12 minute read

À son tour de briller

En devenant le plus jeune vainqueur d’une compétition de F1 à l’âge de 18 ans, MAX VERSTAPPEN est vu comme l’Élu, voué à régner en maître sur les championnats du monde. Et l’année 2021 pourrait être celle du couronnement du Néerlandais. L’impétueux pilote qui avait tant de mal à contenir son impatience affiche à présent un calme olympien. Un Max de zen…

Dans un peu plus de 96 heures, ici à Monaco,

les concurrents s’élanceront pour le plus glamour des Grands Prix de F1. En raison des restrictions liées à la crise sanitaire, le terrain de jeu des stars et de la jet-set sur la Côte d’Azur n’accueillera pas les fastes habituels qui accompagnent la plus insolente des démonstrations de consommation ostentatoire dans le monde des sports mécaniques. Mais le niveau de la compétition reste spectaculaire. Pour Max Verstappen, ce week-end est un tournant décisif: à 23 ans, le pilote Red Bull Racing est impliqué dans son premier véritable duel pour la tête du championnat depuis ses débuts en 2015. Difficile de le croire quand on l’aperçoit à la marina du port de Fontvieille, car le Néerlandais dégage une incroyable sérénité. Retour sur la course qui a libéré le nouveau Max.

En route vers une victoire éventuelle, six ans après l’accident spectaculaire qui a marqué ses premiers pas dans la compétition à l’âge de 17 ans, Max Verstappen est le favori du Grand Prix de Monaco 2021.

GETTY IMAGES O n ne s’attendrait pas à une telle sérénité de la part d’un pilote automobile qui considère habituellement que tous les coups sont permis et accorde peu d’importance à la réputation prestigieuse de ses rivaux. Dès son arrivée dans le monde de la F1, Max Verstappen a remporté des courses. Il a d’ailleurs battu le record du monde du plus jeune vainqueur à l’âge de 18 ans, ce qui lui a valu le qualificatif de «futur champion». Mais il aura fallu attendre cette année pour que les étoiles s’alignent et transforment le poids de cette destinée en possible réalité.

L’an dernier, de nouvelles réglementations ont bouleversé le monde de la F1. Après que le fournisseur de pneumatiques Pirelli a dévoilé ses inquiétudes concernant les charges aérodynamiques infligées aux pneus des voitures de F1 les plus rapides jamais construites, des modifications ont dû être apportées aux monocoques afin de réduire drastiquement la déportance. Mercedes, septuple champion des constructeurs, et Lewis Hamilton, son septuple champion du monde, ont été les plus affectés, car les obscurs changements affectant les dimensions du fond plat et les écopes de frein arrière ont fait perdre aux Flèches d’Argent leur avantage historique, plaçant Hamilton à portée de volant.

Pour l’équipe de Max Verstappen, ce vent de nouveauté a été plus clément. Totalement repensé, le groupe propulseur Honda a métamorphosé la Red Bull Racing RB16 2020: autrefois capable de faire monter Max Verstappen sur le podium, mais rarement à la première place, cette voiture est devenue une concurrente féroce de Mercedes, que ce soit en termes d’élégance, de puissance ou de rapidité. Or, si Max Verstappen dispose désormais d’une arme redoutable pour renverser le maître incontesté Hamilton, en ce jour de Grand Prix à Monaco (le 23 mai), le pilote Red Bull se trouve toujours à 14 points du champion en titre après les premières courses de la saison.

Dès l’ouverture du championnat à Bahreïn, Max Verstappen a affiché ses intentions en s’emparant avec panache de la pole position. Le rusé Lewis Hamilton a alors manœuvré pour piéger le jeune pilote dans un dépassement tardif un peu approximatif qui a assuré la victoire au Britannique. Max Verstappen a riposté pendant la course suivante à Imola, jouant des coudes dès le départ avec Lewis Hamilton qui avait cette fois pris la pole position, ce qui a propulsé le Néerlandais vers une victoire incontestée tandis que son rival devait se contenter de la deuxième place.

Cependant, si cette rencontre éprouvante a montré que le pilote Red Bull ne se laisserait pas facilement intimider, les deux manches suivantes, qui ont eu lieu au Portugal et en Espagne, ont été de véritables master class dispensées par Lewis Hamilton.

De son côté, Max Verstappen n’a eu de cesse d’accumuler les erreurs mineures: un léger dérapage au tour 14 sur le circuit portugais, puis un moment de confusion lors d’un appel au stand et une roue avant droite bloquée pendant son out lap à Barcelone. Ces petits soucis ont suffi pour apporter la victoire à l’invulnérable représentant de Mercedes dans la lutte la plus acharnée qu’ait connue le championnat de F1 depuis dix ans.

Aujourd’hui, alors qu’il s’apprête à prendre le départ sur le circuit de Monaco, le jeune Néerlandais n’attend qu’une chose: la rédemption. Toutefois, un problème persiste: Max Verstappen n’a jamais brillé ici et il n’a jamais pu accéder au podium. Pour garder Lewis Hamilton à l’œil et éviter qu’un désagréable écart de 14 points ne devienne irrattrapable, Max Verstappen doit puiser au plus profond de lui-même.

«Monaco, c’est un événement unique, répond Max Verstappen quand on lui demande ce qu’il attend du week-end. La piste est vraiment serrée. Il y a d’autres circuits urbains, mais rien d’aussi marqué. On ne peut pas se sentir plus à l’étroit qu’à Monaco. Surtout pendant les qualifications, lorsqu’on

«La saison va être longue et on ne peut pas se permettre de faire de grosses erreurs.»

À gauche: Max Verstappen, contemplatif au port de Fontvieille (Monaco), quelques jours avant le début du Grand Prix iconique de la principauté.

Devant le virage: Max Verstappen précède Valtteri Bottas, pilote Mercedes AMG Petronas, au niveau de la fameuse chicane pendant le premier tour de la course.

repousse toutes les limites.» Mais alors que la vision des murs qui se rapprochent dangereusement pouvait autrefois l’inciter à relâcher l’accélérateur et jouer son va-tout, Max Verstappen arbore un comportement différent cette année. Finies les démonstrations régulières de son tempérament volcanique. Fini l’entêtement qui l’a conduit à ignorer sciemment les drapeaux jaunes dans sa course vers la pole position au Mexique il y a deux ans, ou encore son obstination qui l’a relégué à la quatrième position sur la grille de départ. Tout cela a laissé place à un nouvel équilibre et une zénitude axée sur ce qu’il appelle «choisir le moment où l’on va briller».

«Vous devez comprendre que si ce n’est pas votre jour, il n’y a rien à faire. Il faut se contenter de ce que l’on a, explique-t-il. Jusqu’à l’an dernier, nous savions que nous ne pouvions pas remporter le championnat. Dans ce type de situation, vous sautez sur toutes les points chaque week-end, même si nous ne réalisons pas la course parfaite. C’est une approche différente.» Cette vision des choses paraît à des années-lumière du Max Verstappen connu pour avoir menacé de frapper son rival Esteban Ocon après que le Français l’a percuté pendant le Grand Prix du Brésil en 2018, ou pour avoir tout risqué lors d’un dépassement tardif, brutal et ultraserré de la Ferrari de Charles Leclerc pour s’assurer la victoire lors du Grand Prix d’Autriche de 2019. Pour Max Verstappen version 2021, une seule chose compte: l’âpre lutte qui l’oppose à Lewis Hamilton.

«Je me retrouve face à un septuple champion qui ne manque pas d’expérience, mais je dois tout mettre en œuvre pour le battre. Quand la victoire n’est pas envisageable, il faut se contenter du meilleur résultat possible, car la saison va être longue et on ne peut pas se permettre de faire de grosses erreurs, analyse-t-il. Lewis sait lui aussi parfaitement choisir ses moments et garder la tête froide quand ce n’est pas le jour et qu’il faut tout de même aller chercher des points.»

Jeudi après-midi. Alors qu’il reste 72 heures avant le début de la course, la probabilité d’une issue positive est mise à rude épreuve. Le nouveau coéquipier de Verstappen, Sergio Pérez, est le plus rapide lors de la première session d’essais libres du weekend, mais dans l’après-midi, les deux Red Bull perdent le rythme. Sergio Pérez termine neuvième. Max Verstappen fait un peu mieux avec sa quatrième place, mais il reste toujours à quatre longs dixièmes de Charles Leclerc qui mène la danse avec sa Ferrari.

Et surtout, il est juste derrière Lewis Hamilton. «Nous sommes trop lents, déplore-t-il. D’habitude, je me sens assez à l’aise dans la voiture, je trouve mon rythme rapidement, mais pas cette fois-ci. Ça ne me plaît pas. C’est le weekend le plus difficile de la saison.»

Et en alimentant la guerre psychologique, Lewis Hamilton ne fait rien pour simplifier les choses. Lorsqu’on l’interroge sur les duels musclés qui se déroulent sur le circuit, le pilote Mercedes tente de prendre l’ascendant. «Je pense avoir réussi à éviter tout accident éventuel, affirme-t-il. Mais il nous reste 19 courses, et un accrochage est toujours possible. [Max] a peut-être le sentiment d’avoir beaucoup à prouver. Je ne suis pas dans

occasions pour gagner… au risque de tout perdre. Enfin pas vraiment, mais vous franchissez les limites pour tenter d’obtenir un meilleur résultat. Aujourd’hui, notre voiture peut clairement concurrencer Mercedes. C’est plus qu’un miracle occasionnel. Nous devons veiller à engranger au moins quelques

«À présent, notre voiture peut enfn concurrencer Mercedes.»

La Red Bull Racing RB16 a été modifiée pour la saison 2021 du championnat. Elle dispose notamment de nouveaux sidepods et d’un groupe propulseur Honda amélioré.

«Il existe d’autres circuits urbains, mais on ne peut pas se sentir plus à l’étroit qu’à Monaco.»

Sur le circuit étriqué et tortueux de Monaco, qui s’étend de MonteCarlo jusqu’au quartier voisin de La Condamine, il est pratiquement impossible de doubler.

On prend Verstappen de haut: le pilote néerlandais s’en va célébrer son butin à Monaco. Et envisage déjà la suite, dans un mode apaisé.

la même position que lui.» Max Verstappen sourit et refuse de mordre à l’hameçon. «Nous avons combattu avec ardeur et évité les contacts chacun de notre côté. Espérons continuer comme ça afin de rester tous deux sur le circuit et poursuivre notre affrontement.»

Pendant les qualifications du samedi, Max Verstappen confirme sa réputation de futur champion qui le suit depuis qu’il a été le plus jeune vainqueur dans cette catégorie lors du Grand Prix d’Espagne 2016. Les qualifications, c’est le moment où les vrais champions de F1 excellent.

Les courses de F1 modernes sont des exercices de maîtrise technique qui englobent des notions extrêmement complexes de gestion des pneumatiques, d’économie de carburant, ou encore de déploiement de l’énergie tactique des groupes propulseurs hybrides. De leur côté, les qualifications sont la substantifique moelle de la course: elles représentent l’alliance entre l’homme et la machine, avec la plus petite quantité de carburant possible, et un engagement absolu aux limites de l’adhérence. Or, sur le circuit de Monaco où il est quasiment impossible de doubler et où les résultats reflètent régulièrement la grille de départ, les qualifications sont primordiales.

Cette étape se solde par l’élimination des cinq pilotes les plus lents après chacune des deux premières séances, laissant au final les dix meilleurs se battre pour la pole position pendant douze minutes d’une intensité incroyable. Ratez vos qualifications, comme Max Verstappen en 2016, et vous feriez tout aussi bien de rester au lit le dimanche.

Réussissez-les, et l’un des prix les plus prestigieux dans le milieu des sports mécaniques est soudain à votre portée. À Monaco, où les risques sont sensiblement accrus du fait de la proximité des rails et où les erreurs ne pardonnent pas, Max Verstappen choisit son moment pour briller… ou presque.

Après avoir réussi haut la main les deux premières séances, il se maintient lors de la phase finale des qualifications et réussit à surpasser le héros local, Charles Leclerc, qui détenait le meilleur temps provisoire. Max Verstappen est 1500 millièmes de seconde plus rapide que le Monégasque pendant le premier des trois secteurs du circuit – le retard de jeudi est de l’histoire ancienne – mais devant lui, Charles Leclerc heurte violemment le rail de la piscine. Dès que sa Ferrari accroche le rail à l’extérieur, le drapeau rouge est levé. Cela signe la fin du tour de Max Verstappen et le cantonne à la deuxième place sur la grille de départ. Mais s’il éprouve de la frustration, le jeune Néerlandais n’en laisse rien paraître. Devant la presse, Verstappen ne blâme absolument pas le pilote de la Ferrari, affirmant qu’il n’y avait aucune raison de révoquer sa pole position.

«Une action intentionnelle mérite certainement la révocation. Or, ce n’était pas le cas ici. Charles n’avait rien prémédité, explique-t-il aux journalistes à l’affût de la controverse. Nous repoussons tous les limites, et une erreur est vite arrivée. Dans l’ensemble, je suis très content.» On peut dire que Verstappen a un bon karma. Notons par ailleurs que Lewis Hamilton, mécontent de sa voiture, se trouve cinq places plus loin sur la grille.

Dimanche. Il reste trente minutes avant le début de la course. La pit lane ouvre et les voitures s’engouffrent sur la piste pour accéder à la grille de départ. Alors que Charles Leclerc monte la côte en direction de la place du Casino, on entend son cri de désespoir jaillir de la radio. «Non, non, non, pas la boîte de vitesses!» Le pilote Ferrari se réengage dans la pit lane et le diagnostic tombe: l’arbre de transmission a été endommagé par l’accident de la veille. Max partira donc en tête de la course.

Lorsque les lumières s’éteignent, le Néerlandais brille une fois de plus. Après avoir rapidement fermé la porte à tout débordement éventuel, il mène la course avec brio. Et pendant que Lewis Hamilton se retrouve coincé derrière des voitures plus lentes et lambine à la septième place, Max Verstappen prend confiance et remporte avec élégance et sans coup férir sa première victoire à Monaco.

En cette fin de week-end, Verstappen domine la saison 2021, quatre points devant Hamilton: le champion immortel vacille. Max Verstappen version 2021 sera peut-être le pilote qui rapportera enfin un titre à Red Bull après huit ans de disette. Mais en ce dimanche à Monaco, le Néerlandais ne veut pas trop s’avancer… Depuis, et au moment où nous bouclons ce numéro, il a aussi remporté les GP de France, de Styrie et d’Autriche.

«Je veux juste me concentrer sur la course à venir, déclare-t-il. Je refuse de mettre une pression inutile sur quiconque ou de parler à tort et à travers. Je n’ai pas besoin de battage médiatique. Rêver? Ça ne mène nulle part.» verstappen.com; redbull.com

This article is from: