La vie aux Antilles. Tome 2 : Sous le vent des îles

Page 354

de sa fille. Un ami dévoué, un seul, comme nous l’avons dit, était dans la confidence de son dénuement. Il n’avait pu l’ignorer, car c’était lui qui avait conduit les fugitifs, à travers mille difficultés, jusqu’au lieu où leur vie, où leur liberté, au moins, n’étaient plus en péril. Cet ami qui, dans des temps plus heureux, devait entrer dans la famille de M. Soleras, était demeuré sur le lieu de la lutte pour soutenir, jusqu’au dernier moment, le parti de celui dont il aspirait à devenir le gendre. Au moment de la séparation, il s’était dépouillé de tout ce qu’il possédait d’argent, pour augmenter le viatique des exilés. Il avait triomphé difficilement de la résistance de M. Soleras, et il n’avait réussi à vaincre la délicatesse de l’homme, qu’en faisant appel aux sentiments du père. M. Soleras était plus anxieux pour sa fille que pour lui-même, mais il trouva dans Carmen un courage si absolu, une si douce résignation, une résolution si pleine de sérénité, qu’il lui cacha ses propres angoisses, et parut accepter patiemment la vie de misère qui leur était faite. Il espérait pourtant dans l’avenir et l’illusion le soutenait. Il acceptait sa position, mais en la considérant comme transitoire. Il fermait les yeux, dans ses moments d’amertume et de découragement, pour ne pas voir. Sa fille n’avait pas été sans deviner ses inquiétudes; mais, avec le tact infini de la femme, elle comprenait tout, elle paraissait ne rien voir que ce qu’il voulait qu’elle dût voir. Elle ne parlait du passé qu’avec une grande réserve, elle acceptait le présent et se montrait confiante dans l’avenir, conformant l’expression de ses espérances celle de son père et le soutenait lorsque ces espérances semblaient l’abandonner. C’était dans ces conditions que M. Soleras et Carmen étaient arrivés à la Dominique.

352


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.