Avec les orpailleurs de Guyane

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période, pendant laquelle ses recherches ne lui avaient, pas rapporté grand-chose, il se trouva débiteur d'une valeur de quelque deux cents grammes d'or pour des marchandises qu'il avait prises au magasin du placer. Le magasinier commençait à s'inquiéter de ce « trou » et, un samedi, comme on réglait les comptes de la semaine écoulée et que l'on distribuait les vivres pour celle à venir, le brave homme fit remarquer à Olifi l'importance de sa dette. »— Ce n'est rien pour un homme comme moi ! affirma Olifi. » — Rien pour vous, monsieur Olifi, mais trop pour moi ! répondit le magasinier. » — Bon ! Nous allons voir... » Intuition ou simple fanfaronnade? Toujours est-Il que, dans le courant de la semaine, Olifi apporta triomphalement une production de 3 500 grammes d'or ! Narquois, il régla son compte, fit le généreux, offrit de nombreuses libations à ses camarades et de somptueux cadeaux à ces dames. Et puis, par le premier canot descendant, il prit le chemin du Maroni. A la Dominique, son île natale, Olifi eut tôt fait de dissiper le restant de sa « production »; il reprit donc le bateau de la Guyane et revint à la mine. » Là, Il recommença à travailler, redemanda du crédit. Et comme «à un homme comme lui », auréolé de sa récente découverte, on ne pouvait rien réfuser, petit à petit, il augmenta le montant de son compte... » Le magasinier redevint inquiet; un jour, il dut annoncer à Olifi qu'il allait se voir dans l'obligation de couper le crédit. » — Quoi ! dit Olifi, parce que je vous dois quelques grammes? Il me suffit d'un coup de pelle pour vous payer ! » En effet, la Providence dut entendre l'insouciant, car, dans le courant de la semaine, Olifi ramena autant d'or que la première fois. Mais il n'avait pas profité de l'expérience de la précédente leçon : à nouveau il fit des largesses inconsidérées, repartit à la Dominique, dilapida tout son avoir et revint à la mine gueux comme Job, dans l'espoir de recommencer une troisième aventure. » Mais il avait cette fois rebuté la Fortune : de nombreuses années, Olifi travailla sans plus de chance que les autres mineurs. Et quand, déjà vieux et asthmatique, il mourut, son compte au magasin était une nouvelle fols débiteur de 170 grammes d'or. »

— Pauvre Olifi ! dis-je. Mais n'est-il pas arrivé à d'autres de vos mineurs de découvrir des pépites exceptionnelles? On raconte tellement d'histoires de trouvailles de trésors ! Vite étouffé sous la feuillée, ce mot magique de « trésor » résonna étrangement dans cette solitude hantée du souvenir de tant d'aventuriers partis à la recherche de fabuleuses richesses. Mais Gougis, qui a les deux pieds sur la terre et l'esprit peu romanesque, ne parut guère s'en émouvoir : — Le fait est de plus en plus rare, me dit-il, mais il s'est produit plusieurs fois. Les plus grosses pépites de la concession ont été découvertes l'une au placer Espoir, l'autre près de la crique Sept-Kilos ; la première pesait 11 kilogrammes, la seconde 7, circonstance qui a servi à baptiser la crique ! Non, non : ce n'est pas un conte de fées ou un « bluff » journalistique, et vous pourriez en demander confirmation à mes plus anciens ouvriers. Et tenez, dans le même ordre d'idées, je vais vous raconter la très véridique histoire des pépites de Fanfan.

Les pépites de Fanfan. Ces deux pépites proviennent du placer Saint-Maurice, situé dans le bassin de la rivière Petit-lnini et appartenant à la Maison Gougis. Elles ont été trouvées dans le lit même de la crique, au pied d'un ancien village, le « dégrad Victor », maintenant abandonné. La plus grosse père 3 080 grammes, l'autre 512 grammes. Leur histoire est merveilleuse, car elles ont été découvertes dans un rêve !

« Un mineur nommé Fanfan avait vu en songe une femme dont il n'avait pu distinguer le visage. Elle lui montrait du doigt un certain endroit du placer et lui disait impérieusement : « C'est là ! » » Fanfan connaissait bien cet endroit; mais au beau milieu se trouvait déjà un trou de prospection assez ancien : on ne connaissait même plus le nom de ceux qui l'avaient creusé ! Pourtant, ce trou avait bel et bien « touché », c'est-à-dire atteint la couche, cette épaisseur de terrain où se rassemble, sur le « bed-rock » (la « glaise », en Guyane), l'or alluvionnaire. C'était donc bien la preuve que ceux qui l'avaient creusé

n'avaient rien trouvé qui valût la peine d'être travaillé. » Non, vraiment, se dit Fanfan, on ne pouvait pas, pour rien, se donner la peine d'aller chercher la couche à 15 pieds sous terre ! » Cependant, le rêve se répéta : la même femme inconnue, sans montrer son visage, vint encore, à trois reprises, la dernière fois en se fâchant, indiquer l'endroit où il fallait travailler. Devant une si singulière insistance, Fanfan se décida à obéir : mais il lui fallait s'adjoindre au moins trois compagnons. Comment trouver trois ouvriers qui consentiraient à travailler, pendant six semaines peutêtre, là où un trou de prospection démontrait qu'il n'y avait rien ? Fanfan, lui, avait confiance en son rêve : mais il était le seul qui eût rêvé. Et ce n'était qu'un rêve... » Le temps passa ; Fanfan, dégoûté, quitta même le placer. Mais le rêve le tenait ; il revint et trouva enfin trois hommes qui acceptèrent de se battre contre l'évidence. C'était un travail sans entrain, car sans espoir. A la fin, pourtant, on atteignit la couche; et, le premier jour qu'on se mit à « laver », on découvrit la plus grosse des deux pépites, à 60 centimètres de l'ancien trou de prospection. Néanmoins, ce ne fut pas la pelle de Fanfan qui alla ramasser la pépite dans sa gangue : ce fut un des trois autres mineurs qui s'écria, quand il sentit le poids de Sa pelle : » — Aujourd'hui, je crois bien que j'ai trouvé quelque chose ! » « Quelque chose » était un bloc de 3 kilogrammes d'or ! » Et, comme cette histoire merveilleuse est pourtant une histoire vraie, il faut dire, pour la terminer, que ce fut le 31 décembre 1942 que la plus petite des deux pépites fut découverte à son tour ! » Un nom a été donné à la grosse pépite : celui de « Président Franklin-Delano Roosevelt », car ce fut à l'époque où la Guyane française se rangea aux côtés des Alliés, sous la bannière de la France libre, que ces pépites ont été présentées au gouverneur de la Guyane, M. Jean Rapenne. »

Dans la forêt silencieuse. Le tracé s'enfonce dans la haute forêt silencieuse où s'élèvent les fûts énormes des arbres géants ; les racines de certains, sur-

gissant du sol en épaisses membranes, résonnent au moindre choc comme des tambours de guerre et font retentir confusément

Il faut deblayer la couche "stéryle"

Sur chaque chantier, les mineurs sont au travail


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