Xavier Tricot

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semblants et les apparences trompeuses qu’il démonte résolument. Le tableau, Clerk Maxwell’s Tartan Ribbon (2013), reproduit vraiment une image fausse : la première photographie couleur de l’histoire (1861) est en fait un montage-composite de trois images. Il en va de même pour Artificial Eye (2013) : « Par le truchement de la peinture, j’ai remplacé l’objet réel (la prothèse) par son image. Mais, en fait, l’image d’un œil faux est-elle vraie ou fausse ? » L’artiste divulgue le mirage de la vérité, « dont, écrit Lacan, seul le mensonge est à attendre 22. » Toutefois, la tromperie étant de rendre indistinct le vrai et le faux, on ne peut qualifier de « trompeuse » la peinture de Tricot, se donnant pour ce qu’elle est : exposition, monstration 23 des apparences. À ce raisonnement lacanien, l’artiste acquiesce, ajoutant : « Et d’autre part, la peinture (le tableau) devient une nouvelle réalité, une méta-réalité… basée sur une illusion : l’impossibilité de connaître la réalité ou de la représenter. Je ne suis pas contre l’illusion… mais il faut en être conscient. » Il entretient un rapport de doute sur l’univocité et la justesse de la perception de la réalité, régie par le fantasme.

La matière

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Tricot redirige l’attention vers l’habileté « technique », « qui est aussi un art, l’art de faire » insistet-il. La qualité du rendu, de la texture, le préoccupe jusqu’à l’hyperréalisme : des bulles de savon, une orchidée, un radiateur électrique. Il considère cet affrontement avec la matérialité physique comme un « challenge », la représentation tenant lieu de l’objet manquant. Comment en outre restituer la matière de l’objet par l’enlèvement de la matière picturale dont Tricot s’est fait le spécialiste par frottement ou dilution ? Cela augmente encore le trouble et l’inconcevable d’une représentation de la réalité. Peindre la matière « cela permet de rendre visible l’impossibilité de connaître la matière... » « Cerner la réalité est déjà impossible, vouloir la représenter est tout à fait inepte. D’où la méfiance de Platon vis-à-vis des poètes… » Dorénavant, ce qui est à voir est à voir là, sur la toile, sans commentaire ni pathos : un flacon, une peau de vache, un iceberg, un papillon, un morceau de viande, un feu… Ces tableaux « ne referment rien en eux, si ce n’est la représentation (hyper-)réaliste de la “matière”, vide de tout “message”. » Il fait de l’objet la matière première d’une jouissance proprement picturale. Des bonbons anglais Liquorice Allsorts (2013) sont prétexte à un travail « fascinant » autour des formes géométriques, des coloris typiques et des textures. Un verre éclaté (Broken Glass, 2013) est l’occasion de jouer avec des glacis de couleur transparents, de s’attacher à en reproduire exactement les reflets, bris et fractures, etc. L’artiste ramène l’œuvre à l’objet, à sa pure présence d’objet « donné en pâture à l’œil », souligne Lacan, plutôt qu’au regard dévorant, médusant de l’imaginaire. « Quelque chose est donné non point tant au regard qu’à l’œil, quelque chose qui comporte abandon, dépôt, du regard », si bien que celui-ci est amené à « déposer les armes 24 », développe-t-il. La satisfaction qui nourrit l’œil tient avant tout au réel du tableau et non à l’au-delà de sa signification. L’œuvre se donne à voir dans la plénitude d’une manifestation dépassant tout langage et tout sens. C’est un « choix esthétique… isoler son sujet (objet) sur un fond uni, c’est l’accentuer, c’est l’isoler de son contexte habituel, c’est le mettre en exergue, c’est donc le sanctifier… » Et le sublimer, ce qui revient à, citons Lacan, « élever l’objet à la dignité de la Chose 25. »


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