Nietzsche, La volonté de puissance

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qui fait mal; c'est la notion, acquise par l'expérience, des suites néfastes qu'une blessure peut avoir pour l'ensemble de l'organisme, c'est cette notion qui parle dans l'ébranlement profond appelé déplaisir (pour les influences nuisibles demeurées inconnues à l'humanité ancienne, par exemple celles de produits chimiques vénéneux, nouvellement combinés entre eux, l'expression de la douleur manque totalement - et cependant nous sommes perdus... ). Ce qu'il y a de véritablement spécifique dans la douleur, c'est le long ébranlement, la répercussion d'un choc qui éveille la peur dans le foyer cérébral du système nerveux. - Ce ne sont en somme pas les causes de la douleur qui vous font souffrir (une blessure quelconque, par exemple), mais le long dérangement de l'équilibre qui se produit à la suite de ce choc. La douleur est une maladie des centres nerveux cervicaux, - le plaisir n'est nullement une maladie... - Que la douleur donne lieu à des réflexes, l'apparence peut le faire croire et même le préjugé des philosophes; mais, dans des cas soudains, si l'on observe exactement, on s'aperçoit que le réflexe arrive visiblement avant la sensation de douleur. Je serais en mauvaise posture si, quand je fais un faux pas, il me fallait attendre jusqu'à ce que ce geste mette en mouvement la cloche de la conscience et me retélégraphie ce que j'ai à faire. Au contraire, je distingue aussi exactement que possible que, ce qui se fait d'abord, c'est le contre-mouvement du pied, pour éviter la chute et que ce n'est qu'ensuite, dans un laps de temps évaluable, qu'une vibration douloureuse se fait sentir à la partie antérieure de la tête. On ne réagit donc pas contre la douleur. La douleur est projetée après coup dans la partie blessée: - mais, malgré cela, l'essence de cette douleur locale n'est pas l'expression de l'espèce à quoi appartient cette douleur locale; c'est un simple signe local, dont l'intensité et le degré sont conformes à la blessure que les centres nerveux en ont reçue. Le fait que, par suite de ce choc, la force musculaire de l'organisme diminue d'une façon évaluable ne permet nullement encore de chercher l'essence de la douleur dans une diminution du sentiment de puissance... Encore une fois, on ne réagit pas contre la douleur: le déplaisir n'est pas une " cause " des actions. La douleur elle-même est une réaction, le contre-mouvement est une autre réaction antérieure, - tous deux partent de points différents...

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