Les nègres en politique; couleur, identités et stratégies de pouvoir en Guadeloupe. Tome I-2

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Buffon montre bien la responsabilité dans l'échec final du sauvetage de Zévallos94 Le décevant épilogue de l'affaire de la socialisation de l'usine Zévallos aura contribué à renforcer les socialistes dans leur conviction première que le Capital ne pouvant être réduit, l'économie ne pouvant être subvertie, la propriété ne pouvant être abolie, alors le Travail se devait de rechercher avec la propriété capitaliste les termes d'une "juste conciliation". C'est en effet en ces termes, qu'au travers des notions abstraites du Capital et du Travail, est posée la question de la résolution du caractère contradictoire des deux facteurs concrets de la production : l'usine et les cultivateurs. On aura remarqué que l'approche théorique aura laissé la place à une représentation quasiment allégorique : le système capitaliste se ramène à l'Usine, et l'Usine s'incarne en Souques; le Travail étant personnifié par la masse des cultivateurs-électeurs. Concilier le Capital et le Travail, se ramène à trouver "une entente" entre les sociétés sucrières et leurs travailleurs ! Ce principe étant énoncé, tout intermédiaire devient superfétatoire. Nous rejoignons ici la raison essentielle de la critique qui accabla ceux que Légitimus appela "les parasites", c'est-à-dire, "les jaunes", autrement dit les membres de la classe moyenne, globalement assimilée à "la mulâtraille"95. Ainsi, l'analyse condamnant les intermédiaires parasites porte en elle la trace de l'expérience de classe vécue dans les faubourgs de Pointe-à-Pitre des rapports difficiles entre ouvriers et entrepreneurs sous-traitants : Ainsi il existe à l'heure qu'il est, à la Guadeloupe des faux capitalistes, comme il y existe faux des ouvriers. Les faux capitalistes, ce sont ces gens que la politique a élevés, qui n'avaient pas alors un centime vaillant au fond de leur poche, qui ont pu arriver cependant en se serrant le ventre, une fois nantis d'une situation administrative leur rapportant mensuellement quelque ronde somme, à réaliser des économies et ont ensuite, ces économies aidant, en se servant d'un tas de petits et grands entrepreneurs prétendus comme couvertures, accaparer la plupart des entreprises de la colonie, se tailler dans l'usure une petite place de sûreté, se mettre de mèche avec tous les huissiers et gens d'affaires de la colonie pour exploiter tous ceux que le besoin ou de mauvaises affaires poussaient vers l'emprunt forcé, et qui sont arrivés ainsi à se créer une fortune dont l'origine maculée trahit la nature et le genre d'honnêteté (...) L'argent qu'il ont ainsi volé aux uns et aux autres, parmi les vrais ouvriers et les vrais capitalistes ruinés, et ce n'est pas eux que l'on verra essayer de jeter dans une entreprise industrielle quelconque, offrant quelques risques, leurs capitaux. (...)

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: La banque refuse les crédits sur récoltes en dépit de ses engagements initiaux et pousse l'hostilité à ne pas payer le directeur d'exploitation (nègre) tout en réglant son solde à son subordonné (blanc). Raphaël Wachter, l'industriel blanc créole qui sortit de l'affaire quasiment ruiné imputa à la Banque et à ses congénères blancs le sabotage de l'expérience; d'après lui, on ne lui aurait pas pardonné ses sympathies ouvrières et surtout le fait d'avoir contracté mariage avec une femme de couleur. 95 : Terme péjoratif désignant l'ensemble des mulâtres perçu comme ethno-classe, dans ses caractères les plus négatifs exprimés par un comportement et un esprit qui lui serait particulier (homogamie, arrogance, mépris des nègres, etc...). Cf; Chapitres II & III.


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