L es
M urray B estiaire
des
Ce
qui 1
reste
A ntipodes
L es
M urray Bestiaire des Antipodes Traduit de l’anglais (Australie) par Thierry Gillybœuf Illustrations par Camille Gillybœuf
Ce
qui
reste
Table
des matières
Platypus / Ornithorynque Second Essay On Interest: The Emu / Second essai sur l’intérêt : L’émeu Eagle Pair / Couple d’aigles Lyrebird / Oiseau-lyre Mollusc / Mollusque Echidna / Échidné The Octave Of Elephants / L’octave des éléphants Mother Sea Lion / Mère lion de mer Spermaceti / Cachalot Cuttlefish / Seiche The Fossil Imprint / L’empreinte fossile The Newly Tragic Dodo / La nouvelle tragédie du dodo Jellyfish / Méduse Fruit Bat Colony By Day / Colonie de chauves-souris frugivores de jour Bird Signatures / Signatures d’oiseaux Whale Sounding / Sondage de baleine
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Platypus O r n i t h o ry n q u e
Once in an April moon Lapped in dark water Or in some forest pool Behind midsummer You may discern him, still In rippling shade, Or see him tilt and glide, Leaving few bubbles, Sunk to the cool of his nest In the roots of the creekbed. Go down no further. Let us watch from here. Shadows of scrub lie windless on the water. Flat-headed, his otter-like body dark as soil, Small eyes, crude fur and that patent-leather beak, Blunt limbs and webbed feet Held just below the light, He floats and is there. He has not heard us come. Not strange, across so vast A plain of time.
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Une fois par une nuit d’avril Blotti dans les eaux sombres Ou dans un étang en forêt En retard sur l’été On peut le discerner, encore Dans l’ombre ridulée, Ou bien le voir gîter et glisser, En laissant quelques bulles, Sombrant dans la quiétude de son nid Dans les racines au fond du ruisseau. Ne descendons pas plus bas. Observons-le de là. Des ombres de broussailles gisent, libres, sur l’eau. La tête aplatie, son corps de loutre aussi noir que le sol, De petits yeux, une fourrure rudimentaire et ce bec en cuir verni, Des membres contondants et des pieds palmés Maintenus juste sous la lumière, Il flotte et il est là. Il ne nous a pas entendus venir. Pas étonnant, à travers une si vaste Étendue de temps.
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Twice born, and yet a mammal – with a beak. But see, now he sinks away, perhaps to feed On the leaf-dark bottom, or to find the mouth Of his burrow and smear the earth wall as he climbs And scrambles up to doze there in the darkness. Hold the thought of him Kindly to your skin. It is good to have him in our country, Unique, beneath our thoughts To nurture difference. Changeless beneath our thought And its disjunctions.
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Né deux fois, et pourtant un mammifère — avec un bec. Mais regardez, le voilà qui plonge, peut-être pour se nourrir Sur le fond noir de feuille, ou bien pour trouver l’entrée De son terrier et maculer le mur de terre en grimpant Et se faufilant pour y sommeiller dans l’obscurité. Gardez-en bien L’image dans la peau. C’est bon de l’avoir dans notre pays, Unique, sans occuper nos pensées Pour alimenter la différence. Immuable sans occuper nos pensées Et ses disjonctions.
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S e c o n d E s s ay O n I n t e r e s t : T h e E m u Second
essai sur l’intérêt
: L’ é m e u
Weathered blond as a grass tree, a huge Beatles haircut raises an alert periscope and stares out over scrub. Her large olivine eggs click oilily together; her lips of noble plastic clamped in their expression, her head-fluff a stripe worn mohawk style, she bubbles her pale-blue windpipe: the emu, Dromaius novaehollandiae, whose stand-in on most continents is an antelope, looks us in both eyes with her one eye and her other eye, dignified courageous hump, feather-swaying condensed camel, Swift Courser of New Holland. Knees backward in toothed three-way boots, you stand, Dinewan, proud emu, common as the dust in your sleeveless cloak, returning our interest. Your shield of fashion’s wobbly: you’re Quaint, you’re Native, even somewhat Bygone. You may be let live but beware: the blank zones of Serious disdain are often carte blanche to the darkly human. Europe’s boats on their first strange shore looked humble but, Mass over, men started renaming the creatures. Worship turned to interest and had new features. Now only life survives, if it’s made remarkable. Heraldic bird, our protection is a fable made of space and neglect. We’re remarkable and not; we’re the ordinary discovered on a strange planet. Are you Early or Late, in the history of birds which doesn’t exist, and is deeply ancient? My kinships, too, are immemorial and recent, like my country, which abstracts yours in words. This distillate of mountains is finely branched, this plain expanse of dour delicate lives, where the rain, 16
D’un blond défraîchi comme la xanthorrhée, une imposante coupe à la Beatles dresse un périscope en alerte au-dessus des broussailles et scrute alentour. Ses gros œufs en olives font un clic huileux l’un contre l’autre ; ses lèvres pincées en plastique noble, son toupet sur la tête une aigrette style mohawk, il fait gargouiller sa trachée bleu pâle : l’émeu, Dromaius novaehollandiae, dont la doublure sur les autres continents est une antilope, nous regarde dans les yeux avec un œil puis l’autre, bosse digne et hardie, chameau condensé agitant ses plumes, Coursier Rapide de la Nouvelle-Hollande. Les genoux en arrière dans des triples bottes dentées, tu te tiens, Dinewan, orgueilleux émeu, aussi ordinaire que la poussière dans ton manteau sans manches, nous rendant notre intérêt. Le bouclier de ta popularité est branlant : tu es Pittoresque, tu es Indigène, et même un peu Désuet. On peut te laisser vivre mais fais attention : les zones vierges du Mépris sérieux sont souvent des cartes blanches pour ce qu’il y a de sombre dans la nature humaine. Les navires d’Europe la première fois sur un rivage étranger avaient l’air humble mais, la Messe dite, les hommes commencèrent à renommer les créatures. La dévotion devenait intérêt et avait de nouveaux traits. À présent seule la vie survit, si on l’a rendue intéressante. Oiseau héraldique, notre protection est une fable faite d’espace et de négligence. Nous sommes intéressants ou pas ; nous sommes l’ordinaire découvert sur une étrange planète. Es-tu Précoce ou Tardif, dans l’histoire des oiseaux qui n’existe pas et se perd dans la nuit des temps ? Ma parentèle aussi est immémoriale et récente, comme mon pays, qui soustrait la tienne dans des mots. Ce distillat de montagnes se ramifie subtilement, ce déploiement monotone de vies austères et délicates, où la pluie, 17
shrouded slab on the west horizon, is a corrugated revenant settling its long clay-tipped plumage in a hatching descent. Rubberneck, stepped sister, I see your eye on our jeep’s load. I think your story is, when you were offered the hand of evolution, you gulped it. Forefinger and thumb project from your face, but the weighing palm is inside you collecting the bottletops, nails, wet cement that you famously swallow, your passing muffled show, your serially private museum. Some truths are now called trivial, though. Only God approves them. Some humans who disdain them make a kind of weather which, when it grows overt and widespread, we call war. There we make death trivial and awesome, by rapid turns about, we conscript it to bless us, force-feed it to squeeze the drama out; indeed we imprison and torture death – this part is called peace – we offer it murder like mendicants, begging for significance. You rustle dreams of pardon, not fleeing in your hovercraft style, not gliding fast with zinc-flaked legs dangling, feet making high-tensile seesawing impacts. Wasteland parent, barely edible dignitary, the disinterested spotlight of the lords of interest and gowned nobles of ennui is a torch of vivid arrest and blinding after-darkness. But you hint it’s a brigand sovereignty after the steady extents of God’s common immortality whose image is daylight detail, aggregate, in process yet plumb to the everywhere focus of one devoid of boredom
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suaire tendu sur l’horizon occidental, est un revenant plissé qui laisse tomber son long plumage hachuré couleur d’argile. Badaud, sœur de la steppe, je vois ton œil qui regarde le chargement de notre jeep. Je crois que ton histoire c’est que, quand on t’a tendu la main de l’évolution, tu l’as engloutie. Index et pouce pointent de ton visage, mais la paume pour soupeser est en toi qui collecte bouchons, clous, le ciment frais que tu avales notoirement, ton numéro passager en sourdine, ton musée privé en série. Mais aujourd’hui certaines vérités sont dites triviales. Seul Dieu les approuve. Certains humains qui les méprisent créent une sorte de climat que, une fois déclaré et répandu, nous appelons guerre. Alors, avec une rapide volte-face, nous rendons la mort banale et imposante, nous l’enrôlons pour nous bénir, la gavons pour en exprimer le drame ; oui, nous emprisonnons et torturons la mort – cette partie est appelée paix – nous lui offrons des meurtres comme des mendiants, en quête d’importance. Tu fais bruire des rêves de pardon, sans fuir dans ton style aéroglisseur, sans planer vite avec tes pattes aux écailles de zinc pendillant, tes pieds laissant des impacts de haute tension en bascule. Parent du désert, dignitaire guère comestible, le projecteur désintéressé des seigneurs de l’intérêt et des nobles en toges dans l’ennui est une torche de vive suspension et de ténèbres aveuglantes. Mais tu fais comprendre que c’est l’autorité d’un brigand après les fermes extensions de l’immortalité pour tous offerte par Dieu dont l’image est détail diurne, agrégat, en devenir et ne fait pourtant qu’un avec l’attention ubiquitaire de quelqu’un qui jamais ne connaît l’ennui.
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Eagle Pair Couple d’aigles
We shell down on the sleeping-branch. All night the limitless Up digests its meats of light. The circle-winged Egg then emerging from long pink and brown re-inverts life, and meats move or are still on the Down. Irritably we unshell, into feathers; we lean open and rise and magnify this meat, then that, with the eyes of our eyes. Meat is light, it is power and Up, as we free it from load and our mainstay, the cunningest hunter, is the human road but all the Down is heavy and tangled. Only meat is good here and the rebound heat ribbing up vertical rivers of air.
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Nous fondons sur la branche du sommeil. Toute la nuit le Haut infini digère ses viandes de lumière. L’Œuf ailé de cercle émergeant du long rose et brun ré-inverse la vie, et les viandes bougent ou sont immobiles sur le Bas. Avec irritation nous nous déployons, en plumes ; nous nous penchons ouvrons soulevons et amplifions cette viande, puis cette autre, avec les yeux de nos yeux. La viande est lumière, elle est le pouvoir et le Haut, quand nous la libérons de sa charge et notre élément principal, le chasseur le plus madré, est la route humaine mais tout le Bas est lourd et enchevêtré. Seule la viande y est bonne et la chaleur redoublée taquinant des fleuves d’air verticaux.
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Lyrebird O i s e au - ly r e
Liar made of leaf-litter, quivering ribby in shim, hen-sized under froufrou, chinks in a quiff display him or her, dancing in mating time, or out. And in any order. Tailed mimic aeon-sent to intrigue the next recorder, I mew catbird, I saw crosscut, I howl she-dingo, I kink forest hush distinct with bellbirds, warble magpie garble, link cattlebell with kettle-boil; I rank ducks’ cranky presidium or simulate a triller like a rill mirrored lyrical to a rim. I ring dim. I alter nothing. Real to real only I sing, Gahn the crane to Gun the chainsaw, urban thing to being, Screaming Woman owl and human talk: eedieAi and uddyunnunoan. The miming is all of I. Silent, they are a function of wet forest, cometary lyrebirds. Their flight lifts them barely a semitone.
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Menteur fait d’un fouillis de feuilles, qui tremble ossu sur un taquet de la taille d’un poulet sous les froufrous, des interstices dans un pertuis le ou la montrent, dansant en rythme ou non. Et sans ordre précis. Imitateur caudé d’un temps immémorial pour intriguer l’archiviste, je miaule l’oiseau chat, je scie à travers, je hulule la femelle dingo, je dérange le silence net des bois avec des oiseaux cloches, gazouille le bredouillis de la pie, attache la clarine à la bouilloire ; je mets en rang l’excentrique présidium des canards ou simule un faiseur de trilles comme un ruisselet lyriquement réfléchi sur la rive. Je résonne faiblement. Je ne modifie rien. Je ne chante que du vrai avec le vrai, de Gahn la grue à Gun la tronçonneuse, d’une chose à l’être urbain, Femme hibou Hurlant et discours humain : yiidaHeï et youddionnanneun. Tout mon Moi consiste en mimétisme. Silencieux, les oiseaux-lyres cométaires sont une fonction de la forêt pluviale. Leur vol les élève à peine d’un demi-ton.
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M o l lu s c M o l lu s q u e
By its nobship sailing upside down, by its inner sexes, by the crystalline pimplings of its skirts, by the sucked-on lifelong kiss of its toppling motion, by the viscose optics now extruded now wizened instantaneously, by the ridges grating up a food-path, by the pop shell in its nick of dry, by excretion, the earthworm coils, the glibbing, by the gilt slipway, and by pointing perhaps as far back into time as ahead, a shore being folded interior, by boiling on salt, by coming uncut over a razor’s edge, by hiding the Oligocene underleaf may this and every snail sense itself ornament the weave of presence.
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Par son éminence naviguant la tête en bas, par ses sexes intestins, par les boutonnements cristallins de ses jupons, par le baiser suçon de son mouvement branlant sa vie durant, par les optiques visqueux tantôt expulsé tantôt instantanément ratatiné, par les arêtes raclant une piste alimentaire, par la coquille qui explose sortie de l’eau, par l’excrétion, les torsades vermiculaires, la lubricité, par les longines dorées, et parce que c’est un clin-d’œil sans doute autant en arrière dans le temps qu’en avant, un rivage intérieur synclinal, parce qu’il bout sur le sel, parce qu’il reste intact sur une lame de rasoir, parce qu’il cache l’Oligocène dans ses tréfonds, il peut et avec lui chaque limaçon, se sentir un ornement de l’entrelacs de la présence.
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E c h i d na ÉchidnÊ
Crumpled in a coign I was milk-tufted with my suckling till he prickled. He entered the earth pouch then and learned ant-ribbon, the gloss we put like lightning on the brimming ones. Life is fat is sleep. I feast life on and sleep it, deep loveself in calm. I awaken to spikes of food-sheathing, of mulling fertile egg, of sun, of formic gravels, of worms, dab hunting, of fanning under quill-ruff when budged: all are rinds, to sleep. Corner-footed tongue-scabbard, I am trundling doze and wherever I put it is exactly right. Sleep goes there.
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Pelotonné dans un recoin je suis resté empanaché de lait à cause de mon petit jusqu’à ce qu’il pique. Il est alors entré dans la poche de terre et a appris le ruban à fourmis, le fard que nous mettons comme la foudre sur ceux qui débordent. La vie est grasse est sommeil. Je me régale de vie et je la dors, profond amour-de-soi au calme. Je me réveille aux piques des privations de nourriture, du ruminement d’œufs fertiles, du soleil, des graviers formiques, des vers, d’un peu de chasse, de ma gorgerette de piquants qui évente quand elle bouge : tous sont des écorces, du sommeil. Fourreau de langue et pieds en coin, je pousse la somnolence et où que je le mette c’est pile le bon endroit. Le sommeil y va.
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T h e O c tav e O f E l e p h a n t s L’ o c tav e
des éléphants
Bull elephants, when not weeping need, wander soberly alone. Only females congregate and talk, in a seismic baritone: Dawn and sundown we honour you, Jehovah Brahm, who allow us to intone our ground bass in towering calm. Inside the itchy fur of life is the sonorous planet Stone which we hear and speak through, depending our flugelhorn. Winds barrel, waves shunt shore, earth moans in ever-construction being hurried up the sky, against weight, by endless suction. We are two species, male and female. Bulls run to our call. We converse. They weep, and announce, but rarely talk at all. As presence resembles everything, our bulls reflect its solitude and we, suckling, blaring, hotly loving, reflect its motherhood. Burnt-maize-smelling Death, who brings the collapse-sound bum-bum, has embryos of us on its free limbs: four legs and a thumb. From dusting our newborn with puffs, we assume a boggling pool into our heads, to re-silver each other’s wrinkles and be cool.
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Les éléphants mâles, qquand ils n’ont pas besoin de pleurer, errent sobrement seuls. Seules les femelles se réunissent et parlent, en un baryton sismique : Aube et crépuscule nous t’honorons, Jéhovah Brahm, qui nous accorde d’entonner notre basse continue en calme imposant. Sous la fourrure urticante de la vie se trouve la planète sonore Pierre à travers laquelle nous entendons et parlons, en laissant pendre notre bugle. Les vents balaient, les vagues déplacent le rivage, la terre gémit en construction éternelle poussée vers le ciel, contre la gravité, par une succion infinie. Nous sommes deux espèces, mâles et femelles. Les mâles accourent à notre appel. Nous conversons. Ils pleurent et annoncent, mais parlent rarement. De même que la présence ressemble à tout, nos mâles réfléchissent sa solitude et nous, allaitant, beuglant, aimant passionnément, réfléchissons sa maternité. La Mort odeur de maïs-brûlé, qui apporte le son de l’effondrement boum-boum, a nos embryons sur ses membres libres : quatre pattes et un pouce. En époussetant notre nouveau-né avec des bouffées, nous absorbons une mare à reculons dans nos têtes, pour réargenter les rides les unes des autres et rester fraîches.
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M ot h e r S e a L i o n Mère
lion de mer
My pup has become myself yet I’m still present. My breasts have vanished. My pup has grown them on herself. Tenderly we rub whiskers. She, me, both still present. I plunge, dive deep in the Clench. My blood erects. Familiar joy. Coming out, I swim the beach-shingle. Blood subsides. Yet I enjoy still.
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Ma petite est devenue moi-même pourtant je suis encore présente. Mes mamelles ont disparu. Ma petite les a fait pousser pour elle. Tendrement nous frottons nos moustaches. Elle, moi, toutes les deux encore présentes. Je plonge, tout droit dans l’Étreinte. Mon sang s’érige. Joie familière. Sortant, je traverse la plage de galets. Le sang s’apaise. Mais je m’amuse encore.
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Spermaceti C a c h a lot
I sound my sight, and flexing skeletons eddy in our common wall. With a sonic bolt from the fragrant chamber of my head, I burst the lives of some and slow, backwashing them into my mouth. I lighten, breathe, and laze below again. And peer in long low tones over the curve of Hard to river-tasting and oil-tasting coasts, to the grand grinding coasts of rigid air. How the wall of our medium has a shining, pumping rim: the withstood crush of deep flight in it, perpetual entry! Only the holes of eyesight and breath still tie us to the dwarf-making Air, where true sight barely functions. The power of our wall likewise guards us from slowness of the rock Hard, its life-powdering compaction, from its fissures and streamy layers that we sing into sight but are silent, fixed, disjointed in. Eyesight is a leakage of nearby into us, and shows us the tastes of food conformed over its spines. But our greater sight is uttered. I sing beyond the curve of distance the living joined bones of my song-fellows; I sound a deep volcano’s valve tubes storming whitely in black weight; I receive an island’s slump, song-scrambling ship’s heartbeats, and the sheer shear of current-forms bracketing a seamount. The wall, which running blind I demolish, heals, prickling me with sonars. My every long shaped cry re-establishes the world, and centres its ringing structure.
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Je sonde ma vision, et des squelettes flexibles tourbillonnent dans notre mur commun. Avec un verrou acoustique de la chambre fragrante de ma tête, j’explose les vies de certains et ralentis, en les rinçant dans ma gueule. Je m’allège, respire et paresse à nouveau dessous. Et en longs tons bas je scrute la courbe du Dur jusqu’aux côtes qui ont goût de fleuve et de pétrole, aux grandes côtes écrasantes d’air rigide. Notre mur a un rebord si scintillant et si aspirant : résistance à la poussée du vol profond en lui, entrée perpétuelle ! Seuls les trous des yeux et la respiration nous lient encore à l’Air faiseur de nains, où la vraie vue fonctionne à peine. La force de notre mur nous protège pareillement de la lenteur du rocher Dur, son compactage pulvérisant la vie, de ses fissures et de ses couches ruisselantes que nous voyons avec le chant mais dans lequel nous sommes silencieux, figés, décousus. La vue oculaire est une fuite du proche en nous, et nous montre les goûts de la nourriture conformés à ses épines. Mais notre vue supérieure est vocale. Je chante par-delà la courbe de la distance les os joints vivants de mes camarades de chant ; je fais résonner les tubes à valve d’un profond volcan, blanche tempête dans le poids noir ; je reçois l’effondrement d’une île, battements cardiaques d’un navire qui confondent le chant, et les nettes cisailles des formes courantes encadrant un mont marin. Le mur, que je démolis en courant à l’aveugle, guérit, me donnant des irritations de sonar. Chacun de mes longs cris façonnés rétablit le monde et centre sa structure vibrante.
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C u tt l e f i s h Seiche
Spacefarers past living planetfall on our ever-dive in bloom crystal: when about our self kin selves appear, slowing, rubber to pulp, we slack from spear, flower anemone, re-clasp and hang, welling while the design of play is jelling, then enfolding space, jet every way to posit some essential set of life-streaks in the placeless, or we commune parallel, rouge to cerulean as odd proposals of shape and zip floresce – till a jag-maw apparition spurts us apart into vague as our colours shrink, leaving, of our culture, an ectoplasm of ink.
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Voyageurs spatiaux inadaptés pour débarquer sur une autre planète dans notre plongeon éternel cristallisons en fleurs : quand autour de nous des semblables apparaissent, ralentissant, de caoutchouc à pulpe, nous relâchons des lances, fleurissons en anémone, nous resserrons en suspension, gonflant tandis que l’esprit du jeu se gélifie, puis enveloppant l’espace, projetons dans toutes les directions pour postuler un ensemble essentiel de traînées de vie dans le nulle part, ou bien nous communiquons en parallèle, du rouge au céruléen tandis que d’étranges propositions de formes et d’élans fleurissent — jusqu’à ce que l’apparition d’une gueule dentelée nous fasse gicler dans le vague pendant que nos couleurs se contractent, laissant, de notre culture, un ectoplasme d’encre.
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The Fossil Imprint L’ e m p r e i n t e
fossile
The impress of a whelk in hard brown rock, fluted as a plinth. Its life gone utterly, throb, wet and chalk, left this shape-transmission, a kin boat of fine brick. Just off centre is a chip healed before its death. Before some credit help this glazed biographee beat surf-smash, stone rap, maybe even saurid bite in a swamp Antarctic. Here, and where you are, have been Antarctic.
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L’empreinte d’un bulot dans la roche marron foncé, cannelée comme une plinthe. Sa vie entièrement disparue, pouls, humidité et calcaire, a laissé cette transmission par forme, pareille à un bateau en brique fine. Un peu excentré se trouve un fragment cicatrisé avant sa mort. Avant que la foi n’aide cette biographie vernissée à triompher des coups du ressac, des heurts de la pierre, peut-être même de la morsure saurienne dans un marais antarctique. Ici, et là où vous êtes, se trouvait l’Antarctique.
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T h e N e w ly T r a g i c D o d o La
nouvelle tragĂŠdie du dodo
It’s French for sleeping, it’s English for dead, the first extinction the regretful regretted. Trustful island bird, flightless, too long on its pat: survivors-of-the-fittest used to point to all that, but approving any die-out’s now a thing you don’t do; evolution is racist if you think it right through. When we were tough the dodo was grotesque, fat, silly, comical – now it’s proud and brisk. As any being becomes fashionable its weight loses weight, like the sea-supported whale or the Carolina parrot.
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C’est le mot français pour sommeil, c’est le mot anglais pour mort, la première extinction qu’ait regrettée celui qui a des regrets. Oiseau confiant de l’île, coureur, trop longtemps tout seul : les survivants-d’entre-les-adaptés ne manquèrent pas de désigner tout ça, mais approuver une disparition c’est quelque chose qui ne se fait pas ; l’évolution est raciste si on y réfléchit bien. Quand nous étions endurcis le dodo était grotesque, gros, stupide, comique – maintenant il est fier et vif. Quand un être devient chic son poids perd du poids, comme la baleine portée par la mer ou le perroquet de Caroline.
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J e l ly f i s h MĂŠduse
Globe globe globe globe soft glass bowls upside down over serves of nutty udder and teats under the surface of the sun.
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Globe globe globe globe molles coupes de verre à l’envers au-dessus de services de pis enchevêtrés sous la surface du soleil.
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F ru i t B a t C o lo n y B y D ay C olonie
de chauves - souris frugivores de jour
High above its gloom this forest is all hung with head-down ginger bats like big leather bees. In sun to stay drowsy daylong in slow dangle chi-chi as monkeys they blow on sad tin horns, glide, nurture babies, sleep, waiting for their real lives.
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Tout en haut au-dessus de ses ténèbres cette forêt est festonnée de chauves-souris rousses accrochées la tête en bas comme de grandes abeilles de cuir. Au soleil pour rester assoupies toute la journée dans un lent balancement de singes voyants elles soufflent dans de tristes cornes d’étain, planent, nourrissent leurs petits, dorment, dans l’attente de leur vraie vie.
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B i r d S i g na t u r e s S i g na t u r e s d ’ o i s e au x
Tiny spinnakers of blue wrens wag among waves of uncut lawn grass O Dapper lyre bird: wonder what he’s typing there below the study O A shrike thrush whistling so piercingly it unseats the ballast of our mind O Old river port, flooded to mush, with bottles pacing in it as avocets O Wood sawn by Nippon, Oz nail pulled out for a cry: the Nankeen night heron
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Les minuscules spinnakers de roitelets bleus s’agitent parmi les vagues de pelouse en friche O Oiseau lyre pimpant : me demande ce qu’il tape ici sous le bureau O Un pitohui sifflant de façon si stridente qu’il désarçonne le ballast de notre esprit O Vieux port fluvial, englouti en bouillie, avec des bouteilles avançant dedans comme des avocettes O Bois scié par le Nippon, clou aussie arraché pour un cri : le héron nocturne nankin
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Whale Sounding S o n da g e
d e ba l e i n e
Enormous whale vertically diving, thick roof tail spilling salt rain off onto wallowing upthrust all around, bubba dog down.
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Énorme baleine plongeant verticalement, épaisse queue en toit répandant une pluie de sel en une poussée vautrée tout autour, bébé chien dessous.
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Les auteurs
Les Murray Leslie « Les » Allan Murray est né le 17 octobre 1938 dans la ferme de Bunyah à Nabiac en Nouvelles-Galles du Sud. Enfant unique, orphelin de mère à 13 ans, il vit solitaire avec son père dans leur ferme et lit beaucoup. Au cours de ses études à la Sydney University, il édite des revues littéraires, publie ses premiers poèmes et se lie avec de jeunes poètes et, surtout, celui qui sera son mentor, Kenneth Slessor. Il quitte l’église presbytérienne et commence à se tourner vers le catholicisme romain. En 1967, il épouse Valeria Morelli, dont il aura cinq enfants. Il continue d’apprendre plusieurs langues (il parle l’italien, le chinois, l’allemand, l’indonésien, le danois, le malayan…) et travaille comme traducteur scientifique et technique à l’Institute of Advanced Studies de l’Australian National University de Canberra. Grâce à une bourse, il devient écrivain free lance et commence à donner des lectures. Son œuvre est couronnée par de nombreux prix, il est pressenti comme Poet Laureate en remplacement de Ted Hughes et est régulièrement cité pour le prix Nobel. En 1986, il parvient à racheter la ferme de Bunyah que son père avait perdue et vient s’y installer avec sa famille. Il est l’auteur d’une trentaine de recueils.
Camille Gillybœuf Camille Gillybœuf est née le 21 mars 1995 à Talence. Étudiante en arts au Nepean College à Kingswood, en Nouvelle-Galles du Sud, elle explore différentes techniques picturales, inspirée par l’œuvre de « vieux maîtres » tels que Vermeer et Rembrandt, et des artistes contemporains comme Edward Hopper et Rick Amor. En quête de pureté artistique, ses compositions proposent, la plupart du temps, une visée narrative où le sentiment d’émerveillement le partage au mystère. Ses dessins au fusain donnent une impression de mouvement et de réalité, tout en s’en échappant de la plus simple des manières. Elle a déjà participé à plusieurs expositions collectives et s’est vu décerner au printemps 2016 le Marjory Baker Memorial Youth Award pour l’une de ses toiles.
La revue Ce qui reste RALENTIR POÈME
Un poème est un pont jeté en travers du temps Jean-Michel Maulpoix
Prendre le temps de lire un poème est un acte de résistance libérateur, une manière de rester dans l’instant présent, d’échapper à la fuite en avant permanente que nous impose le rythme de notre époque. C’est reprendre sa respiration avec l’inspiration des autres. La revue Ce qui reste, coéditée par Cécile A. Holdban et Sébastien de Cornuaud-Marcheteau, vous propose de marquer cette pause en vous faisant découvrir chaque semaine un auteur. La création n’étant pas que langage, la revue ouvre également son espace à des artistes plasticiens.
© Mars 2016 — Texte : Les Murray Traduction : Thierry Gillybœuf Dessins : Camille Gillybœuf La revue Ce qui reste pour la présente édition www.cequireste.fr — revue.cequireste@gmail.com
« To think clearly in human terms, you must be impelled by a poem. » « Pour penser clairement en termes humains, il faut d’abord qu’on soit poussé par un poème. » Les Murray
Ce
qui
reste