Les péripéties d'une démocratie

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— 75 — ceux qui collaborent à cette œuvre soient considérés comme des traîtres. Se pressant ainsi autour des chefs de l’occupation, dans un bourdonnement d’abeilles, les hommes de notre élite, ont donné au monde un spectacle curieux. Où étaient les fils fiers de ces guerriers d’autrefois, qui plongeaient leurs mains dans la bouche du canon pour l’empêcher de tirer? Où étaient ces braves qui se dégageaient des étriers de leurs chevaux éventrés pour crier: « En avant!»? Où étaient ces héros qui acceptaient de mourir plutôt que de porter les fers? Oh! néant! Les appétits de clans, la politique de classe avaient anéanti la valeur héroïque qui fit en un temps l’admiration du monde! Beaucoup étaient préoccupés avant tout de profiter des gros appointements que les Yankee avaient promis pour gagner les sympathies. Personne ne pensait alors au sol humilié... Les aristocrates, qui avaient voué la nation à la turpitude, se querellaient à présent entre eux, et se trahissaient d’une façon honteuse, se bousculaient, se déchiraient pour être agréables aux yeux du maître yankee! La flamme guerrière, qui donnait autrefois une renommée presque universelle aux valeurs haïtiennes, était éteinte. C’était une autre génération de lâches et de veules! L’orgueil de 1804 avait disparu. C’était une autre cohorte d’hommes qui était en face des affaires de l’Etat. Un seul homme fit honneur aux armes haïtiennes : ce fut Charlemagne Péralte, assassiné par les Haïtiens eux-mêmes. Les vrais militaires n’existaient pas. Les généraux étaient, pour la plupart, des gens inaptes qu’un chef de révolte avait nommés au hasard, et qui étaient, par contre, incapables de commander des hommes et de tenir tête à une armée moderne et disciplinée. Ils étaient impuissants à pousser des soldats contre l’envahisseur. Les paysans, qu’on prenait par force pour aller massacrer leurs frères, ne savaient comment poser la main sur la gâchette d’un fusil. L’armée n’avait aucun cadre, aucun chef instruit, aucune technique, aucune équipe moderne. Nos soldats étaient, dans l’ensemble, des éléments qu’on avait ramassés à la hâte au moment de la révolte que l’on conservait dans la


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