Les français peints par eux-mêmes : le Nègre. Extrait de L' Encyclopédie morale du dix-neuvième....

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LE

NÈGRE

celle d'un aspic, loche la s u e u r abondante qui découle de son Iront. Les prunelles de ses yeux se dessèchent a la réverbération des mille facettes de sable du rivage ; les mouches et les moustiques pâturent dans les cavités de ses narines évasées. Ses contorsions convulsives ne font q u ' a g r a n d i r sa blessure. De l ' e a u ! de l'eau! il demande de l'eau, et l'Océan est devant ses lèvres calcinées. Oh ! que ne peut-il y plonger j u s q u ' à son âme en combustion comme la torche des Furies. Enfin le délire vient à son aide. Il sent moins la fraîcheur des n u i t s , les a r d e u r s du j o u r , les insectes dévorants, la vie enfin, telle que ses juges la lui ont faite! Martyriser ainsi e plus précieux don de Dieu, la vie! Ce supplice épouvantable d u r e deux, trois ou quatre j o u r s , suivant la vigueur et l'énergie du patient. Ensuite, on laisse comme épouvantait les restes hideux suspendus dans la cage, et avec le temps ces ossements, blanchis, ballottés par les vents de la m e r , rendent des sons étranges qui font fuir au loin le nègre superstitieux. Mais on comprend que la foule des curieux n'a pas attendu jusque-là pour se disperser devant tant d ' h o r r e u r s et de souffrances. Quand la paresse surabonde chez le nègre, ou q u ' u n e h u m e u r inquiète et aventureuse le domine, il marronne des plantations aux grands bois, sur les pitons les plus inaccessibles des montagnes. Avec son coutelas il nettoie une clairière près d'un torrent limpide, y sème du maïs, des ignames et de bananiers, se bâtit un ajoupa de feuilles de balisiers, allume à l'entrée son foyer formé par trois grosses pierres, et là il vit libre et heureux. Ses visites nocturnes sur les plantations lui procurent mille petites douceurs, du ta lia, du tabac et de la poudre quand il possède un fusil. Réunis, les m a r r o n s forment un camp et se n o m m e n t des chefs. Alors commence en grand la maraude sur les habitations et dans les bourgs, l'embauchage des ateliers. Lorsqu'ils deviennent trop incommodes ou dangereux, les planteurs se d o n n e n t rendez-vous sur la lisière des forêts. On fait la chasse aux marrons. Les ajoupas, les boucans mettent sur leurs traces. On les poursuit cl les tire comme un gibier. Des limiers les dépistent sous des roches ou au sommet des arbres. Ceux qui sont pris retournent chez leurs maîtres où ils subissent l'inévitable exécution des vingt-neuf et un certain temps de chaîne. Pour leur défense, les m a r r o n s , du haut des crêtes, roulent des rochers sur leurs envahisseurs qui suivent les vallées p r o fondes, ou bien ils fouillent de larges fossés autour de leur camp et sur différents points des bois. L'intérieur en esl hérissé de lames aiguës, d'une espèce d'énormes fougères; le tout esl adroitement recouvert d'une légère couche de terre et de feuillage. Ces piéges sont souvent funestes aux chasseurs. Comme tous les hommes enfants et ignorants, le nègre esl infecté de superstitions, dont q u e l q u e s - u n e s ne sonl pas dépourvues de poésie. Outre sa croyance aux maléfices, il esl convaincu que les eaux profondes, les anses solitaires et les grands arbres morts sonl hantés par des esprits malfaisants, nommés Zombis. Suivant eux, un pacte avec le démon donne le pouvoir de se débarrasser la nuit de l'enveloppe terrestre el de s'élever, pure âme, dans les régions du ciel, mais en conservant l'apparence de la vie. Ce sonl leurs soucouyans. L'oiseau qui a fixé le chasseur devient invulnérable. Les ouragans el les disettes sont annoncés par un certain cheval blanc, à tout crin, qui descend la nuit des moplagnes pour aller se plonger dans le tond de la m e r , el q u ' u n nègre


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