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brûlants
Chapitre 1
J’arrive plus tôt au travail, le lundi matin. Antoine est parti de chez moi très tôt pour pouvoir passer chez lui avant d’aller au bureau. De ce fait, j’ai largement le temps d’aller me prendre un café digne de ce nom au café d’en face avant de m’installer à mon poste pour avancer dans les lectures obligatoires de ma formation.
Par réflexe, je vérifie mes textos. Je regarde toujours si A m’a écrit. En vain. Même si je ne devrais pas en être surprise, je res sens une pointe de contrariété devant ce silence qui ne m’a jamais paru aussi long. J’ai la sensation que notre histoire s’est éteinte sans crier gare. Je fais défiler nos discussions, m’ac croche à quelques mots qui m’atteignent en plein cœur. Même s’il m’en coûte de l’admettre, A me manque. Pourtant, je n’ai jamais été attirée par les femmes. Mais celle-ci m’a vraiment touchée. Par ses mots, déjà, mais aussi — et surtout — d’une façon que je ne suis pas près d’oublier.
M oTS B R Û L a N TS
Troublée, je repousse mon appareil et chasse mes réflexions. Je n’ai aucune raison de me plaindre. Antoine est parfait. Il est beau, gentil, follement doué au lit…
Bon sang ! Mais qu’est-ce qui ne va pas avec moi ?
Salut, Kelly !
Je relève la tête pour saluer Pablo.
Super, tes concepts ! me complimente-t-il encore. J’ai vu qu’ils passaient au deuxième round.
Oui. C’est génial.
Tu parles ! Ça m’a pris au moins trois fois avant d’y arriver ! rigole-t-il.
Ses mots me font sincèrement plaisir. En fait, j’ai envie de me pincer tellement les choses vont bien, tant dans ma vie person nelle que professionnelle.
Quand Adam entre, il me sourit.
— Bon matin, Kelly. C’est joli, vos cheveux.
Merci beaucoup. Ah. Madame Versini a téléphoné pour confirmer son rendez-vous de 13 h 30.
Je serai là, promet-il.
Je le laisse repartir en direction de son bureau, désormais consciente qu’A ne peut pas être mon patron. C’est tout bête, mais ça me soulage.
Et pourtant, quand mon téléphone s’allume, une seule lettre s’inscrit dans mon esprit. A. J’aime qu’Antoine m’écrive pour me souhaiter une bonne journée, mais… il y a toujours ce sentiment d’inachevé avec A.
En fin de matinée, je reste surprise de voir Claudia qui vient se poster devant moi.
Allez, ouste ! Je te remplace !
Je la scrute sans comprendre.
Tu vas faire une visite avec Éléonore, t’as oublié ?
Chapitre 1
La nouvelle maison ! Comment ai-je pu oublier ? C’est une super opportunité, en plus ! Quand je vois l’intéressée qui s’ap proche de mon comptoir, je retire mon casque et bondis de mon siège.
Vous êtes prête ? demande-t-elle.
En vérité, pas vraiment, mais je force la note pour paraître enthousiaste.
Je vous suis.
Elle balaie ma tenue du regard esquisse un sourire.
Allons-y.
Je marche à sa suite jusqu’au stationnement, situé sous notre immeuble. Comme je viens en transport en commun, je ne suis jamais allée au sous-sol. Lorsqu’elle déverrouille les portières, je m’installe en essayant d’avoir l’air calme. En vérité, je ne me sens pas du tout confiante. Je ne connais pas beaucoup Éléonore et je me doute que je n’ai pas le droit à l’erreur. Surtout que je n’ai pas encore commencé ma formation !
Avec des gestes précis et rapides, elle démarre le GPS et quitte le sous-terrain avant de s’engager sur la route.
Alors, la première règle est simple : vous me laissez parler au client, déclare-t-elle.
J’affiche un sourire timide.
Pas de souci. Je ne saurais même pas quoi lui dire.
Éléonore sourit.
J’oubliais que vous n’êtes pas habituée à ce genre de visites, se remémore-t-elle. Il y a deux ans, l’un de mes assistants m’a coupé la parole à plusieurs reprises pour essayer de démontrer qu’il était doué.
Aïe.
Inutile de dire qu’il a été mis à la porte dès le lendemain. C’est en partie à cause de lui que j’ai cette réputation, d’ailleurs.
M oTS B R Û L a N TS
Je ne réponds pas, mais je note que je ne risque pas grandchose. Dans le pire des cas, je resterai réceptionniste.
C’est une maison bien située, un peu petite, cela dit, mais parfaite pour un couple. Elle devrait se vendre assez rapidement.
C’est bien.
En effet, mais je trouvais intéressant de vous montrer ce qu’il faut regarder lors d’une visite de façon à énumérer les avantages aux clients potentiels.
J’opine de la tête. Au moins, ma tâche est claire : je n’aurai qu’à écouter et à noter ses paroles. Voilà qui ne me paraît pas très complexe.
Quand mon téléphone s’allume dans mon sac, j’hésite, mais comme Éléonore reste silencieuse, je me risque à jeter un œil sur mon appareil. Antoine m’écrit :
Si je viens dîner au café devant ton travail, ça te dirait de me rejoindre ?
Son idée est adorable et je m’empresse de lui répondre :
Je ne suis pas au bureau, ce matin, mais en visite. Une autre fois ?
Quand Éléonore vérifie ce que je fais, je bredouille :
Pardon, c’est que… un ami passait dans le coin de l’agence et il espérait qu’on mange ensemble.
Elle me jauge du regard.
Un ami ? répète-t-elle.
Sa question me trouble. En vérité, j’hésite à dire qu’Antoine est mon petit ami. Cela me paraît précipité, même si les choses
sont intenses entre nous. Mais qu’il veuille me revoir aussi vite alors que nous avons passé le week-end ensemble… c’est un signe, non ?
Est-ce… la personne qui vous a offert ces fleurs ? finit-elle par demander.
Oh, euh… non.
Je profite du fait qu’elle observe la route pour chuchoter :
Disons que ma vie est assez compliquée, ces derniers temps.
Parce que je garde les yeux rivés sur elle, je remarque qu’elle se met à pianoter sur son volant. Mon angoisse remonte quand une théorie loufoque traverse mon esprit, mais je refuse d’y croire. Éléonore Molina et A ne peuvent pas être la même per sonne ! Ce serait franchement gênant.
Quand je reporte mon attention vers l’extérieur pour masquer mon trouble, elle reprend :
— Nous devrions être de retour pour 12 h 30, annonce-t-elle, bien qu’il soit toujours très délicat d’interrompre nos clients.
La gorge nouée, je force un sourire.
Ne vous en faites pas avec ce rendez-vous. J’ai déjà dit que je ne pouvais pas y être.
Elle fait signe qu’elle comprend, mais j’ai la sensation qu’elle évite désormais mon regard. Seigneur ! Je fabule ! Ça ne peut pas être A. Ma tête ne cesse de le répéter en espérant que ce soit vrai. Éléonore est jolie, certes, mais elle sera bientôt ma patronne ! Elle l’est peut-être même déjà aux yeux des autres !
Malgré moi, je me permets de jeter un œil à ses mains, inca pable de ne pas remarquer que ses ongles sont courts, puis je reporte mon attention sur sa bouche. Elle a des lèvres charnues. Très vite, je détourne la tête. Je deviens folle. Il est hors de ques tion que j’imagine ce genre de choses !
Je crois que c’est là, annonce-t-elle.
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Au lieu de quitter sa voiture, elle attrape un carnet et un crayon, qu’elle tend dans ma direction.
Notez ce qui vous semble essentiel. On regardera cela plus tard.
J’acquiesce, les yeux rivés aux siens. Ils sont clairs. Bleus. C’est la première fois que je le remarque. N’est-ce pas la preuve que je suis en train de délirer ?
Venez ! lâche-t-elle.
Elle descend la première et j’inspire longuement avant d’en faire autant. Je suis nerveuse. C’est ridicule, puisque je n’ai rien à faire hormis noter quelques informations ! Et pourtant, l’idée qu’Éléonore puisse être A ne me quitte plus.
Alors qu’elle entre dans la maison et tend une main au couple qui nous accueille, je détaille sa silhouette athlétique et sa tenue classe. Troublée, je peine à sourire à nos clients.
— Kelly-Ann est encore en formation. Je voulais lui montrer comment les choses fonctionnent sur le terrain. J’espère que ça ne vous dérange pas.
Oh non ! Bienvenue !
Nous suivons le couple dans les différentes pièces de la maison et je dois me concentrer pour noter tout ce que me dit Éléonore : l’électricité, la taille des pièces, la lumière, le toit refait il y a peu. Je suis contente de ne pas avoir à parler. C’est certain que je bafouillerais. Quand nous nous aventurons dehors, je reste étonnée par la petite cour arrière joliment aménagée.
C’est beau, avoué-je.
Le couple me sourit et Éléonore les imite.
Dans le quartier, ce type de terrain est très prisé, annoncet-elle.
Elle me montre la clôture, sur laquelle il y a du lierre.
Ça rend l’endroit très intime, ajoute-t-elle.
Je confirme d’un signe de tête et note l’information dans mon petit carnet. Elle a raison quand elle dit que l’endroit se vendra vite. C’est charmant. Petit, certes, même si c’est plus grand que mon appartement, mais vraiment douillet.
À la fin de notre visite, nous prenons congé, mais une fois que nous sommes à l’extérieur, Éléonore vérifie quelques éléments sur la façade. Je note les matériaux qu’elle me cite, même si je ne sais pas trop à quoi cela me servira. Une fois de retour dans son véhicule, elle me questionne franchement :
Alors ? Qu’en pensez-vous ?
— Eh bien… c’est une jolie maison.
Mais encore ? insiste-t-elle. Parlez-moi de ses points forts.
Devant cet examen surprise, je reporte mon attention sur le petit carnet qu’elle m’a prêté, mais elle m’arrête.
De mémoire.
— Eh bien… c’est joli, douillet, rénové récemment et très bien situé, sans parler de la cour arrière qui est… wow !
Éléonore arque un sourcil.
Wow ? répète-t-elle.
Oui, enfin… disons qu’elle est grande et intime, avec quelques arbres.
Elle hoche la tête et poursuit :
Et les points faibles ?
Les pièces sont petites, il n’y a qu’un étage et un seul stationnement. Si la pièce principale est très ensoleillée, la cour est cependant à l’ombre.
J’attends, mais Éléonore semble perdue dans ses réflexions. À nouveau, je me surprends à l’observer. Probablement parce que mes gestes ne sont pas discrets, elle tourne les yeux dans ma direction.
Autre chose ?
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Gênée d’avoir été prise en train de la regarder avec intérêt, je bafouille :
Eh bien… de mémoire… non.
Que la cour soit ombragée, cela est-il vraiment un point faible ? me questionne-t-elle.
Étonnée, je rétorque :
Ça dépend des gens, je présume.
Elle hoche discrètement la tête.
Il est vrai que certaines personnes aiment mieux rester dans l’ombre…
C’est plus fort que moi, je détourne à nouveau la tête, troublée par sa semi-confession. Éléonore vient de me renvoyer mes propres mots à la figure. Ce ne peut pas être un hasard !
Je crois qu’on peut rentrer, annonce-t-elle.
Je ne réponds pas, mais je suis soulagée qu’elle reprenne la route. J’hésite à lui poser franchement la question, juste pour m’assurer que je ne suis pas en plein délire. Juste pour savoir enfin la vérité. Mais est-ce que je veux vraiment savoir ?