La vie aux Antilles. Tome 1 : Album portoricain

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Le docteur Subyras

Elle ne parlait que français à ses enfants et aimait m’entendre causer avec eux dans cette langue qu’elle possédait à fond. Elle avait reconnu que je ne pouvais gâter la bonne prononciation qu’elle leur donnait. Les dimanches, après-midi, les jours de fête, elle me faisait appeler par eux, et écoutait avec complaisance et intérêt les lectures que je leur faisais et celles que j’essayais de leur faire faire. Elle lisait beaucoup, et le docteur Subyras lui apportait des livres et paraissait vouloir diriger ses lectures. Cependant elle combattait souvent ses préférences et engageait avec lui des discussions que j’écoutais de toutes mes oreilles; mais dans lesquelles je n’eusse osé intervenir, quelque envie qu’il m’en prît parfois. Bien qu’elle allât à l’église presque tous les dimanches, la viuda passait dans le pays pour une catholique assez tiède. Elle ne pratiquait pas, dans le sens absolu du mot; elle assistait seulement aux offices, d’une manière inconstante, il faut le dire. Le curé de Caguas était un assez bon homme, et eût été un excellent homme s’il n’eût été prêtre. Passionné pour les combats de coqs et les jeux de cartes, aimant la bonne chère, libertin ouvertement comme peuvent l’être les prêtres puertorriqueños, sans se déconsidérer au point de vue de leur ministère, il s’inquiétait peu de controverse. Il était gai, bon vivant, avait une tête faible qui s’en allait facilement au dessert et lui mettait à la bouche des plaisanteries équivoques d’un goût assez contestable. Ses fonctions n’étaient pour lui qu’un métier, dans toute l’acception du mot. Il se laissait marchander une messe par les hívaros et en débattait le prix comme s’il se fût agi d’une affaire quelconque. Il le faisait sans mystère et sans honte, comme la chose la plus naturelle du monde, et, comme c’était une coutume établie dans le pays, personne n’eût songé à le lui reprocher. Doña Rosa avait pour lui un profond mépris, mais elle ne le haïssait pas. Elle l’avait invité, par convenance, à un repas qu’elle donnait, je ne me souviens plus à quelle occasion, et les plaisanteries de haut 307


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