Aventures de Guerre au temps de la République et du consulat. Vol.1

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LA JEUNE ZÉLIE.

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de deviner en moi un militaire, que lorsque son substitut parvint à l'emmener, il lui dit, au rapport de Zélie : « C’est un avocat ou c’est le diable. » Sa colère fut tellement violente qu’en rentrant chez lui il fallut le coucher et le saigner. Un incident fort inattendu redoubla son malaise et me délivra de ses mauvais desseins. Un jeune officier qui avait servi dans l’armée française sous le général Rochambeau était demeuré à la Martinique, après la prise de l’île, retenu par l’amour qu’il portait à une grande dame de Saint-Pierre, qui le payait de retour. Obligé d’aller à la Guadeloupe pour y reprendre du service, il mourut presque en arrivant. Un paquet à son adresse étant parvenu au secrétaire du gouvernement, M. Viel, celui-ci, scrupuleux comme un agent politique, le décacheta, mais il en fit mépris en n’y trouvant qu’une lettre passionnée. Cependant, lorsqu’il apprit que je venais d’être arrêté au Prêcheur, il résolut de s’en servir pour donner le change sur l’objet de mon voyage à la Martinique. Cette lettre me fut remise de sa part, et dans ma candeur je n’y conçus rien, sinon qu’une belle dame dont Zélie me dit le nom, ne pouvant plus supporter l’absence de son bien-aimé, le conjurait de revenir au plus vite, lui donnant l'assurance qu’il ne courrait aucun danger, attendu que le procureur du roi était tombé amoureux d’elle, et que ce tyran était enchaîné à ses pieds avec des rubans roses. J’avais l’esprit si lourd que je ne voyais pas en quoi cette confidence pouvait me concerner, et il fallut que l’intelligente soubrette m’expliquât comment je devais passer pour le défunt et avoir été appelé à la Martinique par une grande passion, ce qui était bien pardonnable, au lieu d’y être venu pour dresser une carte du pays, ce qui était un cas pendable. Il paraît qu’en préparant ce quiproquo, le secrétaire Viel ne s’était fié que médiocrement à mon intelligence en fait d’intrigue, car, d’une autre part, il fit donner avis à la dame que, malgré de sages conseils, son ami, cédant à son invitation, s’était rendu à la Martinique, et que, par jalousie, le procureur du roi l’avait fait arrêter indignement et jeter dans les cachots les plus infects de la geôle, pour lui préparer une mauvaise fin. A cette nouvelle le désespoir et la colère s’emparèrent de la dame ; elle descendit au milieu de la nuit, avec une longue suite de ses gens, chez le magistrat, qui tremblait la fièvre, et elle lui fit une scène dont il faillit mourir. Elle prétendit qu’il devait remettre en liberté, sur-le-champ, son prisonnier; et ce fut à grand’peine qu’elle lui accorda un répit de


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