Trimestriel Hiver 2018

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DE LA RADICALITÉ EN LITTÉRATURE

Romancier et critique littéraire

En fin d’ouvrage, la liste des œuvres (plus d’une centaine !) de Jean-Bernard Pouy est un régal. On y trouve le mythique Spinoza encule Hegel, mais aussi ses déclinaisons (À sec ! Spinoza encule Hegel, le retour en 1998, avant Spinoza encule Hegel : avec une poignée de sable, en 2006). Le fameux La Petite écuyère a cafté qui, dans mon souvenir, inaugure la collection Le Poulpe que dirigea Pouy, avec ses titres qui semblaient directement sortis de l’émission Les Papous dans la tête sur France Culture, à laquelle l’auteur participe régulièrement. Comme, par exemple, ce Cinq bières, deux rhums en 2009, valant presque Mes soixante huîtres, publié un an auparavant. Ou Le Petit bluff de l’alcootest en hommage au Petit blues de la côte ouest de Jean-Patrick Manchette, le pape du néo-polar dont Pouy aura été, trente ans durant, l’un des principaux archevêques. PHILIP ROTH DE CALIBRE 22

Il y a quelques années, il publiait Tout doit disparaître, obèse catafalque ou sorte de Pléiade en solde réunissant six de ses principaux romans publiés à la Série noire, tout

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en affirmant, tel un Philip Roth de calibre 22, ou un Simenon plus proche de Simonin, qu’il arrêtait d’écrire, qu’il prenait sa retraite. Tatata ! Le revoici en librairie avec Ma ZAD, hommage à Daniel de Roulet, cet écrivain suisse qui avoua en 2006, dans son livre Un dimanche à la montagne, avoir incendié le chalet du magnat de la presse allemande Axel Springer. Une opération qui, jusqu’alors, était attribuée à la RAF, la Fraction armée rouge… À l’heure où j’écris cet article, le gouvernement n’a pas encore rendu sa décision concernant NotreDame-des-Landes. Mais dans son roman, Pouy a déjà tranché. Il écrit : « J’ai appris que le tribunal administratif ne permettait pas la présentation d’une deuxième enquête publique. Et préconisait qu’un autre emplacement devait être mis à l’étude, moins cher, moins complexe. Le ministre de l’Écologie qui, de son côté, annonçait aussi la décision, prévoyait, en revanche, que les environs feraient partie d’une zone écolo-bio-festive (sic) et pédagogique (of course)… La duplicité du Pouvoir… On déplaçait le problème (…) Ce que l’État ne voulait pas comprendre, c’est qu’on avait, ici,

pris goût à la lutte et au bonheur d’être ensemble, au bonheur de faire ensemble. C’était plié que les zadistes d’ici allaient se déplacer ailleurs. Un certain sens de l’Histoire. » UN CHIEN NOMMÉ BLANQUI

De la radicalité, il y en a aussi dans le nouveau roman de Mazarine Pingeot, Magda, qui s’inspire (« toute ressemblance avec des personnes réelles ne peut être que fortuite ») de l’affaire Tarnac (dont le procès a encore été repoussé). On se demandait ce que la fille de François Mitterrand pouvait raconter à ce sujet, on y est allé voir pour le fun. L’intrigue est cousue de fil blanc, au bout de cinquante pages on avait compris le fin mot de l’histoire. Évidemment, le double romanesque de Julien Coupat est maltraité : « verbeux et imbu de sa personne ». Et les autonomes dans leur désir de « communisme primitif », pas mieux. Selon Mazarine, ils seraient « à l’heure qu’il est moins libertaires en matière de sexualité. On est prude chez les révolutionnaires. Et l’humour y circule difficilement. L’absolu est à ce prix ». Elle ne doit pas beaucoup lire Lundi matin.

Illustration Alexandra Compain-Tissier

arnaud viviant


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