Avec les orpailleurs de Guyane

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qu'elle brasse le mélange. Cette première opération dure 2 h. 10 mn. On laisse reposer pendant une vingtaine de minutes en laissant descendre la température jusqu'à 130°, après quoi la pâte s'écoule par une étroite ouverture, afin d'être soumise à une pression de 200 livres. C'est l' « homogénéisation » qui empêche les divers éléments de se regrouper. L'ingénieur m'ouvre une sorte d'armoire de fer barrée d'une suite de longs tubes réfrigérateurs. Une nappe épaisse dégouline lentement d'un tuyau à l'autre et descend progressivement de 130° à •— 50° F. Ainsi

refroidi, ce liquide pâteux est reçu dans des bassins, où il est maintenu à la température de + 40° F, pendant vingt-quatre heures. C'est au cours de ce repos que s'opère l'imprégnation par les essences diverses dont l'arôme aurait été altéré par les manipulations susdites. Aujourd'hui, c'est le tour de la cerise,demain sera le jour de l'ananas; la vanille succède à la fraise et le caramel au chocolat. Enfin, a lieu la congélation à — 26° F. Cette série de coups de chaleur et d'intense froidure nécessite deux machineries contraires.

De l'Arctique à l'Equateur. Les flacons de lait « homogénéisé » défilent par milliers, à la chaîne. Mais le dernier mot du progrès est constitué par les « paquets de lait » en boîte de carton paraffiné.

Mélange, chauffage, repos, refroidissement. Suivez le guide à travers le labyrinthe que parcourt le lait avant d'arriver au cornet de crème glacée à cinq ou six sous canadiens (qui valent une vingtaine de nos francs). Cette fois, le pis de la vache n'y suffit plus. La ferme d'élevage doit comprendre un poulailler et la prairie, s'annexer une plantation de canne, ainsi que des cultures de vanille, de fraisiers, etc. L'abattoir est mis également à contribution par ces barils de stabilisateur, comme disent les techniciens, qui est une préparation d'os pulvérisés, d'où est tirée la base de gélatine. Lait, crème, jaunes d'œufs, sucre, poudre d'os sont d'abord mêlés dans une cuve comme dans un pétrin dont l'hélice hélicoïdale chauffe à 160° Fahrenheit (320 Fahrenheit = o° centigrade), en même temps

Je suis descendu d'abord dans l'usine souterraine du froid. La machinerie qui fabrique l'admirable piste du Forum, où j'ai vu glisser les joueurs de hockey, n'a point la moitié de la force de celle-ci. Là-bas, le 32° Fahrenheit — qui correspond à notre zéro centigrade — obtient déjà la congélation. Pour peu que l'on pousse à — 5°, on obtient une glace idéale. Tandis que dans cette usine il faut obtenir les températures qui sont entre le « sous vingt-cinq » et le « sous trente », comme on dit au Canada, pour la crème glacée, et qui descendent à — 38° pour le lait. Nous sommes au royaume de l'ammoniaque. Une odeur, qui n'est pas celle de la vanille ni de l'ananas, m'évoque, par ses picotements, l'étable originelle. Des coudes de la tuyauterie sont couverts d'une espèce de couche de givre, comme un bras dans le plâtre. Je regarde d'un œil méfiant une pièce de fonte qui subit une pression formidable (la précédente a éclaté, provoquant la mort d'un ingénieur).

Pesage des fûts métalliques d'« ice cream ». A droite, les barils de gélatine, tirée de la poudre d'os, qui sert à assurer la cohésion de la crème.

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— Nous fabriquons ici, me dit son remplaçant, 280 tonnes de froid par jour. Il m'invite à faire quelques pas et, d'un seul coup, nous passons de l'Arctique à l'Equateur. En vérité, je ferais mieux de parler d'enfer. On se croirait dans la chaufferie d'un navire de guerre. Deux réserves de 500 gallons de gas oil alimentent des fours chauffés à blanc : 2 8oo° Fahrenheit correspondent à 1 500° centigrades ; ils fournissent 25 000 livres de vapeur par jour. La consommation de chaleur qui se dépense ici et là, dans les divers secteurs de cette usine pacifique, s'inscrit automatiquement sur des cadrans.

On consomme même l'hiver. Je remonte et je trouve à l'autre bout de jeunes personnes et d'autres personnes qui sont moins jeunes — toutes pareilles à celles qui clament dans toutes les langues : « Esquimaux ! Demandez les esquimaux ! » — tendant des cornets pour recueillir la crème glacée qui arrive sans fin. On me montre des bombes glacées, des pièces commandées pour des banquets, des cadeaux d'anniversaire, des lis et des roses glacées. On fait des œufs de Pâques, des lapins et des cloches, des sapins et des pères Noël, dont l'astre magique est situé au pôle. Je suis les piles de cornets qui s'étagent et je me retrouve transi dans un entrepôt immense où m'accueille un ouvrier vêtu à l'esquimau. C'est ici que la crème glacée peut attendre l'été, un an et davantage. Il n'est pas question de s'attarder dans ce climat de Sibérie, et je me hâte de regagner les pays tempérés. Le rude hiver canadien ne tarit pas la consommation des ice cream. L'intérieur des maisons est, en effet, tellement surchauffé qu'il m'a fait définir le Canada : « Un pays froid où il fait chaud », et l'on continue de se rafraîchir avec de la crème glacée jusqu'au cœur de la saison froide. Le gérant de la « Mont-Royal » estime que, cependant, le débit hivernal est de cinq à sept fois moindre. Hélas ! les derniers étés ont eux-mêmes été froids. Après une brève canicule, l'été a tourné en eau, et les « ice cream » sont demeurés en grand nombre dans leur retraite glacée. Montréal Matin titrait, l'autre jour, en caractères géants : « En Australie, 111° de chaleur; ici, 15 sous zéro. » Je souhaite aux ice cream de la « Mont-Royal », pour 1954, un été australien.


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