Aventures de Guerre au temps de la République et du consulat. Vol.1

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AVENTURES DE GUERRE.

c’était l’effet de la tradition ou de quelque biais d'esprit de leur race. Ce procureur général, qui était redouté comme le plus cruel tyran, vint à la prison avec son substitut pour procéder à mon interrogatoire. C’était un homme sec à figure coupante, privée entièrement de front, son crâne étant terminé juste au-dessus des sourcils par un plan horizontal, ce qui le faisait ressembler à un oiseau de proie nocturne de la pire espèce. Son seul aspect m’inspira, comme celui d’un reptile, un mouvement instinctif de répulsion, et je me mis aussitôt en révolte ouverte contre lui et son autorité. Je maintins qu’il n’avait reçu ni du roi de France, ni de la République, ni du roi d’Angleterre l’institution qui investit un magistrat du pouvoir de représenter l’État ou la société comme accusateur public. Je soutins qu’il n’avait nullement qualité pour remplir ces importantes fonctions et qu’il le reconnaissait lui-même puisqu’il n’avait point opéré dans ma cause comme le lui prescrivaient l’ordonnance de Louis XIV sur l’instruction criminelle, les nouvelles lois de procédure rendues par l’Assemblée nationale, ou bien les formes rigoureuses prescrites par la législation anglaise et déduites dans le Livre des Statuts. De l’abstention de ces actes essentiels je conclus qu’il professait n’avoir aucun droit à s’immiscer dans une procédure intentée contre moi, et qu’il était en flagrante contradiction avec lui-même dans la tentative de m’interroger. Je déclarai que c’était mon intention formelle de résister à cette prétention arbitraire et abusive ; et je demandai acte de mon opposition, me réservant de me pourvoir par devant qui de droit à l’effet de poursuivre la vindicte et la réparation d’actes extra-légaux, d’intrusion illicite, d’abus de pouvoir et d’une captivité pour chaque jour de laquelle j’obtiendrais des dédommagements et intérêts, indépendamment du châtiment exemplaire de ceux qui en étaient les auteurs, fauteurs et complices. Le méchant homme que j’attaquais avec autant de sang-froid que d’énergie avait fait pendre plus de vingt personnes sans qu’aucune y trouvât un mot à redire, tant il leur en imposait par son insolente autorité. On peut juger quelle fut sa rage quand il se vit braver en face, renié, confondu, accusé à son tour, et menacé dans tous ses intérêts. Il perdit toute mesure, et me laissa voir qu’il ignorait qui j’étais, en m’imputant d’avoir été envoyé par les révolutionnaires de France pour soulever la colonie. Il était si loin


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