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Passez au vert

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Mer forte

Mer forte

Il est l’un des meilleurs ultra-traileurs de la planète (trois victoires à l’Ultra-Trail du Mont-Blanc en 2013, 2015, 2018, entre autres) mais il a cessé de prendre l’avion pour préserver son terrain de jeu: la nature. Aucun trophée ne le fera changer d’avis. Comment suivre ses traces, même si on n’a pas le même rythme? Le Jurassien XAVIER THÉVENARD, 33 ans, parle du déclic nécessaire pour adopter des comportements verts simples, et ce qu’il lui a fallu pour passer des paroles aux actes.

Texte PATRICIA OUDIT Photos JORDAN MANOUKIAN

Xavier Thévenard, dans la nature où il s’éclate depuis l’enfance, et où il est devenu une figure de l’ultra-trail.

the red bulletin: Xavier, vous venez de courir la Lavaredo, dans les Dolomites en Italie, comment vous sentez-vous pour ce retour aux sentiers?

xavier thévenard: J’ai abandonné au 33e kilomètre. Je n’ai pas encore récupéré de mon Covid, en novembre, j’ai attrapé une forme très virulente, avec des gros problèmes de respiration à ne pas en dormir la nuit. J’ai passé dix jours au lit, mal, très mal. Au bout d’un mois et demi, ça allait mieux, mais ce virus, c’est un peu la roulette russe. Il y a des moments où ça va à peu près, d’autres où je souffre d’oppressions au niveau du thorax. C’est ce qui s’est passé sur cette course, j’ai eu des sensations d’étouffements, et toute mon énergie s’est dégradée. De toutes façons, au niveau plaisir, c’était zéro, donc ça ne servait à rien de continuer…

On sait aujourd’hui qu’il existe un lien entre cette pandémie et la dégradation des écosystèmes par l’homme. Vous avez décidé bien avant le Covid de vous investir pleinement dans la protection de l’environnement. Jusqu’à ne plus prendre l’avion…

C’est une décision que j’ai mûrie depuis des années. L’an passé, je suis allé en Corse en bateau pour ma tentative de record du GR 20*. Je n’ai pas fait ça pour créer le buzz ou la polémique, cela fait partie de mes engagements depuis tout jeune. J’ai toujours eu des convictions écologiques, toujours été un peu militant. Je me souviens qu’au collège et au lycée, j’avais déjà des sujets de discussion sur l’écologie, sur des choses et des actes qui me révoltaient. Par la suite, j’ai été influencé par des gens proches des théories de la décroissance ou de

«On donne des cours sur l’écologie à l’école, c’est bien, mais il faut une connexion physique avec la nature.»

l’effondrement comme Aurélien Barrau ou Pablo Servigne, ce sont des personnalités que je suis sur les réseaux. Ils me semblent aller dans le bon sens.

*ratée d’une heure et 26 minutes en juillet 2020, battue en juin de cette année par le Corse Lambert Santelli en 30 heures et 25 minutes, soit 41 minutes de moins que le record détenu par François D’Haene depuis 2016.

Aller dans le bon sens, ça commence par quoi?

Je ne veux pas donner de leçons, je ne suis pas un porte-parole, mais je considère que ça commence par avoir conscience de ses faits et gestes pour le bien commun. Aujourd’hui, avec cette crise sanitaire, on voit qu’on arrive à le faire: pour le bien commun, on met des masques, du gel hydroalcoolique, pour éviter de se mettre en danger les uns les autres. Pourquoi ne le ferait-on pas pour l’environnement? Pourquoi ne pas se déplacer à pied, à vélo pour aller faire deux ou trois courses et acheter en vrac pour éviter les emballages, tout ce plastique? Il y a 630000 personnes en Europe qui décèdent tous les ans des effets de la pollution, soit 13% de la population: sur la durée, ça tue beaucoup plus que le Covid*. Pourtant, on ne prend pas la mesure de la catastrophe. C’est moins immédiat qu’une pandémie, mais beaucoup plus mortel à terme.

*à titre de comparaison, sur 15 mois, à compter du 1er avril 2020 au 30 juin 2021, le Covid a fait 860000 morts.

Que constatez-vous de ces effets, vous qui êtes en permanence sur le terrain?

Il y a le problème des déchets bien sûr, mais on constate aussi les changements de comportements parmi la faune, c’est le cas pour les oiseaux. On voit régulièrement des moineaux en altitude parce que les températures augmentent, des milans noirs qui sont là toute l’année alors qu’ils partaient migrer en Afrique pour se mettre au chaud. En montagne, les orages violents sont de plus en plus fréquents, en discutant avec les anciens, c’est flagrant, ils disent ne pas avoir connu ça. D’un autre côté, quand on entend les climatosceptiques, on s’aperçoit qu’ils font plein de raccourcis: par exemple, cette année, quand on voit les paquets de neige qui sont tombés, ils en concluent: le dérèglement climatique c’est du pipeau! Sauf que c’est ni plus ni moins qu’un hiver normal, mais comme on n’en a pas eu depuis cinq ans, on finit par penser que c’est exceptionnel. Mais des –20°C dans nos régions, c’est normal! C’est sur le long terme qu’il faut analyser le réchauffement, les causes, les conséquences. Là où je me rassure un petit peu, c’est que je vois encore certaines fleurs que je voyais gamin.

Pouvez-vous nous éclairer sur le rapport bénéfice-contrainte de vos choix? Ne plus prendre l’avion, c’est se priver de compétitions majeures…

Bénéfices? Que des plus. Et contraintes? Franchement, il n’y en a pas tant que ça! Quand je fais huit heures de route pour aller courir la Lavaredo dans les Dolomites, je découvre un univers de fou. Et quand je vois cette nature-là, magnifique, je me dis: a-t-on vraiment besoin d’aller aux États-Unis? Derrière ta maison, il y a tellement à faire! J’ai choisi un sponsor et des partenaires qui me suivent dans mes convictions, qui ne m’imposent pas d’aller à l’autre bout du monde pour faire des courses. Je ne perds pas mon énergie dans les aéroports, en plus je déteste ça, alors pour moi, c’est nickel. Pour l’anecdote, mon beau-père était

«Même pour l’ultra-trail du siècle, je resterai fdèle à mes engagements. Ou j’irai à la voile!»

Sera-t-il à l’heure pour le dîner? Afin de réduire son empreinte carbone, Xavier peut enchaîner des dizaines de kilomètres de course rien que pour rendre visite à sa famille.

avec nous en Italie, il n’a jamais pris l’avion de sa vie, ce n’est pas pour autant qu’il n’est pas ouvert, pas cultivé, pas heureux! On se crée des besoins, comme absolument aller à l’étranger. Pourquoi ne pas casser cette symbolique du tout consommation?

Comment la casser?

Pourquoi ne pas faire des lois: au même titre qu’on n’a pas le droit d’assassiner son voisin, pourquoi ne pas interdire les véhicules hyper-polluants qui sont néfastes pour le bien commun et tuent à petit feu. Si on va un peu loin, on participe tous à la destruction des espèces humaines et animales. Essayons de ringardiser cette image d’accumulation de biens de consommation. Dire que faire son jardin, cultiver ses légumes, c’est la classe! s’il y a un plateau d’anthologie, je resterai fidèle à mes engagements. Ou alors, j’irai à la voile! Un de mes sponsors, Julbo, a de bons skippeurs, il y a peutêtre moyen de goupiller un truc!

Comment réagit la communauté trail à vos engagements? Y a-t-il une prise de conscience?

Globalement oui de la part des coureurs, et y compris dans l’organisation des grandes courses, de plus en plus propres. Mais il y a encore des comportements choquants. Sans nommer personne, quand je vois sur Insta des traileurs faire les kékés avec leur grosse BMW, Mercedes ou faire de la moto trial sur les chemins, je me dis que l’image véhiculée n’est pas la bonne. Lorsqu’on pratique un sport comme le trail, où on est en permanence dans la nature, on ne peut pas utiliser sa notoriété à ça.

En termes d’écologie, nul n’est irréprochable. Quels choix faites-vous dans votre vie quotidienne pour consommer moins, mieux?

Je ne suis pas exemplaire, bien sûr, c’est impossible de l’être à partir du moment où l’on consomme. Mais on peut faire en sorte de se fixer quelques objectifs faciles à atteindre dans sa vie de tous les jours. Le problème, c’est qu’on va forcément se heurter à des paradoxes, à des méthodes contre-productives. Par exemple, avec ma copine qui est architecte, on est en train de rénover une vieille ferme, avec l’envie d’en faire une maison autonome, passive, sans déperdition d’énergie. Il y a beaucoup de travail en amont sur le choix et l’utilisation des matériaux, sur les techniques. Mais pour le terrassement, on est obligés de faire venir des pelleteuses, néfastes pour l’environnement… Ce qui est contradictoire avec notre projet d’éco-durabilité. Pour faire du propre aujourd’hui, il faut encore passer par du sale.

Comment discutez-vous de cette problématique avec vos sponsors?

Mon nouvel équipementier, On, veut bien faire les choses, c’est pour ça que je me suis engagé avec eux. L’idée est d’aller vers le 100% recyclable, ce qui est déjà le cas avec un modèle de chaussures. Il y a d’autres démarches en cours pour limiter le packaging, ce beau carton… qui va finir à la poubelle.

Question avocate du diable: on vous propose l’ultra-trail du siècle à l’autre bout du globe, vous faites quoi?

Par rapport à l’avion, je me laisse juste la possibilité d’une urgence familiale (les parents de Xavier vivent en Corse, ndlr), un problème de santé… Sinon, même

«Je ne suis pas exemplaire, c’est impossible de l’être à partir du moment où l’on consomme.»

De la même manière, comment un circuit mondial de trail peut réduire son empreinte carbone?

J’avais évoqué l’idée d’un circuit trail par continent, avec l’idée de rassembler les meilleurs sur un seul championnat du monde dans un seul pays. Ce serait une solution pour limiter les déplacements. Je pense que ça peut le faire pour des trails pas trop longs, des 30 ou des 50 km, mais que cela ne fonctionne pas pour les ultras: dans ce genre de format, il faut venir avec 100% de motivation, avec ses tripes, et on ne peut pas imposer à un coureur de venir, surtout si c’est à l’autre bout du monde, dans un désert ou un spot qui lui déplaira, dans lequel il aura zéro sensations. L’ultra nécessite déjà de s’entraîner dans des univers hostiles, dans la plus extrême difficulté, si en plus on doit courir 170 bornes sans prendre aucun plaisir… C’est de la torture. Il faut que les parcours nous fassent vibrer, en termes de décor, d’atmosphère. Moi, j’ai la chance d’avoir l’UTMB (Ultra-Trail du Mont-Blanc) à côté… Mais un Américain va larguer pas mal de gaz à effet de serre en volant jusqu’à chez nous.

Parlez-nous de votre engagement auprès des associations Mountain Riders et Une Bouteille à la mer, de vos prises de parole dans les écoles. Que dites-vous à ces jeunes?

Ce sont essentiellement des élèves de primaire et de collège, des publics auxquels je suis un peu habitué en tant qu’éducateur sportif. Je préfère montrer que dire, alors souvent, je les emmène dans la nature. On fait un peu de plogging (ramassage des déchets en marchant ou en courant, ndlr) que je pratique personnellement à chaque sortie. Je crée des équipes pour rendre le tout plus ludique, à celles qui ramassent le plus vite, je leur explique en passant combien de temps un déchet met à se dégrader… Je les amène dans une forêt bien rangée et bien droite d’épicéas, aménagée par l’homme et dans une autre zone sauvage et par la simple observation des sols, ils se rendent compte que l’empreinte humaine n’est pas forcément une bonne chose, que ça appauvrit. Juste à travers une balade, les sensibiliser à l’environnement, c’est déjà ça. J’ai des gamins parisiens qui n’ont jamais vu une vache en vrai et qui s’émerveillent de tout sur leur chemin… On devrait fondamentalement revoir notre rapport à la nature, faire en sorte que dès le plus jeune âge, on touche la terre de ses mains: on donne des cours sur l’écologie à l’école, c’est bien, mais il faut une connexion physique avec la nature.

Cette nature est votre terrain de jeu depuis toujours…

J’ai toujours baigné dedans, à faire des cabanes dans les bois, à soigner le petit corbeau tombé de son nid et à en faire un compagnon de jeu, à apprivoiser le marcassin abandonné et recueilli par ma mère et qui a fini par s’amuser avec notre chien. Tout ça m’a ancré dans la terre, m’a éveillé, émerveillé. Et quand tu es émerveillé, tu fais tout pour que ça dure, perdure, que le joyau ne soit pas abîmé. On ne peut pas se lasser de tout ça. Tous les mois de juin, l’odeur des foins me fait retomber en enfance.

«J’ai beau être ultra-traileur, 80 kilomètres en courant, ça pique un peu!»

À propos, connaissez-vous votre empreinte carbone? A-t-elle baissé ces dernières années?

Très bonne question! Il faut que je fasse le point à la fin de l’année. Pour le moment, on est à sept mois de l’année 2021, et mon plus gros voyage, c’est les huit heures de voiture que je viens de faire pour aller en Italie. On peut rajouter les quelques allers-retours Alpes et Jura en voiture, mais dès que j’ai pu, j’y suis allé à vélo, voire à pied. J’ai beau être ultra-traileur, ça fait quand même 80 kilomètres! Ça pique un peu. Après, avec ma copine, on fait un maximum de co-voiturage.

À tous les gens qui courent et marchent dans la nature, où qui souhaitent s’y aventurer désormais, qu’avez-vous envie de dire?

Observez, regardez! Prendre conscience de la beauté de la nature, s’imprégner de tout ça, et se dire qu’on est privilégiés. Et qu’on va tout faire pour le rester. Instagram: @xavierthevenard

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