Aéroport : au-delà de l’équipement, la construction d’un monde ? - Nour Zeghib

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AÉROPORT :

AU DELÀ DE L’ÉQUIPEMENT LA CONSTRUCTION D’UN MONDE ? Étude des aéroports de Paris, Dubaï, Mumbai et Hong Kong

Nour Zeghib Mémoire de Master Parcours IAT Julie Ambal et Xavier Guillot ensapBx juin 2016


AÉROPORT :

AU DELÀ DE L’ÉQUIPEMENT LA CONSTRUCTION D’UN MONDE ? Étude des aéroports de Paris, Dubaï, Mumbai et Hong Kong Nour Zeghib Mémoire de Master Parcours IAT Enseignants encadrants : Julie Ambal et Xavier Guillot ensapBx juin 2016


sommaire Avant-propos

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Introduction générale

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1. De l’aérodrome à l’aéroport, une évolution majeure de statut au regard de la ville.

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1.1. L’aéroport en gestation : du «jeu» à l’enjeu politique a. Une certaine vision de la modernité... Hors la ville, l’aéroport comme lieu d’imaginaire. b. L’essor de l’aéroport : quand la ville l’intègre à ses fonctions.

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1.2. L’aéroport rayonnant : un atout majeur pour la ville ? a. L’aéroport contemporain, une assimilation totale à la ville ? b. Entre identité globale et spécificités locales.

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Présentation des études de cas

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Paris, Dubaï, Mumbai et Hong Kong, en Europe comme en Asie, quatre aéroports essentiels à leurs territoires.

2. L’aéroport contemporain : vers l’émergence d’une nouvelle forme de ville ? 2.1. L’aéroport : un palimpseste au même titre que la ville ? a. Déploiement et essaimage, deux évolutions possibles de l’aéroport. b. Vers une reconversion de l’aéroport. c. Quand l’aéroport façonne le paysage.

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2.2. Un microcosme dans le macrocosme Hong Kong Mumbai Dubaï Paris a. Un espace véritablement démocratique ? b. En transit : personnes et marchandises. Paris Dubaï c. Créer le besoin : naissance du voyageur-consommateur. Mumbai d. Détourner l’infrastructure : l’installation de zones franches.

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2.3. L’aéroport ou le télescopage des limites a. Un lieu paradoxal : espace segmentant et frontières poreuses. b. Espace d’accueil : un lieu de rétention ? c. Une territorialité particulière : la zone internationale.

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Paris Paris Hong Kong

3. Renversement de perspective : les effets de l’aéroport sur la ville

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3.1. Fabrique de la ville, fabrique de l’aéroport : une même dialectique ? Hong Kong a. Lorsque l’aéroport (re)construit la ville... Mumbai b. ...ou qu’il la déconstruit : l’aéroport confiscatoire.

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3.2. Figurer au premier plan de la compétitivité mondiale : de nouvelles stratégies ? Paris a. De nouveaux morceaux de ville : les airport cities. Paris Mumbai Hong Kong Dubaï b. Vitrine ou miroir d’une réalité sociétale ?

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Conclusion

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Bibliographie

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Remerciements

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avant-propos Si j’ai pris la première fois l’avion c’était pour partir étudier une année au Canada. J’avais vingt ans. C’est un véritable monde que je découvrais alors, fascinant par son échelle, ses saveurs exotiques -entendre et rencontrer des gens du monde entier, concentrés dans un espace réduit- mais aussi très inquiétant pour qui ne connaît pas les us et coutumes -l’enregistrement, le dépôt des bagages, les multiples vérifications d’identité, les fouilles et l’attente... Cette première expérience de l’aéroport fut impressionnante car, pour un vol long courrier à destination d’un pays d’Amérique du Nord, il était obligatoire de passer la douane. Que de procédures quand il n’est même pas nécessaire de se munir de sa carte d’identité pour prendre le train ! J’y ai toutefois pris goût. Il n’existe rien de plus plaisant que de relier par sauts de puce les différents points du globe que l’on gagnait à grand-peine et en plusieurs semaines avant l’invention et la démocratisation de l’avion. Je ne suis pas seule dans ce cas. Il suffit de voir les chiffres quotidiens de fréquentation des aéroports : l’être humain, après des siècles de sédentarité semble repris d’une frénésie de mouvement. Serions-nous tous à notre manière nomades ou plutôt néo-nomades, hybrides sédentaires en mouvement perpétuel ? Serait-ce notre nouveau mal du siècle ? Ou ces grands flux migratoires ne seraient-ils pas plutôt le reflet d’une redéfinition de la notion de frontière, d’états et de nations dans le monde contemporain ? Les aéroports importeraient au sein des pays les lignes frontalières qui en marquaient jusqu’alors les bornes aux confins des territoires. Ils conjuguent d’ailleurs extra-territorialité, zones internationales et centres de rétention administrative pour les individus indéfinis quant à leur statut légal vis-àvis de la liberté de circulation sur un territoire national où ils s’élèvent.

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introduction générale Au seuil de ce travail, nous espérons aborder la question de l’aéroport international selon le plus grand nombre possible de perspectives illustrant la manière dont s’est accomplie sa greffe au territoire local. Nous avons sciemment écarté l’angle de l’objet technique en lui-même qui nous a semblé très bien documenté dans la littérature scientifique au vu des prouesses qu’il suscite pour remplir son rôle moderne. Notre apport à la compréhension de cet élément somme toute récent dans la ville n’aurait pas été pertinent de ce point de vue. Il est plus intéressant de l’interroger dans ses rapports aux différents espaces qu’il rapproche et confronte pour le meilleur souvent et aussi pour l’assez discutable parfois. Pour cela nous avons dû l’envisager aux étapes successives de sa genèse car il faut bien reconnaître que ces ports terrestres formidables accomplissent les potentialités de l’aérodrome modeste des origines. Ce sera l’objet de notre première partie. Mais il y a loin de l’outil au service du transport d’hommes ou d’objets des origines au partenaire incontournable de la métropolisation et il est essentiel de s’interroger sur les mutations de cet objet, en identifier les facteurs et chercher à comprendre leur impact et les interrelations générées dans des domaines aussi divers que l’espace géographique, l’urbanisation, les transports terrestres, le commerce, les loisirs mais également la frontière. Comment et pourquoi l’aéroport se transforme-t-il ? D’où vient cette sensation d’une ville dans la ville ? Mais est-ce bien une ville ? Les pistes que nous avons suivies pour répondre à nos questions sont extrêmement diverses car l’aéroport international cristallise la plupart des problématiques urbaines contemporaines d’aménagement et d’urbanisme, de développement économique, de gouvernance, d’écologie, de paysage, sans rendre moins essentielles les questions techniques plus traditionnelles de conception, construction, gestion mais aussi celle de l’investissement financier, dont les modalités évoluent fortement, avec des contraintes budgétaires des territoires plus serrées, ou liées à la globalisation et à la compétition, et qui restent centrales. Ces facteurs sont à prendre en compte notamment pour la politique d’image qui figure l’aboutissement des points de vues qui ont retenu notre attention. Nous verrons dans notre deuxième partie comment l’aéroport contemporain s’est inséré dans une forme renouvelée de la ville avant de montrer dans la troisième et dernière partie de notre panorama des relations qui unissent

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l’aéroport à son territoire de quelle manière le rapport de force s’est inversé et a fait de ce dernier l’élément primordial de la ville. Notre approche se veut donc multidimensionnelle et multiscalaire. Nous essaierons d’expliquer les problèmes ou les solutions apportées par l’aéroport international à la métropole, au territoire national, à son environnement immédiat face à l’espace-monde et donc à des échelles qui s’imbriquent et s’intriquent même. Pour mener à bien notre enquête, nous nous appuierons sur un corpus universitaire. Il nous fournira les notions indispensables pour penser l’aéroport international et la métropolisation qui sont nos tenants et nos aboutissants dans ce travail puis nous les confronterons à l’information journalistique ainsi qu’aux publications émanant des acteurs mêmes de l’aéroport. Nous souhaitons saisir dans le flux public les effets concrets des interractions décrites par la littérature universitaire et vérifier leur diffusion effective ou non par l’étude de quatre aéroports internationaux aux caractéristiques similaires mais néanmoins singuliers, en Europe et en Asie. Il s’agit de Charles-de-Gaulle pour la ville de Paris, de l’Aéroport International de Dubaï, de Chhatrapati-Shivaji à Mumbai et de l’Aéroport International de Hong Kong. Le premier, aéroport parisien, resté dans son jus des années 1970 malgré différents ajouts et transformations successives est entré en compétition avec Heathrow pour Londres pour conserver son rôle de porte d’entrée de l’Europe et le maintient effectivement en accueillant le deuxième trafic de passagers le plus important au monde. Le deuxième, plateforme relai entre l’Orient et l’Occident est né par et avec la ville qu’il confirme dans son rôle de ville-escale et leur destin paraît inéluctablement lié. Le troisième, aéroport indien, se situe dans l’ancienne ville de Mumbai-même et symbolise l’avenir mondialisé de l’Inde tout en célébrant le patrimoine du pays. Le quatrième à Hong Kong, véritable ticket d’entrée de l’Asie est construit sur une île artificielle, et conçu de manière à mettre en valeur le centre-ville hyper moderne. Pour toutes ces raisons, il semble particulièrement intéressant d’interroger l’intégration de l’aéroport dans le paysage urbain contemporain. On peut y lire très certainement un avenir pas si lointain du développement des villes dans le monde global dont nous vivons l’émergence. Cette prédiction de l’évolution urbaine prendra corps dans une double interrogation : sociale et urbanistique puisque l’une n’existe pas sans l’autre.

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1.

De l’aérodrome à l’aéroport, une évolution majeure du statut au regard de la ville


1.1. L’aéroport en gestation : du «jeu» à l’enjeu politique L’aéroport est la dernière née des infrastructures urbaines liées au transport des biens, marchandises et personnes. Ses aînées les plus anciennes, les voies de communication terrestres -routes-, fluviales et maritimes sont apparues quasiment en même temps que les premières structures urbaines par exemple à Cucuteni-Trypillia à partir de la fin du Vème millénaire avant notre ère en Ukraine, Roumanie et Moldavie ou dans les régions limoneuses et fertiles de la Mésopotamie entre 3500 et 1500 avant notre ère toujours, comme Uruk1. A vrai dire, il semble même logique de penser que ces fondations sédentaires particulières que sont les villes par rapport aux plus simples groupements de foyers qui constituent des villages, se soient constitués sur des nœuds de communications entre grandes voies de circulation. La ville ne pourrait-elle alors se voir comme une émanation paradoxale de la circulation ? Les cités fonctionnent comme une combinaison de toutes les fonctions attribuées traditionnellement à la ville (logement, commerce, bâtiments symboliques des divers pouvoirs, lieux de culture,...) et des structures la reliant à ses points d’approvisionnement en produits initiaux (denrées comestibles ou matières premières destinées à la consommation ou à la transformation avant utilisation) ou à d’autres villes avec lesquelles elle opère des échanges lucratifs.

La Gare Saint-Lazare, huile sur toile de Claude Monet peinte en 1877, 75×104, actuellement au musée d’Orsay à Paris. Monet, fasciné par le progrès que représente la société industrielle peint le paysage urbain et notamment un édifice qui le symbolise tout particulièrement, la gare.

Pendant des millénaires donc, les routes et les installations destinées à débarquer les biens et les personnes acheminés vers le foyer de convergence et d’échanges qu’était la ville ont été des leviers forts de sa construction : portes d’entrées, ports fluviaux ou maritimes et leurs quais, entrepôts, garages. L’invention beaucoup plus tardive du chemin de fer n’a pas changé cette interpénétration du moyen et du résultat. Les premières gares furent dès leur origine des points de repère du paysage urbain comme l’étaient les octrois, les grands rues ou les embarcadères. Villes et infrastructures de transport connaissent bien un développement conjoint au point que l’on peut les catégoriser selon qu’elles sont portuaires (maritimes, fluviales) comme Le Havre, Bordeaux, Lyon, Paris, Marseille ou ferroviaires comme New York, Chicago, Albany… Cependant, ce qui a contribué au développement premier des villes ne s’est-il pas systématiquement et inéluctablement transformé en parasite phagocytant l’espace à son seul profit ? 1 John Chapman, Mikhail Videiko, Bisserka Gaydarska, Natalia Burdo, Duncan Hale, Richard Villis, Natalie Swann, Nathan Thomas, Patricia Edwards, Andrew Blair, Ashley Hayes, Marco Nebbia & Vitalij Rud , The planning of the earliest European proto-towns: a new geophysical plan of the Trypillia mega-site of Nebelivka, Kirovograd Domain, Ukraine, issu de http://antiquity.ac.uk/projgall/chapman339/.

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Emile Loubon, « Le Port du Havre au XIXe siècle », 1843, collection CCI de Marseille Le port et la ville s’interpénètrent. On voit ici un enfant jouer sur le débarcadère et les façades des maisons donner directement sur le port. On n’a pas de frontière marquée. Le port participe à la vie quotidienne de la ville, il en est une continuité.

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Chacune des villes citées a connu une période d’apogée extraordinaire grâce à ses infrastructures de transport, s’est dotée de bâtiments et d‘équipements culturels, de places publiques, de jardins, d’un habitat dense mêlant les classes sociales de l’armateur, du négociant, de l’industriel au manœuvre, à l’ouvrier en passant par le boutiquier et l’artisan en interaction avec le port ou la gare à l’origine de leur prospérité. Mais ensuite, l’extension des constructions utilitaires a agi comme un repoussoir de la ville, celle-ci s’est retrouvée rejetée en périphérie des zones portuaires, ferroviaires fermées aux badauds, dangereuses, bruyantes, dévolues aux seules opérations de transbordement et de stockage, réservées aux professionnels de l’import-export. Au Havre, par exemple, le quai d’amarrage est devenu si technique, énorme, qu’il a pu séparer la ville de son eau portuaire. Son développement s’est mis à nuire à l’image de la ville qui apparaît dans la seconde moitié du XXème siècle comme à la remorque de son port autonome. Une autre configuration de l’inféodation de la ville à ses moyens de communication physique apparaît dans le cas d’une ville associée à une infrastructure routière : les grandes rocades desservant les agglomérations majeures sont devenues des barrières entre une partie de la ville, souvent ancienne et historique et d’autres parties plus récentes. Ainsi, le périphérique parisien est conçu à l’origine pour faciliter le trafic routier nécessaire aux échanges de la capitale ; construit sur le tracé des anciennes fortifications datant de Louis-Philippe, il semblait en abolir la fonction séparative mais il instaure bel et bien encore à l’heure actuelle une fracture dans la structure de la métropole.

Une du quotidien régional d’information Centre-Presse, du mardi 24 avril 1973. «La traversée a toujours été un cauchemar pour les automobilistes. Mais à partir de cette semaine, il n’y aura plus lieu de se plaindre. Désormais, on pourra contourner la capitale sans encombre et surtout il sera possible de faire trente-six kilomètres sans s’arrêter au moindre feu rouge, ce qui ne garantit pas forcément, d’ailleurs, une circulation fluide. Encore quelques heures de patience et le rêve de tous les automobilistes parisiens sera réalité. Il suffit d’attendre l’inauguration du dernier tronçon Porte Dauphine - Porte d’Asnières, par le Premier ministre, M. Pierre Messmer, demain mercredi. Quelques instants après, les automobilistes pourront s’élancer sur l’orbite de la capitale. Notre photo représente une vue du périphérique de la porte Maillot. (A.F.P.)» Image issue de pourquoipaspoitiers.over-blog.fr, problemes-117430717.html, 29 avril 2013.

http://pourquoipaspoitiers.over-blog.fr/article-1973-tout-neuf-le-peripherique-parisien-pose-deja-des-

A une époque antérieure, le réseau ferré d’abord bien intégré à la ville, devenu lui aussi un système impénétrable et consommateur d’espace (occupant avec ses kilomètres de rails une place énorme et monofonctionnelle de la ville) l’a fragmentée et parfois même rejetée. Doit-on regarder la relation entre ville et voies de communications comme celle d’un développement conjoint en proie à de perpétuelles tensions ? À Paris, la création de la gare Saint-Lazare fut pensée de manière à s’intégrer au paysage urbain. Le bâtiment initial devait s’inscrire au niveau de la place de l’Europe mais fut reporté plus loin dans le but de conserver le carrefour que celle-ci constituait. Les voies de chemin de fer furent alors creusées en dessous. Pourtant, l’élargissement des voies ferrées en 1895 fera finalement disparaitre la place. Puis celle-ci fut recrée de manière artificielle sur un viaduc au-dessus des lignes de chemin de fer. On voit donc bien ici, la relation qu’entretiennent la ville

Vue aérienne de Drancy. L’infrastructure ferrovière (RER B et ...) agit comme véritable barrière dans la ville. Un seul pont pour traverser «d’une rive à l’autre.» Image issue de www.Geoportail.fr, 2015

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et l’infrastructure de transport. Cette dernière devient un panorama pour les habitants qui peuvent regarder les trains arriver en gare. Elle inspire notamment alors les peintres qui peignent la société industrielle montante de leur époque comme Gustave Caillebotte ou Claude Monet. Ils voient le progrès toucher toutes les strates de la société et se cristalliser en ville dans une architecture de monuments non plus en relation avec le pouvoir religieux ou politique mais avec le monde du transport. Si l’infrastructure amène à l’effacement d’une partie de la ville par sa destruction ou son changement de destination spatiale, on constate aussi qu’elle lui insuffle une nouvelle forme et une nouvelle vigueur. En recréant une place disparue au profit de l’infrastructure, en la superposant à celle-là-même, la ville absorbe et normalise l’infrastructure qui devient une de ses composantes. En est-il de même avec l’aéroport ? Les conditions de son apparition sont-elles comparables ? Son essence est-elle identique ? Toutes ces questions ne sont pas rhétoriques. Parmi les infrastructures de transport, seul l’aéroport semble se singulariser par rapport à la ville, comme s’il n’en était pas un élément, du moins à ses débuts. Alors que son nom le rattache à l’idée d’entrée et de départ, il paraît échapper à la ville, se développer pour lui-même en dehors de toute référence à l’urbain. En réalité d’ailleurs, son apparition ne se produit-elle pas sous une première physionomie, l’aérodrome, et ne devient-il pas aéroport qu’après une série de métamorphoses ?

a. Une certaine vision de la modernité... Hors la ville, l’aéroport comme lieu d’imaginaire. Le lieu et l’objet aéroport sont, nous l’avons dit d’invention très récente ; Paris, la France, s’avèrent le berceau d’émergence de ce nouveau milieu bâti. Si la date du 23 mai 1909 est celle qui est retenue comme l’acte de naissance du premier aéroport au monde, la gestation du concept est un peu antérieure et commence en 1905 au sein de terrains militaires. Les premiers aviateurs ont utilisé pour leurs expériences des terrains d’opportunité comme le champ de manœuvres d’Issy-les-Moulineaux dont, Ernest Archdeacon, mécène passionné, avait obtenu l’autorisation d’usage sous certaines conditions, mais il s’est rapidement avéré difficile à exploiter en raison même de sa vocation militaire. Certains pionniers décidèrent alors de pallier ce problème et d’établir un site spécialement dédié à l’aviation civile naissante. Il ne s’agissait pas seulement de pistes d’envol et d’atterrissage mais déjà d’un ensemble complexe qui comportait une piste circulaire abritée des vents par les coteaux environnants et des installations pratiques (tour de contrôle, hangars, tribunes, infirmerie, bureau de poste, parking pour automobiles…). Il était situé sur la commune de Viry-Châtillon. Ce fut le premier « aéroport » jamais conçu par l’homme sur la planète. Il fut baptisé « Port-Aviation » par Louis Barthou, le ministre des Transports de l’époque. L’intuition de créer une technologie d’avenir importante pour les sociétés humaines et l’obligation de l’expérimenter en grandeur réelle vont alors de paire avec l’invention d’espaces novateurs, créatifs, car, au fil du temps et des courses aériennes organisées, le nouveau terrain d’aviation attire les foules de curieux. De simples hangars, puis de véritables ateliers - qui deviendront les entreprises Voisin, Caudron… - s’installent autour du champ d’aviation, faisant de ce quartier le quartier de l’aviation, dont aujourd’hui les noms de rues évoquent encore le passé glorieux. Toutefois, l’avion n’est pas envisagé comme mode de déplacement potentiel auprès du public. Le chemin de fer ou le bateau à vapeur restent les moyens privilégiés tant des classes sociales supérieures que des moins fortunées. Ce sont des transports éprouvés aux techniques maîtrisées et aux infrastructures nombreuses et facilement accessibles.L’aéroport se conçoit surtout comme scène de représentation d’exploits techniques à l’instar du cinématographe qui circule de ville en ville dans les baraques foraines bien avant de servir à l’industrie du spectacle. Une sorte de cirque dont la piste serait aérienne et les coursiers

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des avions. Il faut imaginer des dispositifs spatiaux permettant de “contempler l’action, de bas en haut, de bout en bout, vers l’horizon» et «scéniques, les courses étant destinées à susciter la surprise et l’émotion.» L’espace de la ville n’autorise pas les longues perspectives et la scène recherchée rend inévitable l’excentrement des vols et favorise la création d’un univers spécifique, avec ses enceintes et ses règles.» Progressivement cependant, la conquête du ciel se fait plus sûre et vient le temps d’ouvrir à une clientèle riche et en quête d’exclusivité un nouveau mode de voyage en perpétuel perfectionnement. Non seulement, le déplacement se fait plus rapide et confortable, mais son champ d’action semble quasi illimité, se joue des reliefs et abolit les étapes intermédiaires des trajets au long court. Cette extension au monde des réseaux aériens, réservée à une clientèle privilégiée, se met en place à la fin des années 1920. L’imaginaire collectif et les anticipations des urbanistes utopistes comme Hénard ont préparé les esprits depuis vingt ans déjà à l’intégration du port aérien aux utilitaires antérieurs de la ville mais l’on n’en constate guère la réalité sur le terrain. Durant des années, près d’un demi-siècle en fait, l’aéroport est construit à la campagne en retrait de la ville comme détaché d’elle. Une route ou un chemin de fer les relie comme un mince cordon ombilical. Est-il un corps étranger à la ville, trop irréductible à sa nature ? Au contraire, estil si bien à son service qu’il lui laisserait le champ le plus libre possible tout en lui rendant un service bien plus efficace que ses aînées ?

b. L’essor de l’objet aéroport : quand la ville l’intègre à ses fonctions. Lorsque la paix revient après la Première Guerre mondiale, que l’aviation civile tend à se développer, c’est uniquement pour une clientèle de riches privilégiés qui entreprennent de parcourir le monde comme un vaste jardin, et on ne cherche pas, nous l’avons vu, à intégrer les points d’embarquement dans les villes contrairement à ce qui a été fait pour le train ou les bateaux dont l’usage fut rapidement démocratisé. Cette clientèle ne se préoccupe pas d’avoir des points d’accès rapprochés du centre ville car elle possède les moyens d’éviter les efforts générés par la distance : voiture particulière, chauffeurs, porteurs abolissent pour elle le sentiment de gêne qui pourrait en découler. Le déplacement hors les murs lui offre même l’occasion de se distinguer de la foule des hommes ordinaires. Par ailleurs, des préoccupations d’ordre pratique et économique ne permettent

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André Devambez Paris (1867 - 1943) "Vol durant la "Quinzaine d'Octobre"; Port-Aviation, 14 octobre 1909", collection particulière. Les foules envahissent le terrain ou se hissent sur les toits pour profiter de différents spectacles ainsi le 1er avril 1909, au baptême des deux aéroplanes de la première école de pilotage jamais créée, en présence de députés et sénateurs, le 4 juillet, à une fête aérienne organisée au profit d’œuvres de bienfaisance. Celle-ci rassemble 10 000 personnes dont Louis Blériot en personne. Et surtout, du 7 au 21 octobre se tient la « Grande quinzaine de Paris ». Cette grande manifestation est inaugurée par le président de la République Armand Fallières et rassemble plus de 100 000 spectateurs en une seule journée ! La foule débarque en gare de Juvisy. Enfin, le 18 octobre, un aéroplane survole la capitale pour la première fois : parti de Port-Aviation, l’appareil piloté par Charles de Lambert va jusqu’à la Tour Eiffel avant de rallier son point de départ, un périple couvert en 50 minutes. C’est la première fois qu’un aéronef effectue un parcours en aller-retour. La performance a un retentissement mondial.

Vue aérienne oblique du terrain d’aviation, ancien Champs de Manoeuvres et des usines d’aviation qui l’entourent : Caudron, Nieuport. © Musée de l’Air et de l’Espace - Le Bourget

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pas de placer les aéroports dans le cœur des villes ni même dans leur périphérie immédiate. Il faut trop de terrain dégagé. La ville va-t-elle se fermer à un moyen de transport aussi novateur et prometteur ? En apparence, elle renonce à s’annexer les nouveaux points d’embarquement que sont les aéroports et les contraintes de la navigation aérienne constituent la seule base sur laquelle l’architecte concepteur de l’aéroport doit s’appuyer. Pour autant la lecture du bâtiment de l’aérogare réalisée ne montre-t-elle pas une réalité toute autre ? Les bâtiments conçus pour l’accueil des passagers ne sont pas tributaires de leur seule fonction utilitaire mais paraissent déjà pensés comme des œuvres architecturales urbaines luxueuses à l’instar des gares ferroviaires. Par exemple, l’exploitation de la ligne Paris- Lyon-Marseille, mise en place par la Compagnie Air Union en 1926, requiert dans les années qui suivent, la construction d’une aérogare dont le plan tient compte des impératifs propres à l’aéronautique exprimés dans un “Plan Duval” ainsi formulé : «Si on place la gare aérienne en un point voisin du centre du terrain et que, de ce sommet, on trace un angle de faible ouverture, on voit que, quelle que soit la direction du vent, les envols et atterrissages pourront se faire selon un diamètre ou plus exactement sur une parallèle à un diamètre pratiquement aussi longue et aussi favorable. Dès lors, tout angle mort, inutile pour la circulation aérienne, peut être occupé par les constructions nécessaires, et au besoin les agrandissements pourront se continuer par le prolongement du secteur en dehors du cercle1.»

Plan du rez-de-chaussée du Port aérien de Lyon – Bron, tel que l’avaient conçu les architectes Chomel et Verrier. (Coll. Encyclopédie de l’Architecture, Constructions modernes). Issue de calm.sopixi.fr, http://calm.sopixi.fr/files/ aerogarebron3-1.pdf, 15 octobre 2013 17:00:27.

Les règles de base de la construction de l’aéroport sont ici clairement induites par les nécessités de la navigation aérienne et ne correspondent en rien aux usages de la ville tels qu’ils sont définis jusqu’alors puisqu’il est question dans ce propos d’ajuster une architecture à des vents par définition changeants. L’aéroport demande d’inventer une nouvelle manière d’implanter des bâtiments. Une forme en V plutôt inédite en émerge. L’aérogare, en forme de deux branches en «V», de ligne sobre, peinte en blanc sur lequel se détachent des bandes rouges horizontales, se développe sur plusieurs niveaux, avec terrasses. Mais ensuite, le discours architectural se fait beaucoup plus conventionnel et attendu, voire conservateur d’un certain nombre de valeurs urbaines dont il aurait pu s’affranchir peut-être.

On voit se dessiner un modèle architectural normé selon les critères de la ville ; l’espace de l’aérodrome réservé aux seuls fanatiques, prêts à tous les sacrifices de confort et de conformisme pour assouvir leur rêve de s’élever dans les airs et échapper à toute règle naturelle et sociale, où mécaniciens, ingénieurs, mécènes et amateurs dilettantes se coudoient, des origines a été rattrapé par la ville et ses exigences sociales : confort, esthétique, pragmatisme économique mais 1 Extrait de TREILLET Philippe, Cinquante ans d’aviation commerciale sur l’aéroport de Lyon-Bron de Paul Mathevet, Editions ELAH, 2006, 176 pages.

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Le hall de l’aérogare de Bron avec les fresques de Pierre Combet-Descombes. Collection privée et Philippe Treillet. Issue de calm.sopixi.fr, http://calm.sopixi.fr/files/aerogarebron3-1.pdf, 15 octobre 2013 17:00:27.

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aussi dissociation des catégories sociales avec l’effacement à la vue des parties réservées aux services maintenant reléguées au sous-sol et personnel tenu à distance. Le Bourget qui fut le premier aéroport civil de Paris reprend en 1937 pour son aérogare signée par l’architecte Georges Labro des codes visuels semblables même si sa conception repose sur une analogie avec l’allure des paquebots de son époque. Ainsi, la proue est symbolisée par une avancée en forme de tour et les passerelles des ponts par des balcons et un toit en terrasse fermés par une balustrade à l’image des bastingages. L’édifice, décoré avec la participation du peintre Lucien Martial, est inauguré le 12 novembre 1937 pour l’exposition internationale tenue à Paris ; À l’intérieur, le style résolument années 30 donne un côté strict et assez majestueux à l’ensemble structuré par une allée bordée de huit colonnes qui mène au grand escalier à double volée. Les fenêtres des façades éclairent les travées étirées de chaque côté du grand hall dont la lumière arrive par la toiture en trois voûtes percées de pavés de verre C’est un véritable chef d’œuvre de l’art déco commandé sur concours par l’Etat français représenté par son ministère de l’air en 1935 conscient d’avoir là une occasion de choisir et donc d’influencer la première impression ressentie par les passagers lors de leur arrivée ou leur passage à Paris. L’enjeu est d’importance pour la ville car parmi les voyageurs se trouvent de plus en plus d’hommes d’affaires, d’hommes politiques transitant pour des destinations européennes, Bruxelles, Berlin, Moscou, Londres… dont l’opinion présente une importance économique déterminante pour la ville de Paris qui cherche à attirer investisseurs et touristes.

Lyon Bron, un aéroport pionnier très innovant Les fondations de l’aérogare sont assises sur du gravier, dont l’extraction a permis l’installation de vastes sous-sols accessibles par des rampes, où sont placées les installations de chauffage, des cuisines, des dépendances et un garage pour les voitures de service. Au rez-de-chaussée : un vaste hall de départ et d’arrivée en forme de rotonde. La décoration de son pourtour est faite de fresques murales, œuvres du maitre décorateur lyonnais Combet-Descombes, représentant des cartes géographiques avec les différentes lignes aériennes. Une particularité́ de ce hall réside dans son éclairage zénithal. En effet, la coupole qui le surplombe a été réalisée en béton armé dans lequel sont noyés des pavés de verre laissant filtrer la lumière du jour. C’est dans ce hall que sont installés les comptoirs des compagnies aériennes pour la vente des billets, l’enregistrement des bagages, une boutique de presse et de souvenirs, ainsi qu’un débit de tabac. Dans ce hall, se situent deux accès situés sur la gauche : l’un conduit vers la salle d’attente, et l’autre au buffet (avec des menus à 18, 25 et 35 francs). Ce dernier s’ouvre sur l’extérieur par une vaste terrasse. Au premier niveau, prennent place les bureaux administratifs du port aérien et des compagnies aériennes, de la direction de la météorologie et de la radio, ainsi que quelques chambres pour les passagers et le personnel navigant de passage. Au deuxième niveau, se trouvent les services de la direction de l’aérogare, et plus particulièrement le bureau du directeur situé dans une avancée vitrée qui lui permet de tout voir, tout surveiller et tout diriger... Au troisième niveau, à 16 mètres au-dessus du sol, une tour de guet se dresse, d’où est commandé électriquement le balisage de nuit, différents signaux lumineux dont le phare aérien. Ces divers étages sont dotés de terrasses, accessibles au public à partir d’escaliers extérieurs, permettant ainsi de voir évoluer les appareils, ainsi que les opérations d’arrivées et de départs. Un droit d’entrée de 1 franc par personne, sauf pour les enfants, est perçu le samedi et dimanche, l’après-midi.

On constate que non seulement la ville annexe l’aéroport parce qu’il lui offre une porte d’entrée supplémentaire, avec un moyen de communication plus rapide, donc plus performant et moderne que ceux déjà à son service mais elle va même employer son statut prestigieux pour y tester des innovations futuristes à son avantage potentiel. À Bron, les innovations techniques dues aux architectes et aux ingénieurs sont relativement nombreuses : dalle de béton avec pavés de verre dans les terrasses, utilisation de joints de dilatation, cloisons en fibre de canne à sucre desséchée ou en copeaux de bois agglomérés, circuit de chauffage à air chaud, tube pneumatique pour la transmission des messages à l’intérieur des services, nombreux circuits électriques et téléphoniques, réseaux d’eau chaude et froide installés à l’intérieur de piliers creux, etc. Le territoire vierge de l’aéroport autorise les expérimentations de techniques, matériaux et effets qui pourront équiper la ville en devenir lorsqu’ils seront suffisamment rentabilisés et banalisés pour se démocratiser. La ville digère de cette manière un élément qui lui était extérieur pour finalement se l’approprier.

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Photographie aérienne du Port aérien de Lyon–Bron, avec en arrière-plan la construction du hangar Caquot. Collection privée et Philippe Treillet. Issue de calm.sopixi.fr, http://calm.sopixi.fr/files/aerogarebron3-1.pdf, 15 octobre 2013 17:00:27.

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1.2 L’aéroport rayonnant : un atout majeur ? a. L’aéroport contemporain, une assimilation totale à la ville ? Douée d’une force centripète congénitale, la ville est cycliquement confrontée à des crises de congestion. Chaque fois, elle doit se réinventer, construire en hauteur, abattre des murailles, rationaliser ses services en adoptant les inventions nouvelles qui lui donnent une respiration plus ample, pour un temps seulement car à chaque progrès dans ce sens correspond un nouvel appel de flux ; l’offre crée en quelque sorte la demande. Et l’engorgement du trafic réapparaît, chaque fois plus important. L’extension des bâtiments de la ville en dehors de ses limites administratives traditionnelles, jusque et au-delà des communes qui la jouxtent ne résout en aucune façon le problème des transports quotidiens, son centre historique puis sa banlieue proche, moyenne et finalement plus lointaine rassemblant encore la majorité des emplois des sociétés contemporaines. On assiste ainsi au XXème siècle à l’émergence d’une nouvelle organisation du territoire en polarités fortes, dominantes, reliées entre elles par un système complexe de réseaux, auquel on donne le nom de métropoles. Cette tendance s’observe à l’échelle mondiale où la distinction ville/campagne, reprenant l’antique répartition polis/chora avec pour modèle une cité bâtie au cœur de son territoire nourricier se fait de moins en moins évidente, voire de moins en moins pertinente, et laisse place à une nouvelle territorialité dans laquelle les déplacements qui matérialisent les pouvoirs des classes dominantes ne se produisent plus à l’échelle locale ou régionale ni même nationale mais à celle du monde. François Ascher1 développe la notion de métapole qui suppose une nouvelle vision de l’organisation du territoire en spokes et hubs, des rayons et des moyeux qui engendrent un «effet tunnel» et effacent des portions entières de territoires intermédiaires. Il explique que les territoires les plus favorisés et visibles sur le plan global se situent sur des réseaux permettant la connectivité à la plus grande échelle. Les territoires relégués sont ceux qui historiquement bénéficiaient d’une position confortable d’entre-deux, entre la ville et la campagne, bénéficiant des avantages de la proximité de la ville mais pas de son bourdonnement, du calme et du bon air de la campagne, car ils ne participent finalement pas aujourd’hui à cette logique globale qui dépasse le cadre du territoire physique.

1 François Ascher est un urbaniste et sociologue français spécialisé dans l’étude des phénomènes métropolitains et de la planification urbaine, il a notamment exploré les concepts de «métapole» et d’«hypermodernité».

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Saskia Sassen2 quant à elle, considère que ce phénomène abolit les limites physiques premières de proximité spatiale et leur substitue le sentiment de rapprochement entre grandes entités urbaines par raccourcissement du temps mis pour rallier l’une ou l’autre. Elle appelle ces métropoles les «villes globales». L’entre-deux, peu réellement métissé, ni véritablement rural, ni vraiment urbain, procède alors de logiques de juxtaposition plus que d’une identité spatiale bien définie. Dans un tel contexte, quelle est la place ou plus exactement quel est le rôle de l’aéroport qui, avec sa culture particulière, inaugure un nouveau rapport au temps et aux distances, ce même rapport qui dessine les nouvelles formes urbaines ? Force est de constater qu’il a semblé dès son origine inscrire dans le champ du possible tous les discours d’urbanisme utopistes en proposant une circulation fluidifiée par l’accès à une dimension spatiale supplémentaire. «En s’appropriant les horizons d’attente de leurs contemporains, (ils) se sont progressivement imposés comme des idées forces, mobilisant les espoirs, stimulant des projections collectives. Au fil de l’avènement d’un transport devenu, en l’espace de quelques décennies, déplacement de masse, les relations entre la culture aérienne et l’urbanisme n’ont cessé de consolider sur le long terme un discours utopique sur la ville du futur, conduisant à l’émergence de cités aux confins des plus grandes villes du monde et générant des modèles inédits, dont l’influence sur les diverses strates de la ville contemporaine est loin d’être limitée à la seule infrastructure3.»

Ce faisant, les aéroports contribuent à une métamorphose assez radicale du sentiment urbain. La ville n’est plus incarnée dans un territoire ponctuel mais dans son réseau de relations quasi immédiates aux autres dont l’aéroport est le vecteur par excellence. L’un comme l’autre tourneraient-ils le dos à la ville traditionnelle faite de bâtiments et de routes en dur tandis que la métapole ou ville globale s’inscriraient plus dans une réalité virtuelle, écrite sur l’air au profit de ceux qui en maîtrisent les lois ? Les auteurs de science fiction sensibles plus que d’autres à ce qui adviendra après leur époque ont fort bien pu le prophètiser ainsi avec une mention spéciale peut-être à Philip K. Dick dans son roman d’anticipation The Penultimate Truth paru en 1964 mettant en scène un monde post guerre nucléaire où «la superficie de la planète n’(est) qu’un immense parc partagé entre les domaines et les 2 La sociologue et économiste néerlando-américaine Saskia Sassen est spécialiste de sociologie urbaine et introduit la notion de «ville globale» en retenant essentiellement des critères économiques et financiers (capitalisations boursières) pour les définir. 3 ROSEAU, Nathalie, Aerocity. Quand l’avion fait la ville, Paris, Parenthèses, 2012.

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Métropolisation Ville en réseau - Ville globale

Évolution de la relation aéroport-territoire

Première phase : dualité ville-campagne

Pendant la première phase, l’aéroport est construit en dehors de la ville dans un environnement ouvert : la campagne. Durant la seconde phase, parce que la ville se développe, l’aéroport est au service de centres urbains multiples. Durant la troisième phase, l’aéroport est incorporé au tissu urbain. Durant la quatrième phase, l’aéroport est remplacé par un autre aéroport situé au delà des ensembles résidentiels, comme c’est le cas à Hong Kong par exemple.

Village Ville périphérique

Ville importante

Seconde phase : métropolisation

Le cas de Londres, la ville aux six aéroports 1920

Première phase

Gr Hendon Aerodrome 1908

Ville

Aéroport

Croydon Airport 1920

Seconde phase

1944

Greater London Plan

Issue de cbrd.co.uk, http:// w w w. c b rd . co . u k /a r t i c l e s / ringways/background/img / wp_1944.jpg, 28 septembre 2014 12:23:53

Edge city Ville périphérique

Extrait de la Bacon’s New Map of the Environs of London. 1920 (dated) Height: 29 in (73.7 cm). Width: 39 in (99.1 cm).

Ville

Edge city

Ville

Métropole et son aire urbaine en expansion

Airport-city Village

Troisième phase : tisser des liens régionaux

Croydon Airport 1920

Métropole

2016

Troisième phase

Ville périphérique

London Stansted

London Luton

Village absorbé Métropole et son aire urbaine en expansion

Ville

Territoires relégués

Edge city Edge city

London Southend Heathrow

London City

Extrait de la Bacon’s New Map of the Environs of London. 1920 (dated) Height: 29 in (73.7 cm). Width: 39 in (99.1 cm). Image issue de www.google. fr, 2016

Biggin Hill

Métropole mondiale Gatwick

Quatrième phase : la ville globale

Ville Diagrammes réalisés à partir du travail Johanna Schlaack.

SCHLAACK Johanna, «Defining the Airea, Evaluating urbain output and forms of interaction between airport and region», dans Airports in cities and regions : research and practise, Karlsruhe : KIT Scientific Publ., 2010.

Territoires relégués

Métropole mondiale

Quatrième phase

Ville Territoires relégués

Edge city Edge city

Métropole mondiale Métropole mondiale

Ville

Ancien aéroport Nouvel aéroport

Territoires relégués

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villas d’une petite élite4», où l’on survole «le paysage verdoyant, les champs, les prairies, l’étendue des forêts (…) parsemées d’édifices là où des domaines se (sont) implantés en des lieux excentriques … en floppeur5» tandis que le commun des mortels survit misérablement dans des abris souterrains ignorant que la surface terrestre est à nouveau vivable ou confiné dans «des ensembles géants de cités-dortoirs incluant terrains de jeu pour enfants, tables de pingpong et cibles pour fléchettes, conapts6 avec piscine, moquette et télévision en relief» mais en vérité «des camps de concentration… d’où ils ne peuvent, sous aucun prétexte…sortir…».

universalité et particularismes, nomadisme et sédentarité…Ne seraient-ce pas là quelques caractéristiques essentielles de la ville telle que nous avons tenté de la définir en introduction ?

L’image est saisissante des réalités de ces villes globales qui sont autant de stations possibles pour une petite élite de privilégiés dont le monde est le terrain de vie et les voies aériennes le mode de déplacement de prédilection. Au-dessus et en dehors de la foule, dans un déroulement temporel inconnu des êtres humains ordinaires. Une telle vision, sans être fausse n’est qu’un des aspects possibles de l’impact des aéroports modernes et de leur relation à la ville sur celle-ci qu’ils feraient en quelque sorte disparaître parce qu’ils ignoreraient totalement leur environnement proche dont ils seraient comme détachés. Une autre perspective plus engageante se dessine dans la dynamique urbaine observable autour des aéroports. Le rejaillissement positif de l’aéroport sur la ville existe à plusieurs niveaux. Tout d’abord, le déploiement de technologies de pointe aussi bien pour sa conception que sa réalisation en fait un peu la Formule 1 de la ville. On y teste des équipements, des matériaux, des techniques, qui sont ensuite réinvestis dans la ville banale, celle des gens ordinaires. Ensuite, le rapport névrotique des utilisateurs de l’aéroport au temps contribue à l’émergence d’une série de cités nouvelles à ses abords ; certaines sont des complexes de bureaux pour hommes d’affaires pressés, d’autres des centres commerciaux pour touristes friands de bonnes affaires et d’autres encore sont des ensembles industriels tournés vers des activités liées à l’import–export ou à la transformation d’objets en transit. Tous ces besoins suscités par l’usage de l’aéroport se répercutent sur la fabrique de la ville ; l’aéroport engendre une nouvelle urbanité qui semble oeuvrer par îlots fonctionnels mais dont on ne sait pas encore s’il s’agit d’une forme viable ou non durable. Il s’érige néanmoins en laboratoire d’essai des futures modalités de la ville.

Extrait du film Metropolis de Fritz Lang, 1927, les avions permettent le déplacement en ville. Image issue de

En fait, il constitue un lieu paradoxal d’écartèlement entre monde et localité, 4 DICK, Philip K., La vérité avant-dernière, 1974, traduit de l’américain par Alain Dorémieux J’AI LU 919 5 Mot inventé pour désigner un engin de transport aérien individuel faisant office de voiture volante. 6 Mot inventé pour parler d’appartements-cellules aux deux sens du deuxième terme.

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Hénard, une Ville de l’Avenir : vue à vol d’aéroplane.

Image issue de urbanplanning.library.cornell.edu, http://urbanplanning.library.cornell.edu/DOCS/henard4.gif, le 5 janvier 2012 16:03:16, [consulté en avril 2016]

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b. Entre identité globale et spécificités locales. Les premières formes architecturales adoptées par l’aéroport ne matérialisaient pas réellement cette tension entre les deux tentations d’«atopisme ubiquitaire» et d’ancrage local parce qu’ils s’adressaient à une clientèle peu développée, richissime et formant un petit monde clos quoique réparti sur toutes les terres connues et habitées. Ce groupe constitué essentiellement d’occidentaux métropolitains ou coloniaux définissait à lui seul les codes des espaces internationaux et toutes les élites de toutes les nations s’y conformaient sous peine d’être débarquées de la société, du moins de la seule qui comptait. Les occidentaux alors maîtres incontestés du monde détenaient et apportaient ce que chacun pensait être la civilisation et la culture qui l’accompagnait. Les locaux d’embarquement, proches de baraquements n’avaient pas d’importance particulière. C’étaient les services d’un personnel de type domestique qui faisaient le confort recherché par les usagers du transport aérien. Il n’existait pas de file d’attente redoutable et l’on se faisait conduire en voiture jusqu’à l’avion emprunté ou encore un service de repas vous était livré à la porte de ce même avion lors de vos escales. Des porteurs prenaient les bagages… Le bâtit n’avait pas tellement d’importance quant à sa forme. Puis le monde a connu de larges bouleversements dans les rapports de force qui régissaient ses équilibres et l’univers aéroportuaire contemporain reflète les équilibres nouveaux qui en ont découlé. Tout d’abord, après la Seconde Guerre mondiale, durant les Trente Glorieuses, il s’est assez rapidement démocratisé, s’adressant à des masses de plus en plus importantes dont le langage n’était plus commun et chaque aéroport international a rapidement dû adopter un langage spatial et des codes esthétiques génériques directement perceptible par l’usager non-initié par une éducation familiale sans qu’il ait à se poser trop de questions sur son parcours et les gestes à accomplir car ceux-ci se sont complexifiés. Tout commence par un hall d’accueil spacieux pour ne pas dire surdimensionné de façon à ne pas donner le sentiment d’une promiscuité indésirable. Des ambiances lumineuses et sereines tendent à éviter aux passagers une grande partie du stress des départs ou des correspondances. Des panneaux d’affichages numériques permettent de communiquer les informations essentielles en temps réel et dans plusieurs langues et sont doublés d’un système d’information par haut-parleurs. Enfin de longs couloirs relient les points d’embarquement et de débarquement, celui de récupération des bagages entre eux ou conduisent aux parkings extérieurs pour ceux qui sont venus en voiture. Les zones de l’aéroport sont bien compartimentées et repérées systématiquement sur des plans accessibles par le net et dans les lieux mêmes. Aucun endroit n’est indéfini

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ou à usage multiple. Les aires d’attente sont distinctes des aires de jeux pour les enfants qui ne sont pas le lieu des commerces et la restauration possède son propre territoire tandis que l’on sait pouvoir trouver un centre médical, une pharmacie et des services de voituriers, de poste et de change grâce aussi à un point de renseignement situé conventionnellement à l’entrée principale de l’aérogare. Les normes de comportement ne sont pas tributaires d’une connaissance pointue du pays dans lequel se trouve l’aérogare internationale, tout est fait pour éviter de dépayser et mettre mal à l’aise l’usager tout entier consacré à ne pas rater son vol. Ce phénomène de lissage est rendu plus facile encore par l’apparition d’une «culture» globale apparentée à une forme d’acculturation dans laquelle on évite l’effort d’apprendre l’autre en s’accordant sur un minimum communicationnel. Parallèlement, on assiste à une montée en puissance de l’affirmation d’un «genre national» qui inspire les formes prises par les bâtiments de façon à les rendre uniques et identifiables au premier coup d’œil tout en les enracinant profondément dans le paysage de leur territoire. Cette démarche est particulièrement perceptible ces dernières années, dans les terminaux élevés dans d’anciennes colonies ou d’anciens territoires sous contrôle occidental. Les états qui les ont commandés disposent de moyens financiers colossaux mais sont aussi bien conscients des fragilités qui se cachent derrière leur puissance retrouvée ou dernière née et donc de l’obligation dans laquelle ils se trouvent d’attirer non seulement l’oligarchie mondiale mais aussi les masses de globe-trotteurs qui sont une formidable manne de devises. Deux aéroports pivots sur la route qui mène de Paris à l’Asie, à savoir celui d’Abou Dhabi et celui de Jakarta, en sont de parfaits exemples. Plateformes internationales aux flux énormes, ils ont l’un comme l’autre dû accroître leur capacité d’accueil et de traitement des personnes comme des objets et ont inauguré des terminaux dont le moins que l’on puisse dire est qu’ils ont fait couler de l’encre et ont renouvelé pour le reste du monde les vieux rêves d’exotisme oriental et de contes des Mille et Une nuits. Leur ambition est de servir d’ambassadeurs et d’emblèmes de réussite pour leur pays auprès des millions de passagers qui les empruntent. Ils hébergent d’ailleurs chacun une compagnie nationale qui les porte autant qu’ils la servent. Etihad pour Abou Dhabi dont le nom (union) confirme le rôle du lien vital pour cette ville d’un hub et Garuda pour Jakarta dont le baptême mérite d’être rapporté tant il en dit long sur le désir d’inscrire l’aéronautique du pays dans le champ culturel indonésien après des années de soumission aux occidentaux.

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Entre cultures globale et locale

Aéroport d’Abou Dhabi. Le motif traditionnel du moucharabieh se retrouve dans l’architecture.

Image issue de idata.over-blog.com, http://a407.idata.over-blog.com/0/48/51/51/EMIRATS-ARABE/abu-dhabi/SDC14705.jpg, le 23 mai 2016 14:17:26.

En 1949, un certain Dr Konijnenburg, représentant de la KLM à Jakarta (compagnie aérienne néerlandaise pionnière en Indonésie), demande au premier président de ce pays nouvellement indépendant, Sukarno comment il compte nommer cette compagnie fraîchement transférée au gouvernement indonésien, et dont un appareil va le ramener de Yogyakarta à Jakarta. Sukarno répond par une strophe d’un poème en néerlandais écrit par le poète javanais Noto Suroto : «Ik ben Garuda, Vishnoe’s vogel, die zijn vleugels uitslaat hoog boven uw eilanden», «Je suis Garuda, l’oiseau de Vishnu qui étend ses ailes haut au-dessus de vos îles.» Garuda Indonésia s’enracine dans un des mythes les plus anciens de l’Homme. L’aéroport qui est construit bien des années plus tard par Paul Andreu et inauguré en 1991 reste fidèle à cette volonté première et prend l’aspect d’un village indonésien «rassemblement de petites maisons aux toits de tuiles rouges, pris dans les arbres entre de grandes étendues de rizières1.» Il n’est pas le fruit d’un orientalisme bâtard et de mauvais aloi mais d’une réflexion approfondie sur l’architecture traditionnelle et ses techniques propres à l’Indonésie. La structure des toits est la même que celle des huttes traditionnelles. Et le choix du rouge qui recouvre l’ensemble des structures de tous les bâtiments a créé une polémique entre l’architecte et les autorités locales qui ont refusé la proposition d’un premier rouge vif jugé trop «chinois» et l’ont fait remplacer par un ton brun rougeâtre (lequel n’a pas eu cependant l’aval de Paul Andreu). Enfin, l’aéroport de Sukarno-Hatta est un des rares au monde où les jardins prennent leur pleine signification ; entourant la gare et non emprisonnés dans celle-ci comme prétexte vert, ils sont visibles de presque n’importe quel angle tandis que des passages couverts permettent un contact réel avec le monde extérieur, autre disposition extrêmement rare dans les aéroports de taille internationale des grandes villes mais réellement typique du paysage régional indonésien. On ne peut qu’être d’accord avec Rem koolaas lorsqu’il écrit : 1 Une des inspirations de Paul ANDREU, à propos de l’aéroport de Jakarta, lors de sa conception. «Jadis manifestations de l’extrême neutralité, les aéroports sont à présent les éléments les plus singuliers, les plus caractéristiques de la Ville Générique, ses plus forts véhicules de différenciation. Cela s’impose car, de plus en plus, ils sont tout ce qu’une personne connaît, en général d’une ville donnée. Comme un puissant échantillon de parfum, des photos accrochées aux murs, de la végétation, des costumes locaux donnent à sentir un premier extrait condensé de l’identité locale (qui est aussi parfois le dernier). Lointain, confortable, exotique, solaire, régional, oriental, rustique, nouveau, ou même «inexploré» : tels sont les registres émotionnels convoqués. Ainsi chargés de concepts, les aéroports deviennent des signes emblématiques gravés dans l’inconscient collectif mondial par les manipulations féroces de leurs séductions non aéronautiques : le duty-free, des caractéristiques spatiales spectaculaires, la fréquence et la fiabilité de leurs connexions aux autres aéroports. En terme de fonctionnement iconographique, l’aéroport est un concentré de l’hyper-local er de l’hyper-mondial, car vous y trouvez des marchandises qui ne sont même pas vendues en ville, et hyper-local car vous y trouvez des choses que vous ne trouvez nulle part ailleurs.1»

Aéroport International Jakarta Soekarno-Hatta. L’aéroport est ici conçu selon les modes de vies locaux : dedans-dehors. Les espaces donnent à voir les jardins.

1 KOOHLAAS Rem, Junkspace, Repenser radicalement l’espace urbain, Préface de MASTRIGLI Gabriele, Manuels Payot, 2001

Image issue de citiviu.com, http://citiviu.com/show/indonesia/jakarta-airport, le 20 juillet 2014 04:34:26.

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végétation de l’oasis. Le raffinement discret de Sukarno-Hatta s’oppose visuellement à la splendeur opulente de l’aéroport international d’Abou Dabi. La conception d’ensemble des terminaux actuellement en service est pourtant tout aussi résolument pensée en fonction de critères physiques et culturels locaux : courbes souples, lumières tamisées… Par exemple, «alors que le premier satellite était en béton, le deuxième satellite est un essai sur la variation progressive de la transparence à l’opacité grâce au verre et au métal. La voûte est ainsi un ciel nocturne construit qui protège les passagers des ardeurs du soleil et s’éclaire à l’horizon sur le jour naissant des pistes et des avions2.» Paul Andreu a manifestement à l’esprit l’importance du ciel et de son observation chez les peuples nomades plus que l’envie d’appuyer sur le sens évident d’un objet au service du transport aérien. Pour la tour de contrôle achevée en 198 , «le jeu des courbes, veut évoquer les lunes, les voiles des «dhows» traditionnels ou la lame du cimeterre, en offrant des perceptions architecturales diverses et variées selon le point de vue. La transparence des façades Est et Ouest couvertes respectivement de coussins d’ETFE et de brise-soleil ajourés permet le passage de la lumière au travers de la structure le jour et une mise en lumière spectaculaire, la nuit3.» Enfin, le terminal en cours de construction, le Midfield terminal Complex repose lui aussi sur une architecture d’inspiration locale à la fois pour répondre aux rigueurs du climat et renvoyer à la symbolique de la tradition de l’hospitalité émiratie. Pour cela, le bâtiment de l’aérogare affecte la forme d’une toile de tente bédouine flottant au vent en façade et offre un immense hall d’accueil. On comprend que l’architecture est mise à contribution pour magnifier et rendre spectaculaires des éléments au départ assez rudimentaires. Il faut pouvoir impressionner et captiver une clientèle très exigeante, celle qui peut faire ou défaire la fortune du pays. Un pavillon d’honneur prend les proportions d’un mini palais et autorise la venue d’un orchestre symphonique ou la tenue de repas d’une centaine de personnes4. Toujours avec une apparence signifiante forte puisque l’entrée principale parée d’un bassin central affecte les formes écrasées des maisons arabes, surmontée comme elles d’une coupole chargée de réfracter les rayons solaires tandis que des palmiers se chargent de citer la

Le mobilier intérieur renvoie lui aussi aux images consacrées du faste émirati : marbres étincelants, moucharabiehs massifs et palmiers groupés en îlots sous l’arche protectrice de l’immense «tente». Finalement, l’aéroport évolue sur le fil d’un rasoir entre pragmatisme nécessaire pour un lieu commun et représentation d’un territoire chargé d’une histoire ancienne ou fantasmatique. Il s’efforce de résoudre un antagonisme ontologique, l’appartenance à un réseau normé sur un canon mondial et son enracinement dans une civilisation déterminée.

Conclusion Au terme de cette rapide histoire de l’aéroport, nous constatons une intensification de la relation entre celui-ci et le phénomène urbain. Une identification de l’un à l’autre de ces objets au départ sans rapport les fait passer de la simple cohabitation à une véritable symbiose. La prospérité de l’un détermine celle de l’autre et réciproquement mais l’enrichissement mutuel n’est pas une banale accumulation de biens. Il existe des échanges qui font conjointement évoluer la nature de la ville et celle de l’aéroport, si bien que nous nous interrogerons dans la deuxième partie de notre travail sur la qualification de la trame urbaine qui semble se tisser et que nous avons choisi d’appeler le panaéroport.

2 Voir le site de Paul Andreu et le descriptif du projet. 3 Ibid. 4 Les VIP arrivent en limousine par les voies d’accès sécurisées et jalonnées de points d’eau et de fontaines jusqu’à l’entrée principale du terminal. Le bâtiment est organisé sur 2 niveaux : le niveau 0 qui accueillera les zones techniques et de service, et le niveau 1 (4,50 mètres) au niveau des passerelles d’avion. Ce niveau s’articule autour d’une série de salles aux vocations diverses. Les 3 000 m² de l’espace de réception présidentiel bénéficient d’une acoustique permettant l’accueil d’un ensemble de 250 musiciens. Les dignitaires étrangers accèdent ensuite au centre du bâtiment situé sous un dôme d’une hauteur de 23 mètres. Depuis ce hall central, les visiteurs peuvent rejoindre les Majlis (salles de discussion) ; la salle de conférence de presse, la salle de réunion ultramoderne ou la salle de réception permettant des diners d’une centaine de personnes.

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Études de cas

Qualifier l’aéroport international contemporain Paris, Dubaï, Mumbai et Hong Kong, en Europe comme en Asie, quatre aéroports essentiels à leurs territoires. Ces aéroports sont au cœur de notre travail d’étude portant sur une observation comparative des rapports qu’ils entretiennent avec un territoire soumis à métropolisation. Notre démarche est expérimentale, nous avons rapproché des aéroports comparables en taille, de niveau international et dont l’existence nous semblait vitale pour le pays qui y a investi des moyens considérables. La méthode de travail a d’abord fait appel à la collecte d’un maximum de données en tout genre sur ces lieux du transport aérien pour essayer d’en déduire des typologies et des règles du fonctionnement du monde aéroportuaire dans l’espace urbain. Nous avons organisé nos analyses au gré de deux thèmes selon que nous interrogions l’objet aéroport ce qui constitue notre premier point ou, son impact sur l‘environnement, ce qui construit notre second chapitre. Chaque propos des deux parties est illustré par des faits observables dans les quatre aéroports de notre étude mais dont nous n’avons retenu que les plus caractéristiques afin d’éviter des répétitions fastidieuses pour le lecteur et sans pertinence pour notre démonstration.

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12h 6h

9h

Paris

Études de cas

7h

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3h

Dubai Mumbai

6h

Hong-Kong

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de l’aéroport à la ville Europe Charles-de-Gaulle Roissy, France

Asie Aéroport de Dubai Dubai, Emirats Arabes Unis

Chhatrapati-Shivaji Mumbai, Inde

Aéroport International de Hong Kong

Mumbai

Dubaï Paris

Hong Kong

0

2 km

0

10 km

0

2 km

0

1 km


caractéristiques Superficie de l’aéroport

Longueur des pistes

Terminaux

Nombre de passagers

Fret

hectare

m

m2

millions

millions de tonnes

Distance aéroport centre-ville

Airportcity

km

Autour de l’aéroport, pas à proximité directe.

Paris

65 766 986

3 200 ha

4 pistes

2 700 m 4 200 m

4 215 m 2 700 m

3 terminaux

26 000 m2 34 800 m2

Dubaï

40

80

78 014 838

2 900 ha

Mumbai

0

2 pistes

4 000 m 2 450 m

4 terminaux

1 972 474 m2

0

2 pistes

2 990 m 3 660 m

2 terminaux

21 000 m2 50 000 m2

0

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80

1200 ha

2 pistes

3 800 m 3 800 m

3 terminaux

570 000 m2

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Autour de l’aéroport, en contact direct.

25

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Autour de l’aéroport, en contact direct.

37 km

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4 380 000 t

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7 km

589 899 t

68 488 000

Hong Kong

0

2 506 092 t

34 990 000

750 ha

32 km

2 090 795 t

0

13 km

2

4

0

25

50

Le long de la voie rapide


2.

L’aéroport contemporain : vers l’émergence d’une nouvelle forme de ville ?


2.1. L’aéroport : un palimpseste au même titre que la ville ?

Palimpseste,

a. Déploiement et essaimage, deux évolutions possibles de l’aéroport.

nom masculin (1913), attestation isolée en 1542 ; emprunté au latin palimpestus, du grec palimpsêstos, «graté pour écrire de nouveau», de palin «de nouveau» et psô qui signifie «grater, racler».

1964 : Le conseil des ministres français de l’époque entérine le projet d’un second aéroport parisien sur un site distant de 25 kms au nord de Paris, Roissy, tant celui d’Orly est saturé par la croissance des trafics de personnes et d’objets. On ne peut mieux dire l’obsolescence d’une structure que lorsque l’on est non seulement obligé d’en revoir la capacité mais encore lorsqu’il faut songer à la déplacer pour en assurer les services prévus.

Manuscrit dont on a effacé la première écriture pour pouvoir écrire un nouveau texte.1 REY Alain, Dictionnaire culturel en langue française, Le Robert, 2015, 7232 pages

1

Orly lui-même avait été conçu pour soulager Le Bourget d’une partie de son trafic devenu trop important pour ses possibilités et en 1952, Air France y implantait ses vols, permettant le passage d’un million deux cents mille personnes dès la première année d’exploitation, soit le double de ce que faisait Le Bourget à son maximum. Ce nombre ne fit alors que croître et au premier terminal Sud, il fallut bientôt ajouter une nouvelle aérogare, Ouest, programmée en 1967, inaugurée en 1971 et augmentée jusqu’à quatre halls. On pourrait presque dire que c’était peine perdue puisqu’à chaque agrandissement de l’espace aérogare correspondait une hausse plus importante du trafic et que surtout les possibilités de développement spatial se trouvaient limitée par l’avancée de la ville tout autour. Alors, dès l’origine, l’aéroport Roissy Charles de Gaulle est pensé en termes de durée, d’expansion et d’adaptabilité par son architecte Paul Andreu. Sur près de 3000 ha de terrains agricoles relevant de sept communes, ce ne sont pas moins de cinq terminaux circulaires qui sont projetés et quatre pistes (plus une cinquième transversale) en vue d’absorber la croissance des flux calculée comme un doublement du trafic tous les cinq ans. Chaque terminal devait disposer d’une desserte ferroviaire pour le relier à la capitale et au reste du pays et se spécialiser dans des groupements de compagnies aériennes selon une logique d’origine géographique : les françaises, les américaines… Mais les perspectives d’évolution du trafic de l’époque étaient surévaluées et le choc pétrolier de 1973 n’est pas étranger à un ralentissement, voire à un arrêt de la construction des terminaux selon le plan qui avait prévalu à leur conception. Ils ont donc été construits en fonction de l’évolution réelle du trafic et en tenant compte des défauts décelés à l’usage de la première aérogare. Celle-ci fonctionne par zones circulaires concentriques autour d’un puits de lumière. Le premier

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0

1 km

0

1 km

L’emplacement du futur aéroport de Paris-Nord a été Mis en service le 13 mars 1974, l’aéroport Charleschoisi, dès 1959, dans une région de grands espaces de-Gaulle sort de champs. Photo 1976. agricoles dite «Plaine de France». Photo 1955. Image issue de www.Geoportail.fr, 2016 Image issue de www.Geoportail.fr, 2016

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anneau accueille les passagers qui en gagnent un deuxième vers l’extérieur avec le satellite d’où se fera l’accès à l’avion garé dans le troisième cercle. En 1982, une deuxième aérogare ouvre ses portes (CDG 2), avec des terminaux réservés à Air France et ses partenaires ainsi que quelques compagnies internationales, et des infrastructures spécifiques aux vols court-courriers à l’image du concept “50 mètres entre l’avion et la voiture”. Les contraintes de sécurité n’étaient pas encore ce qu’elles sont à ce jour. D’autres terminaux s’ouvrent dès lors au fil des années en fonction de l’activité, avec le terminal 9 devenu depuis Charles-deGaulle 3 pour les compagnies charter en 1991. Roissy Charles de Gaulle a bien tenu ses promesses, il s’adapte en permanence aux exigences de l’évolution des flux mais pas seulement, il est capable aussi d’anticiper des changements techniques ou du moins de les accompagner comme avec l’accueil du premier gros porteur Boeing 747 en 1974, des Airbus A380, qui sont les plus gros avions de ligne au monde en 2006 ou encore, en s’ouvrant aux vols low cost qui proposent une conception différente du transport aérien et surtout en devenant le hub d’Air France, de Fedex, DHL, Europe Airpost, CityJet et HOP ! Il offre plus de 25 000 opportunités de connexions en moins de deux heures entre vols moyens et longs courriers par semaine et environ un quart des passagers transitent pour des correspondances, alors qu’à l’origine la plate-forme avait été conçue principalement pour servir la région parisienne. D’ailleurs, la forme de la première aérogare a été revue et corrigée car en plus de n’avoir aucune vue sur les pistes et les avions, elle contraint les passagers à des parcours à pied longs et pour ceux en transit entre deux correspondances à des déplacements jugés insupportables. Les aérogares suivantes optent donc pour une forme plus conventionnelle, plus internationale et malgré tout modulable. Par exemple dans l’aérogare 2 qui date de 1982, les terminaux A et C ont été réunis en un bâtiment de 16 600 m2 en 2012. Ce bâtiment permet l’unification des zones d’embarquement, le traitement de l’ensemble des contrôles d’immigration de ces terminaux en un seul point, ainsi que la création de surfaces commerciales, de salons pour les compagnies et de bureaux. Le terminal 2A possédera un nouveau circuit d’arrivée et une salle d’embarquement unifiée et rénovée. L’aérogare 3, qui abrite les compagnies de charters, présente elle-aussi une série d’aménagements correspondant aux réalités du transport de masse que sont les vols nolisés. S’adressant à une clientèle moins favorisée, ne pouvant payer des prestations coûteuses, son aspect est évidemment plus dépouillé, proche de celui d’un hangar de tôles. Elle est accessible par transport en commun, le RER mais à condition d’emprunter un couloir de 400 mètres de long… Aéroports de Paris (ADP) indique qu’au terme de très importants travaux, il pourrait construire, au nord de Roissypôle et du terminal 2E, un nouveau terminal portant la capacité maximale de l’aéroport à 140 millions de passagers qui ouvrirait aux environs de 2025.

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Le premier terminal de l’aéroport Charles-de-Gaulle, vue du chantier, de l’arrivée depuis la route et du vide central intérieur. Images issues de www.aerobuzz.fr, http://www.aerobuzz.fr/transport-aerien/article/l-aeroport-de-roissy-cdg-fete-ses, le 20 mai 2016 13:11:47.

Roissy 2, développements successifs, 1981-1997.

Terminaux L et M

Pour Nathalie Roseau «Le système de Roissy 2, dont la croissance se poursuit encire, s’est développé selon un schéma conçu par segments autonomes. Après les quatre premiers modules, se réalise la gare TGC puis une troisième génération d’aérogares, qui s’incarnera dans les modules 2F et 2E. Dans cette logique de stratification qui tente de maîtriser la croissance et l’incertitude, les modules anciens se transforment, les nouveaux de greffent, consolidant au fur et à mesure une mégastructure.»

Les satellites S3 et S4 sont construits respectivement en 2007 et 2012. Le premier draine 8,5 millions de passagers, le dernier est dédié aux vols longs courriers.

ROSEAU, Nathalie, Aerocity. Quand l’avion fait la ville, Paris, Parenthèses, 2012.

Image issue de www.googlemaps.fr, 2016.

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On observe que Roissy est passé d’un statut d’itinéraire bis à celui de géant du trafic aérien, non sans difficultés certes, mais c’est bien parce qu’il a été dès l’origine pensé en regardant le futur. Ses concepteurs ont posé en principe que l’objet serait systématiquement dépassé par son usage et qu’il lui faudrait supporter des métamorphoses en tout genre. Dans un autre lieu, avec une autre histoire, l’aéroport de Dubaï procède d’une communauté d’esprit génétique qui permet de rapprocher ces deux monstres du transport aérien programmés dès l’origine pour croître de façon exponentielle. Au contact de la ville dont ils sont l’émanation mais doté d’un foncier plus étendu que leurs premières incarnations contrairement à des aéroports plus historiques enclavés dans leur ville, ils sont aussi le fruit des réflexions du même groupe, ADP puis ADPI et leurs ambitions se ressemblent si leur finalité n’est pas nécessairement identique. Ils ont d’ailleurs quelque temps flirté avec la même place au classement mondial des aéroports pour le volume des passagers et du fret, jusqu’au moment où Roissy s’est vu distancer en reculant de deux places en trois ans tandis que Dubaï en gagnait sept1. Les raisons du formidable essor de Dubaï comparativement à une apparente régression de Roissy ne sont pas à rechercher dans l’atteinte du seuil limite de progression pour ce dernier mais plutôt dans un ensemble de conjonctures économiques différentes dans les deux pays où se situent les aéroports et du rôle qu’ils sont respectivement amenés à jouer par rapport à leur ville. En effet, l’aéroport de Dubaï n’est pas un simple serviteur de la ville, il est la ville. Son destin et celui de la cité où il a vu le jour sont indissociablement liés. La ville de Dubaï a beau se réclamer de cinq mille ans d’histoire, elle n’est alors qu’une étape sur la route des caravanes commerciales reliant Oman à ce qui est maintenant l’Irak. Les gens y vivent de la pêche, de la construction de bateaux et du ramassage de perles et s’opposent en de nombreuses guerres tribales jusqu’à ce que l’Angleterre négocie la première d’une longue série de trêves qui permettent l’installation de commerçants iraniens et arabes chassés de leurs pays par des taxes trop lourdes. L’expansion des activités commerciales de Dubaï n’a plus jamais cessé à la fois au niveau national et international. Son avantage repose non seulement sur ses réseaux de commerçants, mais aussi sur l’étendue et la rapidité de ses liaisons avec le monde extérieur ; cependant, sa position est fragile. Il suffit que les équilibres géopolitiques de la région se modifient, que l’Iran reprenne la première place en baissant ses taxes et en attirant à nouveau les commerçants du Golfe pour que la ville connaisse un déclin inéluctable à moins de rendre le passage des routes par son territoire incontournable. 1 En 2006, le plus gros aéroport du Golfe n’était même pas dans le top 30 mondial. En 2012, il était numéro 10 et il a fini l’année 2012 au 7ème rang mondial.

50

Émirat d’Abou Dhabi

Port de Jebel Ali

Port Rashid

Émirat de Dubaï

Aéroport International Émirat de Sharjah

0

5 km

L’aéroport de Dubaï, dans la ville et à proximité de Port Rashid, le port historique. Près de la frontière avec l’émirat de Sharjah. Carte de l’auteur.

Terminal 2 : 1998, 2004, 2007

Station de métro : 2004

Terminal 3 : 2008 Sattelites 2,3 : 1999

Terminal 1 : 2000 Plan schématique des terminaux de l’aéroport de Dubaï. Constructions successives. Issue de dubaimap360.com, http://fr.dubaimap360.com/plan-aeroport-dubai#, 23 mai 2016 14:44:22.

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Le mode de transport d’avenir est incontestablement l’avion autour des années 50 et après la découverte d’un champ pétrolifère en 1966, quand Dubaï forme une union avec les autres émirats arabes en 1971 dans un souci de sécurité et de prospérité mutuelles l’EAU, les profits dégagés par l’exploitation de l’or noir rendent logique le choix de son sol, où se situait le principal port maritime du golfe, pour y bâtir l’aéroport international destiné à insuffler une nouvelle vitalité au commerce de toute la région.

Comme toujours pour l’être humain, la séduction ne doit pas faire de place à la réflexion, l’effet doit être saisissant dès le premier regard, le grandiose et l’opulence rivalisent avec les techniques de pointe les plus sophistiquées pour piéger le voyageur au sol.

Alimentée par les profits du pétrole, naît en mai 1985 la société de transport aérien Emirates. Son financement largement assuré, il ne faut que six mois pour voir Emirates inaugurer son premier vol, le 25 octobre 1985. Il relie Dubaï à Karachi, ville du Pakistan occidental située en bordure de la mer d’Oman. La ligne relève du court-courrier (1000 km de vol seulement) mais marque la vocation internationale de l’aéroport de Dubaï. Parallèlement, Karachi représente une destination prestigieuse eu égard à la densité de sa population qui en fait la 16ème ville du monde. Par ce choix, Emirates, et donc Dubaï, entend montrer ses affinités naturelles avec l’Orient et indique que son axe de développement ne dépend pas des plaques tournantes que constituent les aéroports internationaux occidentaux mais qu’au contraire elle vise à devenir elle-même une plateforme pour les échanges intercontinentaux . Désormais, l’aéroport international de Dubaï n’en finit plus de grandir. Profitant de la « sixième liberté » - une règle internationale qui autorise le transport de passagers d’un pays étranger vers un autre, via le marché d’origine - la compagnie a pour objectif de créer à Dubaï l’un des hubs - plate-forme de correspondance - les plus puissants du monde. Quand Roissy anticipe une augmentation mécanique des flux aériens, Dubaï entend créer et pérenniser de nouveaux flux. Des moyens financiers hors normes sont mis en œuvre car lorsque les réserves en hydrocarbures seront épuisées, le tourisme deviendra le premier pôle de développement possible pour l’émirat le plus pauvre en ressources souterraines. Ce contexte économique particulier explique, dans une large mesure, l’intérêt primordial que représente l’aéroport dans la stratégie des dirigeants de la région. Outre les profits colossaux engrangés, c’est l’avenir des Émirats Arabes Unis qui se joue dans l’espace du hub où des zones franches pour attirer les multinationales se multiplient à côté d’une sorte de mini-ville à base de services de luxe à la personne qui doit servir de moteur à une reconversion de la région en pôle touristique mondial majeur.

L’aéroport relais en Inde de Dubaï, Chahhatrapati Shivaji ne bénéficie absolument pas d’un espace comparable pour prétendre évoluer avec aisance au rythme des prévisions avancées par les experts du trafic aérien. Certes, quand ses deux premiers terminaux ont reçu 30,7 millions de passagers en 2012 (+5,8% en un an), le plaçant au deuxième rang des aéroports indiens après celui de Delhi (35,8 millions de passagers, +19,8% en 1 an), un troisième terminal conçu pour traiter à lui-seul jusqu’à 40 millions de passagers est venu doubler leur capacité en 2014 grâce à une superficie de 439 000 m2 . Ce dernier terminal entend se comparer à Singapour Changi ou au nouveau T5 de Londres Heathrow.

L’aéroport subit une métamorphose non dans sa fonction quoique les bâtiments se succèdent dans une débauche inflationniste de dimensions, fonctionnalités et prestations luxueuses mais dans sa finalité. Il devait servir d’escale passerelle entre deux destinations, faciliter un nomadisme moderne des classes sociales les plus aisées, il devient peu à peu un produit d’appel pour fixer des touristes ou de futurs résidents secondaires qui n’auraient a priori rien à faire en ces lieux.

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Le site désertique de l’aéroport a grandement facilité la concrétisation des visions démesurées qui ont présidé à la conception d’ensemble sur plusieurs décennies.

Mais tout l’espace potentiellement colonisable et constructible aux alentours est d’ores et déjà occupé sans solution négociable. La stratégie adaptative d’un déploiement par accroissement progressif de l’emprise aéroportuaire sur le territoire proche est condamnée à l’avance. Il est pourtant nécessaire dans la logique observée et apparemment inéluctable d’augmentation des flux mondiaux et nationaux vitaux pour la région de Mumbai d’offrir une ampleur encore plus importante à cet aéroport. Une des réponses apportée au problème se trouve dans l’histoire déjà ancienne de l’objet : l’éclatement du lieu en des points différents du territoire et une attribution de spécialités fonctionnelles à chacun d’eux. Ainsi, le premier site d’implantation de l’aéroport international de Mumbai était celui de Juhu. Dire qu’il s’agit d’un premier avatar historique n’est pas un euphémisme puisqu’il date des prémices de l’aviation. D’abord aérodrome engazonné dévolu aux plaisirs des grandes fortunes indiennes du Gujarat et du Maharashtra ainsi que des colons britanniques, soumis aux aléas de la mousson qui le rend totalement impraticable, il devient néanmoins la base d’une liaison avec Karachi en 1932 marquant ses débuts comme aéroport utilitaire et non comme objet de seuls loisirs. La compagnie qui suivra et servira son développement est créée par la même occasion sous le nom d’Air India. Deux pistes recouvertes de bitume ne permettent pas pour autant de palier les inondations durant la mousson et la troisième qui est envisagée pour accompagner la hausse du trafic civil mis en place après la seconde guerre mondiale ne voit pas le jour. On lui préfère un déplacement de l’aéroport à deux kilomètres en retrait des terres sur l’actuel emplacement de Chahhatrapati Shivaji qui porte alors le nom de Santacruz airport en 1942. Juhu conserve cependant une partie

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des mouvements aériens et sert d’héliport ainsi que d’aéroport pour l’aviation privée à but non commercial tandis que Chatrapati accède au statut de hub après plusieurs phases adaptatives, comprenant des créations et des remaniements de terminaux jusqu’au dernier et époustouflant T2 opérationnel 24/24 heures inauguré en 2014. Chahhatrapati Shivaji

Juhu

Navi Mumbai Mumbai Trombay Kalachauki

Projet du nouvel aéroport

Byculla Nhava Sheva

0

5 km

Les deux aéroports de Mumbai et le projet de construction d’un troisième, plus excentré, à Navi Mumbai. Répartition des ports dans la baie. Carte de l’auteur.

La congestion annoncée de l’actuel aéroport international de Mumbai conduit le pôle chargé de son avenir à envisager un nouvel essaimage plus au nord à Panvel un quartier de la région de Navi Mumbai. Cette partie de la ville est une création urbaine nouvelle, volontariste construite pour « dédensifier » le cœur et les faubourgs historiques de Mumbai. Y implanter une extension de l’aéroport peut sembler cohérent. Toute ville nouvelle a besoin d’une solide base d’infrastructures pour la dynamiser et créer des pôles d’activité économique or Navi Mumbai est une belle au bois dormant qui attend encore sa fin heureuse. Elle sert de cité dortoir et se vide tous les matins au profit de Mumbai l’ancienne et, malgré tout, l’implantation éventuelle de Navi Mumbai Airport rencontre de très nombreuses oppositions et les objections ne concernent pas uniquement son impact sur l’environnement (il ferait disparaître une bonne partie d’une des rares réserves naturelles de la ville) mais aussi l’inutilité d’une telle entreprise dans la mesure où les projections laissent entendre qu’il saturerait en à peine vingt-cinq ans… Un retour à Juhu ouvre une autre voie ou plus exactement réactive une vieille idée (allonger les pistes existantes en gagnant sur la mer les surfaces indisponible sur terre) dont la réalisation relève de moins en moins de la chimère au vu des nouvelles technologies et surtout des nouveaux impératifs économiques qui rendent le coût pharaonique de ce genre de travaux moins absurdes. Il suffit de prendre connaissance du chantier de renouvellement de l’aéroport de Hong Kong pour le vérifier. Là, c’est la création d’une île artificielle dédiée toute entière à l’aéroport qui est apparu comme un investissement indispensable quoique lourd. Enfin tout comme les autres aéroports déjà étudiés, Chatrapati Shivaji profite de ses métamorphoses successives pour jouer au maximum la carte esthétique afin de fidéliser des utilisateurs qui sont autant de clients potentiels à la fois pour des services d’ordre privé et pour des affaires d’ordre industriel ou commercial. Et Inde oblige, la culture n’a pas été oubliée puisque 7 000 oeuvres d’art, dont certaines datent du 8ème siècle, sont exposées le long d’une immense galerie de plus d’un kilomètre de long.

Navi Mumbai, une ville nouvelle au mllieu des mangroves.

Issue de wikipedia.org, https://en.wikipedia.org/wiki/Navi_Mumbai#/media/File:Navi_Mumbai_Skyline.jpg, par Anurupa Chowdhury, Navi Mumbai Skyline, le 4 avril 2014.

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Nous pouvons établir comme une règle intangible de l’architecture de l’aéroport qu’elle n’est pas faite pour une époque mais toujours pour celle qui lui succèdera,

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Deux scénarii d’évolution possible des aéroports 1. Le déploiement

2. L’essaimage

Un développement à l’échelle architecturale

Une réflexion à l’échelle du territoire

Phases successives de développement de l’aéroport

Aéroport d’origine

Stade actuel de développement

Nouvel aéroport

que l’objet « achevé » signe la nécessité immédiate de son évolution selon des principes qui évoquent les cycles observables chez les insectes. On peut ainsi parler dans nombres de cas d’architecture hétérométabole où l’aérodrome d’une capitale soit nationale soit régionale passe par agrandissements et métamorphoses successifs jusqu’au stade de hub, accomplissement final de toutes les potentialités du lieu et sans doute générateur à son tour d’une capitale, bouclant la boucle sans changer fondamentalement puisqu’il évolue sur lui même. Et puis dans d’autres cas, l’architecture présentera un caractère qualifiable d’holométabole puisque l’aéroport au fil de ses mues connaîtra une dernière métamorphose absolue qui l’oblige à quitter son apparence et son milieu originel en abandonnant sa vieille enveloppe pour s’adapter au mieux aux nouvelles conditions qui s’imposent à lui. Ce dernier développement semble être très efficace pour survivre car 80 % des insectes s’y soumettent. Cette loi naturelle ne propose-t-elle pas tout compte fait un modèle économique de développement alternatif parfaitement acceptable pour les aéroports ?

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Hétérométabole

Paris Charles-de-Gaulle

Mumbai

0

Holométabole

5 km

Mumbai

Hong Kong

Paris Charles-de-Gaulle Dubaï Dubaï

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Hong Kong

0

1 km

Issues de inra.fr, http://www7.inra.fr/hyppz/ZGLOSS/3g---180.htm, le 28 juillet 2011 13:59:14.

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b. Vers une reconversion de l’aéroport. L’aéroport, comme tout acte d’aménagement du territoire qu’amène la création d’infrastructure ou le développement de morceaux de ville implique une transformation physique du territoire qui l’accueille. L’aéroport, nous l’avons dit, prend souvent place loin de sa ville, à la campagne sur des terrains non bâtis, souvent agricoles. Parfois et pour les aéroports les plus anciens, sa construction se fait en ville ou la ville qui jusqu’alors se situait loin le rattrape et l’englobe dans son enceinte. Lorsque l’aéroport, engoncé dans un carcan qui ne lui permet plus de répondre aux besoins de trafic de passager, de fret, parce qu’il ne peut, par exemple, plus s’étendre parce que l’espace alentour est déjà bâti, se trouve habité ou qu’un autre aéroport plus contemporain, plus grand, avec une meilleure connectivité au réseau global émerge, l’aéroport premier fait double emploi ou se trouve vite dépassé et donc obsolète. Se pose alors la question de son devenir, puisque vaste espace bâti et grande surface au sol imperméabilisé, il n’est pas souvent le cas de le détruire.

Le Bourget

Roissy Charles-de-Gaulle

Paris

Orly

0

5 km

L’aéroport du Bourget, d’Orly et de Roissy par rapport à la ville de Paris. Carte de l’auteur.

Aldo Rossi1 considère toute ville comme une œuvre d’art ou un artéfact dont la mémoire persiste2 à travers la forme urbaine. L’aéroport, morceau de ville ou ville à part entière n’aurait-il pas alors lui aussi une forme de mémoire ? À Paris, l’aéroport du Bourget construit en 1919 au départ pour les besoins de la guerre a été très endommagé lors de la Seconde Guerre mondiale et fut reconstruit parce qu’il était alors le seul aéroport civil parisien jusqu’à la construction d’Orly dans les années 1940-50. Une chose importante à noter est qu’il fut reconstruit à l’identique, il ne fut pas transformé ou amélioré. On voit donc un attachement à la forme. Au cours des années suivantes et avec la construction d’Orly puis de Charles-de-Gaulle plus tard, le Bourget se voit vidé de ses vols internationaux et domestiques. En 1977, l’aéroport est reconverti en aéroport d’affaires. Une nouvelle politique est mise en place : développer sur la scène européenne un aéroport d’affaires, un pôle d’excellence lié à l’aéronautique à deux pas de Paris. Cet aéroport accueille aussi le Salon International de l’aéronautique et de l’espace ainsi que la collection du Musée de l’air et de l’espace depuis 2013. On constate donc que cet aéroport malgré un changement de destination et une importance moindre sur la scène nationale française continue donc à persister. Il se réinvente pour ne pas s’éteindre : d’aéroport civil à aéroport d’affaire, musée, 1 Aldo Rossi (1933-1997) est un architecte italien et joue un rôle essentiel dans l’élaboration puis dans la diffusion de la théorie typomorphologique. 2 Rossi, Aldo, «Evolution des faits urbains», dans l’Architecture de la Ville, Paris, L’Equerre, 1981 (1ère édition italienne 1966), p. 181-214

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L’aéroport du Bourget. Différents usages d’un même lieu. Issue de www.lebourget-2015.com, http://www.lebourget-2015.com/fr/infos-pratiques/Infos%20pratiques, 7 mai 2015 15:57:09.

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lieu de festival et de salon. Une partie de cette mémoire est d’ailleurs reconnue de manière collective comme objet patrimonial et par l’Etat puisque l’aérogare et le hangar aéronautique sont, depuis le 30 juin 19943, classés aux Monuments Historiques, notamment pour le travail de l’architecte Georges Labro. Un autre cas de figure, un peu différent, est celui de l’ancien aéroport de Tempelhof à Berlin. Cet aéroport retrace et condense une part importante de l’histoire moderne et contemporaine de Berlin. En effet, c’est le premier aéroport berlinois construit. Il fut ensuite, lors du Troisième Reich, modifié par le remplacement de l’aérogare. L’aéroport a part la suite abrité un camp de prisonniers lors de la Seconde Guerre mondiale puis fut le lieu lors du Blocus de Berlin pendant la Guerre Froide du pont aérien pour les Américains et les Britanniques pour ravitailler la ville. Après la réunification, d’autres aéroports ont été construits vidant Tempelhof de son activité. En 2008, il ferme. En 2010, l’aéroport rouvre au public sous la forme d’un espace public, un très grand parc dans la ville. Plusieurs projets de réaménagement4 sont proposés mais aucun ne voit le jour parce que les Berlinois, à 65%, à la suite d’un référendum votent contre. Une des préoccupations majeures est bien évidemment l’envie d’éviter la spéculation et la hausse des loyers dans un quartier devenu central. Le tarmac de Tempelhof est donc aujourd’hui un vaste espace non bâti qui abrite des festivals, marathons etc. Faute de projets plus innovants et ne faisant pas consensus l’espace de l’aéroport restera inoccupé, mais pas inhabité ou inutilisé pour autant. Il accueille d’ailleurs depuis l’automne 2015 des abris d’urgence pour les migrants. Cet aéroport est donc bien un symbole de l’histoire allemande, érigé par les nazis, symbole de guerre froide, expression de la politique de développement immobilier propre à Berlin et aujourd’hui accueil de migrants.

Tegel

Berlin Tempelhof

Schönefeld 0

5 km

L’aéroport de Tempelhof, au coeur de la ville de Berlin. Les nouveaux aéroports sont, quant à eux, situés en périphérie. Carte de l’auteur.

L’aéroport en tant qu’entité spatiale laisse donc une marque, qu’elle soit physique ou mentale. Ce n’est pas un espace anodin.

Installation de migrants dans l’aéroport désaffecté de Tempelhof.

Issue de npbc.blog.mypalmbeachpost.com, http://npbc.blog.mypalmbeachpost.com/2015/12/11/germany-uses-local-companys-tool-for-scanning-immigrants-fingerprints/, 10 décembre 2015 23:28:24

3 Certaines parties de l’aéroport sont classées aux Monuments Historiques. 4 Un concours est lancé en 2010 par la ville de Berlin : auraient pu s’installer des logements, bureaux, centres commerciaux si les Berlinois n’avaient pas voté contre tous les projets.

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«Cabins are set up inside Hanger 4 of the former airport Tempelhof to be used as a temporary emergency shelter for migrants, refugees and asylum seekers in Berlin, Wednesday, Dec. 9, 2015. German government says some 965,000 people were registered as asylum-seekers in Germany between January and the end of November, though the process has been chaotic at times.»

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c. Quand l’aéroport façonne le paysage. En dépit de toutes les critiques dont ils font l’objet et plus spécialement celles des mouvements écologiques et altermondialistes, les aéroports continuent à exister, se transforment constamment, et continuent à être pensés. Ils persistent surtout à être érigés en des lieux nouveaux. On note pour la seule année 20151 la construction ou l’amélioration de vastes complexes aéroportuaires, notamment dans des pays émergents (Chine, Singapour, Mexique, Brésil, Arabie Saoudite) qui cherchent à développer leur attractivité économique sur la scène internationale quitte à considérer comme relativement secondaires les préoccupations de développement durable. L’Emirat d’Abou Dhabi connaît une croissance très importante de sa population depuis une dizaine d’années et a entamé un impressionnant plan de développement urbain, le plan 2030 qui a pour objectifs de développer les infrastructures, d’augmenter les capacités de logement et la proposition d’attractions touristiques. La compagnie d’aéroport d’Abou Dhabi (ADAC) a lancé un important projet d’expansion pour plusieurs aéroports autour des Emirats : sous la supervision du Mid Field Complex, l’ADAC souhaite faire passer la capacité de passagers à 20 millions par an conduisant l’ensemble aéroportuaire d’Abou Dhabi à être l’un des principaux points de correspondance du Moyen Orient2. Le sol de l’émirat est bien connu pour présenter des cavités nombreuses dans ses couches calcaires. Il a été impératif de mener des opérations de détection puis de comblement ou de renforcement coûteuses avant d’entreprendre des travaux de construction des pistes et des terminaux au luxe surréaliste et anti écologique pour un montant de 6,8 milliards de dollars. Le cas de Hong Kong se distingue du schéma précédent ; au-delà d’une simple nécessité de développement économique c’est pour une véritable question de survie que la municipalité de la ville a eu besoin de construire un nouvel aéroport. En effet, le projet a été conçu avant la rétrocession de Hong Kong à la Chine par la Grande-Bretagne comme unique moyen de conserver une véritable autonomie par rapport au gouvernement communiste chinois. La Chine s’est d’ailleurs farouchement opposée à un tel projet. Pour elle, le gouvernement britannique aurait ainsi imaginé de se servir de la construction d’un nouvel aéroport comme stratagème pour drainer les réserves fiscales de la colonie juste avant la réintégration de Hong Kong à la Chine en 1997. En réalité, c’est la ville de Hong Kong, elle-même qui jouait son indépendance au sein de la Chine populaire. La ville possédait déjà un aéroport d’envergure internationale construit sur la 1 2

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D’après CNN : http://edition.cnn.com/2015/01/05/travel/airports-2015/ L’aéroport de Dubaï est présenté comme «le centre du monde».

Tsing Yi

Kai Tak

Hong Kong International Airport

Hong Kong

Ile de Lantau

0

1 km

SItuation des deux aéroports de Hong Kong dans la baie. Carte de l’auteur.

L’aéroport originel de Hong Kong dans la ville, Le site de Kai Tak, en 2009. Une immense saturé sans possibilité d’extension. friche entre port et ville. Approaching Kai Tak airport, Kowloon, Hong Kong. Photo by Russ Schleipman/ Corbi

Issue de commons.wikimedia.org, https://commons.wikimedia.org/wiki/ File:Kai_Tak_Airport_Site_2009.jpg, par WinG, le 16 août 2009.

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mer, mais il n’était pas concevable de l’améliorer encore moins de l’étendre car Kai Tak, c’est son nom, était sursaturé et corseté par une ville bâtie entre mer et montagne. Il a donc fallu construire un nouvel aéroport dans un contexte, là encore, plus que particulier, sans aucun terrain disponible. Les travaux de construction furent d’ordre pharaonique. En effet, la morphologie montagneuse et maritime du territoire de cette partie de l’Asie rend difficile toute installation de ville ou d’infrastructure supplémentaires car tous les espaces praticables sont déjà investis. Etant donné la superficie d’un aéroport, qui est plus est, d’un aéroport à vocation internationale, il était impossible de trouver un terrain répondant à ses exigences. Il a bien fallu lui créer un espace à partir de rien. C’est donc sur la mer que le nouvel aéroport a été installé. Il prend aujourd’hui place sur une île artificielle construite pour lui seul à partir de matériaux de remplissage. C’est la création d’un véritable morceau supplémentaire de territoire pour l’île de Lantau dont la forme générale est métamorphosée de façon notable comme le prouvent les vues satellites. Le chantier pour réaliser cette prouesse de remblai est l’un des plus importants au niveau mondial puisqu’il totalise 1248 hectares de sol d’origine non géologique.

1993

1994

1998

1996

La ville est amenée à d’immenses efforts pour conserver un aéroport toujours au niveau des exigences d’un trafic international croissant y compris à s’inventer un nouveau territoire. Il n’y a que les limites des techniques maîtrisées par l’homme qui puissent freiner l’extension du réseau aéroportuaire quand il a pour enjeu de matérialiser la porte d’entrée pour un continent tout entier.

2004

Construction de l’aéroport International de Hong Kong. Plusieurs phases de chantier : construction d’une presqu’île artificielle en s’appuyant sur des reliefs existants, puis construction de l’aéroport. Photographies aériennes issues de earth.esa.int, https://earth.esa.int/documents/257246/1049962/HKIA_ERS-ENVISATCOLLAGE_2013_L, le 17 décembre 2013 16:07:07

Plan schématique réalisé à partir des plans disponibles sur le site internet de Foster and Partners, une vue Google Maps et le projet d’extention de l’aéroport sur le site de l’Aéroport International de Hong Kong.

Extension prévue à l’horizon 2030

Photographies du chantier issues de fosterandpartners.com, http://www. fosterandpartners.com/media/Projects/0639/construction/img0.jpg, le 23 mai 2016 15:13:15

1998

20 07 Crossing boundaries facilities Aéroport International de Hong Kong.

0

500 m

http://www.fosterandpartners.com/media/Projects/0639/drawings/img2.jpg

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2.2. Un microcosme dans le macrocosme Définition de microcosme : Image réduite du monde, de la société. Synonyme de microsociété. L’homme en tant qu’il est en relation d’analogie avec l’univers extérieur, ou « macrocosme ».

Une différenciation de l’architecture et des moyens mis en place au sein du même aéroport

Définition de macrocosme : L’univers extérieur dans sa relation analogique avec l’homme (microcosme).

a. Un espace véritablement démocratique ? Quand il devient évident que l’aéroport reste un objet plébiscité par une majorité de personnes à tous les niveaux des strates sociales (tant utilisatrices ou productrices que riveraines ou en service à l’intérieur), il n’en apparait pas moins qu’il ne s’agit pas d’un objet égalitaire, loin de là. Tout y est fait pour éviter le contact entre riches et pauvres, de l’arrivée à l’aéroport (chacun selon ses moyens n’y accède pas par le même mode de transport, n’y bénéficie pas du même type de terminal, plus ou moins luxueux) à la montée dans l’avion (dans des conditions de confort très différentes selon que l’on passe par un tunnel chauffé, équipé d’un tapis roulant , apanage des compagnies nationales, ou en traversant le tarmac sous la pluie, écrasé par le soleil ou en plein vent si l’on s’est contenté d’un vol low-cost ; avec une sensation d’espace suffisant ou restreint en fonction de la taille des passerelles d’accès) en passant par l’enregistrement (automatique, bénéficiant de prestations coupe-file ou au contraire après une attente longue dans une file serpentine), l’attente (dans des salons confortables réservés voire privés ou dans l’espace commun aux sièges plastiques pas toujours en nombre suffisant), la restauration (sur le pouce, dans un café bondé, dans une brasserie, dans un restaurant étoilé)...Toutes les prestations sont proposées au sein de circuits parallèles hiérarchisés en fonction du pouvoir d’achat des uns et des autres. Le fonctionnement de l’aéroport s’apparente à un fonctionnement aristocratique bien plus que de n’importe quel autre nœud de transport ; dans une gare ferroviaire, sur le quai, se coudoient toutes les catégories sociales qui se sépareront à nouveau dans les wagons mais pas de façon radicale car chacun peut et parfois doit traverser les zones auxquelles son billet de transport ne lui donne pas droit. Un phénomène identique s’observe dans la gare maritime et sur le pont ou dans les coursives d’un paquebot où seule une réticence d’ordre personnel peut retenir quelqu’un de s’aventurer dans telle ou telle partie du navire non réservée à l’équipage.

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Terminal 3, aéroport Charles-de-Gaulle.

Terminal 2F, aéroport Charles-de-Gaulle.

Il accueille les vols low-cost. Ici, le minimum de Il accueille les vols long-courriers. Une structure immoyens a été mis en place dans la construction de pressionnante, un véritable travail sur la lumière et l’aérogare. l’attente a été fait. Issues de nouvelleslestudio1.wordpress.com, https://nouvelleslestudio1.wordpress.com/2011/12/, le 23 décembre 2011 à 5:57.

Terminal 1 Terminal 3

Terminal 2 Hall L Hall M

0

B

D

A

C

Terminal 2G

E

500 m

Issue de googlemaps.fr

CDG Val Navette aéroportuaire

Gare TGV, RER

Navette T2E

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Cependant, s’agit-il d’un choix ségrégationniste délibéré ou d’une simple mise en lumière de la réalité de nos sociétés contemporaines plus inégalitaires qu’elles ne voudraient le faire croire ? Une nouvelle élite se partage le monde, l’élite cinétique. La mobilité est de plus en plus valorisée en tant que norme. Mais en tant que fait, c’est une ressource inégalement qualifiée et distribuée au sein des espaces où elle est mobilisée. Le voyage par air s’est démocratisé, le simple chiffre des flux mondiaux l’atteste sans équivoque et le déplacement rapide et lointain peut concerner autant la femme de ménage philippine embauchée en Arabie Saoudite que la patronne la plus fortunée du classement Forbes, le couple de retraités en quête de soleil durant la morte saison, les vacanciers prêts à partager deux mètres carré de sable aux Seychelles avec 232 000 autres touristes sur un an que les discrets mais incomparablement plus fortunés grands de ce monde. Il n’existe guère de distinction liée à la nationalité non plus, les populations des pays les plus pauvres empruntent l’avion au même titre que ceux des pays plus développés. Parfois même et paradoxalement sans doute, ces derniers passent plus difficilement à ce type de voyage car ils ont d’autres moyens traditionnellement plus accessibles que sont la voiture et le train avec des besoins de déplacement qui peuvent se limiter au plan régional ou national alors que les populations des pays émergeants ont intégré la nécessité des mouvements migratoires.

contemporaine en a fait un symbole convainquant de promotion sociale pour le cadre supérieur qui voyage pour affaires et prend fréquemment l’avion ; celui-ci gagne un droit spécifique à se déplacer rapidement dans l’aéroport en plus d’une place au confort supérieur dans l’avion. La figure hyper mobile possède certains usages qui la rapproche alors de la catégorie des néo-nomades1, critiquée pour idéaliser les mobilités désignées et naturaliser leur participation à des relations de pouvoir. Au sein de l’aéroport, les publicités comportant des hommes et des femmes d’affaires confirment l’importance dans les représentations dominantes des raisons du déplacement du motif professionnel, au double sens de figure et de cause de la mobilité. Celle-ci est présentée comme une condition clé de réussite sociale et professionnelle, dans un discours d’injonction à la mobilité, et comme consécration sociale par l’obtention d’un statut dans le monde aérien. Peu regardant sur l’origine de ses utilisateurs à partir du moment où ils ont le bon sésame, Frequent flyers et classes Affaires, Première, l’aéroport serait donc moins un lieu de conservation des inégalités sociales qu’un marqueur de cellesci et un possible révélateur des promotions sociales récentes qu’il adouberait en quelque sorte ?

Mais au royaume de l’économie du temps perdu, le système est à deux vitesses et laisse toujours une longueur d’avance aux classes dominantes qui affirment ainsi leur primauté. Le temps du trajet d’aéroport à aéroport est identique pour tous, du plus humble au plus puissant des voyageurs quelle que soit la compagnie aérienne choisie, la différence se joue donc au sol, lors des transferts vers la ville ou plus encore, lors des transferts internes aux hubs. Là, des luttes féroces opposent les compagnies qui misent sur la qualité et la rapidité des correspondances qu’elles offrent à tous leurs clients mais aussi et surtout qui cherchent à conserver la préférence des usagers qui prennent l’avion comme d’autres leur voiture pour aller d’une résidence à une autre, d’un lieu de travail dans la journée à un lieu de détente ou de culture le soir, d’un lieu de résidence principale en semaine à un lieu de résidence secondaire le week-end mais ne veulent pas devoir endurer une fatigue supplémentaire à celle d’un train de vie trépidant par l’ajout de temps d’attente inutiles. Pour ces clients exigeants mais prêts à payer le luxe qu’ils estiment leur être dû, les aéroports ont créé tout un circuit d’accès prioritaires invisibles au commun. Ce principe de priorité accordé aux élites parce qu’elles le considèrent comme leur attribut naturel est devenu comme un modèle à atteindre. La société marchande

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1 ABBAS, Yasmine, Le néo-nomadisme - Mobilités, partage, transformations identitaires et urbaines, France, FYP Editions, 2011.

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b. En transit : personnes et marchandises. L’aéroport permet le transit de populations diverses, issues de toutes les couches sociales, de tous les pays, aux modes de voyages différents, usuels ou exceptionnels, longs ou moyens, choisis ou contraints mais la composition de ses hôtes le montre comme un lieu qui concentre de multiples autres publics en un seul endroit. Sa vocation première est certes d’acheminer des voyageurs et de permettre un transfert de biens et l’on y rencontre tout naturellement, en plus du personnel naviguant, tout un ensemble de métiers « au sol », liés au domaine de la logistique. C’est un véritable microcosme qui s’est développé avec l’essor du trafic aérien mondial. En effet, à la suite de l’augmentation du nombre de passagers et des échanges, l’univers de l’aéroport tout entier s’est vu changer d’échelle et par conséquent de structure. La taille des aérogares a augmenté tandis que s’y greffaient de nouvelles fonctions : les douanes, la police des frontières ont pris leurs quartiers au sein du bâtiment ou en ont carrément créés de nouveaux, des métros ou des voies ferroviaires les ont rejoints avec leurs systèmes d’organisation pour les relier aux villes, des parkings et des consignes gardent voitures et objets divers pour celui qui s’apprête à revenir, des entrepôts stockent les marchandises en transit… L’aéroport Roissy-Charles de Gaulle assure le transfert de 66 millions de passagers depuis 2015 soit une moyenne d’un peu plus de 180 000 par jour mais il héberge aussi quotidiennement autour de 80 000 salariés et assure le travail de 20 à 30 000 personnes dans les communes avoisinantes de Roissy-en-France, Villepinte et Tremblay-en-France. Son rôle social ne se borne pas à sa fonction mais déborde largement sur d’autres domaines, économique, politique, administratif… Le monstre dévoreur d’espace et de tranquillité publique est aussi une prodigieuse source de richesses et d’emplois. On comptabilise même sur l’ensemble des trois aéroports Roissy-Charles-de-Gaulle, Paris-Orly et Paris-Le Bourget, plus de gens qui travaillent sur l’ensemble de aéroportuaire que de gens qui voyagent par jour. Peut-on se passer d’un tel acteur de la vie publique et privée, capable de s’adapter à des mouvements internes et externes toujours plus importants et vitaux pour tant de gens ? L’adaptation majeure de l‘aéroport à cette croissance exponentielle des trafics d’hommes et d’objets (il faudrait d’ailleurs dire d’objets et d’hommes pour des questions de volumes et de fréquence) a été l’invention du hub, c’est-à-dire le choix d’aéroports majeurs pour y déployer tous les services administratifs et techniques (gestion et maintenance) et en faire le centre de destination de quasiment tous les vols d’une compagnie afin d’y établir une plate-forme de correspondance. En effet multiplier les centres d’entretien augmente la masse

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salariale et les coûts fonciers, immobiliers sans grand gain de qualité ou de sécurité quant aux prestations fournies. De la même manière, créer ou maintenir des liaisons directes de point à point pour toutes les destinations desservies par une compagnie s’avère bien moins rentable que de mutualiser une partie des transports sur une portion commune ou médiane des trajets qui divergent à partir de la plate-forme de répartition. Le passager en retire certains avantages à son tour comme une offre plus large de destinations à partir du même aéroport, l’enregistrement de tous ses trajets consécutifs à un seul comptoir mais subit un allongement global de son temps de voyage avant d’atteindre sa destination finale, en général de l’ordre de deux heures. Il va sans dire qu’une telle organisation ne peut exister que grâce aux progrès de la programmation informatique et des performance des logiciels de planification ainsi que de la fiabilité des appareils aéronautiques car le moindre incident ou la moindre erreur génèrent une cascade de retards calamiteux non seulement pour la compagnie en cause mais encore pour les autres qui doivent attendre la libération d’un couloir ou d’une piste d’atterrissage. Parallèlement, l’attention portée au temps comme question-clef de la mobilité a déterminé l’implantation de toutes sortes de services mercantiles dans l’enceinte de l’aéroport : poste, boutiques, restaurants, spas, hôtels... Ainsi l’acte de consommation est devenu une des manières de passer le temps. Non seulement le passager ne se plaint plus des temps morts mais il en arrive à souhaiter une pause suffisamment longue entre deux vols pour pouvoir terminer ses emplettes tranquillement. Tout semble fait pour que le passager aérien se sente bien dans un espace autrement trop grand, par le biais de ces «lieux dans le lieu» qui ne se rapprochent pas forcément de l’échelle humaine ordinaire mais en tout cas d’une échelle plus abordable et connue, comme celle des boutiques de centres commerciaux... L’infrastructure semble par moments gommée dans sa dimension technique pour rassurer le voyageur. Dans le même temps, au contraire, elle se veut aussi spectaculaire dans la forme, pour rendre le voyage aérien inédit et maintenir le sentiment de l’usager d’être un peu au-dessus de la moyenne des simples terriens. L’existence de zones internationales dont l’accès est réservé aux détenteurs d’un billet pour l’étranger (et hors de l’espace Schengen pour ceux qui y effectuent leur départ) renforce cette impression d’appartenir à une autre catégorie, celle de privilégiés ayant accès à des occasions hors de portée des masses extérieures : c’est l’espace rêvé dans lequel se déploie tout un commerce de luxe, le dutyfree, plus glamour dans un aéroport que dans un bateau car les boutiques peuvent rester en place et ouvertes en permanence alors que le déplacement d’un bâtiment naval le fait passer des zones maritimes internationales, où nul pays ne peut imposer les marchandises, aux eaux territoriales dans lesquelles

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plus aucune vente ne peut avoir lieu sauf à régler une taxe. Il faut à chaque fois remballer au sens propre la marchandise, ce qui rend compliquée la présentation d’articles nombreux et variés tandis que la situation sédentaire des boutiques présentes dans les aéroports leur laisse la possibilité d’exposer un large éventail de produits dans des rayons organisés pour susciter la convoitise du passager en quête de la bonne affaire interdite à ceux qui n’ont pas accès à l’international. Plus encore que dans tout autre rassemblement en foule de personnes étrangères les unes aux autres et sans projet commun, «le rapport de chacune de ces personnes à l’espace et au temps, au bâtiment, est avant tout un rapport individuel1 » dans les aéroports, donc d’ordre affectif et l’usager perdu dans un flot anonyme doit se sentir reconnu personnellement dans ses besoins et habitudes, il ne doit pas se trouver désorienté trop longtemps. Un accroissement continu des flux permettra-t-il longtemps encore le maintien de telles conditions ?

c. Créer le besoin : la naissance du voyageur-consommateur. Le passager est considéré comme un usager consommateur de son environnement. L’aéroport, lui est devenu dans bien des cas un lieu des usages et n’est plus seulement un espace d’usage. Il construit un milieu dans lequel les termes espaces, temps et usages se seraient substitués à ceux de lieux, d’occasion et d’habitant. Dans de tels modèles fonctionnels, l’usager est défini par ses besoins, modélisables, formulables. Certains aéroports parmi les derniers nés comme celui de Dubaï ouvert en 1960, revendiquent une ambition supérieure à celle de «simple» plate-forme de correspondance, ils se veulent un moyen de redéfinir la notion de voyage par aéronef. Promesse est faite par ces structures futuristes de renouveler complètement l’expérience de son usager. Pris dans les mailles d’un temps d’attente minimal incompressible mais trop court pour laisser une escale suffisante pour découvrir le pays proche, ni même la ville qui donne son nom usuel à l’aéroport, le voyageur moderne est confronté au pire ennemi des sociétés occidentalisées : l’ennui, le terrible moment de solitude inoccupée qui impliquerait une confrontation avec soi-même et pis encore peut-être avec l’autre (car les foules réunies dans les aérogares ne sont pas électives, elles sont unies par le hasard de leur destination qui est aussi celui de leur immédiat éparpillement). Il faut donc donner à chacun un environnement individualisé, optimisé, conçu à la mesure de ses besoins de divertissement sans qu’il ait non plus à s’inquiéter de manquer sa correspondance. Rien n’est laissé de côté, toutes les passions humaines ont été analysées et il semble évident que des enquêtes psychosociologiques approfondies ont précédé les choix d’aménagement de l’espace aéroportuaire du XXIème siècle.

La «faune» de l’aéroport croqués par un touriste en attendant son vol. On peut observer différents comportements, du passager aérien traînant ses bagages pour rejoindre sa porte d’embarquement, à celui fumant une cigarette après ce que l’on peut imaginer comme un voyage pénible, au personnel de l’aéroport ou d’une compagnie aérienne en pause, au col blanc pressé de ne pas rater sa correspondance. Dessin issu de http://4.bp.blogspot.com/-P-ENInjm3FU/TmkPrSRTM4I/AAAAAAAABoE/SqAh_2vz6lY/s1600/Roissy%2BCDG.jpg, le 11 décembre 2008.

1 ANDREU, Paul, J’ai fait beaucoup d’aérogares…
Les dessins et les mots, Editions Descartes & Cie, Paris, 1998.

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A Dubaï, ce sont des jardins qui offrent des oasis paradisiaques aux contemplatifs et permettent dans une partie réservée aux enfants de se défouler pour le plus grand soulagement de parents habituellement contraints de surveiller leur progéniture dans des espaces bien peu adaptée à leurs besoins ; un tel concept suffit à rendre la pause entre deux vols bien agréable mais n’est pas assez dynamique pour entraîner toujours plus de passagers à choisir de transiter pas ce hub or Dubaï s’est imposé comme le premier aéroport au monde pour le nombre de passagers internationaux, devant Londres, le mardi 27 janvier 2015. Avec 70,5 millions de passagers internationaux en transit en 2014 (soit 6,1 % de plus qu’en 2013), Dubaï reléguait à la seconde place l’aéroport d’Heathrow à Londres. En réalité, les jardins ne sont que les palmiers qui cachent la caverne d’Ali Baba :

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26 000 m2 de surface commerciale ont permis de doubler l’espace marchand de l’aéroport de Dubaï. Le terminal 3 a ouvert ses portes le 14 octobre 2008 et ambitionnait de devenir «l’opulence personnifiée». En 2015, ce sont 7000m2 supplémentaires qui faisaient définitivement du Duty Free de Dubaï le paradis des accros au shopping. Paradis où il se vend pour 7 milliards d’AED, Emirats Arabes Unis Dirhams soit 1,7 milliards d’euros chaque année. Avec le travel retail , les marques ont compris qu’elles avaient une carte à jouer et elles profitent de leur présence dans les aéroports pour tester de nouveaux produits, en concevoir de spécifiques, adaptés à cette clientèle particulière. Elles ont aussi découvert que les éditions limitées, très chères, s’y vendent aussi bien, voire mieux qu’ailleurs. Cependant tous les usagers de l’aéroport ne sont pas des consommateurs compulsifs, certains sont aussi des personnes dont le temps est compté à la seconde près et qui rentabilisent la moindre pause imposée en heures de sommeil qu’ils n’auront pas à rattraper lorsqu’ils seront arrivés où ils se rendent. Ceux-là voient leur demande anticipée par un module, le Snoozecube. Ce sont des caissons d’isolation, insonorisés équipés d’un lit confortable, d’une télévision tactile, de la Wi-Fi, d’un lecteur de musique et d’assez de place pour ranger des bagages. Il est possible également d’aller, si l’on dispose d’un billet en première classe ou en classe business, dans des salons qui offrent un accès direct aux portes d’embarquement - grâce à un ascenseur privé - au Wi-Fi, à des douches ou à des séances de spa, ainsi qu’à un restaurant gastronomique et à sa cave d’exception. Enfin, les 1 500 000m2 au sol de ce terminal, qui le placent parmi les bâtiments les plus grands du monde lui permettent d’abriter son propre hôtel de luxe (cinq étoiles). Est-il vraiment indispensable de passer une nuit à l’aéroport quand les correspondances n’excèdent en général pas une heure ?

Les jardins Zen, une oasis intérieure dans le nouveau terminal de l’aéroport de Dubaï (entre les portes B7 et B27) qui invite le passager aérien à se relaxer dans un environnement calme avant de prendre l’avion. Issue de journalistontherun.com, http://journalistontherun.com/2015/10/06/the-worlds-best-airports/, le 6 octobre 2015.

On constate que l’aéroport ne se contente pas de répondre aux besoins du voyageur mais induit chez lui des comportements de consommation auxquels il n’aurait même pas songé. Il en arrive à immobiliser sans raison autre celle de ses prestations celui dont la présence par définition ne doit être que transitoire.

Le mall de l’aéroport, l’espace dédié à la consommation frénétique (duty free, restaurants...) propre à toutes les aérogares. Ici Dubaï, dont la politique est de créer le besoin de consommation. Issue de crooked-compass.com, http://www.crooked-compass.com/blog/top-five-things-to-do-in-dubai-airport/, le 26 avril 2015.

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d. Détourner l’infrastructure : l’installation de zones franches. On assiste à la multiplication de la nature des usagers qui utilisent le cadre de l’aéroport, en dehors de son usage évident d’accès au réseau de communication aérien ; par exemple, on peut être amené à fréquenter une partie de son territoire et de ses attributs sans penser le moins du monde qu’on le fait, ne serait-ce que pour son système d’échange avec d’autres types de transports. Il suffit de regarder le réseau des transports publics nationaux ou régionaux qui le mettent en relation avec d’autres parties du territoire où il est implanté, essentiellement la capitale à laquelle il est accolé mais aussi les éléments urbains intermédiaires qui sont desservis par la même occasion. Rien d’étonnant à cela : un moyen de transport majeur comme l’avion en appelle d’autres lorsqu’il se ramifie en en voies de communications secondaires pour répondre aux besoins locaux et plus individuels des uns et des autres. Ce n’est plus du transport aérien, ce ne sont pas les instances aéroportuaires seules qui décident des raccords de ce type mais Il n’en reste pas moins que c’est la présence d’une zone aéroportuaire qui permet le renforcement et la création de voies de transport terrestres toujours plus performantes qui sont à la disposition de tous les publics concernés ou non par l’aéroport. Un autre apanage de tout port, ce qu’est avant tout un aéroport, consiste en la présence d’une zone franche associée quand elle n’est pas intégrée. Ce type de territoire autorise et galvanise toute une activité de production industrielle et de commerce international qui conduit à un usage autre encore des espaces aéroportuaires puisqu’ils génèrent l’implantation d’entreprises étrangères et/ ou nationales apportant avec elles leurs employés et les besoins liés au travail de ceux-ci. Dans ce cas, l’aéroport n’est pas employé comme un moyen de transport ou de transfert mais comme une entité juridique au statut extra-territorial déterminant un régime fiscal suspensif concernant les opérations d’importexport et aussi le stockage ou l’entreposage dans les boutiques hors taxe ou les comptoirs de vente de biens destinés à faire l’objet de ventes à emporter en exonération de TVA à des voyageurs se rendant dans un pays tiers ou un territoire considéré comme tel ainsi que les opérations de travaux, d’entretien ou de construction, afférentes à des infrastructures ou installations situées dans un état souverain, exploitées par une personne qui y est établie et qui est assujettie à la TVA, utilisées dans le cadre d’accords internationaux ou de traités pour le compte d’organismes internationaux qui financent les coûts desdites opérations. Chhatrapati Shivaji jouxte un tel territoire institué en zone franche en 1965, la ZEP de Santacruz SEEPZ-SEZ. C’est la plus ancienne et la plus connu de toute l’Inde. Son activité y apparaît restreinte à certains secteurs destinés à l’exportation, ceux

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de la bijouterie et de l’informatique à haute valeur ajoutée. Les entreprises ont su tirer profit des exonérations d’impôts sur les bénéfices pour se positionner à la fois sur le marché étranger et domestique, et ce, notamment grâce à la proximité de l’aéroport qui a précédé et appelé la fondation de la bourse aux diamants, d’instituts de formation en bijouterie, l’instauration de coûts fonciers acceptables et la présence d’infrastructures de qualité (fourniture en électricité et réseau de télécommunications parmi les meilleurs en Inde). Un cloisonnement entre la zone franche et le reste du quartier par un mur et un accès restreint, ainsi que par la mise en place de réseaux et d’infrastructures propres et de la collecte et l’acheminement de la production vers l’aéroport en circuit clos hautement sécurisé montre des avantages fournis aux entreprises de la zone franche qui doivent être attribués à une volonté publique de développement économique orienté vers l’exportation, pour se placer dans la compétition économique mondiale par le biais d’un aéroport pivot absolument essentiel. Dans le cas du secteur bijoutier, un service du gouvernement fourni par la compagnie MMTC Limited vend de l’or aux entreprises de la zone et permet d’optimiser l’acheminement des productions. Ce service les collecte quotidiennement à 16 heures dans la zone et fournit un service de transport sécurisé par camion blindé jusqu’à l’aéroport international où les marchandises sont stockées dans un coffre-fort avant d’être expédiées à Londres, puis de là aux États-Unis par les liaisons aériennes quotidiennes de la compagnie British Airways. En profitant des fuseaux horaires, les marchandises quittant la SEEPZ-SEZ en fin d’après-midi heure locale arrivent au milieu de la nuit à Londres, et repartent quelques heures plus tard pour New York où elles arrivent au petit matin, heure locale. Ce service permet aux entreprises d’expédier leur production du jour au lendemain sur le territoire américain, réactivité non négligeable lorsque 75 % des bijoux produits dans la zone sont exportés vers ce pays. Nous avons bien un usage parallèle de l’aéroport par des gens qui ne prennent pas l’avion mais se servent de son ambivalence de corps tangible sur un territoire donné mais non parfaitement miscible au sein d’un état. Cette hétérogénéité n’est d’ailleurs pas combattue par les états auxquels des taxes pourtant non négligeables échappent ainsi parce qu’ils estiment que cette perte est compensée de façon satisfaisante par les retombées économiques et sociales favorables. L’aéroport opère un peu comme une tête de pont entre les territoires discontinus des économies globales et locales avec des répercussions sur la dynamisation des activités et des infrastructures des régions qui en dépendent au profit de publics qui n’ont sinon pas de raison d’entrer en contact avec lui. Les influences les plus immédiates se manifestent au sein de son territoire dans trois lieux physiques : à l’intérieur de ses installations, en continuité avec elles et dans les environs immédiats.

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2.3. L’aéroport ou le télescopage des limites L’espace mondialisé qui se met en place rapidement au XXème siècle avec raccourcissement des distances et avènement d’une nouvelle temporalité grâce à l’aéronautique dessine un espace non homogène, discontinu où les frontières se présentent comme des points dans un tissu national et non comme des lignes à son pourtour. Un regard sur une carte des aéroports de grande et moyenne taille projetée selon un diagramme de Voronoi sur un globe virtuel est très révélatrice des nouvelles représentations du mondes qui se mettent en place. La notion de village planétaire ou de ville globale n’est plus seulement théorique : elle devient évidente. On ressent le resserrement des distances pour les plus grands aéroports qui sont à porté de n’importe quel lieu au monde en un temps extrêmement réduit, qui rapprochent au maximum les contacts avec les états extérieurs à celui où ils sont implantés. Ils sont au centre d’un monde où l’on se déplace comme autrefois dans un village à pied ou dans une ville en voiture…où l’on est en peu de temps hors des limites de son territoire habituel. Les représentations mentales des lieux que nous en retirons en sont nécessairement tributaires.

L’aéroport en abolissant la distinction physique entre distances longues (des milliers de km en quelques heures et pas au-delà de 18h30 pour le vol le plus long, 14 500 km sans escale1) couvertes sans effort et courtes (quelques centaines de mètres dans les aérogares) qui paraissent prendre des heures à franchir avec armes et bagages, brouille ou modifie nos perceptions du monde. Il n’en reste pas moins le lieu privilégié de l’expression de cette notion bien artificielle qu’est la frontière, il l’importe aux portes des villes centrales Il rapproche le lointain, l’introduit dans notre quotidien mais dans le même temps, et dans un mouvement symétrique inverse, il expose davantage que jamais ce qui est au cœur de notre territoire, donne à en voir l’intime. Or chacun le sait, en présence de l’autre, on se redresse, on porte la tête haut et l’on renforce ses défenses de façon instinctive.

1 La compagnie qatarienne a annoncé qu’elle allait ouvrir prochainement une ligne DohaAuckland, soit un vol de 14.500 km sans escale. Le président de Qatar Airways, Akbar Al Baker, vient d’annoncer que sa compagnie allait proposer prochainement un vol reliant Doha où se situe son hub à Auckland, la plus grande ville de Nouvelle-Zélande. L’avion parcourra donc plus de 14.500 km sans se poser, soit l’équivalent de 36% de la circonférence de la Terre. Les passagers ne devront pas trop être claustrophobes car ils passeront plus de 18 heures 30 dans le Boeing dédié à cette très longue route.

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Les frontières étatiques sont le fruit d’un découpage humain. Ici, une carte du monde découpée par les aéroports. Une autre manière de représenter le monde. «Each region is closer to a particular airport than any other. This partitioning of the sphere is called a spherical Voronoi diagram.» Issue de asondavies.com, https://www.jasondavies.com/maps/voronoi/airports/, le 7 février 2016 00:23:11.

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a. Un lieu paradoxal : espace segmentant et frontières poreuses. Si l’on remonte à l’origine du mot frontière, on s’aperçoit qu’il recouvre deux notions qui sans être exclusive l’une de l’autre, vont cependant conduire à deux signifiés bien distincts. L’étymon frons, frontis désigne la partie supérieure avant de la tête humaine et comme tel sert à fabriquer des images qui utiliseront deux caractéristiques de cette partie de l’anatomie ; tout d’abord, sa capacité lorsqu’il est abaissé à contrer les coups ou à en porter à un adversaire potentiel ou avéré, le front de l’armée ; ensuite, lorsqu’il est relevé, son aptitude à traduire l’intelligence d’un être, en exprimer l’essentiel au sens plein du terme, le front du visage. Ces deux acceptions nous autorisent à concevoir la frontière comme ambivalente. Elle marque la limite entre deux mondes selon deux modalités ; elle est tout à la fois dressée entre le dedans et un dehors perçu comme potentiellement dangereux et donc à maintenir au-delà, et en même temps, elle est le premier abord qu’un état offre aux autres, celui par lequel il se fait reconnaître puis plus prosaïquement par lequel on pénètre dans son espace. Or un objet architectural comme l’aéroport international incarne pour un territoire donné l’expression physique de la frontière dans le monde globalisé que nous connaissons. Il doit donc présenter des caractéristiques propres qui expriment son double rôle.

L’aéroport de Gibraltar matérialise la frontière avec le territoire ibérique.

Issue de lemde.fr, http://s2.lemde.fr/image/2013/08/27/999x667/3467285_6_99bc_l-aeroport-de-gibraltar-se-trouve-juste-sur-la_0f8e18ae5329502fcf13cf490f8ad25e.jpg, le 21 octobre 2015 18:52:59.

Quels éléments matérialisent-ils cette fonction de gardien/passeur dans l’architecture de l’aéroport ? Il semblerait qu’un matériau soit tout particulièrement privilégié pour cela, le verre qui possède une qualité fascinante. C’est une matière dense qui ne présente pas de pores par lesquels faire transiter la moindre molécule d’un côté vers l’autre de ses surfaces mais dont la matérialité n’oppose pas de limite au regard dans certaines conditions puis se ferme hermétiquement jusqu’à renvoyer la lumière elle-même d’où elle provient. « …l’utilisation de verre comme mur et limite, symbole même de la frontière et du passage. Qu’il soit un mur, il faut toujours le rappeler, et une matière, même s’il n’est, comme le dit Barthès, que son degré zéro. Mais ce qui m’importe avant tout c’est qu’il soit à la fois, et dans les proportions qui varient selon les heures et l’éclairage, un mur transparent révélant l’intérieur et un miroir délimitant l’intérieur et le reproduisant dans un double symétrique2.»

On ne peut imaginer meilleure traduction concrète de l’idée protéiforme qu’est la frontière. En effet, si elle est barrière tout autant que passage, elle se traduit surtout par une utilisation différentielle de façon à déterminer une classification et un traitement distinct des personnes et des marchandises selon leur origine. 2 ANDREU, Paul, J’ai fait beaucoup d’aérogares…
Les dessins et les mots, Editions Descartes & Cie, Paris, 1998.

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La frontière de l’aéroport exprimée dans la répartition spatiale des tweets.

Issues de transports.blog.lemonde.fr, http://transports.blog.lemonde.fr/2014/12/11/sur-la-carte-mondiale-des-tweets-on-repere-les-gares-les-aeroports-lesaires-dautoroute/, le 11 décembre 2014

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Opaque pour certains, elle se fait transparente pour d’autres. Obstacle et ouverture alternativement, elle demande toutefois la possession d’un sésame. Les sas successifs à franchir pour passer du sol d’un territoire à l’espace de l’avion sont son milieu d’expression le plus évident. Le premier est celui qui fait passer du domaine public à celui de la propriété privée et exige l’achat d’un titre de transport qui ouvre le droit de s’enregistrer sur un vol. Cela implique un espace d’achat et d’accueil entre la zone d’accès libre et la suivante où une première distinction à été opérée entre les «terrestres» et les «volants». Ces derniers ont été autorisés à pénétrer dans une zone réservée où un second tri séparera les voyageurs pour un vol intérieur des passagers pour l’extérieur. Ces derniers auront accès à une troisième partie, la zone franche ou internationale considérée déjà comme hors du territoire du pays où se trouve l’aéroport. L’aéroport comporte des postes de la police des frontières pour contrôler cette nouvelle répartition des gens. Deux derniers points marqueront le parcours du franchissement de la frontière, la porte d’embarquement qui ouvre la voie vers la passerelle qui mène à l’avion et cette dernière qui n’est pas en connexion permanente avec l’appareil qu’elle dessert. Se dessine un schéma de parcours heurté et entravé régulièrement bien peu compatible avec l’écoulement fluide du nombre considérable de personnes en transit dans un aéroport pivot. À Roissy, le plus anciennement modernisé de nos hubs, une première réponse avait consisté à imaginer un système d’anneaux dans lequel la circulation pouvait se faire en un mouvement continu, les points de contrôle agissant à la périphérie des cercles superposés ainsi dessinés mais l’enfer de Dante n’était pas autrement conçu et l’ensemble des aérogares construites par la suite est revenu à un concept plus simple : de grands bâtiments allongés, vastes organisés comme des couloirs pour canaliser les circulations mais de façon imperceptible étant donné leur échelle surdimensionnée. Un but évident est d’éviter que les gens ne se sentent pris dans des files suivant le même parcours dans un ordre figé qui renverrait chacun à l’impression insupportable d’attendre son tour. L’espace intérieur des aérogares ne doit donc pas multiplier les barrières visuelles en travers des halls mais les rejette sur les côtés soit en périphérie soit au centre, privilégiant l’idée que la frontière est un passage dynamique et non un point d’arrêt. D’autres techniques sont mises en jeu pour organiser un espace de filtre spatial acceptable en alternant les dispositifs de transit, d’arrêts, d’attente, de passage. L’organisation du déplacement du passager et du fret ne pouvant se faire que dans un staccato permanent, les acteurs de la frontière ont progressivement établi des priorités d’accès au poste-frontière de la police, élaborant ainsi une hiérarchie fine et douce en apparence des accès. Trois types de justification ont été retenus au cours du temps ; d’abord d’ordre technique, on a mis en place le

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dispositif du coupe-file pour les mineurs, les PMR qui forment un groupe peu nombreux relativement aux autres et auxquels la priorité pouvait difficilement être contestée. Ce premier type de file spécifique était peu visible mais a habitué les usagers de l’aéroport à l’existence d’une séparation en catégories parallèles. Ont ensuite fait leur apparition des considérations d’ordre territorial. Les titulaires d’un passeport de l’Espace Economique Européen et Suisse ont eu un accès réservé au point de passage frontalier, au sas automatique biométrique, puis à Parafes le système de reconnaissance des empreintes digitales. Pour terminer, le monde du transport aérien appartenant à l’univers marchand, il était inévitable que l’attention des compagnies aériennes se porte sur leurs clients les plus rémunérateurs et que le respect de la hiérarchie socio-économique introduise des chemins privilégiés pour ces passagers fortunés avec des accès premium, des coupe-file aux aubettes et jusqu’à des parcours quasiment complets en dehors de la foule commune. Des salons d’attente privés reliés plus directement aux points d’embarquement et aux parkings d’arrivée ou de départ que les salles publiques leur permettent de rester isolés et de profiter de prestations sur mesure et exclusives. C’est bien une autre frontière que l’aéroport objective dans son architecture intérieure. Et la démarcation qui en résulte ne passe pas entre états mais entre membres de la communauté humaine. Elle ne vise pas à permettre le franchissement mais au contraire à interdire le plus possible le contact entre les populations discriminées. En fin de compte, dans les lieux seuils du déplacement, les populations mobiles sont l’objet d’un travail intense de catégorisation et d’assignation à un espace bien défini pour chacune. L’inégalité de traitement n’est malgré tout pas mal vécue par les moins bien lotis car les privilèges se font discrets, protégés dans des circuits parallèles invisibles (cf le terminal low cost de Roissy) ou par une autocensure réaliste de ceux qui n’ont pas les moyens de s’offrir autre chose que leur billet d’avion. Seuls pour le moment encore les contrôles policiers aux frontières représentent un point de convergence de toutes les catégories de passagers, ce dont certains s’indignent ouvertement et sans vergogne sous couvert de défendre l’image de leur pays3. Il faut reconnaître que l’aéroport est un lieu particulièrement segmentant des populations qui s’y croisent ou qui y cohabitent. Il suffit de penser aux uniformes 3 Question écrite n° 06914 de M. Christian Cointat (Français établis hors de France - UMP) publiée dans le JO Sénat du 13/06/2013 :

M. Christian Cointat indique à M. le ministre de l’intérieur qu’à l’arrivée de passagers, de très bonne heure le matin, à l’aéroport Charles de Gaulle, il arrive qu’il n’y ait qu’un seul guichet de la police des frontières ouvert, aucun guichet n’étant prévu pour les passagers de la classe affaires et de la première classe. L’ensemble des passagers devant donc converger au même endroit, il peut s’ensuivre des embouteillages longs et pénibles. Cette situation est peu propice au développement de notre politique touristique. Par ailleurs, l’embouteillage constaté peut être aggravé lorsque, dans la file d’attente, se trouvent des étrangers qui font l’objet de contrôles minutieux, parfois près de vingt minutes pour certains d’entre eux. Il lui demande, en conséquence, de bien vouloir lui faire connaître s’il envisage de mettre en place les moyens et le personnel supplémentaire nécessaire pour éviter de telles situations.

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portés par les personnels volants ou non qui y travaillent. Ces vêtements et les badges qui leurs sont adjoints donnent accès à tous ceux qui les arborent aux parties techniques de l’aéroport auxquelles les passagers n’auront jamais droit mais les cantonnent à un certain secteur d’activité et d’évolution avec son circuit propre. Pour ceux qui se croisent, l’expression n’est pas à prendre au pied de la lettre, les passagers entrant sur le territoire et ceux qui en sortent ne se rencontrent jamais. L’aéroport joue ici pleinement son rôle de système de contrôle des flux destiné à assurer une maîtrise du territoire national à travers un filtrage permanent et plutôt coercitif sous un apparent abandon du passager à une errance un peu chaotique si l’on en croit les nombreux blogs consacrés au guidage dans les labyrinthes que seraient ces lieux. D’ailleurs, ils possèdent leur fil d’Ariane sous la forme de la carte d’embarquement. Elle indique le chemin, définit en elle-même les frontières que l’on pourra ou ne pourra pas franchir pour accéder à tel ou tel endroit, au duty-free surtout, entre tous, le lieu recherché car il symbolise à lui seul l’expérience du passage de la frontière comme autrefois le baptême du tropique… D’ailleurs, la zone franche, qu’elle soit marchande pour les passagers ou de stockage pour le fret en transit est non seulement une traduction de l’effet frontière dans l’aéroport mais elle en est aussi et avant tout l’expression la plus réelle. Si l’on excepte la partie interne des terminaux réservés aux passagers qui n’en est que la partie visible, c’est une zone d’apparence marginale, elle n’a pas l’allure splendide de l’aérogare, ne bénéficie pas d’une publicité auprès du grand public mais justifie en très grande partie l’important phénomène du développement des hubs. La détaxation qui y est appliquée aux produits entrant et sortant est liée à son statut d’extra territorialité, d’hors les frontières de l’état où elle se trouve et pas encore dans celles d’un quelconque autre état situé à des milliers de kilomètres. En cela, elle rappelle les vieilles marches des empires occidentaux du Haut-Moyen-Âge. Elle est donc au centre d’un enclos «hermétique» mais favorise le contact de l’ensemble des points d’adhérence n’appartenant pas à l’intérieur de l’espace dont elle ressortit. En conséquence, elle fait l’objet d’une activité très intense. Elle est caractérisée par une augmentation sans précédent des échanges et demande des lieux appropriés de stockage et de transfert d’un moyen de transport à un autre, interne, d’avion à avion ou vers l’extérieur par voie ferroviaire ou routière. Sur 1,2 km2, ce sont trois cent douze entreprises qui fonctionnent à Dubaï ; celle de l’aéroport de Chhatrapati à Mumbai regroupe les entreprises qui font vivre la ville, et Hong Kong qui est la porte d’entrée de la Chine connaît le deuxième plus important trafic de fret au monde. Paradoxalement, l’aéroport qui accompagne et entérine la dévaluation de

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la frontière-limes héritée des Etats-nations de l’Ancien Régime redonne de l’importance aux zones en marge des mêmes Etats. Tout d’abord, la centralisation du pouvoir avait placé au cœur des territoires toutes les instances importantes et attiré les places commerçantes dans les capitales ; les limites du territoire soumis à ce pouvoir avaient perdu leur caractère d’espace neutre où les rencontres pouvaient déboucher sur des accords commerciaux fructueux et les confins avaient perdu leur épaisseur pour se réduire à des lignes imaginaires sur des cartes. En introduisant le contact avec l’ailleurs au cœur du territoire, tout près des lieux traditionnels du pouvoir, l’aéroport recrée les conditions d’échanges commerciaux transfrontaliers les plus profitables. Son architecture doit laisser une large place, au sens strict, aux marchandises entre deux Etats. La frontière s’élargit à la taille des entrepôts sous contrôle douanier. Cette évolution donne à la frontière aéroportuaire une fonction puissante : elle est un élément stabilisateur dans un monde où la dématérialisation des échanges s’accélère et les changements d’échelle des enjeux politiques se multiplient.

b. Espace d’accueil : un lieu de rétention ? L’aéroport, lieu dédié à la mobilité la plus grande et la plus efficace dans le rapport distance parcourue/temps est aussi un espace particulier de contrôle du fait de sa position frontalière. Il est donc également un lieu d’entrave partielle ou totale temporaire, plus ou moins consentie. Le passager même le plus aisé n’y bénéficie pas d’une réelle liberté de mouvement. Si l’on regarde du côté d’une autre infrastructure de transport, la gare, le voyageur semble être beaucoup moins contraint dans ses déplacements, aux espaces auquel il a accès, au transport en lui-même. On peut monter dans un train juste avant que celui-ci ne parte, on peut y accéder sans titre de transport (dans l’illégalité donc mais c’est matériellement possible, sinon pratiqué régulièrement4). Rien n’est moins vrai pour l’aéroport. On pourrait objecter que le cas de figure de l’aéroport est différent puisqu’il permet l’accès à d’autres pays, voire d’autres continents ce que permet moins le train ; mais l’opposition n’est pas si franche que cela, bien des trains sont encore transfrontaliers dans de nombreux pays. Et les aéroports connaissaient une plus grande souplesse quant aux espaces fréquentables de leurs structures à leurs débuts. Si les bâtiments afférents aux différentes fonctions étaient physiquement séparés en unités réparties autour du dénominateur commun qu’était la piste, aucune barrière, haie ou no man’s land 4 Autour de 4% de fraude pour le transilien, le RER, le métro et de 8% pour les bus et tramway parisiens en 2014 selon le Rapport public annuel 2016 – février 2016
 de la Cour des comptes.

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n’empêchait le curieux de circuler librement d’un point à un autre. Diverses raisons liées à la sécurisation des vols ont petit à petit érigé des clôtures entre les parties techniques de l’aéroport et la gare de passagers. Les garages, ateliers d’entretien, réservoirs de carburant ont été isolés pour éviter les accidents, l’espionnage industriel, les sabotages et autres gestes potentiellement dangereux mais sans obsession sécuritaire exagérée. Ainsi un protocole de contrôle d’accès s’est progressivement mis en place, identique partout dans le monde et tout aéroport est divisé en deux zones du point de vue de la sûreté, la zone publique, librement accessible sans titre ni autorisation particulière (parcs de stationnement, voiries extérieures, espaces à caractère commercial, services, zones d’accueil, banques d’enregistrement et salles de livraison bagages le cas échéant), la zone de sûreté à accès réglementée (ZSAR), uniquement accessible aux personnes munies d’un titre d’accès (badges pour les personnels, titre de transport pour les passagers). On y retrouve des espaces tels que les salles d’embarquement, les passerelles, les pistes et zones de circulation de l’aéroport, les zones de tri des bagages au départ, les salles de livraison bagages le cas échéant ainsi que des espaces dits de sûreté.

qu’un endroit de mobilité, des gens y travaillent. Selon la raison de sa présence dans les lieux, qu’on soit là en tant que passager, personnes travaillant dans l’aéroport, (dans les avions, la douane et la police des frontières, les services comme les restaurants, les boutiques ou de déplacements des bagages), il existe des circuits particuliers à chaque cas qui, surtout, ne se croisent pas. On pourrait considérer l’aéroport comme une juxtaposition de logiques de déplacement prédéterminées qui s’effectuent parallèlement dont toutes ont une incidence sur le bon fonctionnement de l’ensemble à condition de ne pas en dévier. Aucun des acteurs n’a donc une entière liberté de mouvement. Les passagers par exemple, doivent attendre leurs vols à l’intérieur de l’aéroport, il n’est pas question d’une petite promenade sur le tarmac, sinon dans le cas de vols lowcost, mais alors, l’encadrement sur le tarmac est très mesuré pour que les passagers n’aillent pas où ils veulent.

La limitation entre zones «publique» et réservée est physiquement mise en place sur les aéroports, aussi bien à l’extérieur de l’aéroport qu’au sein des aérogares. L’accès de la zone publique en zone réservée ne peut être autorisé qu’après contrôle de l’autorisation portée par la personne ou le véhicule concernés, le cas échéant par inspection filtrage systématique de tout personnel devant se rendre en zone réservée5. Le durcissement des conditions de libre-circulation dans les aéroports date d’une quinzaine d’année avec l’essor des attentats terroristes à l’échelle mondiale et notamment après les attentats du 11 septembre 2001 aux Etats-Unis6 ou les plus récents attentats de Paris ou Bruxelles. Le règlement de sécurité s’est renforcé, amenant un contrôle accru des passagers, de leurs bagages, des gens travaillant sur place7 et restreignant l’accès aux avions mais aussi aux centres de gravité du voyage aérien, des différents espaces de l’aéroport au plus strict nécessaire, les prestataires de services, les employés et les usagers volants. Le temps où l’on venait admirer les avions décoller sur la terrasse d’Orly est désormais révolu. Dans le même temps, les bâtiments épars de l’aéroport se sont de plus en plus rassemblés dans une même enveloppe, les plans masse de nombre d’entre eux le montrent fort bien.

Si l’aéroport cristallise l’espace d’un contrôle admis de tous, à la fois pour des raisons de gestion et de sécurité comme nous l’avons évoqué précédemment, il est aussi le lieu d’un contrôle coercitif plus contesté quant à lui. En effet, connexion internationale, il est une des portes majeure d’entrée sur un territoire national et sa qualité de hub lui confère, chose inédite jusqu’au XXème siècle, la capacité de mettre en relation directe plusieurs dizaines de pays à la fois, 113 pour Roissy sur les six continents, 75 pour Dubaï, 88 pour Chhatrapati Mumbai8, 10 pour Hong Kong et par le système de correspondance, ce sont plusieurs centaines de liaisons internationales qui sont possibles : 481 pour Roissy CDG, 418 pour Dubaï, 88 pour Chhatrapati Shivaji et 301 pour Hong Kong… Or la libre-circulation des citoyens du monde n’existe pas encore et il est souvent nécessaire de détenir un visa en plus de son passeport pour pénétrer sur le territoire d’un pays. Les compagnies aériennes sont tenues de vérifier les conditions dans lesquelles leurs clients et leur fret voyagent mais elles ne sont pas équipées pour détecter toutes les fraudes. Il arrive régulièrement que des passagers ne remplissent pas les conditions requises pour être autorisés à pénétrer librement sur un territoire mais qu’ils n’aient pas non plus de titre de voyage permettant leur retour dans les plus brefs délais à leur point d’origine. Certains d’ailleurs ne le souhaitent pas car ils fuient une situation dangereuse pour eux dans le pays dont ils sont issus. Ils ne peuvent être assimilés à des fraudeurs et ne peuvent être traités de la même manière. Ce sont les demandeurs d’asile. Ces catégories de passagers se retrouvent de facto bloquées dans la zone internationale de l’aéroport où elles

Tout mouvement dans l’aéroport est induit et dépend de la nature du déplacement ou de la tâche que l’on doit y effectuer, car rappelons-le, l’aéroport n’est pas

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5 6

http://www.stac.aviation-civile.gouv.fr/surete/contracces.php http://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=URISERV:tr0028&from=EN

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Près de 70 badges retirés sur les 85 000 agents qui travaillent à Roissy et Orly.

Simplement, ce contrôle est admis, toléré, se fait même rassurant. La question de l’importance sécuritaire rend ce balisage des usages, de l’accès ou du nonaccès tout à fait valable aux yeux de ceux qui pratiquent l’aéroport.

8 http://www.skytoolbox.com/fr/aeroports/Chhatrapati-Shivaji-International-BOM-VABBMumbai-India-IN_a884.html

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ont débarqué, ne reprennent pas d’avion mais ne peuvent sortir du périmètre de sûreté qu’elle représente. Le traitement de leur sort dépend du statut légal qu’elles vont obtenir, ce qui demande bien souvent des jours ou des semaines durant lesquels la structure aéroportuaire va devoir les héberger. Les premiers cas ont permis de mettre au jour un certain nombre de déficiences graves. Les demandeurs retenus dans la zone dite internationale de l’aéroport n’ont pas été considérés comme étant sur le territoire français par les autorités. Celles-ci ont estimé qu’elles n’étaient pas tenues légalement d’examiner leur demande comme elles l’auraient été dans le cas d’une requête présentée par une personne déjà présente sur le territoire français bien que la zone internationale n’ait pas de fondement juridique9. Il a fallu jusqu’à six semaines pour que leur demande soit relayée auprès de l’OFPRA qui n’avait pas de bureau accessible à des personnes sans téléphone. Dans la zone internationale, les demandeurs d’asile ont dormi par terre ou sur des chaises en plastique et l’infrastructure sanitaire était très insuffisante. Ces conditions dégradantes ont alerté des voyageurs et des employés des compagnies aériennes dont la mobilisation a conduit les responsables politiques et les administrateurs des aéroports à reconsidérer les services proposés dans cette zone de « non-droit» qui était apparue sans avoir été recherchée dans l’espace aéroportuaire et les Zones d’Attente pour Personne en Instance (Zapi)10, où les étrangers en situation irrégulière sont placés à leur descente de l’avion, ont vu le jour. On y trouve des chambres d’hôtel de deux à trois places avec un téléphone et le contact avec des associations spécialisées dans les droits de l’homme.

Salle d’audience de Meaux

CRA

Direction de la Police aux frontières

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ZAPI 3

Direction Régionale des Douanes de Roissy 0

500 m

L’aéroport Charles-de-Gaulle et les deux Centres de Rétention Administratives. Le premier et plus ancien se situe sur le territoire de l’aéroport, le second à proximité immédiate, sur la commune du Mesnil-Amelot, dans une zone d’activités économiques. Les espaces de jugement : salle d’audience de Meaux et annexe TGI Bobigny. Issue de googlemaps.fr, 2016.

Londres Douvres Bruxelles

Calais

Francfort Lille Luxembourg

Devant l’augmentation considérable des personne en situation d’attente de leur autorisation de séjour ou de leur reconduite au-delà des frontières de la France à l’aéroport de Roissy CDG, une structure spécifique à l’accueil et au maintien des étrangers a été créée avec deux lieux d’hébergement ZAPI.2 et ZAPI.39, ouverts respectivement en juillet 2000 et janvier 2001. Le premier établissement est situé dans une partie du centre de rétention du Mesnil Amelot (commune limitrophe de Roissy) et le second a été construit aux abords des pistes de l’aéroport. Nécessité faisant loi, l’article 35 quater qui régit les conditions d’entrée et de séjour des étrangers en France s’est vu augmenté d’un alinéa qui précise que « la zone d’attente s’étend aux lieux dans lesquels l’étranger doit se rendre soit dans le cadre de la procédure en cours, soit en cas de nécessité médicale ». Bien que ce dispositif garantisse le respect des libertés individuelles et du demandeur d’asile, il n’en demeure pas moins un régime de privation de liberté, 9 Document 8761 du 8 juin 2000 sur l’arrivée des demandeurs d’asile dans les aéroports européens, rapport de la commission des migrations, réfugiés et de la démographie. Rapporteur M Andreas Gross, Suisse, Groupe socialiste. 10 Dans certaines situations, les étrangers peuvent être placé à leur arrivée à la frontière dans une zone d’attente avant d’être réacheminé à l’étranger ou admis en France. La procédure de placement en zone d’attente est encadrée et limitée dans le temps (26 jours maximum). Tout au Tout au long de la procédure, il possible d’effecectuer de recours.

Le Mesnil-Amelot

CRA

Rouen

Metz Stuttgart

Région parisienne

Strasbourg

Rennes

Nantes

Lyon Milan Gênes

Bordeaux

Hendaye Irun

Toulouse

Montpellier

Nîmes

Nice

Marseille

Perpignan

0

100 km

Répartition des Centres de Rétention Adminitratifs sur le territoire français. La plupart d’entre eux se situe près d’un aéroport ou à proximité d’une métropole comprenant un aéroport ou d’une voie ferrée. Carte de l’auteur.

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dérogatoire au droit commun, qui permet sous la seule autorité administrative de maintenir des étrangers dans des zones d’attente situées aux frontières du territoire. C’est une adaptation empirique et pragmatique qui prévaut cette foisci dans l’organisation de l’espace de l’aéroport et mène à une exportation sous forme d’enclaves dans la zone publique et soumise au droit national de zones extraterritoriales au droit bien flou. C’est une adaptation empirique et pragmatique qui prévaut cette fois-ci dans l’organisation de l’espace de l’aéroport et mène à une exportation sous forme d’enclaves dans la zone publique et soumise au droit national de zones extraterritoriales au droit bien flou. À l’inverse, l’aéroport va, toujours dans cette logique pragmatique, voir se créer et s’implanter en son sein des entités qui le dépassent, les centres de rétention administratifs. Ces centres accueillent -contiennent, emprisonnent- les personnes «en attente» de leur retour chez elles après une décision judiciaire de ne pas leur accorder de titre de séjour sur le territoire français. Ils ont ceci de spécifiques qu’ils ne dépendent pas de l’institution pénitentiaire mais de la police et la privation de liberté qu’ils entérinent n’est pas punitive. L’article R. 553-3 du CESEDA détermine la capacité d’accueil des CRA (140 places maximum) et la nature des équipements de type hôtelier et des prestations de restauration collective. Ces contraintes impliquent une architecture adaptée dont l’aéroport doit intégrer les contraintes. Ces centres ne sont pas l’apanage des aéroports. On les trouves répartis sur tout le pays non loin d’une gare, sur un nœud de communication qui permet et facilite les échanges et les déplacements mais néanmoins, ils sont pour la plupart, à proximité d’une métropole comprenant un aéroport qui sera le chemin le plus simple pour leur éviction de l’espace national. L’aéroport devient le symbole de la privation de liberté de mouvement plus que son promoteur. Le Centre de Rétention Administrative de l’aéroport Charles-de-Gaulle est constitué de deux bâtiments distincts, en contact direct avec l’aéroport pour le premier. Le second se situe, quant à lui, entre champs et zone d’activités économiques, sur la commune du Mesnil-Amelot entouré d’hôtels, du dépôt des cars Air France et d’un vaste espace dédié à la logistique. Il est composé de deux grandes structures distinctes de 120 places - la législation limite la capacité d’accueil à 140 places par centre de rétention- contiguës de type carcéral reliées par une passerelle et entourées de hauts grillages, de barbelés, de haies épineuses et d’un chemin de ronde. Drôle de paysage qui évoque un espace «sécuritaire» et «totalement déshumanisé». A l’intérieur, «de multiples caméras de vidéosurveillance et détecteurs de mouvements permettront aux policiers, depuis une tour de

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contrôle, de contrôler en permanence ce que font les personnes retenues». Le haut des portes des chambres est vitré, interdisant toute intimité. Cette fonctionnalité relativement nouvelle, engendre une nouvelle manière de développer le territoire dans laquelle la justice est amenée à l’aéroport. En effet, non loin du CRA de Roissy s’est créé en 2013, un Tribunal pour migrants de Roissy, avec l’aménagement d’une nouvelle salle d’audience du tribunal de Meaux. Une autre mesure a été prise : l’ouverture d’annexes des Tribunaux de Grande Instance de Meaux et de Bobigny à côté des pistes de Charles-de-Gaulle. Ces lieux se situent près des CRA dans des zones excentrées, comme c’est notamment le cas de la salle d’audience au Ménil Amelot, où il difficile de se rendre sans voiture, ou qui sont carrément inaccessibles car dans des des no go zones comme l’annexe du TGI de Bobigny qui se situe lui dans une Zapi. De telles dispositions amènent à l’interrogation suivante. Si ces espaces, lieux démocratiques par excellence ne permettent pas à tout à chacun d’assister aux jugements, ne serait-ce pas un manquement aux droits de l’homme ? Traiter les étrangers autrement que les Français relève d’une discrimination anticonstitutionnelle mais l’aéroport et son espace particulier ne seraient-ils pas un espace prétexte pour entretenir des flous de juridiction, peut-être même créer des précédents judiciaires bien préjudiciables ? Pendant l’été 2006, une polémique au sujet du non-respect du principe de la séparation des pouvoirs s’est ainsi déclenchée et la salle d’audience construite dans l’aéroport, ne fonctionne pas : les magistrats de Bobigny et les avocats refusent de s’y rendre. De telles dispositions amènent à l’interrogation suivante. Si des espaces judiciaires, lieux démocratiques par excellence ne permettent pas à tout à chacun d’assister aux jugements, ne serait-ce pas l’indice d’un manquement aux droits de l’homme ? Traiter les étrangers autrement que les Français relève d’une discrimination anticonstitutionnelle mais l’aéroport et son espace particulier ne seraient-ils pas un espace prétexte pour entretenir des flous de juridiction, peutêtre même créer des précédents judiciaires bien préjudiciables ? Pendant l’été 2006, une polémique au sujet du non-respect du principe de la séparation des pouvoirs s’est ainsi déclenchée et la salle d’audience construite dans l’aéroport, ne fonctionne pas : les magistrats de Bobigny et les avocats refusent de s’y rendre. L’aéroport deviendrait-il une machine à expulser ? La fiction juridique qui visait à dispenser les passagers en correspondance de formalités d’entrée du territoire (convention relative à l’Aviation Internationale Civile de 1944) n’ayant pas de statut bien net, se retourne contre les usagers les moins armés. Et la zone internationale devient un microcosme de relégation, un «entre démunis» de tous les pays comme son duty free est un «entre riches» du village planétaire. Cette zone est donc bien le support d’une territorialité inédite dans l’entre-deux de la frontière et de la mobilité aérienne. Elle agence des lieux

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non contigus, des zones aéroportuaires transfrontalières rendues solidaires à l’échelle mondiale par le réseau aérien mais dont le tissu local est un patchwork de droits inégaux. Même si elle est de fait une création des Etats, elle suppose un certain affranchissement des logiques étatiques, un territoire de pratiques impossibles ailleurs. Guangzhou Lianhuashan Guangzhou Nansha

Dongguan Humen

Zhongshan

Shenzhen Fuyong

Shenzhen Shekou

Macao (Maritime Ferry Terminal)

SkyPier Hong Kong

Zhuhai Jiuzhou Hong Kong International Airport

0

20 km

Les différents points d’entrée/sorties du ferry SkyPier entre Hong Kong et la Chine continentale. Carte de l’auteur.

Plan de l’aéroport International de Hong Kong Issu de businessclass.se, http://www.businessclass. se/forum/threads/vad-händer-med-sas-hong-kongplaner.22055/page-28, 14 juillet 2015.

Le SkyPier, en dehors des terminaux de l’aéroport possède son propre bâtiment et son propre système de frontière. Issu de panoramio.com, http://www.panoramio. com/photo/66679006, https://en.wikipedia.org/ wiki/Skypier#/media/File:SkyPier_-02.jpg, le 14 décembre 2009.

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c. Une territorialité particulière : la zone internationale. Nous avons souligné les changements de perspectives qui découlent des possibilités offertes par les nouveaux usages du hub qui transforment les places des aéroports en plateformes de correspondance et découplent totalement l’assiette physique du lieu de la juridiction dont il relève. La notion de frontière évolue, elle en arrive à disparaître de certains parcours puisqu’en achetant un billet pour une destination, un voyageur peut devoir faire escale en des pays qui ne l’enregistreront même pas comme y étant passé s’il se cantonne à la zone internationale. Ce processus de négligence spatiale a vite trouvé grâce aux yeux de certains pays aux relations internationales avec leurs voisins quelque peu complexes mais pour lesquels la possibilité d’utiliser des infrastructures aéroportuaires relais chez le « frère ennemi » étaient vitales. Il en est ainsi pour la Chine populaire et Hong Kong. Pendant longtemps, Hong Kong a servi de pont entre la Chine et le reste du monde, à la foi pour les flux de biens et de capitaux dans les deux sens. Mais avec la rétrocession de la ville par l’empire britannique en 1997 à son ancien propriétaire, les relations diplomatiques entre les deux entités ville et état chinois ne se sont guère détendues, et un visa est nécessaire pour passer de l’un à l’autre des territoires quand l’aéroport de Hong Kong, hub de Cathay Pacific et gateway historique du sud de la Chine est le plus utilisé par les Chinois de la région de la Rivière des Perles quelle que soit leur origine. Lors du déplacement de l’aéroport international de Hong Kong vers l’îlot artificiel construit le long de Lantau, les autorités hongkongaises ont conçu un terminal maritime pour des ferries naviguant sur sept routes dans le delta de la Rivière des Perles jusqu’à Guangdong (Canton) en République chinoise populaire, le SkyPier. Les services de ferry SkyPier sont disponibles uniquement pour les passagers en transit et ne le sont pas pour les passagers en provenance de Hong Kong car il s’agit tout à fait officiellement de contourner la frontière de son territoire et de parvenir directement à la zone internationale de l’aéroport en passant dès

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l’arrivée sur Lantau par un tunnel sans qu’il y ait contact entre les populations des deux communautés chinoises et hongkongaises. Les Chinois satisfont aux formalités de douanes avant leur départ de Chine à la suite d’accords entre les autorités administratives de l’aéroport de Hong Kong et les opérateurs de ferry Nansha Panyu Terminal Transport et TurboJET. Le Skypier est conçu «comme un kit d’exploitation de l’extraterritorialité en pièces détachées11». Il se compose d’un couloir maritime extraterritorial fournissant un prolongement de l’espace aérien international et d’un terminal relié directement à la zone internationale de l’aéroport par un tunnel sous-terrain de 1,1 km, véritable défi technologique pour les sociétés. En mer passerelles flottantes avec grues pour soulever les valises. Le terminal redéfinit la notion de frontière : corridor d’accès comme purgatoire intermodal : une parade infrastructurelle. Ce type d’infrastructure souvent conçu dans des environnements dans lesquels les idéologies politiques ne sont plus en accord avec les réalités socio-économiques. Dans le cas de Hong Kong, les limites avec les autres villes de la conurbation du Delta de la Rivière des Perles sont des frontières terrestres et maritimes dont la suppression est prévue pour 2047.

Conclusion À plus d’un titre l’aéroport peut s’identifier à la ville. Comme elle, il est en perpétuelle transformation, par aménagements successifs, reconstruction, structures anticipatrices ; comme elle, il colonise l’espace environnant selon des modalités propres au fait urbain caractérisé par la réunion en un même lieu ou quelques lieux puissamment reliés une multitude d’activités de toute nature : commerciale, industrielle, artisanale, touristique, administrative... sauf agricole peut-être. La hiérarchisation des individus y suit un processus semblable et même la ségregation spatiale est présente notamment dans l’offre touristique où les flux de voyageurs peuvent être séparés selon leur fortune. Naturellement, l’aéroport n’est pas un espace démocratique. D’abord -et c’est là la première différence majeure avec la ville- ce n’est pas un conseil municipal ou de communauté urbaine qui le gouverne, il fonctionne comme une entreprise et négocie avec les instances élues de son territoire. Ses zones franches peuvent entrer en concurrence directe avec le commerce environnant. Et, c’est la deuxième différence : l’aéroport est une frontière mais contrairement aux villes médiévales qui contrôlaient leurs octrois, l’aéroport ne dispose pas des prérogatives douanières qui sont du ressort de l’état souverain. Il peut en résulter des difficultés dans la gestion des migrations avec des frontières floues quant à l’autorité responsable et chaque aéroport est alors un cas particulier.

11 HIRSH, Max, Une infrastructure transfrontalière. Le trafic aérien dans le delta de la rivière des Perles, in ROUILLARD Dominique (sous la direction de), L’infraville. Futurs des infrastructures, Paris, Archibooks et Sautereau Editeur, 2011.

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3.

Renversement de perspective : les effets de l’aéroport sur la ville


3.1. Fabrique de la ville, fabrique de l’aéroport : une même dialectique ?

Les aéroports se présentent, nous l’avons vu, comme des éléments en constante évolution mais également comme des éléments dynamisants du système de liens qu’ils conduisent à établir avec le reste de la ville. On constate en plus de leur perpétuelle transformation, l’augmentation du nombre de ses connexions avec la ville, à la fois en terme de transports avec la création assez récurrente de voies ferrées express, d’autoroutes urbaines, que l’on peut qualifier de «lignes», mais aussi avec l’apparition de «poches» bâties autour de l’emprise de l’aéroport ou le long des «lignes» précédemment évoquées, contenant toutes sortes d’activités économiques, du service aux voyageurs au service aux entreprises. Les villes, au cours du temps ont bien souvent fini par absorber les aéroports dans leur sillage, par le biais des activités connexes à l’espace de l’aéroport, les poches urbaines évoquées dans le paragraphe précédant. Cependant, si ce processus a plus ou moins abouti à une continuité spatiale ville-aéroport, en replaçant l’aéroport comme une pièce urbaine à part entière, sa dimension tend à le reléguer aux franges de la ville, dans les zones péri-urbaines. Il se (re)trouve alors dans une position d’à côté, en périphérie mais relativement proche des centres urbains pour être facilement accessible et fréquemment utilisé. La croissance des activités le long des «lignes» montre bien à quel point les aéroports sont devenus de véritables catalyseurs de développement économique se devant d’être attractifs. Les activités qu’ils captent dans leur orbite sont importantes car elles attestent du rapport qu’entretient l’aéroport avec la ville puisqu’à ce moment-là, l’aéroport est lui-même créateur d’urbanité. Dans de tels cas de figure, la programmation et la planification aéroportuaire se trouvent modifiées du fait de l’importance de ces activités économiques complémentaires. Celles-ci sont en effet souvent aussi importantes que celles liées à la mobilité ou au transport aérien en lui-même. On assiste alors à une véritable mutation morphologique or l’aéroport. Une croissance autour des aéroports est observée depuis une vingtaine d’années, ce qui produit un certain nombre de pièces urbaines. Cependant, ces nouvelles formes de croissance prennent souvent place dans l’absence de planification globale and avec peu de participation au niveau de la prise de décision des communes limitrophes. Dans le discours sur la croissance urbaine relative aux aéroports, plusieurs

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concepts peuvent être distingués. La première approche s’intéresse à l’airport city1, le périmètre en contact direct avec l’aéroport qui est commercialisé par les autorités aéroportuaires ellesmêmes et caractérisé par un développement économique intégré de l’aéroport et des biens immobiliers. C’est ce que Güller et Güller appellent «un cluster plus ou moins dense d’activités opérationnelles, en relation avec l’aéroport ou d’autres activités commerciales ou d’affaires.». Celles-ci incluent des composés typiques comme des hôtels, des centres de conférence, des bureaux des centres de shopping et de détente, aussi bien que le fret, la logistique. Cette forme de développement d’airport city peut être observé autour d’à peu près tous les aéroports dans le monde. Une question demeure. Un cluster peu dense, homogène, comprenant des composants axés sur le transit, mentionné plus haut peut-il être véritablement appelé airport city ? Le second concept s’intéresse quant à lui à une aire aéroportuaire plus vaste, l’Aerotropolis2. Selon Kasarda3, l’Aerotropolis s’étend au-delà d’un périmètre de 25 km autour de l’aéroport central et se caractérise par un système radial d’axes de transports. Le long de ces corridors on trouve le développement de centres d’affaires et de poches résidentielles avec des espaces non bâtis entre. Pour Kasarda, l’Aerotropolis est comparable aux métropoles nord américaines, qui ici, consiste en un noyau d’airport city et de clusters suburbains orientés vers l’aviation concentriques. Mais l’analogie directe de l’analogie avec la métropole nord américaine avec l’émergence de l’Aerotropolis aide-t-elle à analyser ou à préfigurer l’influence du développement autour de l’aéroport ? Plutôt qu’un développement cohérent et d’une utilisation durable de l’espace, ce modèle de croissance aéroportuaire montre le chemin pour une désorganisation du développement et de l’étalement urbain à la manière des urbanistes américains d’il y a 50 ans utilisant les mêmes principes de schéma de commuter dépassés. Le troisième concept s’intéresse au corridor aéroportuaire qui émerge dans des zones reliant l’aéroport avec le centre de la région métropolitaine. Le corridor aéroportuaire est souvent caractérisé par une infrastructure véritable «colonne 1

GÜLLER, M., GÜLLER, M., From Airport to Airport City, Barcelone, Editorial Gustavo Gili, 2003.

2 KASARDA John D., Aeorotropolis: the way we’ll live next, Farrar, Straus and Giroux, 18 septembre 2012, 480 p. 3 John D. Kasarda est le directeur du Center for Air Commerce de l’Université de Caroline du Nord. Il est aussi président and PDG de l’Aerotropolis Business Concepts LLC. Il a publié plus de 100 articles et dix livres sur les airport cities, les infrastructures liées à l’aviation, le développement économique urbain et la compétitivité.

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vertébrale» stratégique, vers la ville et planifiée par le gouvernement public. Celle-ci se trouve parfaitement intégrée au développement d’une voie ferrée ou routière et aux poches immobilières. Ce développement est souvent le fruit d’un travail conjoint entre les autorités aéroportuaires, le secteur privé et les institutions publiques. Le concept de corridor aéroportuaire4 fournit un potentiel pour intégrer durablement l’espace aéroportuaire comme un hub pour le développement dans une région métropolitaine polycentrique et permet une balance des bénéfices économiques pour les municipalités engagées. En revanche l’infrastructure centrale de connexion à la ville devient aussi une barrière au développement transversal ce qui entraine d’autant plus une fragmentation du développement. La dernière approche est celle de la région aéroport. Ce terme ne désigne pas un statu quo sous-entend plutôt une vision politique partagée de planification qui implique un complexe fonctionnel, infrastructurel et gouvernemental s’étirant autour d’un aéroport positionné au centre. Par contraste, les concepts énoncés ci-dessus n’offrent pas totalement une approche analytique et ont, pour certains, une connotation qui réfère à une certaine échelle ou à une forme spatiale complexe et actuelle qui peut être mal interprétée. Le terme d’airport city fait implicitement référence à la ville, à un centre urbain complexe, qui essaie de rendre attractifs les parcs de bureaux ou les centres d’affaire pour des raisons de marketing territorial. Le modèle d’Aerotropolis combine mal les notions d’Aero et de Metropolis ce qui crée une image assez hypocrite de l’aéroport comme générateur d’une métropole aéroportuaire entière. Le terme de région aéroportuaire implique là aussi une échelle complexe et une régularité et une homogénéité inhérente qui, en réalité, est bien souvent inexistante et réfère implicitement à l’aéroport plutôt qu’à un nœud central de développement régional. Le corridor aéroportuaire peut être observé directement mais se limite à lui-même comme une forme spatiale. Cela peut être vrai pour certains aéroports mais ne peuvent attester d’une véritable catégorie puisque trop flexible pour faciliter les analyses sous des formes variées.

catégorie spatiale et fonctionnelle d’analyse pour décrire des processus liés au développement aéroportuaire dans la région métropolitaine. L’Airea est, à la différence des autres concepts, un terme plus objectif qui se réfère aux îles fragmentées de développement dans un espace d’opportunité en relation avec l’aéroport. Cela signifie qu’il se réfère à ces parties de la métropole qui sont influencées particulièrement par l’aéroport ou qui, à l’inverse influencent l’aéroport directement. Les interactions globales et locales et l’interrelation de l’aéroport et de la ville deviennent particulièrement tangibles et évidentes dans ce concept. Le confit en terme d’échelle, de programme, d’espace, d’économie, de culture etc. produit et forme chacun des composants de l’Airea comme des espaces spécifiques spatiaux, fonctionnels dans la région métropolitaine.

Cinq types de développement urbains autour de l’aéroport

Ville Airport corridor Aéroport

Ville

Aéroport

Airport city

Ville Airport city Aéroport

Aerotropolis

L’aéroport comme archipel.

Ville

Aéroport

Airport region

Le discours de l’analyse de l’interrelation et de l’interaction des aéroports et des régions métropolitaines est sous-représenté et plus concentré sur la perspective de l’aéroport plutôt que sur la perspective de la région métropolitaine et la villecentre. Airea

Le concept d’Airea offre une approche, une boîte à outils et une nouvelle 5

4 SCHAAFSMA, M. , AMKREUTZ, J. , & GÜLLER, M. (2008). Airport and city – airport corridors: Drivers of economic development, Amsterdam: Schiphol Real Estate. 5 SCHLAACK Johanna, «Defining the Airea, Evaluating urbain output and forms of interaction between airport and region», dans Airports in cities and regions : research and practise, Karlsruhe : KIT

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Ville

Aéroport

Scientific Publ., 2010.

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a. Lorsque l’aéroport (re)construit la ville... Nous avons vu que les infrastructures aéroportuaires amènent à la création de «poches» dans le tissu urbain traditionnel donnant naissance à ce que l’on peut qualifier de villes-aéroports morcelées. Dans le cas de Hong Kong, l’implantation du nouvel aéroport au niveau de l’île de Lantau a rendu nécessaire la création d’une liaison avec le centre-ville. Le gouvernement a opté pour une infrastructure conséquente de transport, une ligne ferrée express, l’Airport Express Line (AEL). La topogenèse artificielle d’une île complète pour l’érection de l’aéroport à ambition internationale montre sans équivoque que l’espace constructible est une denrée plus que rare dans cette région de l’Asie. Il est donc important d’y rationnaliser au maximum le développement urbanistique. Dans le cadre de ce projet d’envergure métropolitaine, l’aéroport, rendu accessible en 23 minutes, est finalement plus proche de l’hypercentre que les nouveaux territoires de Hong Kong. Il parait donc logique que les poches bâties de développement se situent le long de l’AEL ou à proximité immédiate de l’aéroport et non dans des zones moins denses mais aussi moins connectées au réseau intermodal. La sélection des sites à urbaniser correspond à la localisation des nœuds d’échanges des infrastructures ferroviaires : ce sont bien sept gares qui se voient alors dotées de programmes immobiliers particuliers. L’aéroport influe de manière évidente sur la fabrique de la ville. Pour ce qui est de l’urbanisation du territoire à proximité immédiate de l’aéroport, la ville de Tung Chung, sur l’île de Lantau, est un cas d’école puisque l’implantation de l’aéroport a amené à la création d’une ville nouvelle, même si Tung Chung n’est en fait historiquement pas un territoire vierge de toute occupation humaine. C’est à l’origine un village de pêcheurs faisant face au Delta de la rivière des Perles, datant de la dynastie Ming où les Britanniques à l’époque de la colonisation avaient installé des systèmes militaires de défense. Ce village présentait déjà un caractère stratégique indéniable pour le développement de Hong Kong et il est devenu le terrain privilégié d’un projet d’extension urbaine contrôlée. Le gouvernement hongkongais a planifié la création d’une ville nouvelle dense dès les premières phases de développement de son idée d’un nouvel aéroport. Prévue pour 180 000 usagers pendulaires ou sédentaires et l’installation de 225 000 m2 de bureaux, cette « pièce urbaine » répond à la qualité de ville, puisqu’habitée. Plusieurs opérations de logements au cours du temps (1997, 1998), à la fois privées et publiques ont amené à l’installation de près de 20 000 personnes1. Une partie du village de pêcheur a disparu au profit du développement de la ville nouvelle dense et verticale tandis que les villages alentours, notamment Tai 1

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https://en.wikipedia.org/wiki/Tung_Chung

0

2 km

Aéroport de Hong Kong : les «lignes» reliant l’aéroport au centre-ville, l’autoroute (6B) et l’Airport Express Line. En bleu, les «poches» bâties ayant directement trait au développement aéroportuaire. Issue de googlemaps.fr, 2016.

Les «poches» bâties et le village traditionnel de Tung Chung sur l’île de Lantau faisant face à l’aéroport. Au premier plan, l’autoroute (6B) d’accès à l’aéroport, au second plan, les tours de Tung Chung, en arrière-plan, Yat Tung Estate. Issue de wikipedia.org, https://en.wikipedia.org/wiki/Tung_Chung#/media/File:Tung_Chung_overlook.jpg, par Dennis Y.C. Wong, le 3 mars 2007.

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O, conservaient leur caractère traditionnel. Les transformations urbaines se sont étendues plus que ce qui avait été imaginé au départ. La ville traditionnelle ou plus exactement le bâti urbain des villages traditionnel se maintient encore un peu mais pour combien de temps si les activités économiques liées à l’aéroport continuent leur expansion ? L’aéroport modifie profondément la fabrique de la ville dans les zones rurales honkongaises en y amenant la modernité la plus radicale. Cela ne signifie pas cependant qu’il s’agisse d’une règle générale et a contrario, la création de «poches» bâties autour de l’aéroport dans le tissu urbain préexistant n’entraîne pas systématiquement de vie permanente sur place. Il s’agit souvent de zones d’activités économiques qui sont utilisées dans la journée et désertées la nuit. Dans le cas de l’aéroport Charles-de-Gaulle, le développement aéroportuaire et économique au-delà de ses frontières n’a pas conduit à la création ou au développement rapide d’un territoire véritablement habité car aucune volonté politique n’a prévalu dans le sens du déploiement d’un parc immobilier de logements. On constate donc que l’émergence d’une nouvelle polarité ne peut exister que mise en réseau à la fois avec l’aéroport et la ville. Dans le cas de Tung Chung se crée une véritable ville parce qu’elle répond totalement aux attentes en terme de logement et d’activité économique de deux entités : la ville de Hong Kong et l’aéroport. Nous avons vu en introduction de ce chapitre quels étaient les effets urbanistiques des aéroports à large échelle sur un territoire donné. Il peut être tout aussi intéressant de se concentrer sur l’impact qu’une telle infrastructure peut avoir en deçà des limites du grand territoire, plus particulièrement dans les centres urbains qu’elle dessert. Une des dernières «poches» nées de ce type de développement qui correspond dans le cas de Hong Kong à sept gares évoquées précédemment se matérialise par un espace très particulier avec la gare du centre-ville de Hong Kong, la Hong Kong Station. À la fois porte d’entrée vers Hong Kong lorsque l’on vient de l’aéroport et dernier espace d’interface entre le centre-ville et les différents réseaux de mobilités, Hong Kong Station semble fixer un paradigme. À la fois bâtiment et hub, abritant l’International Finance Center et l’Airport Express Station, la Hong Kong Station (HKS) brouille les échelles, par ses diverses appellations. L’ensemble est pensé à l’échelle urbaine bien plus qu’à l’échelle architecturale. On ressent dans son organisation l’intention de créer un morceau de ville régi par les différents réseaux de mobilité, entre les voies routières et ferrées, les voies d’accès aux ferries, les passerelles aériennes piétonnes la connectant au reste de Hong Kong. Dans le même temps en revanche, le bâtiment ne revêt pas du tout un caractère spécifique à un équipement de transport. Il répond plutôt à une architecture de bâtiment résolument commercial, d’affaires ou de finance, composé de buildings posés sur un socle qui, certes abrite les divers modes de mobilités, comme une

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Hong Kong Station : une opération à l’échelle de la ville. Plan masse initial du projet datant de 1992. Architectes : Arup Associates en collaboration avec Rocco Design Architects Limited, Ove Arup & Partners, and Meinhardt. Issu de ROUILLARD Dominique (sous la direction de), L’infraville. Futurs des infrastructures, Paris, Archibooks et Sautereau Editeur, 2011.

Hong Kong Station : à l’échelle architecturale, un bâtiment semblable à ceux du tissu environnant. Issue de wikipedia.org, https://en.wikipedia.org/wiki/Hong_Kong_Station#/media/File:Hong_Kong_Station_Outside_View_2009.jpg, le 25 septembre 2009.

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sorte de superposition, mais que l’on ne peut distinguer de l’extérieur. Force est de considérer le fait que lorsque que l’on est dans la ville, on envisage la HKS comme appartenant à Hong Kong, se fondant presque avec les gratte-ciels environnants, participant d’une même logique. Mais lorsque l’on s’intéresse aux programmes intérieurs qui comprend le Centre International de Finance, ou les bureaux des autres sociétés internationales, on discerne un champ d’application à l’échelle du monde ; le hub connecté au monde via l’aéroport, raccorde celuici à un territoire bien plus vaste que celui de la simple ville de Hong Kong qui constitue ses alentours et lui a donné vie. Un des signes évident de ce mélange des échelles et des frontières est fourni par les différents services offerts par ce bâtiment composite. On a vu précédemment comment le développement et l’attractivité induite par la présence d’un aéroport dans un territoire donné amenaient au développement de poches urbaines dans les territoires. Ici un pas supplémentaire d’influence réciproque dans le développement conjoint est franchi ; et c’est carrément l’aéroport qui s’invite dans la ville et la HKS apparaît comme une partie de terminal de l’aéroport au sein même de l’hypercentre de Hong Kong. On peut notamment s’y enregistrer directement, laisser ses bagages sur place avant de prendre la navette AEL pour aller à l’aéroport. On trouve dans ses bâtiments tout ce que l’on pourrait trouver dans un aéroport ou à proximité en terme de services : magasins duty free, restaurants, hôtels... Au final, du point de vue de l’aéroport, c’est comme si celuici imprimait sa logique jusque dans le centre-ville de Hong Kong. On peut donc conclure que dans le cas de Hong Kong, la fabrication d’une nouvelle image mentale urbaine du centre métropolitain se fait à partir des infrastructures de transports locales. L’Airport Express Line constitue en fait une armature de développement de la métropole, à une double échelle puisqu’elle reflète les mobilités locales et globales. «Urbaine avant d’être architecturale, l’image que le Gouvernement cherche à projeter au monde se doit plutôt d’embrasser l’échelle métropolitaine de la cité. Sa construction se fera à travers les nouveaux lieux du transport, vecteurs de déplacement et supports de développement.2» La nature métropolitaine de Hong Kong se fait donc par le programme, les échelles, les densités. Tung Chung et le centre-ville de Hong Kong répondent bien à deux logiques différentes participantes de la même démarche.

b. ...ou qu’il la déconstruit : l’aéroport confiscatoire. L’aéroport de Mumbai est entièrement entouré d’une aire urbaine avec peu d’espace laissé vacant. Les environs du terminal domestique sont presque totalement caractérisés par des hôtels et de l’habitat. Dans un périmètre compris entre un et deux kilomètres autour du terminal international se trouvent des sites commerciaux avec une coloration industrielle, des bureaux et des hôtels. Ces bâtiments sont en dehors de l’espace de l’aéroport et leur construction a été indépendante de l’opérateur de l’aéroport. Mumbai est une mégalopole où l’espace est revendiqué et utilisé par différents groupes sociaux. L’opérateur a été privatisé en 2006 et il s’est concentré sur l’amélioration des terminaux, avec comme conséquence, l’absence de services publics urbains, qui sont pourtant typiques pour un Airport city, même si le contexte environnant est totalement urbanisé. Les plans pour étendre l’airport city jusqu’aux terminaux limités très clairement par l’absence d’espace développable. En effet, un important secteur de l’aéroport est couvert d’habitat informel. L’aéroport veut détruire cette structure au profit d’un développement immobilier commercial. Cependant, cela signifierait reloger environ 85 000 personnes et mettrait en exergue un problème insoluble de justice sociale et de planification urbaine. Le plan masse de l’opérateur de l’aéroport se concentre sur la construction et la rénovation des terminaux actuels et ne mentionne pas le parc d’affaires extérieur ainsi que les commerces. Plusieurs facteurs assurent un succès commercial pour le développement d’un airport city dès son commencement. Le nombre de passagers aérien est déjà très élevé. Mumbai a donc la perspective d’un important développement économique. Pourtant la fourniture d’espace à développer pour le marché immobilier est très faible. De plus, la question de l’accessibilité est à améliorer. Entre 2016 et 2021, l’aéroport sera connecté avec le système de métro de Mumbai, selon les plans actuels. Cependant, entre 2010 et 2011, le taux de bureaux vacants a explosé rendant le développement immobilier de bureaux moins intéressant. De plus, la mise en oeuvre de développement d’airport city nécessite une attention particulière de la part de l’opérateur de l’aéroport et des autorités de planification urbaine, tout en rendant acceptable une solution sociale sur la question de l’habitat informel. L’aéroport de Mumbai montre la nécessité pour l’opérateur aéroportuaire d’être capable de travailler sur plusieurs plans et de mettre en place une politique de développement urbain dans l’idée de développer une airport city. Un projet de réhabilitation1, le Housing Development and Infrastructure Limited, de la zone a été développé dès 2007 par le Mumbai International Airport

2 HIRSH, Max, Une infrastructure transfrontalière. Le trafic aérien dans le delta de la rivière des Perles, in ROUILLARD Dominique (sous la direction de), L’infraville. Futurs des infrastructures, Paris, Archibooks et Sautereau Editeur, 2011.

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1 http://www.ndtv.com/mumbai-news/slum-dwellers-around-mumbai-airport-to-be-resettled-insame-area-devendra-fadnavis-1253865

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Limited. Une des mesures de ce projet a été la construction de 20 000 logements salubres destinés aux populations déplacées. Cependant les habitants résidant sur l’espace de l’aéroport n’ont pu bénéficier de leurs nouvelles habitations parce que le gouvernement n’a pas pu identifier les résidents pouvant être éligibles aux logements. Ces derniers sont restés vacants jusqu’à la fin 2015. Le projet a été interrompu à la suite d’une opposition très vive de la part des habitants se voyant expulsés et dépossédés de leurs logements et ne bénéficiant évidemment pas des retombées économiques du projet de développement immobilier prenant place sur leur sol. Le ministre Devendra Fadnavis a remis le projet au centre des débats par son initiative de relance. En effet, Mumbai, contraint par sa géographie ne peut croître au-delà de ses limites. Y circuler malgré les autoroutes urbaines et les différents ponts y est difficile. Dans une optique d’attraction des capitaux et des investisseurs étrangers, pour un quartier central et connecté au monde par l’aéroport, le moindre terrain vacant est évidemment le lieu de spéculation. L’habitat informel est ici considéré comme une occupation de terrains vacants. Si la ville de Mumbai doit faire face aux problèmes à la fois spatiaux et sociaux liés à l’extension de l’airport city, d’autres territoires, aux problématiques plus génériques, sont soumis quant à eux à la question de l’enclavement. Les plates-formes et les territoires proches placés dans leurs orbites contrastent souvent fortement avec des territoires environnants moins favorisés et qui vivent particulièrement mal cette relégation. Par exemple, les communes limitrophes qui ne bénéficient pas des retombées économiques (intercommunalité, action des régions opposées à celles des communes) mais sont soumises aux nuisances sonores ou de pollution...

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200 m

Mumbai, l’habitat informel acollé directement aux pistes.

Photographie issue de rediff.com, http://www.rediff.com/business/slide-show/slide-show-1-column-why-indian-cities-are-unlivable/20140226.htm, le 26 février 2014. Image satellite issue de baudelet.net, http://www.baudelet.net/satellite/inde/mumbai.htm, 2016.

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3.2. Figurer au premier plan de la compétitivité mondiale : de nouvelles stratégies ?

Habiter le Grand Paris : orientations de développement

a. De nouveaux morceaux de ville : les airport cities. Le développement des espaces autour des aéroports internationaux n’implique pas toujours l’émergence d’une ville ou d’un quartier urbain au sens plein. Un regard sur une carte des types d’aménagements immobiliers de la ville de Paris et de ses environs le prouve de manière flagrante. L’aéroport Roissy CDG est au cœur d’un large parc de bureaux, de locaux d’activités, de commerces mais qui ne comprend pas de logement et s’il est un pôle très attractif comme le montrent aussi les flux pendulaires comparatifs des zones de travail gagnées chaque jour (il est l’espace qui recrute le plus loin et de façon intensive), il ne représente pas une zone de vie permanente. Cet équipement de transport de la dernière génération a imposé deux logiques d’organisation du territoire qui l’entoure. L’une est liée à l’ampleur des activités économiques générées -plus ou moins directement- par la plateforme, l’autre s’avère subordonnée aux nuisances inhérentes au trafic aérien. En effet, le couloir de bruit généré par les avions en approche de piste a en grande partie dicté la nature des espaces autour de l’aéroport. On se rend compte du frein qu’il a constitué dans le développement de certaines localités voisines qui pouvaient pourtant bénéficier de retombées démographiques stimulantes dues au besoin de logement des employés (directs ou indirects) du monde de l’aéronautique. La nuisance sonore, indéniable, se traduit concrètement par une impossibilité́ pour certains villages ou certaines villes à s’étendre, car elle produit une zone d’évitement qui génère par contrecoup une fracture dans l’extension urbaine de l’agglomération parisienne. Les aéroports, et notamment les hubs, impliqués dans les processus d’agglomération métropolitaine comme éléments moteurs primordiaux de celle-ci peuvent donc de façon paradoxale en empêcher l’éclosion physique dans certains secteurs. Cependant l’impact déterminant de l’aéroport sur l’aménagement du territoire est celui que lui confère son rôle d’outil économique, basé sur une interconnexion de plusieurs modes de transport, d’un complexe d’activités tertiaires et d’un centre logistique international. La volonté des politiques dès l’origine de constituer sur l’aéroport de CDG un tel complexe d’interconnexion ne pouvait que favoriser et renforcer le déploiement d’un quartier d’affaires. L’organisation logistique du fret et l’aéroport correspondent désormais, par leurs activités, à un pôle industrialotertiaire de renom international essentiellement parce que Aéroports de Paris (ADP) a choisi d’orienter les possibilités de ce nouveau pôle en faveur de l’accueil

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Le Grand Paris et la volonté de créer une métropole «poreuse» : rationaliser l’utilisation du territoire, éviter le mitage territorial dans le développement des opérations immobilières et développer dans le même temps des pôles de compétitivité au rayonnement régional, national et international. Cartes issues de ateliergrandparis.fr, http://www.ateliergrandparis.fr/12clefs/, le 14 février 2013 10:32:58.

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d’activités économiques à la hauteur des exigences mondiales dans ce domaine. Ainsi ADP a développé́ un vaste programme de bureaux «intelligents» pour des entreprises de haute technologie à forte valeur ajoutée. Pour tirer parti au mieux des nouvelles donnes de l’économie internationale la société de services aux transports a imaginé de proposer aux entreprises et aux hommes d’affaires une implantation au cœur même d’un des plus grands carrefours européens de communication, là où le brassage des affaires apparait comme le plus intense et en pleine expansion. CDG s’est par conséquent doté d’une «aéroville» du nom de Roissy-Pôle, soit un ensemble de bureaux ultramodernes, des hôtels de luxe, des restaurants, des salles de visioconférences, des espaces d’exposition, un centre commercial et un centre de loisirs destiné avant tout aux entreprises. Parmi les occupants de Roissy-Pôle, on retrouve par exemple Air France qui a installé son siège à proximité́ de son hub installé à CDG 2. Une compagnie aérienne, qui plus est celle dont Roissy-CDG est le hub, installée à proximité, voilà qui coule de source, mais on peut aussi observer la concentration d’une gamme très variée d’entreprises, attirées tant par l’accessibilité aérienne que terrestre. Le dérèglement du marché aérien et la compétition entre hubs mais aussi avec les compagnies low-cost qui en résulte (Burghouwt and Huys, 2003) sont à l’origine de l’extension stratégique des activités péri-aéroportuaires à des services sans lien avec l’aviation comme nouvelle source de revenu. ADP offre ainsi aux entreprises présentes sur le site près de 400 services à la carte que l’on ne retrouve habituellement qu’en milieu urbain tels que ceux de la Poste, des agences bancaires, d’hôtels, restaurants, de locations de voitures, de commerces, d’un service médical d’urgence, de la Police, de la maintenance et de l’entretien, de la production et la distribution d’énergie thermique, de bureaux de tourisme, etc... Roissy-Pôle est donc une véritable cité d’affaires qui, grâce aux infrastructures de transport, est branchée sur le monde entier. Les hubs entraînent dans leur sillon des entreprises et des emplois qu’il faut pérenniser et loger. ADP a donc programmé une cité internationale unique au monde au moment de sa conception, formée de bâtiments luxueux capables de performances adaptatives, tels le Dôme et le Continental Square. Ce dernier est un ensemble de quatre immeubles indépendants de haut standing, chacun d’environ 6000 m2, aménageables par plateaux de 900 m2 divisibles. Les bureaux sont conçus pour s’adapter aux progrès de la technologie, qu’il s’agisse d’informatique, de communication, de confort, de sécurité ou de gestion. Le Dôme quant à lui est un programme de 40 000 m2 de bureaux situés aussi au cœur de Roissy-Pôle. Ils sont connectés entre eux par une rue piétonne en arc de cercle et protégée par une verrière transparente qui forme une toiture en demi-cercle et en fait la rue couverte d’Europe la plus longue. Tout autour on trouve des aménagements paysagers, un programme complet de restauration,

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de boutiques, d’hôtels, un centre de conférence de 25000 m2 avec des salles modulables. En plein cœur de cette cité se trouve également l’Aéronef, galerie commerciale créée par ADP dans le souci de répondre aux besoins d’urbanisation et d’animation de la cité d’affaires internationale de Roissy-CDG. Une gamme d’hôtels «confortables» destinés à accueillir les passagers aériens dont 98 % sont des hommes d’affaires vient compléter son architecture pensée pour un cadre de travail de qualité et répondre aux entreprises pour lesquelles le contact quotidien avec le monde entier est une fonction primordiale. Ces facilités de services permettant aux entreprises de fonctionner à Roissy-CDG en véritable autarcie ne suscitent par conséquent aucune relation avec les villes environnantes. L’affirmation de Daniel Estevez lorsqu’il commente les relations de la ville et de l’aéroport et dit que «les villes européennes, à l’exception de Zurich, évoluent et grandissent en direction de leurs aéroport, sont connectées fonctionnellement pour former un territoire virtuel polycentrique composé de méga-cités. » si bien que «on peut considérer les airport cities comme des centres urbains horssols dans le sens où ce sont des sortes de centres sans périphéries, des centres ville permanents, intégrants parfois même les vrais hyper centres urbains1» est à nuancer dans le sens où ce sont aussi des villes privées sans faubourgs, des systèmes colonisateurs de territoires, aux conséquences confiscatoires. Le sort d’Aéroville, centre commercial aux portes de l’aéroport et à la croisée de l’autoroute A1 et de la Francilienne, tend à prouver l’absence d’intégration de ces poches aéroportuaires à la vie urbaine proche. Ensemble de 84 000 m2, ce qui le situe à la troisième place en France pour la surface, inauguré en 2013 et prévu pour attirer les usagers de l’aéroports qu‘ils en soient clients ou employés avec une fréquentation aux alentours de 12 millions de personnes par an, il peine à remplir son objectif de rentabilité. En effet, il est trop éloigné en termes de temps de trajet de l’aéroport pour drainer suffisamment de voyageurs entre deux vols ou de salariés sur leurs pauses mais ne séduit pas pour autant les habitants des alentours malgré les craintes réitérées des petits commerçants qui en craignaient la concurrence. Devant l’absence de connexions véritables entre le système aéroportuaire et les villes environnantes en dépit de potentialités fortes, les communes de Tremblayen-France et Villepinte( Seine-Saint-Denis ) et celles de Goussainville, Roissy-enFrance, Le Thillay et Vaudherland, (Val d’Oise) ont conclu avec l’Etat un Contrat de Développement Territorial, CDT, nommé Cœur Economique Roissy Terres de France (CERTF), pour une durée de seize ans. L’objectif revendiqué de ce CDT-CERTF est de créer des espaces et des synergies centrés sur l’Aéroport Paris-Charles De Gaulle qui puissent accompagner et 1 ESTEVEZ, Daniel, Aéroports, représentations et expérimentations en architecture, Paris, l’Harmattan, 2013.

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démultiplier les occasions de développement économique et en accentuer les retombées sur les populations environnantes. Comme tout contrat, il fixe des objectifs à ses cosignataires qui s’engagent ici en matière d’emploi et d’habitat. Ceux-ci sont assujettis à la construction de nouvelles infrastructures de transport au sol, en particulier celle du CDGE, le Charles de Gaulle Express qui doit relier l’aéroport à la gare de l’Est mais aussi de liaisons transversales entre les communes de la deuxième couronne en projet dans le cadre du Grand Paris. S’y ajoute une approche revisitée des zones urbaines à proximité de l’aéroport qui ne seraient plus seulement envisagées du point de vue de l’international mais aussi à l’échelle locale dans une perspective mixte. Il n’en demeure pas moins que la dynamique économique reste tributaire des secteurs liés de près ou de loin au transport aérien et aux échanges internationaux, et que les emplois créés le seront grâce à l’aéroport quasiment exclusivement à hauteur de 40 000 d’ici à 2020 et 65 000 d’ici à 2030 répartis dans les domaines caractéristiques de ce bassin d’activités que sont les professions aéroportuaires, l’aéronautique, le tourisme d’affaires (incluant l’évènementiel de type «salon»), le commerce, la logistique, les transports, les services aux entreprises, ainsi que pour une part plus modeste mais néanmoins significative, dans la sphère de l’écoconstruction. Malgré tout, un axe d’intégration locale loin d’être artificiel a parallèlement été dégagé avec la mise en relief de la nécessaire formation aux métiers liés aux secteurs précités. Il s’agira notamment pour les pouvoirs publics de renforcer l’offre de formation à destination des apprentis ou futurs apprentis. Dans un contexte de chômage et de bas niveau de formation qui caractérise les populations moins favorisées des villages alentours, cela ne peut que susciter l’adhésion au projet de celles-ci. Les contractants souhaitent renforcer, de plus, les liens entre les territoires et les établissements d’enseignement supérieurs, situés sur le territoire, mais aussi en dehors.

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Tracé du Charles-de-Gaulle express, de la gare de l’Est à l’aéroport. Ce train express utilisera des infrastructures existantes inusitées (voies de RER) sur une grande distance. Carte de l’auteur.

L’autre objectif, découlant directement de la loi Grand Paris, vise à encourager la construction de logements par la puissance publique, au nombre de 950 par an d’ici à 2030 auxquels il faudra ajouter une production privée. Il s’agit d’un programme encadré de façon à procurer un habitat durable qui stabilise une population jeune, active aux côtés des cadres en transit qui forment les seuls résidents en pointillé actuels. Des résidences hôtelières seront, par exemple, construites afin de loger les travailleurs temporairement affectés à la plateforme aéroportuaire, libérant ainsi le reste du parc de logements d’une certaine forme de pression.Pour des questions économiques et écologiques évidentes, les logements répondront à une logique de densification maintenant normale dans les mouvements de métropolisation et à un impératif de mixité. Aéroville, le centre commercial de l’aéroport accolé à Charles-de-Gaulle

Issue de ompagniedupaysage.com, http://www.compagniedupaysage.com/projects/centre-de-commerces-et-de-services-aeroville/, 9 juin 2015 13:23:14.

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b. Vitrine ou miroir d’une réalité sociétale ? Les plateformes aéroportuaires jouent un rôle primordial dans la construction des grandes métropoles internationales. Elles permettent leur insertion dans l’économie mondiale grâce aux liens multiples avec les autres pôles importants qu’elles tissent pour ces dernières et elles luttent entre elles en fréquence donc de rapidité dans l’établissement de ces nombreuses liaisons aériennes pour attirer le maximum de nouvelles implantations d’entreprises, de sièges sociaux, d’équipements logistiques, de tenue de congrès internationaux, de foires professionnelles sans négliger la venue de touristes privés. Les métropoles sont en concurrence directe et sans merci pour drainer les capitaux du monde entier vers leurs caisses, seul moyen d’amplifier leur croissance et donc de garantir leur survie. En augmentant les possibilités de trafic aérien, les aéroports accentuent aussi l’offre d’emploi sur le territoire de leur métropole. Avec une politique volontariste de construction de logements, une offre accrue d’emplois variés fonctionne, à son tour, à terme comme un appel à de nouveaux habitants. Une population active renouvelée est la garantie de la bonne santé d’une ville, donc d’une métropole qui se montre alors attractive et un cercle vertueux s’installe où chacun des éléments de la fabrique de la ville exerce une influence bénéfique sur l’autre. Dans notre société mondialisée où les peuples voyagent et se rencontrent beaucoup plus facilement qu’autrefois, où presque toutes les strates sociales peuvent être conduites à passer d’un pays à un autre, d’un continent à un autre, pour des raisons pas vraiment identiques, certes, puisque certains voyagent pour le plaisir, d’autres pour leur travail dans de très bonnes conditions et d’autres encore de façon subie, il s’est mis en place un système de communication compréhensible par le plus grand nombre sans que trop d’efforts soient nécessaires. Time is money. Pourquoi perdre son temps à convaincre par des arguments discursifs rationnels quand en s’adressant aux instincts, il est bien plus facile de susciter l’envie des gens. C’est donc par l’image que les métropoles et les aéroports entreprennent maintenant de prendre le pas sur les autres. L’aéroport devient un objet de marketing, d’affichage territorial. Le traitement de son nom le montre assez bien. Bien souvent, on se contente de lui donner comme complément à la simple dénomination d’aéroport celui de la métropole à laquelle il donne accès : l’aéroport international de Hong Kong, de Dubaï pour

Paris et Mumbai : deux aéroports inscrits dans l’histoire de leurs pays respectifs Paris : l’aéroport ne possède pas son propre logo mais il Mumbai : Chhatrapati Shivaji Maharaj est le roi indien porte le nom de l’homme qui symbolise à lui seul la nation du XVIIème siècle, fondateur de l’empire marathe. Il est française aux yeux du monde, Charles de Gaulle. considéré comme un héros par les nationalistes indous et son image est utilisée à des fins politiques.

Dubaï et Hong Kong : la relation fusionnelle qui les unit à leurs villes se traduit dans le fait qu’ils en portent le seul nom. C’est une façon de les inscrire dans une géographie locale.

Page de droite, iconographie issue de : alldubai.ae, http://alldubai.ae/dubai-directory/shaikh-mohammed-bin-rashid-al-maktoum/, le 30 avril 2015. militaryquotes.org, http://militaryquotes.org/products/charles-degaulle. wikipedia.org, https://fr.wikipedia.org/wiki/Paris_Aéroport, avril 2016. wikiwand.com, http://www.wikiwand.com/de/Flughafen_Dubai-World_Central_International, le 4 juin 2014. nmu.ac.in, http://nmu.ac.in/smcrc/en-us/home.aspx, mai 2016. wikipedia.org, https://en.wikipedia.org/wiki/Hong_Kong_International_Airport, le 22 mai 2016 13:06:58. wikipedia.org, https://en.wikipedia.org/wiki/File:Chhatrapati_Shivaji_Airport_Logo.svg, le 27 juin 2014 à 06:11.

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notre panel d’étude mais la liste de ceux qui sont baptisés sur ce modèle par le monde est largement majoritaire. L’aéroport fonctionne comme une porte d’entrée sémantique sur le territoire de la métropole, il en est la première incarnation pour le passager qui débarque, et la première image rêvée pour le voyageur potentiel. L’alternative à cette dénomination est celle du nom hérité d’un grand homme, (plus rarement d’une «grande femme») qui a marqué voire fait l’histoire de la nation d’où émerge l’aéroport et pas seulement de la métropole où il s’implante, laquelle se hausse ainsi au niveau de notoriété de celui sous l’égide duquel elle place son infrastructure. La question de la représentation mentale est bien essentielle pour comprendre l’orientation de certains processus du développement des aéroports en dehors de ceux à l’œuvre pour améliorer les moyens de traitements techniques de l’offre de transport des personnes ou du fret. Le cas de Dubaï est particulièrement parlant et intéressant car l’histoire de l’essor de cette ville est indissociable de celle de son aéroport international, plus exactement de ses aéroports internationaux car son sort est si étroitement lié au développement de sa capacité à assurer un rôle de hub qu’elle se dote d’une deuxième plateforme intermodale hypermoderne en moins de cinquante ans alors même que le premier vient d’être inauguré avec des équipements inédits et d’un luxe peu égalé. Or la richesse de Dubaï, récente, a été assurée par la découverte de ressources pétrolières dans les années 60 mais son dirigeant de l’époque n’a pas voulu dépendre de ce seul revenu tarissable et a aussitôt profité de la manne ainsi dégagée pour moderniser, entre autre par la construction d’un aéroport, les infrastructures de ce qui caractérisait depuis toujours l’économie de sa ville, à savoir le transit de marchandises et d’hommes entre l’occident et l’orient. La croissance annuelle des activités aéroportuaires s’élève à 19,31% en 2011. L’aéroport et la ville se développent selon les mêmes modalités en vendant un rêve oriental qui renouvelle l’ancien eldorado américain. La région relativement dépourvue de ressources touristiques de masse et d’attraits culturels puissants mise sur la fabrication d’un univers fastueux dont la seule raison d’être est contenue dans son opulence onéreuse et les exploits qui président à sa réalisation. Les termes pour la qualifier sont «la Vegas du Moyen-Orient, la ville des superlatif»... Les sites internets regorgent d’images dithyrambiques, époustouflantes de tours toutes plus folles les unes que les autres, d’îles artificielles démentielles auxquels répond un hub de tous les superlatifs qui «symbolise la puissance de la ville2». 2 L’inauguration d’un satellite entièrement dédié à l’Airbus A380 en 2013 renforce la position clé de l’aéroport international de Dubai, tout en confortant le leadership haut de gamme de la compqgnie Emirates.

L’objectif revendiqué du lieu est d’impressionner les voyageurs par sa magnificence. À commencer par les clients les plus blasés peut-être, ceux qui ont toujours tout ce qu’ils veulent et dont les désirs sont comblés avant d’être exprimés. Il s’agit des passagers les moins faciles à surprendre ou satisfaire, ceux de la classe affaire et surtout ceux de la première classe dont le nombre est cinq fois inférieur à celui des premiers (14 contre 76 dans un airbus A380). Ils bénéficient dès leur débarquement d’un étage d’hôtellerie de luxe avec 170 chambres et suites au Dubai International Hotel et, surtout, de deux lounges aux proportions quasiment indécentes, celui de la classe Affaires, de 16 550 m², et celui de la Première, de 12 500 m2, qui s’étendent sur toute la longueur du satellite, permettant aux voyageurs de patienter à proximité de leur porte d’embarquement, qu’ils rejoignent ensuite par ascenseur sans même avoir à quitter le salon. Afin d’émerveiller les passagers, dès leur entrée dans le salon First, la compagnie Emirates et l’aéroport de Dubaï ont multiplié les comptoirs en albâtre, murs en mailles de métal façon bijou macroscopique, brassées de fleurs blanches… Parmi les prestations du lounge, les passagers ont le choix entre une petite séance de réflexologie plantaire pour activer la circulation avant un long vol, un massage du dos ou une mini-manucure. Ces soins leurs sont offerts au Timeless Spa, situé à l’étage inférieur. Le lieu ne leur est cependant pas réservé car les autres passagers peuvent y bénéficier des mêmes services à condition de prendre rendez-vous et de payer la prestation qu’ils auront choisie. Diverses approches du luxe sont ainsi distillées par l’aéroport en fonction des clients auxquels il s’adresse. Pour les plus grosses fortunes mondiales, il s’agit de leur donner ce qu’ils ne doivent pas même demander. Pour les budgets inférieurs mais néanmoins conséquents, il est davantage question de proposer la possibilité de s’offrir la part de luxe et volupté orientale rêvés dans ce genre de destination. Enfin le commun des mortels peut, quant à lui, « se rincer l’œil » de la même façon qu’il se fera photographier dans le hall d’entrée des fabuleuses tours qui bordent la route ainsi que le rapportent deux architectes urbanistes en vacances à Dubaï : «Lors de votre séjour, vous visitez d’ailleurs les halls et les galeries des autres hôtels, ceux que vous ne pouvez vous payer. Il “faut voir” tel lobby, tel restaurant...Les lieux d’aisance sont luxueux et immenses : ils constituent également une attraction non négligeable3». Pourquoi un tel investissement dans les aménagements et une recherche de la plus haute gamme envisageable pour une clientèle relativement captive ? David Bentley, analyste au Centre for Aviation, souligne le fait que le développement du hub aérien de Dubaï dépend fortement de la compagnie Emirates et de sa capacité à continuer à rendre les vols à escale attractifs pour les passagers. Mais si de nouveaux appareils très long courrier venaient à faire leur apparition et 3 Voyage de Dubaï à Abu Dhabi Récit de voyage aux Emirats Arabes Unis (E.A.U.) : Dubaï, Abu Dhabi Nathalie Caritoux et Vincent Courtois.

http://www.voyages-d-affaires.com/aeroport-de-dubai-hub-strategique-20131014.html

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amenaient des compagnies aériennes à proposer des vols directs sur de très longues distances à des prix abordables, la logique de point-à-point pourrait reprendre le pas sur celle des hubs. Or c’est de ce principe que bénéficie Dubaï du fait de sa position géographique avantageuse. Si un tel retournement n’est pas encore prévu, le risque qu’il survienne n’est pas exclu et les autorités dubaïotes en ont parfaitement conscience4. C’est pour cette raison qu’elles ont lancé un programme de promotion touristique effrénée, alors que le besoin financier en devises ne se faisait pas encore cruellement sentir et que les attractions naturelles ou archéologiques faisaient quasi totalement défaut. 
 Les agences de tourisme soutenus par les autorités, ont alors recherché une clientèle européenne de rang moyen à laquelle elles ont vendu un paradis artificiel mêlant les rares éléments naturels exploitables, la mer, le soleil, le désert à de purs produits de la société de consommation, le shopping, des hôtels aux normes internationales, et surtout en créant de toutes pièces une marque déposée en quelque sorte, Dubaï. Les eaux brûlantes du Golfe, toutes proches des derricks pétroliers, ne sont propices aux bains que durant la saison hivernale et le désert n’est parcouru que d’autoroutes et de lignes à haute tension. Du coup, un décor et un folklore de pacotille ont été créés dans des marinas pour les besoins de touristes en quête de dépaysement à moindre frais, dans un cadre qui reste confortable. L’émirat compte plusieurs centaines d’hôtels de toutes catégories et les palaces s’échelonnent le long de la plage au sud de la ville, offrant à des prix pour (presque) toutes les bourses, tous les délices de l’Orient. Ce secteur fournit déjà 16 % du PIB auquel il faut ajouter les gains renforcés du commerce hors taxes et ceux d’un taux de remplissage supérieur des avions de la compagnie Emirates. 
Dubaï a su tirer profit des difficultés d’autres pays de la région comme l’Egypte en proie au terrorisme islamiste ou la Turquie menacée par les actions du PKK et mène à travers ses offices de tourisme une promotion permanente de son territoire, multipliant les congrès internationaux, les festivals, les manifestations sportives ou culturelles de retentissement international. L’aéroport et la ville n’existent pas l’un sans l’autre et développent en permanence des synergies stratégiques très efficaces. L’une des dernières en date a été la réfection du salon d’embarquement de la classe affaire et de la première classe à Paris au moment de l’ouverture du nouveau terminal à Dubaï pour harmoniser les ambiances des deux points d’attente et d’embarquement et plonger les passagers dans une première expérience de l’atmosphère qui les attend à destination. Une façon comme une autre d’exporter l’image de Dubaï et d’en faire la promotion au-delà de son territoire.

En dernier lieu, on peut remarquer que la stratification sociale dans la ville de Dubaï est marquée par le port d’un «uniforme» qui permet d’identifier le rôle de chacun en son sein comme ce qui existe pour les catégories d’usagers et de personnels de l’aéroport. Les locaux (émiriens en blanc, émiriennes en noir), les ouvriers (en habit fluorescent), les travailleurs domestiques (portiers, gardiens, chauffeurs, voituriers...), les commerçants, les hommes d’affaires et les touristes. Pour ces quatre derniers groupes humains l’«uniforme» serait plutôt une apparence physique qui les répartirait par origine géographique ou ethnique : les domestiques seraient recrutés en Asie, (Inde et Indonésie), les commerçants, viendraient principalement du Proche-Orient (Liban, Egypte, Syrie) tandis que les hommes d’affaires seraient issus de la Russie et de l’Iran. Il en découle que tout comme dans l’aéroport, un langage minimal commun se doit d’être employé, un pidgin d’anglais, réduit à quelques mots-clefs sans véritable lien syntaxique.

Conclusion L’aéroport en fabricant de l’urbain génère des problématiques métropolitaines impliquant réseaux, circulations, énergies, commerces, bureaux, habitat, selon des modalités variables suggérant la typologie airport cities, Aerotropolis, corridor aéroportuaire, région aéroport, Airea. Ce dernier concept rend compte d’une approche factuelle écartant toute hypocrisie dans les interactions territoire-aéroport. Liberté est alors laissée aux autorités aéroportuaires pour faire de leurs établissements une vitrine peu préoccupée de problématiques territoriales. Le paradoxe est alors le caractère surimposé, «hors sol» d’un lieu qui se voudrait emblématique de son territoire d’implantation.

4 L’émirat de Dubai a validé en 2014 un projet d’investissement de 32 milliards de dollars pour l’extension de l’aéroport Al Maktoum visant à en faire le premier aéroport du monde d’ici à quelques années. Une stratégie expansionniste partagée par d’autres pays du Golfe et qui pousse les hubs américains et européens dans leurs retranchements. http://www.latribune.fr/entreprises-finance/services/transport-logistique/20140917trib44d94dc8a/dubai-casse-sa-tirelire-pour-construire-un-nouvel-aeroport.html

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Conclusion

Si nous devons revenir sur l’ensemble des analyses que nous avons menées, il nous semble qu’une typologie des rapports qu’entretiennent villes et aéroports peut être envisagée. Nous pouvons tout d’abord distinguer une forme fusionnelle, celle de la Ville-Etat-Aéroport qu’incarne Dubaï, puis une forme concurrentielle dans l’interdépendance, celle de la ville débordée par l’aéroport de Mumbai, ensuite une forme symbiotique où chacun profite à l’autre, celle de Hong Kong et enfin une forme à la recherche de son équilibre, celle de Paris Charles-de-Gaulle toutefois, l’impression dominante est que la pérennité d’un aéroport repose sur son implantation dans une ville à l’histoire longue car il ouvre au trafic aérien mais ne crée pas réellement une voie aérienne en dehors d ‘un réseau déjà établi. Le cas de Dubaï est à cet égard parlant. Tout montre qu’un changement dans les équilibres géopolitiques fragiles de la région, comme une ouverture des frontières entre l’Iran et le monde occidental pourrait rendre la ville-oasis au désert. Si l'aéroport est absolument nécessaire pour positionner une ville dans la course à la globalisation, son existence seule n'est pas le gage de la réussite de cette dernière. Il n’en reste pas moins que son invention a bouleversé les représentations mentales du monde. L’aéroport a démultiplié les possibilités pour l’homme de s’approprier la terre, mais sans résoudre le problème de la place pour une population mondiale en croissance exponentielle et de plus en plus urbaine. Au contraire il a accentué les points de concentration démographiques avant que la ville n’ait trouvé un moyen de répartir les bénéfices qu’il engendre. On comprend que l’avenir des monstres urbains ainsi engendrés passera par des gouvernances beaucoup plus partagées entre les niveaux d’échelle décisionnelle politique et financière, du local au global. L’aéroport ne peut se développer seul comme une bulle spéculative sans payer un jour l’écart qu’il creuserait avec son environnement. Il doit aussi anticiper les progrès potentiels de l’aéronautique qui peut grâce à de nouvelles technologies permettre la revitalisation de branches secondaires frappées par les difficultés conjoncturelles de maîtrise qu’elles connaissaient comme celle des dirigeables dont il est de plus en plus question qu’ils sillonnent à nouveau le ciel, silencieux ou presque, quasiment non polluants, ne requérant qu’un point d’atterrissage restreint ou des supersoniques rapides et de ce fait rentables s’ils deviennent moins gourmands en carburants. Avec de tels engins, les aéroports pourraient palier de nombreux problèmes que nous avons relevés ou offrir aux riches passagers un service encore amélioré.

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Quel que soit la nature des appareils utilisés, l’aéroport saura s’adapter mais c’est une des choses qu’il réalise le mieux. Il possède une grande souplesse du fait des capitaux importants qu’il rassemble en tant qu’organe vital de la ville. Un de ses nombreux paradoxe, espace privé, il attire jusqu’au capitaux publics car il donne l’image la plus flatteuse si désirée par le pays auquel il est attaché.

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Bibliographie

Ouvrages : ABBAS, Yasmine, Le néo-nomadisme - Mobilités, partage, transformations identitaires et urbaines, France, FYP Editions, 2011. ANDREU, Paul, J’ai fait beaucoup d’aérogares…
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Remerciements Je tiens tout d’abord à remercier ma famille pour leur écoute bienveillante. Ariane, Camille et Tamara tout au long de ces deux dernières années, Charles pour ses précieux conseils. Julie Ambal et Xavier Guillot, enseignants encadrants du séminaire dont ce mémoire est issu.

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