci de récupérer le logement mis en vente de manière prioritaire. La formule de calcul propsoée par le CLTB peut s’adapter aux 126 Source: Newsletter CLTB du 28 juin 2016. 127 Dawance, T., Louey, C., 2014, ibid. op. cit., p. 173. 88
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[18] Gouvernance tripartite du CLTB 89
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fluctuations du marché immobilier. En cas d’une moins-value, le vendeur repart certes avec une somme inférieure à celle initialement investie, mais cela ne lui sera pas préjudiciable dans la mesure où la famille pourra sans aucun problème trouver un autre logement sur le marché privatif grâce à la revente. Le nouveau prix d’achat pour l’acquéreur suivant est fixé au prix d’achat précédent auquel vont se rajouter 31% de la plus-value générée lors de la vente par la première occupation. Quant au subside de base, celui-ci sera augmenté des 69% de la plus-value engendrée par la vente du bien, permettant à la famille suivante, bénéficiaire de ce subside, d’accéder à la propriété à un prix abordable. Le verrouillage perpétuel du subside combiné avec une redistribution de la plus-value au sein de la communauté peut garantir une abordabilité à long terme des logements pour les générations à venir. Cette formule est donc favorable pour les pouvoirs publics dans la mesure où le logement CLTB ne nécessite qu’un subside unique qui sera ensuite « recyclé » par le cadre de revente régulé128. Gestion démocratique de la communauté La gouvernance au sein du Community Land Trust de Bruxelles se présenter sous forme d’une tripartite gérée de manière démocratique et composée de trois types de membres. Ceux-ci se partagent de façon égalitaire les responsabilités au sein de la communauté et représentent l’organe de décisions. La gestion démocratique du CLTB vise le dialogue entre les différents acteurs, allant de l’échelle du quartier jusqu’à l’échelle de la région. Les propriétaires et utilisateurs des logements constituent le premier type de membres du CLTB, ayant un lien contractuel direct avec l’association. Les habitants participent ainsi comme une entité à part entière à toutes les décisions. La seconde partie de la communauté est composée de toute personne physique ou morale ayant un intérêt pour le CLTB. Ces personnes peuvent être des riverains, des associations du quartier ou d’autres structures communautaires participant dans la vie du quartier, dans lequel intervient le CLTB avec ses projets. Les sympathisants expriment leur soutien pour la communauté sous forme de dons ou d’investissements dans un fonds commun. Le CLTB tant à engager et mobiliser les locaux afin 128
Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., 2010, ibid. op. cit., p. 30-32. 90
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[19] Les projets CLTB s’intègrent dans le territoire urbain 91
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de créer un meilleur environnement de vie. Le dernier tiers est composé des pouvoirs publics, qui représentent l’intérêt général. Ils sont ainsi un levier important pour la communauté lorsqu’il s’agit de débloquer des financements publics. Leur soutien tend ainsi à augmenter la crédibilité du trust envers le grand public. Le groupe autour des habitants et celui des personnes extérieures désignent chacun leur délégué devant les représenter au sein de l’assemblée générale du CLTB. Ainsi, ces deux délégués sont en charge de choisir un représentant des pouvoirs publics pour compléter l’organe de décision. Les trois groupes possèdent ainsi chacun un droit à parts égales129. Le CLTB est en faveur une ville plus équitable et plus démocratique, et compte aujourd’hui 302 candidats propriétaires et habitants, 157 membres sympathisants et 29 associations membres, avec une tendance croissante. Insertion territoriale et mixité sociale Le CLTB est caractérisé non seulement par une mixité sociale, mais aussi fonctionnelle. Il tend à créer une cohésion sociale entre les membres ayant des revenus différents en incluant une variété de familles dans un même projet de logements130. Les différences de budgets et de capacités de paiement de la part des familles sont catégorisées selon quatre types de revenus et ne devraient pas constituer une barrière sociale. D’ailleurs, les pouvoirs publics tendent à mener un discours de la mixité sociale, étant donné l’arrivée de la classe moyenne dans des quartiers défavorisés. Il y a un risque que ce phénomène mène à des frictions supplémentaires entre les citoyens au lieu de tisser de nouveaux liens sociaux, mais les projets CLTB démontrent qu’une coexistence sous forme de cohabitation entre différentes classes sociales est désormais possible, malgré les différences liées à la capacité financière qu’il peut y avoir entre les diverses familles131. Au-delà de la mixité sociale au sein des projets CLTB nous retrouvons ainsi une mixité fonctionnelle, proposant des espaces autres que des logements, au bénéfice de la communauté locale. En effet, le CLTB peut aussi concevoir des espaces communautaires, des infrastructures publiques ou des commerces de proximité pour dynamiser la mobilité du quartier. Il est important que les projets CLTB soient acceptés par la communauté et le 129 Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., 2010, ibid. op. cit., p. 32-33. 130 Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., 2010, ibid. op. cit., p. 34. 131 Géronnez, L., 2013, ibid. op. cit., p. 257. 92
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reste du quartier dans lequel il intervient. Ainsi, les riverains et toutes autres personnes intéressées sont invités à participer aux prises de décisions au sein du CLTB en devenant membre et investissant des sommes plus ou moins importantes pour avoir un droit de vote lors des assemblées générales. Ces membres peuvent ainsi décider sur la création d’infrastructures communes qui pourraient servir l’intérêt de la communauté en étant directement impliqués dans des débats grâce à une gestion démocratique du CLTB132. Le CLTB ne se limite pas seulement en travaillant dans un seul quartier, mais intervient dans toute la région bruxelloise en étant toujours à la recherche de nouveaux projets possibles, explique Geert de Pauw, coordinateur principal du CLTB133. Plus la zone d’intervention est étendue, plus grandes seront les chances de pouvoir développer des nouveaux projets. Au contraire, une intervention à une échelle plus petite du quartier pourra tisser davantage des nouveaux liens sociaux et renforcer l’esprit communautaire134. Une démarche participative Les projets du Community Land Trust à Bruxelles sont organisés autour d’une démarche participative qui inclut les futurs occupants dans la conception de leur logement. La participation est issue d’un travail associatif dans les quartiers qui a comme objectif de déterminer les besoins réels des familles afin de concevoir un projet qu’ils puissent s’approprier par la suite. La gestion participative au sein du CLTB induit désormais un nouveau mode pour réfléchir l’architecture dans le développement de l’habitat public que nous explorerons plus en détail dans la partie suivante.
132 Bernard, N.; Géronnez, L. et De Pauw, G., 2010, ibid. op. cit., p. 48. 133 Geert de Pauw, interviewé le 01 février 2016. 134 Géronnez, L. et De Pauw, G., 2009, ibid. op. cit.,p. 17. 93
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[20] Le CLTB comme moyen contre la spéculation 94
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PARTIE
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Une production architecturale innovante et responsable
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Une production architecturale innovante et responsable
[21] Mariemont : le premier projet CLT réalisé à Bruxelles 96
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Une des caractéristiques majeures des Community Land Trusts est sans doute la participation active de ses membres grâce à une idéologie de démocratisation du processus de conception. En effet, le CLTB implique les familles dès le début dans l’élaboration de ses projets, en vue de répondre aux besoins réels des futurs occupants des logements. Lors d’une rencontre avec Geert De Pauw, assistant social et coordinateur principal du premier Community Land Trust de Bruxelles, celui affirme que le CLT n’est pas un concept architectural. Cependant, la finalité de ces projets se traduit par un objet d’architecture sous forme de logements et autres équipements collectifs. L’idée de poursuivre une démarche de conception avec les familles, directement concernées par la crise du logement, engendre une méthodologie de production architecturale très innovante pour Bruxelles et est liée à de nombreux obstacles administratifs. A travers la démarche participative proposée par le CLTB, l’architecte retrouve un rôle important dans la gestion du projet en vue d’améliorer la qualité des réalisations architecturales. Les paragraphes suivants visent à explorer l’évolution de cette méthodologie architecturale par le biais de la participation active des futurs occupants. L’analyse sera alimentée par des réflexions issues lors de rencontres faites durant ma phase de recherche avec des personnalités directement impliquées dans la gestion participative autour des projets CLTB. J’avais notamment l’occasion de rencontrer les deux personnes clés, Geert de Pauw et Lorella Pazienza, autour desquelles s’est construit le premier Community Land Trust de Bruxelles. De Pauw a le rôle d’assistant social, tandis que Pazienza est architecte au sein du CLTB. Pour explorer davantage la notion participative dans l’architecture des logements publics, j’avais le plaisir de rencontrer Elodie Degavre, architecte et enseignante en architecture à la faculté La Cambre-Horta de l’Université de Bruxelles, qui a été fortement impliquée dans le projet l’Espoir. Mais aussi Nele Aernouts, architecte et urbaniste menant des recherches de doctorat au sein du Cosmopolis Centre for Urban Research à la Vrije Universiteit Brussel (VUB), ayant suivi les processus de participation d’un des projets du CLTB. Pour supporter et critiquer les réflexions sur la démarche participative du CLTB, nous nous allons nous appuyer sur des pensées plus théoriques concernant la participation des futurs occupants exprimées par divers auteurs, comme Nicolaas John Habraken, Lucien Kroll, Judith le Maire de Romsée, Pierre Lefèvre ou Bruno Parasote et autres.
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Une production architecturale innovante et responsable
1. La participation des habitants comme pilier des projets CLTB La démarche participative émergée du travail associatif L’intégration des futurs habitants dans l’élaboration des projets de logements acquisitifs CLTB est le résultat d’un travail associatif mené à bien avant la création du premier Community Land Trust à Bruxelles. Nous avons vu que cet engagement a pu aboutir dans la réalisation d’un projet comme celui de l’Espoir, le projet prototype qui a fait émerger le CLTB. En effet, les deux associations de ce projet, la Maison de Quartier Bonnevie et le CIRÉ, étaient toujours à l’écoute de leurs membres. Le public cible de ces associations est constitué principalement de familles à bas revenus issues de l’immigration, dont les chances de trouver un logement abordable et décent à Bruxelles sont souvent très faibles. L’expérience de ces deux structures a démontré que les familles se montrent très engagées pour améliorer leur situation de logement. Visant le même public et une collaboration avec les différentes associations de quartier, le CLTB possède une base solide pour initier une démarche participative pour l’élaboration des ses futurs projets, retrouvant le même esprit de réflexion, comme celui mené pour la conception de l’Espoir. Pourquoi s’intéresser pour la participation? Inclure les familles dans un processus de participation autour d’un CLTB est l’un des piliers de l’idéologie démocratique de la communauté et a comme but primaire de pouvoir définir les besoins réels en terme de logement ensemble avec les futurs occupants. Le public cible du CLTB est principalement composé de familles à bas revenus se trouvant en difficultés de trouver un logement décent et abordable. Il s’agit de la partie de la population bruxelloise qui se trouve la plus exclue par le marché immobilier, comme nous l’avons pu analyser dans la première partie de ce travail. Individuellement, ces ménages n’ont pas la force de s’exprimer à propos de leurs droits. C’est ainsi que grâce au travail associatif dans les quartiers, les habitants sont progressivement encouragés pour agir dans leur intérêt individuel, mais aussi au bénéfice de la communauté. La participation peut ainsi être un catalyseur pour des 98
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nouvelles dynamiques dans les quartiers, comme l’exprime Bruno Parasote dans son ouvrage Autopromotion, Habitat groupé, écologie et liens sociaux: « L’habitat groupé peut apporter une réponse concrète à un panel de problématiques urbaines. Sans être la solution à tous les maux, ce type de montage participatif a le mérite d’insuffler une nouvelle dynamique, en apportant des réponses originales et en jouant le rôle de locomotive pour d’autres opérations. »135
La production de logements publics financés par l’Etat a longtemps été caractérisée par un manque de relations avec les futurs occupants. En effet, ces habitations dites publiques ne sont très souvent pas adaptées aux besoins réels des usagers. Ceci est dû à une conception architecturale faisant abstraction de l’habitant et de ses besoins. Les réponses apportées correspondent à des idéaux d’habitation imaginés par les architectes, qui se traduisent ainsi par une architecture médiocre et inappropriable par les usagers. Giancarlo De Carlo (1919-2005), architecte italien et partisan de la démarche participative l’exprima ainsi: « Les quartiers et les bâtiments planifiés «pour» les utilisateurs décrépissent parce que les utilisateurs, n’ayant pas participé à leur planification, ne sont pas capables de se les approprier et donc n’ont pas de raison de les défendre. »136
De Carlo prônait une construction « avec » et non pas « pour » les habitants. Ses critiques sont destinées aux modernistes du 20e siècle, qui ne se demandaient pas vraiment pour qui ils construisaient au final. L’architecture servait comme un instrument purement scientifique137. L’architecte et chercheur néerlandais Nicolaas John Habraken (1928-) s’exprimait en faveur de la participation afin de démocratiser la prise de décisions dans le domaine de la construction publique. Il souligne l’importance de l’inclusion des futurs habitants dans le processus d’élaboration architecturale pour les mêmes raisons citées ci-dessus. Il est important d’identifier les besoins en tissant de nouvelles relations entre 135 Parasote, B., « Autopromotion, Habitat groupé, écologie et liens sociaux. Comment construire collectivement un immeuble en ville? », Editions Yves Michel, Gap, 2011, p.42. 136 Le Maire De Rosmée, J., « La grammaire participative. Théories et pratiques architecturales et urbanistiques 1904-1968. », Thèse de doctorat d’architecture, Paris, 2009, p. 268. citant Blundell Jones, P.; Petrescu, D. et Till, J., « Architecture & Participation », Spon Press, Londres, 2005, p.9. 137 Le Maire De Rosmée, J., « La grammaire participative. Théories et pratiques architecturales et urbanistiques 1904-1968. », Thèse de doctorat d’architecture, Paris, 2009, p. 267. 99
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[22] Atelier participatif du projet Le Nid Ă la rue Verheyden 100
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les habitants et le logement à travers une démarche participative138. La majorité des logements publics n’est pas ou très peu appréciée par les habitants, puisque leur avis n’a pas été considéré par les architectes lors du processus du projet139. Les projets du CLTB ne sont pas des logements sociaux, mais bien des habitations acquisitives à caractère social destinées aux familles à bas revenus. Cependant, elles atteignent un certain caractère public grâce à la démarche participative, comme le constate Nele Aernouts. Il s’agit d’une méthodologie de co-production qui n’implique pas seulement les futurs occupants dans l’élaboration du projet, mais aussi d’autres acteurs comme les habitants du quartier et les pouvoirs publics. Grâce à la participation, une nouvelle dynamique se crée autour de nouveaux liens dans les quartiers, augmentant ainsi le « degré de publicité » et renforçant les dialogues qui mènent aux débats140. La participation est importante dans la mesure où elle tend à responsabiliser les familles à travers le projet architectural en vue de devenir propriétaire de leur propre logement. Elle s’exprime par un regroupement autour d’un but commun ; dans le cas du CLTB ce projet de logement peut souder le groupe et tisser des liens sociaux, explique Lorella Pazienza. Le fait de pouvoir s’exprimer devant le groupe et de rester à l’écoute lors des échanges d’expériences vécues fonde une base pour une meilleure cohabitation et donc un meilleur voisinage. La démarche participative peut éliminer toutes les différences sociales et ainsi créer un environnement de vie sain, où l’individualisme fait place à un esprit de communauté visant à renforcer les liens entre les habitants. La participation permet à un public défavorisé de sortir de sa zone de confort et de gagner en confiance afin d’améliorer sa situation de logement141. Il s’agit de bien plus qu’un simple projet d’habitations: « Les liens tissés lors de la recherche du terrain, de l’établissement du programme, des études puis de la construction persistent ensuite dans la vie quotidienne de l’immeuble. L’organisation commune des fêtes ou d’activités, les temps d’entretien de l’immeuble sont autant d’occasions de nourrir les liens crées. L’entraide et la 138 Bossa, K.; Van Hoogstraten, D.; Vos, M., « Housing for the Millions. John Habraken and the SAR (1960-2000), NAI Publishers, Rotterdam, 2000, p.88. 139 Bossa, K.; Van Hoogstraten, D.; Vos, M., ibidem. op. cit., p.91. 140 Aernouts, N.; Ryckewaert, M., « Reconceptualizing the ‘Publicness’ of Public Housing: The Case of Brussels », dans: Social Inclusion, Volume 3, Numéro 2, 2015, p. 27. 141 Lenna, V., « Ecological Mutations in the Precarious City. The Community Land Trust in Brussels as a Form of a Resilient Attitude », 2014, p.9. 101
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solidarité avec les voisins sont de ce fait favorisés même si les relations évolueront fortement entre la phase de construction et la phase d’habitation. »142
La participation semble évidente en vue de trouver des solutions plus adaptées. Cependant, elle nécessite une bonne organisation ainsi qu’une coordination bien menée, afin d’assurer son bon fonctionnement et aboutir aux résultats souhaités. La démarche participative est notamment un champ d’expérimentations avec de nombreux facteurs variables. Comment organiser la participation? La démarche participative est habituellement née autour d’une volonté commune, issue d’un mouvement. Dans le cas du Community Land Trust à Bruxelles, cette volonté tourne d’une part autour d’une gestion foncière collective et d’autre part de l’élaboration de projets de logements acquisitifs destinés à des familles à revenus faibles. La participation doit être organisée de sorte qu’un déroulement correct jusqu’à l’aboutissement du projet soit garanti. La notion participative du CLTB a beaucoup de similitudes avec la démarche liée à un projet en autopromotion. Bruno Parasote définit cette dernière comme un rassemblement d’individus poursuivant un même but, capitalisant leurs investissements pour devenir une entité juridique financière afin de pouvoir mener et financer une opération immobilière143. Cependant, les projets du CLTB ne s’effectuent pas en autopromotion, mais les futurs propriétaires sont accompagnés par une équipe d’experts. Cette dernière organise la participation nécessitant des ressources financières, des partenaires et des moments d’échange avec les habitants pour en arriver à un projet d’architecture. L’aspect financier est un des piliers de chaque projet d’habitat participatif. Contrairement à un projet en autopromotion, où l’on regroupe les ressources financières des individus, le financement de la participation au sein du CLTB s’organise d’une manière différente. En tant que association sans but lucratif inscrite dans le plan de l’Alliance Habitat, le CLTB reçoit des subsides de la région pour acquérir des terrains et ainsi réaliser ses projets. En outre, le trust possède avec le Fonds du Logement un partenaire crédible, qui supporte un poids financier important. En effet, les familles à 142 Parasote, B., ibid. op. cit., p. 40. 143 Parasote, B., ibid. op. cit., p. 106. 102
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bas revenus font appel aux prêts hypothécaires à taux réduits auprès du Fonds de Logement pour financer leur logement en le remboursant à fur et à mesure. Avec ce partenaire public, qui s’est déjà lancé dans l’aventure du projet Espoir avec la Maison de Quartier Bonnevie et le CIRE, la démarche participative a une certaine stabilité financière144. Un autre aspect de l’organisation est lié à un contrat de confiance entre le CLTB et les candidats acheteurs qui sont prêts à se lancer dans un projet participatif. Le facteur qui pèse pour garantir le fonctionnement d’une démarche participative est sans doute celui de convaincre les familles pour un engagement tout au long d’un projet, dont on ne sait pas, s’il va aboutir ou non. La participation est liée à de nombreux risques, tant pour le CLTB que pour les futurs propriétaires, m’explique Lorella Pazienza. Les familles risquent d’être rapidement dans le doute et de s’impatienter lorsque les projets n’avancent pas comme prévus. Pourtant, il faut pouvoir compter sur eux et les motiver afin qu’ils se lancent dans un projet participatif. À cet effet, le travail des associations respectives dans les quartiers avec les familles à bas revenus constitue une base solide pour un engagement au bénéfice de la communauté. C’est ainsi que le CLTB construit ses projets autour d’un principe élaboré par le CIRÉ. Il s’agit de l’épargne collective solidaire, que nous avons explorée préalablement, et qui regroupe un certain nombre de ménages autour d’un fonds commun. Des cotisations mensuelles attachent les familles au groupe et garantissent ainsi un engagement de la part des familles. Dès le moment de l’inscription au CLTB en tant que candidat acheteur, les familles participent au fonds commun sous forme d’une cotisation mensuelle d’un montant d’au moins dix euros. Lorsque plusieurs familles montrent de l’intérêt envers un projet spécifique proposé par l’équipe du CLTB, elles seront regroupées autour d’un nouveau fonds d’épargne solidaire, qui constituera simultanément une base financière pour le futur projet. Le projet participatif doit notamment inclure des moments d’échange entre les membres du groupe. L’organisation et le contenu des réunions peuvent être différents selon les projets145. Pour les projets du CLTB, la participation est organisée sous forme d’ateliers d’architecture en vue d’élaborer la programmation architecturale des projets ensemble avec les futurs occupants. Les ateliers constituent un cadre bien organisé invitant 144 K6. 145
De Pauw, G., « Passieve Woningen, active Bewoners », Opbouwwerk Brussel, n° 101, Parasote, B., ibid. op. cit., p. 40. 103
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les familles à s’échanger sur divers aspects liés à l’habitation. L’architecte joue un rôle central dans l’organisation de la participation au sein du CLT, pouvant influencer le déroulement de ces ateliers participatifs.
2. Un rôle de l’architecte qui change Les ateliers participatifs sont organisés et animés par une équipe composée d’assistants sociaux des différentes associations et des architectes, qui sont en charge de la gestion des projets. L’architecte du CLT se retrouve avec une responsabilité importante dans l’organisation de la participation. En tant que coordinateur et médiateur, il a une relation particulière avec les habitants. Le rôle de l’architecte s’est vu changer à travers les dernières décennies, comme le constate John Habraken. L’architecte n’est pas qu’un artiste, constructeur ou inventeur, mais il doit aussi prendre ses responsabilités en tant que coordinateur afin de se rapprocher davantage des habitants146. L’architecte doit s’éloigner peu à peu de ses missions habituelles de praticien pour accomplir des nouvelles tâches d’autant plus importantes pour cette profession. Le rôle de coordinateur ou médiateur peut être retrouvé dans les projets en autopromotion. Pierre Lefèvre parle « d’architecte superman » en expliquant que les habitants perçoivent l’architecte comme celui ayant toutes les connaissances liées aux questions de la construction. C’est l’acteur qui est exposé le plus à toutes les incertitudes imaginables pouvant surgir lors de l’élaboration d’un projet architectural. Par sa « polyvalence », l’architecte peut vite tomber dans un piège, où les attentes des futurs habitants dépassent ses capacités réelles de la pratique professionnelle. Les individus exigent souvent beaucoup plus que les services habituels liés aux purs aspects techniques147. C’est à ce moment-là, que les notions de coordination et de médiation sont nécessaires, pour faire avancer le processus du projet en structurant l’organisation de la participation. Pour pouvoir développer davantage cet aspect, j’ai rencontré deux architectes ayant de l’expérience en terme d’organisation de la démarche participative. 146 Bossa, K.; Van Hoogstraten, D.; Vos, M., ibid. op. cit., p.76. 147 Lefèvre, P., « L’habitat participatif. 40 ans d’habitat participatif en France. », Editions Apogée, Rennes, 2014, p. 89-90. 104
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À travers le parcours de Lorella Pazienza nous aimerions illustrer comment son rôle en tant qu’architecte a évolué à travers différentes expériences préalables, qui ont mené à la naissance du premier Community Land Trust à Bruxelles. Avant de faire partie de l’équipe du CLTB, elle travaillait pendant une longue période en tant qu’architecte auprès du service de logement de la Maison de Quartier Bonnevie à Molenbeek, ensemble avec Geert De Pauw, assistant social et aujourd’hui responsable principal du CLTB. En tant qu’architecte au sein de la maison de quartier, elle occupait le poste d’architecte conseillère pour des familles à bas revenus, qui tentaient de réaliser leur projet de logement. Son rôle était d’informer les familles sur les aspects techniques de la construction, d’élaborer un planning, de faire des calculs budgétaires ainsi que d’introduire les demandes pour des primes éventuelles. L’accompagnement engendrait une certaine proximité entre l’architecte et les familles mal logées. Lorella Pazienza explique que la crise du logement a stimulé la réflexion sur l’architecture des logements publics à Bruxelles. Le logement social était incapable d’absorber la demande croissante et ces familles ne pouvaient plus s’acheter ou même louer un logement dans des quartiers comme Molenbeek. Il fallait tenter autre chose. Pazienza considère la réflexion architecturale comme un outil possible pour répondre à la crise en adaptant la méthodologie de conception des logements publics aux besoins réels des usagers. La réalisation ne semble possible que dans la mesure où la réflexion vient de la part des personnes directement concernées par le problème d’accessibilité à un logement abordable et décent. C’est ainsi qu’est née l’idée de lancer un projet à Molenbeek ensemble avec les familles de la maison de quartier. L’objectif était d’élaborer un bâtiment à logements acquisitifs pour des ménages à bas revenus. L’équipe autour de l’architecte, par faute d’expérience en projets de constructions neuves, a proposé au Fonds du Logement de se lancer dans un projet participatif, ensemble avec les familles de Bonnevie. Grâce à l’anticipation et aux capacités de négocier de la part de l’architecte, le projet de l’Espoir a pu être lancé. Aujourd’hui l’architecte Elodie Degavre explique qu’elle était déjà impliquée dans le projet de l’Espoir en tant qu’étudiante en architecture, avant de devenir enseignante à la faculté d’architecture La Cambre-Horta de l’Université Libre de Bruxelles. L’équipe autour de Lorella Pazienza et Geert De Pauw avait pris contact avec l’atelier de logements de la faculté d’architecture La Cambre, dont le coordinateur était Pierre Blondel, pour 105
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réaliser une sorte d’avant-projet avec les étudiants sur le site de la Rue Fin. Ce travail permettrait par la suite d’estimer ce qui était possible sur la parcelle en terme de volumétrie et de programmation. Les étudiants devaient répondre à une demande concrète de la part du Fonds du Logement. L. Pazienza valorise les collaborations avec les étudiants, puisque le travail éveille l’esprit des familles à la réflexion et mène à des débats intéressants. De plus, c’est une opportunité pour les étudiants de travailler sur des projets plus réels. E. Degavre a par la suite été impliquée dans la mise en place du projet avec la maison de quartier en y organisant les premiers ateliers d’architecture. La question qui se posait longtemps était de savoir comment communiquer le vocabulaire d’architecture à des personnes n’ayant aucune connaissance préalable. Il était donc nécessaire de proposer une sorte de formation pour préparer les familles qui devraient devenir un jour propriétaire. L’organisation de la démarche participative sous forme d’ateliers architecturaux garantirait un fonctionnement structuré et donnerait des outils aux familles pour monter le projet ensemble. L’idée était ainsi de partir de ce qu’ils connaissaient déjà en leur donnant la parole, explique Degavre. Cette petite histoire a comme but d’illustrer le contexte dans lequel se trouvaient les architectes à cette période-là. Le rôle de l’architecte au sein du CLTB est une confrontation entre l’accompagnement des familles et le monde professionnel de l’architecture. En tant qu’intermédiaire entre ces deux valeurs distinctes, l’architecte agit comme coordinateur et médiateur afin de rapprocher les besoins des habitants et l’expertise. Les missions en tant que coordinateur de la démarche participative sont liées à des questions d’organisation. L’équipe autour de l’architecte est notamment en charge de la recherche d’un terrain pour le projet et des études de faisabilité, pour évaluer l’intérêt de ce dernier. De plus, l’architecte s’occupe d’autres tâches, en l’occurence des demandes pour les subsides et les primes éventuelles, ainsi que de l’établissement du planning du projet participatif. A cet effet, il est nécessaire d’organiser des séances d’ateliers pour la formation des familles. Elodie Degavre explique que les familles ont parfois des difficultés de comprendre dès le début, que ce n’est pas l’architecte du CLTB qui réalisera le projet final, mais qu’il a simplement la mission de les accompagner à travers le processus participatif. L’architecte coordinateur tisse les liens avec les professionnels extérieurs à la participation en anticipant et en défendant les intérêts des habitants. Il est en quelque sort l’amplificateur de la voix des familles. L’organisateur 106
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délaisse l’objet architectural pour collaborer avec les usagers en vue de répondre à leurs besoins148. A travers le rôle de médiateur, l’architecte poursuit le but de renforcer le lien de confiance avec les familles. A cet effet, il est nécessaire d’adapter les moyens communicatifs afin d’améliorer les échanges avec les futurs habitants. L’architecte médiateur anime les séances de travail et guide les familles à travers les différentes étapes de la participation. L’aspect éducatif gagne en ampleur dans la mesure, où l’architecte adopte un rôle didactique, en enseignant une méthode de travail aux participants149. Afin de pouvoir transmettre la matière architecturale, il est nécessaire de vulgariser le vocabulaire architectural pour que tout le monde puisse communiquer au même niveau, explique Lorella Pazienza. Il faut rendre le jargon très technique de l’architecture accessible aux habitants pour qu’ils puissent suivre toutes les étapes. Yona Friedman, architecte français, estime que c’est le rôle de l’architecte d’écrire cette langue et de l’enseigner aux habitants pour qu’ils puissent se l’approprier et exprimer leurs besoins et désirs150. Rendre accessible la matière architecturale constitue une des priorités du CLTB afin de garantir le bon déroulement des ateliers participatifs.
148 Le Maire de Rosmée, J., « Liens, Biens, Communs. Emergence de la grammaire participative », p.189. 149 Le Maire De Rosmée, J., 2009, ibid. op. cit., p. 260-261. 150 Le Maire de Rosmée, J.,2009, ibid. op. cit., p. 280-281. 107
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3. L’implication des futurs habitants sous forme d’ateliers participatifs Comme on vient de le voir, l’intégration des habitants aux projets CLTB s’effectue sous forme d’ateliers participatifs qui ont d’abord été organisés pour le projet l’Espoir à l’aide de quelques étudiants bénévoles en architecture de La Cambre en 2005, touchant à des sujets qui préoccupent les futurs habitants. Il s’agit notamment d’aspects liés à l’organisation de la cohabitation et à l’architecture des bâtiments à projeter. Les ateliers, définissant un cadre solide pour la participation, ont ensuite été repris pour l’élaboration des projets CLTB151. Les discussions et débats menés lors des sessions de travail ont pour but de pouvoir identifier les besoins individuels concernant les logements, mais aussi collectifs sous forme d’espaces partagés, afin de pouvoir traduire les résultats dans une programmation architecturale. Les ateliers proposent ainsi un cadre de formation pour responsabiliser et préparer les futurs habitants désirant devenir propriétaires de leur propre logement, explique Lorella Pazienza. Dans une première phase, le CLTB propose une série d’ateliers d’architecture ayant comme objectif de pouvoir élaborer un programme architectural et une liste de recommandations ensemble avec les futurs usagers. Le nombre d’ateliers peut varier selon le projet et le temps disponible. Après la formation d’un groupe d’habitants prêts à se lancer dans un projet avec le CLTB, les familles sont invitées à participer à une initiation au vocabulaire d’architecture. Par la suite, l’équipe organise des visites de projets de logements intéressants pour le type de projet en question avant de poursuive la formulation des besoins concernant les logements des futurs occupants. « À la découverte de mon quartier » est nommé le premier atelier proposé, invitant les familles à faire collectivement connaissance avec le quartier, dans lequel s’implantera leur futur projet d’habitation. Cette première étape permet au groupe de se familiariser avec l’environnement qu’ils habiteront un jour. Une balade à travers le quartier permet aux futurs occupants d’exprimer leur ressenti par rapport aux lieux et d’identifier les atouts, mais aussi les faiblesses du quartier en question. Certains découvrent le quartier pour la première fois, tandis que d’autres le redécouvrent. La séance de découverte prévoit aussi une visite du terrain à 151
De Pauw, G., ibid. op. cit., K9. 108
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construire ou du bâtiment à rénover le cas échéant pour que les futurs acquéreurs s’approprient l’endroit. Ce premier atelier est aussi l’occasion de faire une meilleure connaissance avec les autres familles en ayant des échanges dans un cadre plus convivial. Il est évident que les familles n’ont pas de connaissances en matière d’architecture. C’est ainsi qu’un atelier donnant une « initiation au vocabulaire d’architecture » a été mis en place. Le but n’en est pas d’enseigner l’architecture aux futurs habitants en tant que telle, mais de les familiariser avec certaines notions récurrentes afin d’améliorer la communication et de permettre aux familles de s’exprimer correctement par rapport à leurs besoins pour leur futur logement. Cet atelier permet le franchissement d’une barrière intellectuelle entre les familles et l’expertise en vue de faciliter les débats autour des aspects architecturaux du projet. Il est ainsi important que tous les participants puissent communiquer au même niveau, explique Lorella Pazienza. Une vulgarisation du langage architectural est néanmoins nécessaire pour rendre les aspects techniques compréhensibles. L’organisation de l’atelier destiné au vocabulaire architectural est pris en charge par l’équipe des architectes du CLTB, comme nous l’avons vu précédemment. A l’issue de cet atelier, les futurs habitants sont ainsi capables de lire des plans, de comprendre les différentes typologies existantes d’appartements ou de circulations. De plus, les familles auront fait connaissance avec les aspects énergétiques liés à la performance des bâtiments. L’architecte au sein du CLTB est l’intermédiaire entre l’expertise et la compréhension des habitants ; il endosse la responsabilité de rendre le langage de son métier accessible pour l’ensemble du groupe. La série d’ateliers se poursuit par des visites de projets remarquables pouvant alimenter la réflexion architecturale des projets CLTB. Suite à l’introduction au vocabulaire architectural, les visites ont pour objectif de visualiser les différentes notions acquises lors de la séance précédente et de sensibiliser les futurs occupants davantage. Les familles peuvent ainsi explorer les différentes typologies architecturales, se rendre compte des superficies et des hauteurs des espaces, comprendre leur distribution, s’apercevoir des matériaux employés et interroger des experts présents sur les techniques de construction mises en oeuvre. Les visites permettent ainsi d’explorer les différentes solutions architecturales envisageables pour leur projet en éliminant tout préjugé qu’ils pourraient éventuellement avoir, explique Pazienza. Le choix des immeubles à visiter doit se faire préalablement selon les aspects mis en avant durant l’élaboration 109
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[23] L’Espoir : La façade comme image vers le quartier
[24] Brutopia : un projet d’habitat participatif à Forest 110
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des projets. Cette sélection est faite par l’architecte du CLTB, qui organisera ensuite les visites nécessaires. Pour l’Espoir, une des inconnues était la construction passive, puisque ce type de construction n’était pas encore très répandu dans la région de Bruxelles il y a une dizaine d’années. C’est ainsi que les familles, désirant diminuer la consommation énergétique de leur futur logement, ont pu aller visiter à Zemst, un des seuls immeubles passifs habités en Belgique au moment donné, dans le but de se renseigner davantage sur le fonctionnement de cette nouvelle technique de construction. Il en était de même pour la structure en ossature bois qui constituait le projet retenu pour l’Espoir, élaboré par l’architecte Damien Carnoy. Les immeubles en ossature bois d’un gabarit similaire étaient à cette période-là quasiment inexistants en Belgique. En outre, le groupe exprimait ses doutes par rapport à la résistance à l’incendie et aux performances acoustiques de la structure en bois. Les familles ont pu visiter par la suite un immeuble figurant d’exemple, pour se rendre compte de la structure. Le projet en cours d’élaboration du CLTB, nommé Vandenpeereboom, se caractérise par un nombre assez important en logements, 32 au total. Les familles se préoccupent ainsi d’autant plus pour l’aspect de la cohabitation et des espaces partagés. A ce propos, les familles ont eu l’occasion de visiter le projet Brutopia conçu par le bureau d’architecture Stekke+Fraas et AAAArchitecutres. Ce projet, réalisé suivant une démarche participative, compte au total 27 logements passifs, dont 7 à zéro énergie. Les habitants ont eu la possibilité d’explorer entre autre les espaces communautaires de Brutopia et ont pu se faire une image du fonctionnement de la cohabitation et de la gestion du bâtiment. Le projet a pu donner beaucoup de renseignements en vue d’élaborer le programme architectural pour Vandenpeereboom, qui avait de nombreuses similitudes. Les visites constituent une étape importante dans la réflexion architecturale avec les habitants et ne permettent pas seulement de convaincre les familles pouvant avoir un doute sur certains aspects techniques, mais également les partenaires comme le Fonds du Logement, qui finance le projet en tant que maître d’ouvrage. Les projets exemplaires permettent d’élargir l’horizon du groupe et stimuler davantage la réflexion autour de la programmation architecturale du projet. Les visites de projets de logements permettent de préparer le dernier atelier de la série nommé « mon logement idéal », la dernière étape avant la formulation du programme architectural. Pendant cette séance de 111
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travail, les habitants sont invités à exprimer leurs envies et souhaits pour leur logement à travers de petites maquettes et de plans simplifiés pour illustrer les diverses intentions spatiales et programmatiques. Les visites précédentes ont permis d’élargir leur horizon de réflexion et le vocabulaire architectural acquis les aidera à mieux exprimer leurs besoins spatiaux. Il s’agit d’une séance d’exploration programmatique, pendant laquelle chaque famille identifie ses besoins personnels concernant entre autre le nombre des chambres, la relation entre les différentes pièces et d’autres aspects pratiques de la vie quotidienne. A côté des besoins individuels, le groupe discute aussi sur la possibilité d’intégrer des espaces communs dans leur projet. A l’issue de ces ateliers, les diverses réflexions devront être synthétisées par l’équipe du CLT pour enfin établir une liste de tous les souhaits formulés par les différentes familles et les traduire dans un programme architectural, qui composera une partie du cahier des charges. Comment parle-t-on de l’architecture au sein du CLTB? Les ateliers participatifs s’avèrent être un lieu de réflexion et de débats concernant des sujets architecturaux. Les futurs habitants sont invités à s’exprimer devant tout le monde, tout en respectant l’avis des autres. Les échanges se déroulent dans un cadre bien organisé sans pour autant négliger le caractère convivial de ces rencontres. Nele Aernouts a longtemps suivi les familles du projet Vandenpeereboom et a constaté que les habitants se montrent très enthousiastes par rapport aux ateliers participatifs. Les habitants agissent en tant que « grande famille » et prennent les décisions de manière collective. Le travail en groupe est organisé de manière progressive, développant les nouveaux acquis étape par étape. Les ateliers participatifs sont ponctués par des moments d’inputs qui alimentent le processus de réflexion. En effet, les visites de projets d’habitation et l’intervention de certains experts tout au long de la phase d’exploration, renforce la démarche participative. A cela s’ajoutent les échanges entre les habitants sur les expériences respectives concernant leur logement actuel. Des témoignages du film documentaire Toit(s) de Delphine Duquesne sur l’élaboration du projet Espoir illustrent l’importance de ces échanges, afin de tirer des conclusions pour améliorer le futur logement. La plupart des habitants du groupe doivent faire face à des problèmes similaires d’insalubrité ou de logements inadaptés. Les échanges se déroulent de manière conviviale et tendent à renforcer les 112
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liens entre les familles, facilitant le déroulement des ateliers. A travers les différents ateliers, nous pouvons constater une émergence de certains sujets récurrents concernant l’habitat et l’architecture qui vont influencer le déroulement du processus et de la prise de décisions. Les préoccupations primaires des futurs usagers Grâce au bagage architectural acquis durant les séances de travail, les futurs propriétaires développent une certaine sensibilité pour l’architecture qui leur permet de s’exprimer d’une manière plus consciente et responsable. La lecture des ateliers fait surgir des préoccupations récurrentes de la part des familles. Elles ont leur manière de s’exprimer par rapport à l’architecture. En effet, les sujets qui émergent des cycles de participation touchent principalement à l’économie du bâtiment, à l’organisation des logements, à l’image envers le quartier et aux aspects liés à la cohabitation. Ces préoccupations des habitants sont issues des procès verbaux des différents ateliers ainsi que des recommandations formulées par les groupes de travail respectifs. Vu leurs moyens financiers limités, l’aspect économique du projet est une des préoccupations primaires des futurs propriétaires. Les visites diverses de projets d’habitation permettent aux familles d’explorer des solutions possibles pour réduire les coûts de leur logement. En effet, une économie peut être réalisée à différents niveaux. Réduire les dépenses grâce à une consommation énergétique contrôlée constitue une des priorités pour les familles. Outre les exigences en matière de performances liées à l’énergie du bâtiment imposées par la région, il y a un énorme intérêt de la part des habitants pour des équipements techniques permettant la production d’énergies renouvelables. Ces derniers peuvent répondre à la question de la rentabilité à long terme. Pour L’Espoir, les habitants considéraient qu’une chaudière commune à haut rendement avec des compteurs individuels permettrait un gain d’espace pour les appartements. De plus, la chaleur récupérée permettrait la production d’eau chaude sanitaire ensuite distribuée dans les différents logements. C’était une solution appréciée par l’ensemble du groupe. Les futurs propriétaires des logements de Vandenpeereboom ont opté pour l’installation de panneaux solaires permettant la production d’eau chaude, mais aussi la production d’électricité verte pour chaque logement. Des économies supplémentaires peuvent ainsi être réalisées par un choix responsable des matériaux. Il est 113
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[25] Vandenpeereboom : dessin d’un logement idéal 114
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important que ceux-ci ne soient pas trop chers, mais qu’ils puissent durer dans le temps en résistant aux intempéries et aux différents usages. Le second aspect auquel doivent réfléchir les futurs propriétaires est celui de la cohabitation. Cette dernière n’est souvent pas réellement un choix des habitants, mais fait partie du fonctionnement des projets CLT. Selon la taille et le montage d’un projet, l’immeuble peut comprendre un nombre important en appartements. Cela nécessite une certaine gestion au niveau des circulations et des espaces partagés. Les familles ont cependant le choix de décider dans quelle mesure elles désirent partager des espaces avec les autres habitants. Les ateliers stimulent la réflexion sur le rapport entre les espaces privés et les espaces partagés, dont la balance peut fortement varier d’un projet à l’autre. Il s’avère que les espaces partagés peuvent être perçus soit comme une source de conflits possibles soit comme une opportunité de renforcer les liens entre l’ensemble des habitants. La balance entre espaces privés et espaces partagés dépend fortement de la volonté du groupe concerné. Les habitants de l’Espoir étaient notamment très concernés par le bruit et les problèmes acoustiques. Afin d’éviter tout conflit avec les voisins, ils ont décidé de réduire les espaces partagés à un minimum. Les couloirs distribuant les entrées aux appartements respectifs, estimés comme une source potentielle de bruit, ont été remplacés par des entrées individuelles depuis la rue et des machines à la laver individuelles ont été préférées à une buanderie commune. Un espace de réunion a cependant été souhaité ainsi qu’un jardin commun. Contrairement à ce groupe plus sceptique par rapport aux espaces partagés, les futurs habitants du projet Vandenpeereboom ont prononcé une volonté à vouloir renforcer les liens entre les différentes familles, mais aussi avec le quartier, en proposant un espace communautaire comprenant une salle polyvalente ainsi qu’un jardin collectif. Les habitants se sont montrés plus engagés par rapport à des espaces partagés. Quelle que soit la préférence des habitants pour des espaces communs, il est important que le programme soit adapté aux réels besoins afin que chaque habitant puisse s’approprier le bâtiment correctement. Hormis les volontés collectives, l’organisation des logements doit répondre aux besoins individuels des familles. Les séances d’ateliers font émerger le souhait pour des logements spacieux, dans lesquels chaque membre de la famille possède sa propre chambre. Les familles nombreuses ont très souvent des difficultés à trouver une habitation adaptée, suite à un marché immobilier qui est constitué, comme nous l’avons vu dans la 115
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première partie, en grande partie d’appartements organisés autour d’une à deux chambres. Les futurs habitants voudraient éventuellement pouvoir accueillir des invités dans leur salon. Pour cela, une séparation des espaces du jour et des espaces de nuit est souhaitée par un grand nombre de familles, sans négliger l’apport en lumière naturelle afin de suffisamment éclairer les espaces. Nombreux sont aussi les habitants souhaitant un espace extérieur privatif pour y pouvoir manger ou sécher le linge, soit sous forme de petit balcon ou de jardin privatif. Du point de vue pratique, les avis pour une cuisine fermée ou ouverte sont très distincts, mais une demande pour des espaces de rangement est néanmoins importante. Les familles de l’Espoir ont exprimé leur souhait pour la typologie de duplex pour de nombreuses raisons. Elle permet d’une part, par l’absence de couloirs de distribution, de gagner en surfaces supplémentaires pour les différents appartements. D’autre part, la séparation des espaces par un plancher distribuant le logement sur deux étages, présente des avantages acoustiques quant aux inquiétudes par rapport au bruit. De plus, le duplex fait référence à une petite maisonnette. Cet aspect en quelque sorte émancipatif était très important pour les familles qui allaient devenir propriétaire de leur propre logement. Finalement, l’image envers le quartier semble préoccuper la plupart des groupes lors des ateliers participatifs. La configuration des entrées, l’aménagement de l’espace extérieur, l’expression de la façade ainsi que la présence de grandes baies vitrées du côté rue sont les éléments discutés par les futurs usagers. Le rapport au quartier et la recherche d’une esthétique expressive du bâtiment semblent être d’une grande importance pour le groupe, qui désire se détacher de la connotation négative liée au logement social. Les habitants estiment que le projet doit être un exemple pour le quartier et non pas ressembler à une prison. Les ateliers comme contribution à un processus de qualité Les ateliers participatifs s’avèrent comme un processus d’apprentissage, dont le retour des habitants est plutôt positif, comme le constate Nele Aernouts. Les workshops sont désormais bien visités et les familles apprennent comment s’engager, s’exprimer devant un groupe et d’accepter les avis des autres membres. Ces aspects sont très importants
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afin de pouvoir travailler dans un climat agréable et proactif152. Le processus participatif a parfois mené à des choix architecturaux étonnants, explique Geert De Pauw. Cela peut être illustré par le fait, que les familles étaient très vite convaincues de vouloir construire en passif et opter pour des techniques de construction innovantes, mêmes si celles-ci n’étaient pas encore courantes à un certain moment donné153. La capacité de discuter en groupe et le fait de prendre collectivement les décisions contribuent positivement au processus d’élaboration d’un projet architectural. Jeremy Till, architecte et éducateur britannique, constate que l’architecture tourne souvent autour de la résolution d’un problème donné154. Dans le cas des ateliers participatifs du CLTB, le problème est en quelque sorte donné et résolu par les futurs occupants eux-mêmes. Les habitants montrent qu’ils savent parler de l’architecture, lire des plans et se situer dans un projet, explique Lorella Pazienza. Les familles comprennent le fonctionnement et l’importance des aspects architecturaux qui composeront leur projet d’habitation. Le fait de donner autant d’outils didactiques aux futurs habitants est très novateur pour la conception de logements publics à Bruxelles, puisque la notion participative n’a pas vraiment encore trouvé sa place, ajoute Pazienza. Cependant, elle permet de faire des choix conscients et des choix plus adaptés aux besoins réels des familles. Le processus a pour objectif d’élaborer un programme architectural que les futurs usagers pourront s’approprier. Les ateliers participatifs ouvrent l’esprit des familles et il y a une réflexion en- dehors d’un cadre normé. Jeremy Till qualifie ce type de processus comme des « négociations à travers de nouvelles relations sociales, juxtaposant actions et activités permettant une réflexion au-delà des normes afin de se projeter dans des nouvelles conditions spatiales et sociales. »155 Les séances de travail permettent de réfléchir l’architecture d’une manière différente en vue de pouvoir peut-être retranscrire certains aspects dans la pratique réelle. Il n’est pourtant pas toujours facile d’inclure la notion participative dans la réalité architecturale, remarque Pazienza.
152 Aernouts, N., Ryckewaert, M., « Participative housing in Brussels: the rôle of combinons pratiques in the establishment of a Community Land Trust project 153 De Pauw, G., ibid. op. cit., K8. 154 Till, J., « Architecture dépends », MIT Press, Londres, 2009, p. 166. 155 Till, J., ibid. op. cit., p.169. Traduction de l’Anglais. 117
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[26] L’Espoir : duplex - plan étage
[27] L’Espoir : duplex - plan rez-de-chaussée 118
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4. Intégrer les réflexions des habitants dans la pratique architecturale Double rôle de l’architecte Le rôle de l’architecte au sein du CLTB en tant que coordinateur et médiateur a cependant des limites, explique Lorella Pazienza. En effet, en tant qu’acteur public, le CLTB est obligé de passer par un marché public et ne peut pas désigner lui-même un architecte pour la conception et la réalisation du projet. Cette obligation risque de mettre en danger la démarche participative, puisqu’elle tend à mettre à l’écart la réflexion des familles et la pratique architecturale, créant ainsi une tension entre la médiation et l’expertise, comme le constate Elodie Degavre. Au-delà de la phase participative, une intervention d’un architecte extérieur au CLTB est nécessaire afin de pouvoir concevoir le projet. Le rôle de l’architecte est ainsi dédoublé dans le sens où les missions respectives sont distinctes l’une de l’autre. D’un côté nous avons une phase de réflexion préalable à la réalisation qui a été encadrée par l’architecte dans son rôle de coordinateur et médiateur, et d’autre part l’architecte praticien qui devra traduire la demande dans un projet architectural. Cependant, la question qui se pose est de savoir comment rapprocher l’architecte soumissionnaire aux réflexions exprimées par les familles et comment intégrer la notion participative dans la pratique architecturale. Le cahier des charges est le seul outil à disposition lors d’un marché public pour communiquer les idées aux architectes soumissionnaires. Dans la production de logements publics, ce document semble être standardisé et répété, résultant à peu de variation architecturale. Lorella Pazienza estime que le double rôle de l’architecte devrait être perçu comme un atout, une opportunité de rapprocher les deux missions d’architecture énoncées ci-dessus. L’architecte médiateur et coordinateur effectue des tâches qu’un architecte praticien ne pourrait peut-être pas réaliser. Les deux rôles devraient se compéter, explique Pazienza. Jeremy Till distingue entre « l’intelligence architecturale » et le « savoir architectural ».156 A travers l’intervention dans le cahier des charges, le CLTB pourrait intégrer la notion participative afin d’améliorer la communication entre les familles et l’architecte qui réalise le projet final. Le cahier des charges 156
Till, J., ibid. 119
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doit être l’élément clé entre les deux phases de conception, sinon le travail participatif avec les familles n’a plus de sens. Dans son ouvrage, Jeremy Till met l’accent sur un changement d’idéologie passant de la conception d’un objet architectural abouti à une conception d’une commande pour arriver à quelque chose de différent157en stipulant que cette démarche est définie par un caractère plus social. Nous citons cette idée pour illustrer l’importance du cahier des charges, dans lequel il faut focaliser l’énergie avant d’entamer la conception du projet. Il faut atteindre l’architecte afin de renforcer la collaboration par une meilleure communication. En passant par le projet l’Espoir, le CLTB a réussi suite à un long processus de négociations avec le Fonds du Logement, à rendre la participation plus crédible en l’intégrant progressivement dans le cahier des charges. L’architecte du CLTB est aussi négociateur. Il anticipe et veille à ce que les avis des familles et de la communauté soient toujours pris en considération par les autres acteurs, explique Lorella Pazienza. Cahier des charges et cahier de recommandations Le marché public change les relations des différents acteurs. Une opération architecturale classique se caractérise par une collaboration triangulaire entre le maître d’ouvrage, l’architecte et l’entrepreneur. L’architecte remplit le rôle de coordinateur et de réalisateur du projet en conseillant le maître d’ouvrage. Dans le cas des projets CLTB, nous avons vu que la démarche est différente. Dans une première phase, l’équipe autour de l’architecte prend le rôle d’intermédiaire entre les candidats propriétaires et le maître d’ouvrage, en première ligne le Fonds du Logement, pour élaborer le cahier des charges. Par la suite, le maître d’ouvrage entre en relation avec l’architecte responsable pour la conception et la réalisation du projet, et le groupe des familles ne peu théoriquement pas intervenir. Cependant, cette procédure s’opposerait à la démarche participative. Le cahier des charges est le seul document qui permet d’informer l’architecte qui devra concevoir le projet. Il semble évident, que le CLTB doit joindre les réflexions des futurs usagers dans ce dossier afin que l’architecte ne construise pas pour un groupe quelconque. Sans cette intervention, l’approche participative risque de perdra son sens. Pour le 157
Till, J., ibid. 120
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projet pilote l’Espoir, l’équipe des architectes coordinateurs avait élaboré un document nommé le « cahier des recommandations ». Ce dernier regroupe toutes les réflexions pertinentes des futurs usagers sous forme de texte de synthèse. Il comprend ainsi des photos des habitants et des séances d’ateliers, mais aussi un tableau récapitulatif du programme architectural élaboré par les futurs propriétaires. Ce document a finalement, après de longues négociations avec le Fonds du Logement, pu être annexé au cahier des charges pour l’adjudication publique, dans le but d’améliorer la communication entre le groupe des futurs habitants et les architectes soumissionnaires du projet, explique Lorella Pazienza. Le cahier des recommandations est cependant beaucoup apprécié par les architectes. En effet, ils peuvent se projeter dans la situation des futurs usagers et du coup le projet est caractérisé par des visages. Contrairement aux projets de logements publics à caractère anonyme faisant une abstraction des habitants potentiels, les architectes confrontés à une demande précise dû au cahier de recommandations, savent désormais pour qui construire. Le fait de voir des photos des habitants, connaître leurs envies et inquiétudes par rapport à certains aspects du projet, contribue une certaine dimension humaine au projet. Ce travail réalisé en amont par le groupe, encadré par l’architecte modérateur et conseiller, sert à informer l’architecte réalisateur au mieux. Ce dernier a toujours la possibilité de rentrer en contact direct avec les personnes du CLTB en cas de questions concernant les besoins des futurs propriétaires. L’équipe du CLTB a néanmoins eu beaucoup de chance de travailler avec des architectes très engagés et intéressés par la démarche participative. Malheureusement, cela n’est pas toujours évident pour tous les professionnels lors d’une adjudication publique. Si le cahier des charges ne fournit pas d’informations précises concernant la notion participative, les architectes risquent de réaliser des projets qui contredisent les intentions des candidats propriétaires du CLTB en interprétant le programme architectural d’une manière plus abstraite. Le double rôle des architectes doit donc être complémentaire en renforçant la relation entre futurs habitants et architectes réalisateurs. Pour intégrer la démarche participative de manière plus concrète dans la pratique architecturale, il faudra directement intervenir dans le cahier des charges. Le Fonds du Logement estimait que le cahier des recommandations menait à des confusions avec les informations du cahier des charges, puisqu’il contenait aussi des aspects relatifs à la programmation architecturale qui sont propres au dernier. Par 121
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la suite, l’équipe du CLTB a retravaillé le cahier des charges pour le projet Vandenpeereboom. Ainsi, l’aspect participatif y a entièrement été intégré et le cahier de recommandations en reste une présentation des différentes familles qui habiteront le projet en résumant leurs intentions. Il complète le cahier des charges en lui donnant un caractère humain, conclue Pazienza. La notion participative et sa place dans le cahier des charges Le cahier des charges élaboré par le maître d’ouvrage en concertation avec les futurs habitants tend à rapprocher la notion participative à la pratique architecturale. En effet, l’architecte soumissionnaire est désormais tenu à s’exprimer sur la manière dont il pense intégrer l’aspect participatif dans son projet. Cela touche notamment à des approches de conception, mais aussi au planning qui doit prévoir certains moments de rencontre avec les futurs occupants. Comme ces tâches sont inscrites dans le cahier des charges, elles feront partie des missions de l’architecte lors de l’élaboration du projet d’architecture et seront dès lors comprises dans les honoraires. Le cahier des charges rédigé pour le projet Vandenpeereboom est une contribution remarquable vers une institutionnalisation du processus participatif dans une adjudication publique. Il se caractérise par une rédaction soignée qui met l’accent sur les besoins et le confort des futurs occupants issus des réflexions des différents ateliers. En outre, les missions de l’architecte soumissionnaire par rapport à la démarche participative sont précisément définies. La démarche participative est mise en avant dans la partie nommée « Procédure de gestion participative avec les futurs occupants » définissant précisément le rôle des soumissionnaires. Dorénavant, les architectes sont tenus à s’exprimer par rapport à la méthodologie de travail participative qui doit prévoir des moments de rencontre, d’information et d’échange entre leur équipe et les futurs occupants du projet. Le cahier des charges précise d’ailleurs, que ces mesures mises en place ont comme but primaire d’améliorer la communication entre l’équipe autour de l’architecte et les familles. La démarche participative doit faire objet du planning du projet. A cet effet, un certain nombre de réunions en présence de représentants des futurs occupants doivent être prévus dès le départ. Cela inclut la phase d’élaboration du dossier pour l’introduction du permis d’urbanisme, des visites de chantier hebdomadaires et la rédaction d’un « guide pratique » sur lequel nous reviendrons ci-dessous. L’équipe autour de l’architecte 122
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est donc obligée de chercher le contact avec les futurs habitants en vue d’optimiser le projet aux besoins réels. Cet aspect ressort clairement de la manière comment le cahier des charges a été rédigé. Au niveau de la programmation architecturale, la description de l’offre est accompagnée par des détails faisant un lien avec la réflexion des familles. Le premier paragraphe souligne par exemple le besoin d’une variété typologique en appartements. Sous un autre point, la description de la circulation commune est complétée par un commentaire précisant qu’elle doit pouvoir favoriser les rencontres entre les futurs habitants sans constituer une éventuelle source de conflits dus à des éventuels problèmes d’acoustique. Des remarques détaillées supplémentaires exprimant les besoins des futurs occupants se poursuivent dans la description des espaces collectifs et dans le choix des installations techniques. Un paragraphe intitulé « moyens en vue de diminuer la facture énergétique » a attiré mon attention. Cette formulation très directe reflète le souhait des futurs occupants de vouloir diminuer leur consommation énergétique (électricité, eau, gaz) à l’aide d’une architecture et des installations techniques adaptées, mais aussi l’intention de poursuivre la production d’énergies renouvelables. Nous avons vu auparavant que ces préoccupations résultent d’une réflexion de la part des familles. Cette dernière tend à stimuler la créativité des architectes pour répondre par une technique adaptée et aller au-delà de ce qu’ils connaissent déjà. C’est ainsi que le CLT a pu aussi intégrer la notion de la flexibilité dans le cahier des charges. Ce terme est à considérer comme une adaptabilité spatiale aux usages potentiels à travers le temps et s’inscrit parfaitement dans l’idéologie du CLT concernant la durabilité à long terme d’un projet. L’exemple de la salle polyvalente du projet Vandenpeereboom prévoit qu’elle puisse être réaménagée en logement en cas de besoin des futurs habitants. A cet effet, l’espace doit comporter les installations nécessaires, afin de pouvoir abriter tous les équipements vitaux à l’habitabilité de l’espace. L’architecte est tenu à proposer les différents scénarios possibles dans les dessins de plans. Il en est de même pour d’autres équipements potentiels, par exemple la mise en place de panneaux photovoltaïques destinés à la production d’électricité pour les ménages. Le cahier des charges doit prévoir ainsi les fixations et le câblage nécessaires afin de permettre l’installation des panneaux, une fois que les habitants auront les moyens financiers. En outre, des supports structurels peuvent être en attente en vue d’une extension 123
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possible, comme par exemple des poutres pouvant accueillir un plancher supplémentaire. La flexibilité d’une structure peut répondre à différents besoins exprimés par les habitants dans le cadre d’un projet participatif ouvert et veiller à ce que tous les espaces d’un immeuble puissent être utilisés. La notion illustre bien le processus évolutif d’un projet CLT. L’ambition de laisser une marge dans la configuration spatiale montre que le projet architectural issu de la participation n’est pas un objet fini et reste ouvert pour toute réflexion future. La tentative de rapprocher les architectes et les futurs habitants est très particulière et novatrice pour la conception d’un logement public dans la mesure où elle tend à responsabiliser les futurs occupants par une autogestion de leur immeuble. Pour ce faire, on oblige les architectes de rédiger un « guide pratique » avec les habitants afin qu’ils puissent entretenir leur logement en autonomie. Le cahier des charges livre une description explicite sur le contenu de ce manuel d’utilisation du bâtiment. Une première expérience a été faite lors du projet l’Espoir, pour lequel l’architecte Damien Carnoy avait élaboré le premier guide de la bonne pratique destiné aux futurs occupants. Cependant, ce document s’est avéré trop technique et certains points étaient incompréhensibles pour les habitants et nécessitaient une simplification pour le rendre plus clair et didactique. Le cahier des charges pour le projet Vandepeereboom prévoit que les futurs occupants puissent entretenir en autonomie leur logement, le bâtiment et tous les équipements présents. Le guide de la bonne pratique doit être élaboré par l’équipe autour de l’architecte en concertation avec les familles. Il n’est pas destiné à être un répertoire de fiches techniques, mais doit être appropriable, didactique et compréhensible afin que les futurs propriétaires puissent réaliser des petits travaux d’entretien sans aucune intervention extérieure. Un souhait exprimé lors des réflexions en ateliers était que l’entretien puisse être effectué de manière aisée et économe pour les utilisateurs. Le document didactique ne comprendra pas seulement des informations et des instructions relatives à l’entretien des installations techniques, mais aussi des conseils supplémentaires concernant les finitions, comme par exemple la peinture et la pose du revêtement du sol, ainsi que d’autres équipements domestiques, comme les appareils électroménagers. Le guide de bonne pratique est complété par un répertoire contenant tous 124
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les contacts utiles en cas de besoin d’intervention extérieure. C’est un outil qui permet aux occupants de savoir quel professionnel contacter en cas d’un problème spécifique. L’architecte est donc en charge d’élaborer ce document avec les futurs habitants afin d’assurer le bon fonctionnement et l’usage correct du bâtiment. Le soumissionnaire doit entre autre prévoir un planning de suivi régulier de la performance du bâtiment en concertation avec les familles. Au moins trois réunions doivent être prévues à cet effet dans les deux ans après la réception du bâtiment. Lors de ces rencontres, l’architecte pourra avoir un échange avec les habitants sur le bon « comportement » de l’immeuble. Le « commissioning » vise à vérifier les performances réelles des installations techniques. Une analyse des résultats permet de tirer des conclusions afin d’en informer les habitants. En cas de lacunes, une optimisation des réglages des installations doit être prévue afin d’améliorer la performance du bâtiment et le confort des occupants. A cet effet, l’équipe doit organiser une petite formation pour les familles. La démarche participative a une réelle chance d’atteindre son but primaire, à savoir celui d’élaborer des projets qui répondent aux besoins réels des futurs occupants, avec une intégration explicite dans le cahier des charges en imposant des tâches concrètes aux architectes soumissionnaires. L’expérience a montré que des collaborations fructueuses sont en général possibles entre architectes médiateurs et architectes praticiens. Or, en liant les architectes à des responsabilités vis-à-vis d’une gestion participative par un document officiel, l’implication des familles dans l’élaboration de projets de logements publics peut gagner en crédibilité pour des réalisations futures. L’évaluation des projets avec les futurs habitants Du marché public résultent environ une dizaine de projets soumis par les architectes. Les propositions sont par la suite évaluées par le maître d’ouvrage. Dans le cas du projet Verheyden, cette évaluation a été réalisée par la société civile crée pour le projet, donc par l’équipe du CLT et les futurs habitants du bâtiment. Dans le cas de Vandenpeereboom, c’est le Fonds du Logement qui est en charge de l’évaluation en tant que maître d’ouvrage. D’un point de vue purement juridique, le Fonds ne prévoit aucune évaluation de la part des futurs habitants. Il s’agit ici d’un aspect lié à la mise à distance de 125
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[28] Les habitants participent à l’évaluation des projets 126
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la participation à travers le marché public. Cependant, après de longues négociations, le CLT a réussi à intégrer les futurs occupants dans la procédure d’évaluation des projets soumis. Il est important que l’avis des familles soit pris en considération, puisque les architectes ont en quelque sorte répondu directement à leur demande. A cet effet, le CLT a proposé au Fonds du Logement d’organiser une sorte de jury, qui permet à des personnes autres que le maître d’ouvrage à consulter les propositions soumises dans un cadre juridique légal, explique Lorella Pazienza. L’évaluation représente un moment très particulier pour les habitants, puisqu’ils sont directement impliqués dans la prise de décision. Même si le Fonds du Logement aura le dernier mot, l’avis des familles peut néanmoins influencer le choix du projet. Les évaluations des deux parties se font de manière indépendante afin de se concerter de manière collective sur les qualités des différents projets soumis. Pour que les familles puissent évaluer les projets de manière objective, l’équipe du CLT a organisé un second cycle d’ateliers en vue de les préparer et de leur donner les outils nécessaires. Cette formation a pour but de sélectionner le projet le plus intéressant pour l’ensemble du groupe. L’évaluation des projets soumis pour Vandenpeereboom a duré un mois et a été organisée autour de trois thèmes essentiels repris dans des ateliers participatifs. L’ensemble des familles a été réparti en trois sous-groupes analysant les aspects liés à la cohabitation, l’énergie et l’intégration du projet dans le quartier. Chacun de ces ateliers est animé par un assistant social ainsi que par un architecte du CLT. Leur travail consiste à conseiller les habitants afin d’effectuer des choix objectifs. Pour Vandenpeereboom, les ateliers en vue de préparer l’évaluation des projets se sont déroulés dans les locaux communs de l’immeuble Brutopia, qui a beaucoup inspiré les futurs habitants pour l’élaboration du programme architectural. Les ateliers ont été organisés en trois phases. Tout d’abord, l’architecte a prévu une séance de lecture de plans afin que les familles puissent se retrouver dans le bâtiment. Ensuite, on leur a demandé de pointer certains éléments de l’espace dans les plans. Le but de cette première phase consiste à pouvoir s’imaginer l’espace et saisir les dimensions à travers la simple lecture des plans, coupes et élévations. Dans un second temps, les familles devaient comparer les plans de plusieurs projets. Cet exercice visait à développer un esprit critique des habitants en toute objectivité. Finalement, le groupe à élaboré une liste de points d’évaluation correspondants aux thématiques des ateliers respectifs. 127
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Le premier atelier, nommé « vivre ensemble », est consacré d’une part à l’analyse des projets en considérant les éventuels problèmes liés à la cohabitation. D’autre part, les familles évaluent les qualités spatiales des logements proposés. Nous avons vu précédemment que les conflits dus aux nuisances sonores représentent une des préoccupations principales des futurs occupants. C’est ainsi que l’évaluation prête une attention particulière à l’insonorisation et l’acoustique. Durant cet atelier, chaque famille passe en revue les différentes propositions pour les logements. Finalement, la difficulté consiste à trouver un dénominateur commun en considérant tous les avis. L’atelier « énergie » a comme but d’analyser les aspects liés à la performance énergétique du bâtiment. Les évaluations portent sur les équipements techniques qui doivent répondre au souhait, exprimé par les futurs occupants, de pouvoir réduire la consommation énergétique. En outre, la facilité d’utilisation et l’économie de l’entretien figurent aussi parmi les facteurs à évaluer. Finalement, l’évaluation des projets soumis est complétée par l’atelier « intégration dans le quartier ». Ce dernier s’intéresse aux questions concernant l’implantation du projet dans le contexte environnemental. L’évaluation prête une attention particulière aux éléments en lien avec l’espace public, notamment l’entrée de l’immeuble, la matérialité de la façade, les balcons et la circulation extérieure. L’évaluation des deux parties a finalement abouti au choix du même projet. Les avis des familles ont certainement influencé la prise de décision du Fonds du Logement. Mais de cette sorte ce dernier peut être rassuré que les moyens financiers sont bien investis et que les futurs occupants s’approprieront le projet. L’évaluation du côté des familles n’est pas toujours évidente, précise Lorella Pazienza. Pour concrétiser cette démarche, une convention devrait être établie avec le Fonds du Logement en tant que maître d’ouvrage. Aujourd’hui, c’est grâce à une relation de confiance issue du projet l’Espoir que les projets CLT bénéficient de telles sortes de privilèges. Les démarches doivent être plus réglementées pour les réalisations futures afin de gagner plus en crédibilité. L’évaluation des projets et la prise de décision pour un lauréat constituent désormais une étape très importante dans la démarche participative du CLT où l’avis des futurs occupants n’est pas à négliger.
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5. La démarche participative comme contribution à la qualité architecturale L’abordabilité financière et la qualité architecturale semblent a priori deux éléments opposés. Cependant, l’expérience des projets CLTB et ceux qui les précèdent ont montré qu’il était possible de réaliser des logements décents pour un prix qui ne fait pas exploser le budget des ménages à bas revenus. La qualité architecturale des projets CLTB ne se mesure pas uniquement du point de vue purement technique, comme nous l’avons pu constater à travers les paragraphes précédents. Les atouts résident en priorité dans le processus d’élaboration du projet, basé sur la participation des futurs occupants et allant au-delà de la simple réalisation d’un bâtiment d’habitation. Ce sont ces qualités qui rendent la démarche du CLTB intéressante pour une production architecturale en logements publics de qualité supérieure. Collaboration dynamique et le marché public comme opportunité La communauté autour du trust investit beaucoup d’énergie dans la communication en vue d’atteindre une collaboration dynamique grâce à son idéologie démocratique ; celle-ci constitue une base solide vers une architecture de qualité. En effet, le CLTB prend en charge le rôle d’organisateur du projet, avec l’architecte tissant les liens entre les différents collaborateurs. Le marché public a longtemps été perçu comme un inconvénient. En effet, il mettait à l’écart les deux phases du projet, à savoir celle de l’élaboration du programme architectural avec les futurs habitants et celle de la réalisation finale. L’équipe du CLTB a finalement réussi à combler cet écart en considérant l’adjudication publique comme une opportunité afin d’améliorer la méthodologie pour l’élaboration de logements publics. A travers de nombreuses négociations entre les différents partenaires, la notion de la participation a progressivement trouvé sa place dans l’adjudication publique. Cette dernière constitue un atout supplémentaire, puisqu’elle garantit une compétitivité entre les architectes en stimulant leur créativité de conception. Les expériences préalables des projets d’habitat participatif comme celui de l’Espoir ou Brutopia ont démontré que la méthodologie autour de la participation peut avoir une influence directe sur la qualité architecturale. A cet effet, le CLTB 129
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a réussi à rapprocher les architectes qui réalisent le projet final des futurs habitants par une sorte de conventionnement sous forme de conditions dans le cahier des charges accompagnant le marché public. L’association aux architectes a pu mener à des collaborations fructueuses jusqu’à présent. Le retour semble plutôt positif, puisque l’intérêt pour répondre à des besoins réels leur semble évident et ils savent pour qui ils construisent et l’habitant n’est plus abstrait à un usager quelconque. Les architectes semblent beaucoup apprécier la démarche participative du CLTB et le fait de pouvoir créer un projet que les futurs occupants puissent s’approprier, affirme Lorella Pazienza. Des réponses techniques adaptées pour concilier qualité et abordabilité Les besoins formulés par les futurs occupants lors des ateliers participatifs ont pour objectif de stimuler la créativité des architectes en vue d’élaborer des techniques adaptées pour répondre au mieux aux critères programmatiques et d’abordabilité. Le défi architectural consiste aujourd’hui à trouver un bon équilibre entre économie et la qualité du projet en agissant d’une manière consciente et innovante. Ceci se traduit par des choix de matériaux et de techniques de construction adaptés. Le coût des matériaux mis en oeuvre n’est pas à sous-estimer. En effet, un choix conscient et réfléchi peut réduire de façon substantielle les dépenses liées aux finitions intérieures. La pose de carrelage ou de vinyle est nettement meilleur marché comparé au parquet en bois. De surcroît, ce dernier est beaucoup plus fragile et plus exigent en terme d’entretien. Les premiers matériaux cités présentent un choix plus raisonnable par leur simplicité et leur longévité notamment dans le cas des familles nombreuses. Certaines familles sont prêtes à peindre leur logement eux-mêmes, afin de réduire le prix d’achat de l’habitation. Le choix des matériaux et des finitions à des prix raisonnables contribuent ainsi à la qualité architecturale lorsqu’il est adapté aux besoins des habitants. Par ailleurs, dans le calcul de la réduction des coûts d’un projet sans négliger la qualité de la construction, des techniques de mise en œuvre efficaces sont à considérer dès le départ de la conception des projets. Il s’avère que la préfabrication d’éléments de construction peut réduire considérablement les coûts des travaux. Pour le projet l’Espoir, l’architecte Damien Carnoy a proposé une structure entièrement conçue en bois, composée de caissons préfabriqués. Les éléments sont ainsi livrés sur 130
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chantier, où ils peuvent être rapidement assemblés. L’ossature bois est par la suite équipée de toutes les installations techniques avant d’être isolée. Outre la réduction du temps de chantier avec des avantages budgétaires, la préfabrication peut garantir une qualité constante grâce à des procédés de production industriels normés et presque entièrement automatisés158. Les bureaux d’architecture partenaires de l’équipe CLTB, comme ceux de Damien Carnoy, Stekke+Fraas ou encore Low-A Architecture ont des années d’expérience dans l’éco-construction et sont ainsi plus sensibles aux techniques de mise en oeuvre pouvant s’adapter à un budget restreint. En terme d’efficacité, la mise en place de cloisons légères sur de rails métalliques, composées de panneaux OSB, des plaques de plâtres et remplies d’isolant, semble une solution pouvant faire économiser du temps et de l’argent. Même si cette solution peut sembler banale, il ne faut pas oublier que ces projets doivent répondre à des contraintes économiques exceptionnelles. Le niveau de qualité atteint par les projets CLTB au niveau des techniques de construction est comparable avec d’autres bâtiments exemplaires à Bruxelles. Le projet l’Espoir comme projet préalable au premier Community Land Trust de Bruxelles avait démontré ce qui était faisable dans le domaine du logement public pour les familles à bas revenus du point de vue technique et a ainsi été élu bâtiment exemplaire de la région. Cette année, le premier projet du CLTB réalisé, celui de Mariemont, a reçu le prix de Molenbeekois de l’année plaidant en faveur de la qualité de ces projets, qui n’est certes pas que matérielle. Finalement, l’aspect énergétique des bâtiments contribue aujourd’hui énormément à la qualité des productions architecturales. Comme dans les cas précédents, la difficulté consiste à garantir la qualité en répondant à un budget serré. Or, l’aspect environnemental est une des préoccupations principales des futurs occupants, souhaitant pouvoir réaliser des économies en consommant moins de ressources énergétiques dans leur logement. Suite aux mauvaises expériences vécues dans des logements insalubres et inadaptés, accompagnés de factures de consommation exorbitantes, les meilleures performances énergétiques contribuent à un confort pour les familles, qu’elles ne connaissaient pas auparavant. Les installations techniques et autres matériaux constructifs nécessaires pour atteindre le standard passif peuvent parfois être très coûteux. Grâce à des primes supplémentaires pour des constructions à basse énergie et des 158 De Hesselle, L., « Le logement comme anti-crise », dans: Imagine, n° 97, mai & juin 2013, p. 14. 131
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économies en terme de choix de matériaux ou techniques de mise en œuvre, le passif est aussi très bien accessible pour des ménages à bas revenus et répond aux questions du logement décent. La participation au-delà de la réalisation du projet Vivre dans du passif requiert cependant un savoir de la bonne utilisation et des notions pour pouvoir assurer un entretien régulier. Tout au long du processus d’élaboration du projet, les futurs propriétaires sont responsabilisés petit à petit dès le début afin de pouvoir prendre correctement en charge leur futur logement. L’implication dans le projet contribue à la prise de conscience des futurs occupants du bâtiment, ce qui n’est souvent pas le cas dans les logements sociaux, où les familles sont seulement locataires. Nous avons vu que le cahier des charges du marché public requiert de la part des architectes soumissionnaires d’élaborer ensemble avec les futurs occupants un guide de la bonne pratique du bâtiment. Ce document a pour but de faciliter l’entretien et le suivi régulier de la part des habitants. La prise en charge de cette tâche de leur part contribue à une durabilité à long terme des logements en diminuant le risque de la dégradation des habitations. En responsabilisant les futurs occupants pour autogérer leur bien, le CLT a pu inspirer d’autres développeurs de sorte que le guide de la bonne pratique a trouvé sa place dans nombreux projets d’habitations qui remplissent le standard énergétique. Il faut noter, que la démarche participative facilite la formation de sensibilisation, puisque les familles se montrent très engagées dans le but d’améliorer leur situation de logement. La formation est une tâche des experts qui doivent communiquer leur savoir aux futurs occupants afin de garantir le bon fonctionnement et une qualité à long terme des projets réalisés. L’engagement des familles s’étend au-delà du projet d’habitation. Elles agissent en tant que « grande famille » dans la mesure où les habitants peuvent organiser des activités pour le quartier. Les espaces partagés, comme le jardin collectif ou la salle polyvalente, sont des lieux ayant la capacité d’accueillir une diversité d’activités, des fêtes ou des réunions destinés aux gens du quartier. L’organisation est entièrement gérée par les cohabitants. Cette extension qui vise l’interaction avec le quartier constitue une qualité supplémentaire du projet CLTB. La connectivité avec l’espace public augmente le degré de « publicité » du projet, constate Nele 132
Le Community Land Trust à Bruxelles
Aernouts159. Cet aspect est un produit de la propriété partagée et de la coproduction. Loïc Géronnez soulève encore l’importance de l’appropriation de l’espace de la part des futurs usagers grâce un à un processus de responsabilisation. En tant que propriétaires, les familles tendent à améliorer leur logement, tout en veillant à son bon fonctionnement. Durant le processus participatif, les futurs occupants gagnent en autonomie, ce qui contribue à leur émancipation et prise de responsabilités pour organiser des activités éventuelles en dehors du cadre de l’habitat160. Les projets CLTB contribuent désormais à la diversité architecturale. En effet, à travers le processus de participation, chaque projet est différent dans son expression. Les intentions architecturales sont distinctes selon les projets, mais l’intention de créer un projet abordable et décent caractérise l’ensemble des projets CLTB. Geert De Pauw m’avait expliqué, que le CLT n’est pas un concept d’architecture. Il n’y a pas de recherche directe de l’esthétique et le résultat de chaque projet est une synthèse des réflexions collectives menées pendant les nombreuses réunions. L’architecture crée par le CLTB s’oppose à un style standardisé que la production de logements publics a longtemps adopté, menant à des habitations non appropriables par les usagers. La citation de Vladimir Kalouguine, architecte français, illustre bien la question autour de la recherche esthétique:
« Il n’y a pas de projet parfait, mais des compromis négociés. Un client ne s’en aperçoit pas lorsqu’il achète un produit toit fait. Par comparaison, dans une gamme, il choisit le logement le moins insatisfaisant, celui qui a le moins d’inconvénients à ses yeux, et non par rapport à l’absolu de sa demande. La participation, paradoxalement, met en évidence les frustrations partielles aussi bien que les satisfactions. […] C’est probablement à ce stade que l’architecte a le plus de responsabilités et que les habitants attendent le plus de lui. Le processus exalte l’appel à la créativité architecturale. En faisant un rapide tour d’horizon des réalisations en participation, on constate une grande diversité architecturale. La maîtrise d’ouvrage collective ne semble donc pas conduire à une architecture spécifique. […] »161
159 Aernouts, N.; Ryckewaert, M., 2015, ibid. op. cit., p. 28. 160 Géronnez, L., « Vers des Community Land Trusts: essai à partir d’une pratique associative orientée vers une démocratie participative en milieu urbain », dans « Le droit à la ville comme bien commun », Les cahiers d’architecture La Cambre-Horta, n°9, Edition La Lettre volée, Bruxelles, 2013, p.256. 161 Lefèvre, P., 2014, ibid. op. cit., p. 133-134. 133
Une production architecturale innovante et responsable
A travers les derniers paragraphes, nous avons pu explorer les différents aspects qui contribuent à la qualité architecturale des projets CLTB. La démarche participative s’exprime au-delà de la réalisation du projet avec une responsabilisation des occupants s’occupant de l’entretien et s’appropriant l’espace de vie dont ils étaient coproducteurs. Les négociations qui caractérisent le processus participatif donnent un aspect humain à l’architecture et peuvent ainsi être aussi considérées comme une qualité architecturale.
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Le Community Land Trust à Bruxelles
Conclusions L’approche participative du Community Land Trust de Bruxelles nous a enseigné qu’elle peut très bien répondre aux questions liées à l’abordabilité et à la qualité des projets architecturaux. L’accessibilité financière est assurée d’une part par le montage même des projets. En effet, le mode alternatif d’acquisition foncière, les subsides, les primes et le cadre de revente régulé permettent de garantir une abordabilité perpétuelle des habitations en captant et redistribuant la plusvalue au sein de la collectivité et limitant ainsi la spéculation immobilière. D’autre part, des choix architecturaux plus économes qui répondent à une demande exigeante de la part des futurs habitant permettent de diminuer le coût des logements. La qualité des logements se traduit d’une part à travers les procédés constructifs : des techniques de mise en oeuvre innovantes, des matériaux d’une grande longévité et des constructions passives représentent des atouts déterminants pour une durabilité à long terme. Cette dernière est d’autre part renforcée par une gestion autonome de l’entretien de la part des occupants, ce qui permet d’étendre la durée de vie des logements et de l’immeuble. De plus, la démarche participative permet d’élaborer un programme architectural que les familles pourront mieux s’approprier à longue durée. La démarche participative peut guider les concepteurs vers des choix plus intelligents et représente indubitablement une plus-value architecturale pour les projets d’habitat. Le CLTB n’a jusqu’à présent pas encore réalisé assez de logements pour que nous puissions évaluer les effets de la participation sur la qualité architecturale sur une période plus étendue. La démarche participative n’influence pas seulement les décisions autour de sujets d’architecture, mais constitue aussi une plus-value sociale pour la collectivité. À travers les ateliers participatifs, les familles gagnent en confiance et réussissent à s’émanciper pour participer et contribuer à une dynamique de quartier au-delà du projet de cohabitation. Les habitants deviennent des citoyens autonomes et responsables qui rayonnent d’enthousiasme, se montrant engagés malgré la prise de risque considérable avec les projets CLTB, dont on ne sait pas toujours s’ils pourront aboutir. Les ménages à revenus modestes ont finalement la chance de 135
Conclusions
devenir propriétaires de leur propre logement qu’ils auront acquis à un prix abordable. Devenir propriétaire représente un symbole liberté, puisque les familles pourront enfin bénéficier d’une sécurité de logement à long terme qui leur permet d’accumuler un capital financier. Ces qualités semblent lointaines en étant locataire et dépendant du marché privé. Le projets CLTB deviennent d’autant plus sociaux et publics en sachant qu’une autre famille pourra un jour acquérir le même logement à un prix abordable. En ce qui concerne l’efficacité des projet CLTB, les avis sont néanmoins partagés. Le débat tourne autour de la question si la participation est réellement nécessaire pour la conception du projet et si elle ne constitue pas plutôt un frein. Notre réflexion issue de la partie précédente a exposé les possibilités et les qualités que la démarche participative peut offrir au processus d’un point de vue économique et qualitatif. Or, l’organisation de la participation nécessite beaucoup de temps et d’énergie pour qu’elle puisse fonctionner correctement. Nous avons vu que le processus peut être fastidieux pour toutes les parties et une remise en question semble justifiée. L’engagement d’une communauté sous forme de participation est cependant un des principes de base d’un Community Land Trust, représentant une plus-value sociale pour les familles. La participation tend à renforcer les liens sociaux entre les futurs cohabitants qui s’engagent sur toute la durée du projet. Leur effort et leur patience doivent être valorisés. Pour l’instant, le CLTB est en cours d’évaluation par le gouvernement bruxellois afin d’expertiser la rentabilité du modèle pour le développement de futurs projets. On peut se poser la question sur l’efficacité de la gestion participative dans le cas d’une augmentation de l’échelle des opérations du CLTB et si la participation pourrait encore être réalisée selon un protocole qualitatif. Il est imaginable de proposer des formations préalables aux projets pour les familles inscrites sur les listes d’attente du CLTB afin de préparer les candidats acheteurs à la démarche participative. Ces instructions en amont de la formation d’un groupe pourrait accélérer le processus de l’élaboration du projet souvent très long. Un scénario similaire pourrait s’avérer comme intéressant dans le cas, où une famille décide d’acheter un logement CLTB remis en vente au bout d’un premier temps d’occupation. Il est nécessaire de responsabiliser et de préparer les ménages à la cohabitation et à la participation de l’entretien collectif du bâtiment. La création de nouveaux CLTs à Bruxelles est aussi une voie 136
Le Community Land Trust à Bruxelles
à considérer en cas d’opération à une échelle supérieure. Un réseau de trusts pourrait redistribuer les projets sur différentes zones de la région bruxelloise afin de garantir un processus participatif de qualité. Ce ne sont pourtant que des hypothèses et des voies possibles à considérer dans le cas d’une évaluation positive du CLTB de la part du gouvernement. Nous pouvons affirmer que le modèle du CLTB constitue une réelle alternative pour le développement des quartiers bruxellois. Sa formule flexible permet d’aller au-delà de la production de logements pour répondre à des besoins en constante évolution dans une ville qui peut changer si rapidement. Certes, le CLTB ne peut pas résoudre la crise du logement tout seul, mais sa méthodologie peut néanmoins inspirer d’autres acteurs publics comme CityDev ou le Fonds du Logement, qui commence à s’habituer au montage des projets CLTB. Le droit de superficie et le cadre de revente régulé sont capables d’être appliqués par d’autres développeurs urbains afin de garder les terrains en maîtrise publique et pour s’attaquer la spéculation immobilière. Le CLTB que nous rencontrons aujourd’hui, enthousiaste et optimiste, est un résultat d’une prise de risque permanente qui a pu révolutionner la production de logement publics à Bruxelles. Des anticipation prétentieuses seront désormais nécessaires pour faire évoluer le modèle dans l’avenir.
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Conclusions
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Le Community Land Trust à Bruxelles
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[6]: Fances, M. ; Deroy, D., Monsieur Etrimo, Documentaire, 60’, Belgique, 2013. [7]: Fances, M. ; Deroy, D., ibid. [8]: © Usidour.
[9]: La Maison, n°8, 1960.
[10]: Van der Meeren, W., AR, n°38, 1961.
[11]: Howard, E., « Garden Cities of To-Morrow », Londres, 1902. [12]: Howard, E., ibid.
[13]: Repris et adapté de « BOUWMEESTER. Pilootprojecten wonen », 2013. [14]: De Pauw, G., « Passive Woningen, Actieve Bewoners », 2011.
[15]: Repris et adapté de « BOUWMEESTER. Pilootprojecten wonen », 2013.
[16]: © Van Reusel Hanne, IEB, « Le champ des communs », BEM, n° 279, 2015. [17]: Repris et adapté, CLTB.
[18]: Persuric Sebastian, diagramme d’explication.
[19]: © Van Reusel Hanne, IEB, « Le champ des communs », BEM, n° 279, 2015. [20]: © Cornejo Gerardo, CLTB. [21]: © Persuric Sebastian [22]: CLTB
[23]: © Persuric Sebastian [24]: © Tim Van de Welde [25]: CLTB
[26]: Architecture Damien Carnoy [27]: Architecture Damien Carnoy
[28]: Duquesne, D., Comme un escargot, GSARA, Bruxelles, 2014.
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Références graphiques