Les peaux noires : scènes de la vie des esclaves

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LES PEAUX NOIRES.

selle, et conduisit le cheval à l’écurie, après lui avoir fait faire au pas deux ou trois tours de l’allée.

XIV Il est ici un point délicat qu’il faut que nous expliquions, Adélaïde était la nourrice de madame de Mortagne. Cette petite habitation lui avait été donnée, avec la liberté, comme cela se pratique généreusement et généralement dans les familles créoles. Ces sortes de bienfaits, joints à l’attachement naturel, enchaînent ordinairement les nourrices à leurs yches (enfants nourrissons). Petits, elles se soumettent avec un complet abandon à leurs caprices ; grands, elles obéissent à leurs plus déplorables volontés avec un aveuglement sans égal. Vices ou vertus, crimes ou belles actions, elles prêtent la main à tout et sont de moitié dans tout, non pas sans remontrances et sans conseils d’abord ; mais quand il n’y a plus moyeu de faire autrement, elles jettent leur madras par-dessus les moulins, à l’imitation de leurs yches. Les nourrices créoles, sous ce rapport, ressemblent, comme deux gouttes de lait, aux nourrices de l’antiquité, témoin Œnone, si bien dépeinte par le chaste Racine ! Ce point que nous tenions à établir comme un trait de moeurs coloniales très-caractéristique une fois dévoilé, on répugnera moins à comprendre comment madame de Mortagne avait choisi ce refuge presque maternel, perdu au milieu des bois, pour y rencontrer Firmin. Un peu avant l’arrivée de celui-ci, madame de Mortagne était nonchalamment étendue dans un hamac très-bas,


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