Romulus : scènes de la vie haïtienne

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SCÈNES DE LA VIE HAITIENNE

goâne, Cléovil Modé se serait empressé de venir à la tête de ses hommes leur apporter son concours puissant. De celte façon, on serait assez nombreux pour lever la marche sur Port-auPrince. C’est une tristesse, en vérité, que de lire les lettres pressantes écrites par Bazelais à ce personnage falot, qui pour ainsi dire n’a jamais existé - bien que la prise d’armes des Côtes-deFer. en Août, lui ait été attribuée. Cléovil Modé était tellement un mythe, qu’à un certain moment, le Président Salomon s'est servi de son nom contre Bazelais On sait que les mythes appartiennent à tout le monde — surtout les mythes révolutionnaires. (1) (1) En fait, Cléovil Modé était commandant de la Place et de la Commune des Côtes-de-Fer. Il avait vraiment promis son concours à Bazelais, de qui d'ailleurs il avait reçu des sommes d'argent. Il devait prendre les armes, ainsi que Jacmel, dès la descente des exilés sur un point de la République. Dans ces conditions, Miragoâne s'imposait comme lieu de débarquement et constituait une excellente base d'opération, pour parler comme Perpignand répétant une expression de son chef. Le plan de Bazelais était donc logique — seulement on ne choisit pas pour clef de voûte d’un plan, une ombre vaine comme Cléovil Modé. Quand on dit ici que Cléovil Modé n’a pour ainsi dire jamais existé, on entend par là, que ce qui constitue le caractère. lui ayant manqué, Cléovil Modé ne comptel'homme, pas Balançant entre le devoir et la trahison, il ne se décida à prendre les armes que très tard, quand il s'aperçut que sa personne était exposée — le Président Salomon étant au courant de son jeu — L'homme des Côtes de Fer fait partie des unités humaines dont il est parlé avec tant de mépris dans la Divine Comédie Au troisième chant de l'Enfer, Dante introduit par Virgile dans un endroit " où des soupirs, des pleurs, des cris perçants retentissaient, " s’écrie : " Maître, qu’est-ce que j’entends, et quelle est cette foule qui paraît si accablée par la douleur ? — " Ce misérable sort est celui des tristes âmes de tous qui vécurent sans blâme et sans éloge. Elles sont mêléesceux à ce mauvais chœur des anges qui ne furent ni fidèles ni rebelles à Dieu, mais qui furent pour eux-mêmes. Le ciel les a parce qu'ils terniraient sa beauté, et l'enfer les repoussechassés parce que les coupables en tireraient quelque gloire.


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