L'Histoire du Nouveau Monde ou description des Indes occidentales. 2

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DESCRIPTION

DES

INDES

CHAP.

II. Naturel des habitans Naturels, leurs mœurs & constumes ; habitans Espagnols qui y sont. Es Naturels habitans de ces Prouinces sont d’vn naturel fort changeans, & pour vne legere cause ils changent leurs demeures ; & fort souuent pour la liberté & afin de s’exempter des tributs, ils se retirent dans les forefts & solitudes, où ils retombent derechef en leurs vieilles mœurs & cruelles coustumes : Ils font induftrieux & subtiles, & aucunement dociles mesmes és choses qui concernent la religion, 10 mais ils font paresseux & fur tout impatients au labeur, auquel ils ne se laissent pas employer qu’à peine,si ce n’est auec grand loyer. Ils sont vn peu plus grands de corps que les Mexiquains : Ils se vestent de chemises de coton, & de manteaux quarrés tisuës de Maguey, qu’ils attachent fur leurs espaules auec deux boucles. Ils fe seruent de martes de ionc au lieu de lict, qu’ils couurent de petits matelats de coton : ils portent autour de leurs bras & iambes des pierres verdes & des coquilles de mer fort belles pour parure : Il n’y a rien à quoi ils s’employent plus volontiers ni à quoi ils se delectent le plus qu’aux dances, ausquels ils passent le temps des iours entiers au rude son & enroiié d'vn tabourin de bois, en chantant & se peignant le corps & se bigarrant de diuers plumages, & s’occupent à boire iusques à s’enyurer ; ils n’ont nul defir de richesses ; con- 20 tans de cultiuer quelque peu de terre ; Ils cultiuent seulement auec grand soin le Maguey, & ce pour l'amour de leur boisson, ils se seruent pour vaisseaux des fruicts d’vn arbre, qu’ils nomment Tecomates, parfois si gros qu’ils contiennent de liqueur vne Azumbre, qui est vne mesure d’Espagne contenant (comme remarque l'Ecluse) trois liures & quatre onces des choses liquides ; refpondant à deux feptiers des anciens, six desquels faisoyent vn conge, ou dix liures. L’arbre qui les porte eft grand, ayant les fueilles semblables au mœurier, lequel porte ces fruicts, faits comme courges,de diuerses formes & grosseur. Ils viuent le plus fouuent de chair,d’où vient qu’ils nourrissent des poulailes en grand nombre. Ils fe feruent de Mays rofti ou mesme pilé au lieu de pain, & du Cacao broyé, messé auec du Mays rosti pour leur ordinaire viande ; & de la 30 liqueur du Maguey ou d’vn breuuage composé de Cacao & de Mays pour leur vin. Le plus souuent aussi ils meslent auec de l’eau du Cacao, du Mays, de l’Axi & autres espiceries pïlees en paste, laquelle ils boiuent, & ont coustume de porter cette paste dans des facs de cuir lors qu’ils voyagent. Ils ont abondance de coton, & fçauent la maniere de le tistre, mais par leur naturelle paresse ils ne tiennent conte de le cultiuer ni de le recueiller. Au temps passé il labouroyent la terre auec des pieux de bois, mais maintenant ils ont appris à la fouïr auec des hoyaux faits à la façon d’Espagne. Ils habitent aussi à present enfembles das des bourgades, & ont leurs Seigneurs,Iuges, Preuosts & Sergens, selon la coustume des Espagnols. Et les Rois succedent par droit hereditaire, leurs autres Officiers sont establis par les Gouuerneurs du Roi. En som- 40 me ce leur est vn grand deshonneur d’estre tondus ; & ils n’affectent rien tant que la gloire d’estre vaillans. Iufques à l’an cIo Io LXXXII (comme il a esté remarqué par des Autheurs fidelles) il s’est peu trouué en ces Prouinces de Mestiz, c’est à dire, qui soyent venus d'vn Espagnol & d’vne Indienne, ou au contraire, que les Anciens appelloyent. Hybrides : mais il y a plusieurs Negres qui y sont nés, qu'on dit qui surpassent en industrie & tolerence de trauail de beaucoup ceux d’Afrique. Voila ce que nous auions à dire de ces nations en commun. En particulier on fait mention des Cazcanes, qui habitent sur les limites des Zacatedifferents des autres en langage & mœurs ; Les Guachachiles aussi dissemblables en Idiome ; & enfin les Guamares le langage desquels est fort concis, & difficile à appren-50 dre aussi bien que celui des autres : & ces nations se sont peu à peu appriuoissees, lors qu’ils ont commencé à viure ensemble dans des bourgades ; mais ils sont si addonnés à desrober, qu’ils aiment mieux vaguer, & s’abstenir de la frequentation des Chrestiens. Les Espagnols qui demeurent dans ces Prouinces, s’exercent pour la pluspart au trafic & aux mines : quelques-vns semployent à paiftre & nourrir des vaches & brebis ou à cultiuer la terre. Et encore que les cannes de sucre y croissent abondamment,

L

toutesfois


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