d'ou viennet les inegalites entre les femmes et les hommes?-2018

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ETAT DE LA QUESTION

D’OÙ VIENNENT LES INÉGALITÉS ENTRE LES FEMMES ET LES HOMMES ?

L’ÉCART SALARIAL COMME MARQUEUR DES INÉGALITÉS DE GENRE

Corentin DELMOTTE

DÉCEMBRE 2018

ER Gilles Doutrelepont13 Bd de l’Empereur1000 Bruxelles
SOMMAIRE 1. Introduction 3 2. L’écart salarial : chiffres et méthode de calcul 4 2.1. Méthode de calcul 4 2.2. Les chiffres en Belgique 4 3. Explications de l’écart salarial 6 3.1. Décomposition de la partie expliquée de l’écart salarial 6 3.2. Décomposition de la partie inexpliquée de l’écart salarial 7 3.2.1. le patriarcat, ou la domination historique du masculin sur le féminin 7 3.2.2. La maternité et la construction des congés de maternité et de paternité 7 3.2.3. Les stéréotypes intériorisés 8 3.3. Conclusion 9 4. Quels défis pour le monde politique 9 4.1. La lutte contre les discriminations salariales pures 9 4.1.1. A l’international 9 4.1.2. Dans les pays européens 10 4.1.3. En Belgique 11 4.2. La lutte contre les emplois à temps partiels non volontaires 12 4.3. Les inégalités dans la sphère privée 12 4.4. La naissance d’enfants et les congés afférents 13 4.5. La représentation des femmes en politique 15 4.6. L’écart global de richesse 16 5. Conclusion 16

1. Introduction

L’écart salarial est un concept relativement connu de tous. Il repose sur le constat, avéré qu’il existe un écart de salaire entre une femme et un homme. En Belgique, il était, pour 2014 (dernier chiffre disponible) de 20,6%1

L’écart salarial est généralement calculé sur base du salaire global gagné par les femmes sur une année comparé au même salaire des hommes (quels que soient leur contrat, temps de travail, composition de famille, avantages extralégaux, etc.).

Si l’écart salarial peut s’expliquer par diverses raisons objectivables, il n’en demeure pas moins qu’il reste de multiples zones d’ombre. Des zones d’ombre qui impose d’aller chercher plus loin dans les inégalités de genre les causes profondes de cet écart.

Qu’est-ce qu’une inégalité de genre ?

Une inégalité de genre, c’est considérer un individu, féminin ou masculin, uniquement selon les rôles sociaux attribués aux personnes du même sexe, sans tenir compte de ses singularités propres. En d’autres termes, l’individu est restreint et uniquement défini par à sa catégorie sexuelle : femme ou homme.

Les inégalités de genre se concrétisent à travers d’innombrables situations.

Une jeune femme à laquelle on préfèrera embaucher un jeune homme, tout simplement parce que pèse sur ses épaules le soupçon de tomber enceinte, d’être soit disant moins présente, moins investie dans son travail.

Un homme qui ne pourra s’investir auprès de ses enfants car le ménage a trop besoin de son plus gros salaire. C’est donc forcément la maman qui s’arrête de travailler, met entre parenthèses sa carrière et ses ambitions professionnelles. Ni le papa, ni la maman ne le souhaite. Mais c’était le choix le plus raisonnable.

C’est aussi un conseil d’administration d’une grosse entreprise privée qui est composé à 95% d’hommes. Les femmes sont pourtant plus nombreuses à sortir des universités chaque année. On appelle cela le plafond de verre ou la ségrégation verticale. En d’autres termes, les femmes ont beaucoup moins de chances que les hommes d’atteindre des hautes fonctions.

Il existe tant d’autres exemples d’inégalités auxquelles les femmes font majoritairement face quotidiennement. Audelà des constats, l’intérêt est surtout de savoir d’où viennent ces inégalités et de savoir comment les déconstruire.

D’où viennent ces inégalités de genre ?

Une question simple et qui en appelle d’autres : comment ont-elles pu s’imposer alors qu’elles étaient quasi inexistantes à l’aube de nos sociétés civilisées ? Surtout, comment peuvent-elles se maintenir alors que la société est pleinement consciente des inégalités reposant sur le genre ?

Parmi toutes les questions relatives aux inégalités entre les femmes et les hommes, celle de l’écart salarial présente un intérêt particulier. L’écart salarial est autant la cause que la conséquence des inégalités de genre. De sorte que décomposer l’écart salarial, c’est décomposer ces inégalités.

La présente note souhaite donc, en analysant et décortiquant l’écart salarial entre les femmes et les hommes, mettre en lumière les inégalités de genre et les défis globaux qu’elles représentent, à l’échelle de la société. Pour ce faire, le texte est divisé en trois parties.

La première expose ce qu’on entend concrètement par écart salarial : comment il est calculé, ce qu’il signifie fondamentalement et quels en sont les chiffres et grands enseignements pour la Belgique. De même, y sont exposées les limites de l’exercice.

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1 Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, L’écart salarial entre les femmes et les hommes en Belgique, rapport 2017, page 8.

La deuxième partie s’attarde à décortiquer l’écart salarial. D’un côté, il existe une part objectivables, définie selon des facteurs connus, chiffrés et vérifiables. Ils seront exposés dans le détail. D’un autre côté subsiste une part encore inexpliquée et probablement subjective. Quelle est sa proportion, quel mystère l’entoure ? Cette deuxième partie avance des éléments de réponse.

Enfin, l’écart salarial présente des défis pour la société et le monde politique en particulier. La troisième partie cible les enjeux entourant l’écart salarial et propose quelques pistes pour le mettre en perspective et y apporter des solutions durables, solidaires et justes.

2. L’écart salarial : chiffres et méthode de calcul

2.1. Méthode de calcul

« L’écart salarial est calculé sur l’ensemble des travailleurs, quels que soit le métier, le secteur d’emploi, la mesure dans laquelle la fonction est dirigeante ou pas, etc. »2. Il ne s’agit pas d’un outil mesurant la manière dont les inégalités professionnelles se manifestent entre femmes et hommes. Il ne détermine pas non plus les raisons pour lesquelles ces inégalités se créent. Il s’agit simplement de comparer les salaires horaires et annuels entre les femmes et les hommes.

Le calcul est généralement ventilé selon deux aspects : le salaire horaire brut d’un côté, le salaire annuel brut de l’autre. Bien souvent, il existe un fossé important entre ces deux mesures. Il s’explique par la prise en considération, pour le salaire annuel, du temps partiel, massivement féminin (plus de 80% des emplois à temps partiel sont occupés par des femmes)3. C’est dont bien sur base annuelle que transparaît le mieux la réalité de l’écart salarial.

L’outil qu’est le calcul de l’écart salarial a donc ses limites, mais il permet d’aborder, de manière crédible, la discrimination fondée sur le genre à l’aune des inégalités salariales et de réaliser un instantané de celles-ci. Sa décomposition en facteurs explicatifs rend compte assez exhaustivement de l’ensemble des inégalités auxquelles femmes et hommes font face.

2.2. Les chiffres en Belgique

Selon le rapport 2017 de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes et du SPF Emploi, en collaboration avec le Bureau fédéral du Plan4, l’écart salarial était, en Belgique, pour 2014, de 7,6% sur base horaire. Il était de 20,6% sur base annuelle.

L’écart salarial a considérablement diminué depuis les années 905 et la Belgique est plutôt bon élève en se plaçant sous la moyenne européenne. Globalement, le signal est donc plutôt positif. Toutefois, ces données restent très inquiétantes. La Belgique se classe ainsi 31e au classement du Forum économique mondial6, soit un recul de 11 places par rapport à ce même classement en 20067. Surtout, la diminution de l’écart salarial s’essouffle. Elle est à ce point devenue peu significative ces dernières années que de nombreux observateurs parlent de stagnation plus que de diminution. Qui plus est, cette très légère diminution semble en partie due à la précarisation du travail des hommes et non à une réduction structurelle des inégalités de genre conduisant à l’écart salarial. Selon l’enquête EU-SILC 20178, la part des femmes parmi les travailleurs précaires était, en 2017, de 4,7%. Ce chiffre est en diminution depuis 2008 (-0,4%). Or, elle a augmenté dans le même temps pour les hommes (+0,9% de 2008 à 2017). L’écart entre travailleuses et travailleurs pauvres s’est à ce point réduit qu’il a même fini par s’inverser.

2 http://igvm-iefh.belgium.be/fr/activites/emploi/ecart_salarial, consulté le 12 janvier 2018.

3 Voir infra.

4 http://igvm-iefh.belgium.be/sites/default/files/downloads/rapport_ecart_salarial_2017.pdf, page 8, consulté le 12 janvier 2018.

5 https://igvm-iefh.belgium.be/fr/activites/emploi/ecart_salarial/etat_des_lieux_en_belgique, consulté le 7 décembre 2018.

6 World Economic Forum (WEF), The Global Gender Gap Report, 2017, page 10.

7 Idem, page 84.

8 http://appsso.eurostat.ec.europa.eu/nui/submitViewTableAction.do, consulté le 7 décembre 2018.

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2010 2011 2012 2013 2014 Ecart salarial en salaires horaires 9,8% 9,7% 8,6% 8,0% 7,6% Ecart salarial en salaires annuels 22,8% 22,0% 21,8% 20,9% 20,6%

Aujourd’hui, il y a plus de travailleurs pauvres que de travailleuses pauvres.

Le tableau ci-dessous9 expose qu’il y a plus d’hommes que de femmes parmi les travailleurs (bien que les femmes représentent plus de la moitié de la population belge), mais ces 48,49% de femmes ne représentent que 40,89% de la masse salariale. Presque 60% des salaires sont captés par les seuls 51,51% d’hommes qui travaillent. Le nombre de jours ouvrables rémunérés indique l’inégalité de la répartition du temps de travail. Près de 44% de celui-ci est presté par des femmes contre plus de 56% pour les hommes. Si on fait la comparaison entre les trois données, on comprend qu’il y a moins de femmes que d’hommes sur le marché du travail, qu’elles prestent proportionnellement moins que les hommes, et que pour ces prestations, elles gagnent moins.

Il existe également des écarts conséquents entres femmes et hommes concernant les avantages extra-légaux. Ils peuvent atteindre jusqu’à 40%, selon le type d’avantages concernés. Autre fait particulier, les femmes sont moins nombreuses que les hommes à se voir rembourser leurs frais de déplacement. Comme le démontre le tableau10 ci-dessous, les montants en jeu sont également moindres pour les femmes.

Ces différents chiffres sont à mettre en perspective avec le taux d’emploi. Comme le montre le tableau ci-dessous, le taux d’emploi des femmes a augmenté depuis 2005. Il a diminué pour les hommes au cours de la même période. Or, l’augmentation du taux d’emploi des femmes ne joue pas forcément en faveur d’une réduction de l’écart salarial11. L’écart salarial ayant en effet, dans certains cas, tendance à augmenter avec le taux d’emploi des femmes.

9 Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, L’écart salarial entre les femmes et les hommes en Belgique, rapport 2017, page 7.

10 Idem, page 21.

11 CHATEAUNEUF-MALCLES, A., Les ressorts invisibles des inégalités femme-homme sur le marché du travail. Synthèse élaborée à partir de la conférence « Les ressorts invisibles des inégalités femme-homme » qui s’est déroulée le 10 novembre 2010 à Lyon, lors des Journées de l’économie, Idées économiques et sociales, vol. 164, no. 2, 2011, pp 24-37.

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Femmes Hommes Ecart salarial Remboursement Part 51% 59% Moyen 416,88€ 484,80€ 14% Contribution pension complémentaire Part 9% 12% Moyen 503,04€ 800,84€ 37% Options sur actions Part 0,52% 1,06% Moyen 7.847,75€ 13.043,53€ 40%
2005 2006 2007 2008 2009 2010 2011 2012 2013 2014 Femmes 53,8% 54,0% 55,3% 56,2% 56,0% 56,5% 56,7% 56,8% 57,2% 57,9% Hommes 68,3% 67,9% 68,7% 68,6% 67,2% 67,4% 67,1% 66,9% 66,4% 65,8%

3. Explications de l’écart salarial

On estime que 48,2%12 des inégalités salariales s’expliquent selon 12 critères spécifiques et objectivables. Ce qui signifie que 51,8% de l’écart salarial ne s’expliquent pas, en tout cas pas selon des critères connus et objectivables. Ces 51,8% font donc référence à des discriminations pures.

3.1. Décomposition de la partie expliquée de l’écart salarial

Les 12 critères connus permettant d’objectiver les 48,2% d’écart salarial se répartissent selon trois grandes catégories : ségrégation professionnelle (type de contrat, secteur, profession, etc.), caractéristiques individuelles (formation, expérience, ancienneté) et caractéristiques personnelles (ménage, état civil, nationalité, etc.)13. Le tableau ci-dessous détaille les critères en question, en fonction de l’écart salarial calculé sur base horaire (ne prenant donc pas en compte le facteur de l’emploi à temps partiel plus fréquent chez les femmes).

Les facteurs influençant le plus l’écart salarial sont la profession (être caissière au lieu d’employé au réassortiment dans le secteur de la grande distribution), le secteur (travailler dans le secteur de la grande distribution plutôt que dans le secteur de la construction), le niveau d’éducation (diplôme du supérieur, du secondaire, etc.) et enfin la composition du ménage. Avoir ou non des enfants influence pour près de 15% la partie expliquée de l’écart salarial.

Ces inégalités forment un véritable cercle vicieux et les critères sont interconnectés. Puisque les femmes sont plus souvent employées à temps partiel que les hommes (une femme sur deux contre un homme sur dix), occupent des postes avec moins de responsabilité et dans des secteurs moins valorisés, ce sont plus souvent elles qui font les sacrifices professionnels, que ce soit pour la carrière de leur conjoint(e), les enfants ou d’autres motifs privés. Le dernier baromètre de la Ligue des Familles nous indique par ailleurs que « 62% des femmes ont déclaré avoir modifié leur régime de travail [à l’arrivée des enfants] […] contre 10% des hommes. ». De même l’écart salarial horaire entre femmes et hommes est de 9% pour les couples avec enfants, 11% pour les couples sans enfant et il est à l’avantage des femmes pour les isolé(e)s sans enfant (-8%). Pour rappel, l’écart salarial calculé sur une moyenne horaire est de 7,6%.

Si près de 48% des inégalités s’expliquent selon des facteurs connus, 52% des inégalités salariales ne sont toujours pas objectivées, soit que ces inégalités résultent de critères que la science n’a pas encore déterminés, soit

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Ségrégation sur le marché du travail Profession 19,5% Secteur 14,6% Type de contrat (à durée indéterminée ou temporaire) 4,9% Durée de travail (temps plein ou partiel) 4,9% Région de travail -4,9% Type de contrôle économique et financier 4,9% Total ségrégation 43,9% Caractéristiques individuelles du travailleur pertinentes dans le cadre du travail Niveau d’éducation 14,6% Expérience professionnelle (ancienneté totale estimée) 12,2% Ancienneté dans l’entreprise 7,3% Total caractéristiques du travailleur pertinentes dans le cadre du travail 34,1% Caractéristiques personnelles du travailleur Etat civil (marié ou pas) 2,4% Type de ménage (présence ou non d’enfant(s)) 14,6% Nationalité 4,9% Total caractéristiques personnelles du travailleur 21,9%
http://igvm-iefh.belgium.be/fr/activites/emploi/ecart_salarial,
le 12 janvier
12
consulté
2018. 13 Institut pour l’égalité des femmes et des hommes, L’écart salarial entre les femmes et les hommes en Belgique, rapport 2017, page 58.

qu’elles sont issues de discriminations « pures » : le simple fait d’être une femme, quel que soit le secteur, le type de ménage, le contrat, etc. Les différences passent parfois inaperçues en fonction de mécanismes, volontaires ou pas, de dissimulation. Certaines entreprises, pour des fonctions similaires, utiliseront par exemple des titres distincts et y appliqueront des échelles salariales distinctes également.

3.2. Décomposition de la partie inexpliquée de l’écart salarial

Durant près de 30 ans, l’écart salarial n’a cessé de diminuer, parfois de manière vertigineuse. La fin du modèle de famille des années post seconde guerre mondiale (papa au travail, maman à la maison avec les enfants), l’arrivée massive des femmes dans l’enseignement supérieur et sur le marché du travail, leur accès aux hautes fonctions et, de manière générale, les mouvements d’émancipation des femmes ont contribué à réduire significativement l’écart salarial. Si ces éléments permettent de comprendre la réduction de l’écart salarial, sa relative stagnation depuis quelques années impose d’analyser les mécanismes qui maintiennent bien vivaces certaines inégalités. Des mécanismes issus de processus ancrés dans les mœurs et dont la société moderne, pour diverses raisons, a bien du mal à se défaire.

3.2.1. le patriarcat, ou la domination historique du masculin sur le féminin

Une des plus grandes causes des inégalités de genre est probablement l’héritage historique selon lequel, globalement, tout ce que la société a attribué au masculin a plus de valeur que ce qu’elle a attribué au féminin. La femme est implicitement vue comme plus sensible, moins forte, plus fragile et dont la protection dépendrait de l’homme. Elle s’occupe des enfants ou travaille dans le care, dans les deux cas, produit peu de richesse économique. L’idéologie néolibérale « entretient le préjugé selon lequel les secteurs d’activités ayant trait aux « soins aux autres » (enfants en bas-âge, personnes âgées…) ne sont ni prioritaires, ni dignes de valorisation, puisque n’étant pas générateurs de croissance économique marchande. »

Cette situation a partiellement commencé dès la préhistoire, mais s’est surtout matérialisée avec la sédentarisation des sociétés humaines et la hiérarchisation de la société. De nombreux scientifiques tendent à démontrer que, à la préhistoire, les tâches étaient surtout liées aux qualités des individus. La chasse au gros gibier était autant l’apanage des hommes que des femmes qui en étaient capables. De par la grossesse et notamment l’allaitement, les hommes étaient plus souvent amenés à faire les longs déplacements, sans pour autant que ce soit la règle. Des études sur la dentition des individus vivant à cette époque ont montré des différences notables, signes d’activités variées, mais sans que la femme ne soit considérée comme inférieure pour autant. A partir de la sédentarisation des Occidentaux et du développement de la propriété, les femmes vont peu à peu perdre de leur statut au profit d’une domination des hommes et de l’instauration du patriarcat, de Rome en passant par le Moyen-Âge, jusqu’à aujourd’hui. Hormis quelques exceptions comme les sociétés vikings où il a été prouvé que les femmes avaient de solides pouvoirs dans la société, jusqu’à aller combattre lors des raids estivaux, les inégalités entre femmes et hommes ont marqué les différentes époques de notre histoire : la femme a longtemps été considérée légalement comme l’équivalente des enfants ou des personnes handicapées (notamment à Rome et sous le code Napoléon), dénuée de capacité juridique, impure après un accouchement, interdite de voter, de conduire, d’ouvrir un compte en banque ou même de travailler sans l’aval du mari, etc. On connaît tous également le qualificatif selon lequel les femmes incarnent « le sexe faible », induisant qu’il existe un sexe fort qui serait masculin. Nul n’ignore non plus cette règle grammaticale de la langue française, qui semble parfaitement inoffensive mais qui en dit pourtant très long, et qui veut que, lors des accords, le masculin l’emporte.

Cette faible considération des capacités féminines a guidé une bonne partie de notre histoire et fonde encore aujourd’hui nombre d’inégalités au détriment des femmes.

Nous sommes les héritiers d’une histoire qui a longtemps considéré la femme comme inférieure à l’homme, soit disant doté pour sa part de plus de qualités intrinsèques. Bien qu’il s’agisse d’une construction sociale plutôt récente d’un point de vue historique, il n’en demeure pas moins que, à expérience professionnelle et formation identiques, les femmes doivent encore se battre contre cette image, ce qui éclaire certainement une bonne partie des presque 52% de facteurs inexpliqués de l’écart salarial.

3.2.2. La maternité et la construction des congés de maternité et de paternité

L’histoire nous a transmis le cliché selon lequel le rôle principal d’une femme serait de s’occuper des responsabilités familiales.

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De ce cliché sont nés les plus grands stéréotypes et constructions genrées sur lesquelles se fondent nombre de comportements actuels. Il en est ainsi de la maternité et du fantasme, voire de la sacralisation qui l’entoure.

Ces mêmes constructions genrées ont façonné l’élaboration des congés de maternité et de paternité. Dans l’imaginaire collectif issu du passé, le rôle d’une femme est de s’occuper des enfants. De ce fait, on lui octroie un repos de maternité plus conséquent que le congé de paternité des hommes (15 semaines en Belgique pour les femmes contre 10 jours facultatifs pour les hommes). Il serait intéressant de questionner l’impact de cette construction inégale des congés de paternité et de maternité sur la répartition des tâches ménagères et des responsabilités familiales et, ce faisant, sur l’émancipation des femmes.

Si la plupart des féministes belges souhaite prioritairement allonger le congé de paternité et le rendre obligatoire et non renforcer la protection de la maternité, c’est justement pour lutter contre les clichés qui entourent toute femme : le statut de mère, qu’il soit effectif ou potentiel.

Les femmes sont en effet souvent discriminées pour ce qu’elles sont ou pourraient éventuellement être un jour : des mères. Dans un récent rapport de l’IEFH (Institut pour l’égalité des femmes et des hommes), on apprenait ainsi que 75% des travailleuses avaient subis au moins une forme de discrimination, préjudice ou de tensions au travail sur base de leur grossesse ou maternité. On peut résumer cet état de fait en affirmant que « si l’accès à la contraception et l’avortement a libéré les femmes d’une maternité imposée, elles ne se sont pas libérées de l’injonction à avoir des enfants ».

La femme va peut-être tomber enceinte, être écartée (parfois dès les premiers jours de la grossesse, soit presque neuf mois), allaiter, prendre ses congés parentaux ; elle va peut-être demander un emploi à temps partiel. Elle sera moins disponible pour participer à des rencontres professionnelles en dehors des heures de bureau, partir en mission à l’étranger, assumer une charge de travail en soirée, etc. En plus de l’image négative héritée du passé, le travail de la femme est donc également en partie dévalué par la maternité, y compris lorsqu’elle est supposée pour les femmes non-mères. C’est là que le sexisme et la discrimination entrent en jeu. Les scientifiques appellent cette théorie la discrimination statistique : l’employeur soupçonne la femme d’être une future mère, avec les risques en termes d’investissement professionnel que la maternité induit (ce qui est moins le cas pour les pères, comme nous l’avons vu). Dès lors, il va statistiquement moins engager, accepter/proposer moins de promotion (plafond de verre) et moins former les femmes. Ces discriminations statistiques ont été prouvées et elles s’imposent donc aussi aux femmes qui ont eu des carrières continues, soit sans enfant.

En conclusion, nous pouvons dire que le simple « soupçon de maternité » chez la femme et tout ce qui l’entoure en termes de soins aux enfants renforcent, aujourd’hui encore et ce malgré l’évolution des mentalités, le risque de discrimination.

3.2.3. Les stéréotypes intériorisés

Comme nous l’avons vu, la construction sociale de la maternité et les considérations relatives à l’héritage de la place des femmes ont conduit femmes et hommes à intérioriser certains stéréotypes de genre, finissant par les conduire à agir en fonction de ceux-ci. Ce qui donne l’impression d’être un choix est en fait l’expression consentie d’une inégalité sociétale, ancrée dès les premières années de vie.

Certaines femmes arrivent en effet elles-mêmes à considérer qu’elles sont « meilleures » dans les tâches domestiques et le soin aux enfants. Elles choisiront une moins grande intensité de travail et de salaire en contrepartie de plus de souplesse horaire. De facto, ces « choix » contribuent à nourrir les stéréotypes sur la maternité et la place de la femme, que les partisans des inégalités utilisent pour justifier leur position (on appelle ce processus la prophétie auto-réalisatrice). Après tout, selon un raisonnement nocif et particulièrement simpliste, si les femmes ellesmêmes le choisissent, pourquoi devrait-il en être autrement ?

Les idées reçues sur les pseudo-différences entre les femmes et les hommes ne se basent pourtant sur aucun fondement scientifique. Les différences physiques constatables (taille, masse musculaire, taux d’hémoglobine, fréquence cardiaque maximale, etc.) sont dues à des constructions sociales. Ainsi, on n’apprend pas ou peu aux jeunes filles à développer leur musculature, à cultiver la force physique, l’endurance et à se mesurer sportivement à n’importe quel individu, contrairement aux garçons. On divise filles et garçons aux cours d’éducation physique et quand les garçons jouent au foot au milieu de la cours de récréation, les filles occupent les « restes » de la cour. Ces exemples non exhaustifs démontrent toute la construction sociale basée sur le sexe, et ce dès l’enfance. Des

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constructions qui deviennent plus tard des inégalités et stéréotype de genre sur lesquels se fondent nombre de discriminations.

3.3. Conclusion

Les causes de l’écart salarial sont complexes et les raisons de sa persistance sont interconnectées de sorte qu’elles expliquent toutes à la fois le phénomène et qu’il est erroné d’en isoler l’une plus que l’autre.

Outre les facteurs connus et scientifiquement objectivables, la considération de la femme à travers l’histoire, la maternité et enfin l’intériorisation des stéréotypes de genre constituent des pistes d’explications supplémentaires à la partie inexpliquée de l’écart salarial.

Le combat en faveur de la parité salariale est donc loin d’être fini. Il ne sera pleinement atteint qu’après de profonds changements dans notre société patriarcale. L’écart salarial est autant la conséquence que la cause des inégalités entre les femmes et les hommes. Dès lors, c’est un travail global de sensibilisation et de déconstruction des préjugés qui est nécessaire, autant qu’un travail législatif pour baliser ce qui est juridiquement tolérable de ce qui ne l’est pas. La parité salariale représente donc un grand défi politique, actuel et à venir.

4. Quels défis pour le monde politique

L’écart salarial est composé d’une multitude de facteurs dont certains sont expliqués, d’autres pas. Et quand même bien des facteurs explicables permettent de pointer différentes origines à l’écart salarial (emploi à temps partiel, plafond de verre, etc.), ils sont de toute manière liés à des clichés sexistes et stéréotypes de genre.

Aussi, l’écart salarial couvre plusieurs grands défis politiques parmi lesquels nous retrouvons, notamment, la lutte contre la discrimination salariale pure. D’autres défis de taille ne doivent néanmoins pas être occultés : la lutte contre les préjugés, l’offre de service de qualité et à prix abordable pour libérer le temps des femmes (crèches, etc.), les congés de parenté (congé de paternité, congé de maternité et congé parental), etc.

4.1. La lutte contre les discriminations salariales pures

L’inégalité professionnelle la plus intolérable est celle qui conduit à une discrimination pure, liée au fait que l’employeur traite différemment une femme et un homme sur base de la seule différence de sexe. Face à cette discrimination, la réponse politique doit être ferme. La Belgique dispose ainsi d’un cadre complet pour lutter contre cette forme de discrimination à l’égard des femmes, comme des hommes. L’arsenal législatif belge est en partie issu de textes internationaux, en particulier européen, et en partie lié à une législation propre. Néanmoins, les lois belges présentent certaines lacunes qu’il convient de pointer et d’améliorer.

4.1.1. A l’international

Plusieurs directives européennes balisent la lutte contre les discriminations basées sur le sexe. Citons parmi celles-ci la directive 75/117/CEE du Conseil du 10 février 1975 concernant le rapprochement des législations des Etats membres relatives à l’application du principe de l’égalité des rémunérations entre les travailleurs masculins et les travailleurs féminins, la directive 86/378/CEE du Conseil du 24 juillet 1986 relative à la mise en œuvre du principe de l’égalité de traitement entre hommes et femmes dans les régimes professionnels de sécurité sociale ou encore la directive 97/80/CE du Conseil du 15 décembre 1997 relative à la charge de la preuve dans les cas de discrimination fondée sur le sexe.

Au niveau supra-européen, l’ONU appelle, dans sa cible 8.5, à garantir un salaire égal pour un travail de valeur égale d’ici à 2030.

Retenons également les recommandations 2015 de l’OCDE sur l’égalité homme/femme dans la vie publique ou encore le lancement, en septembre 2017, de la Coalition internationale sur la rémunération égale (EPIC en anglais). EPIC est le fruit d’une collaboration entre l’OCDE, ONU Femme et l’OIT (Organisation internationale du travail). EPIC « rassemble divers acteurs aux niveaux mondial, régional et national pour aider les gouvernements,

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les employeurs, […] les travailleurs […] et d’autres parties prenantes, à faire de l’égalité salariale entre hommes et femmes pour un travail de valeur égale une réalité ».

Enfin, l’Organisation Internationale du Travail (OIT) a développé quatre conventions en matière d’égalité dans la sphère professionnelle : la Convention n° 111 sur la discrimination (1958), la Convention n°100 sur l’égalité de rémunération (1951), la Convention n°1981 sur les travailleurs ayant des responsabilités familiales (1981) et la Convention n°183 sur la protection de la maternité, datant quant à elle de 2000. De même, « depuis 1999, la politique de l’OIT en matière d’égalité entre hommes et femmes […] est mise en œuvre dans le cadre de plans d’action successifs » piloté par le Bureau International du Travail (BIT).

4.1.2. Dans les pays européens

A) En Islande

Une loi votée en 2017, annoncée à l’occasion de la Journée internationale du droit des femmes lors de la conférence HeForShe à New-York, est entrée en vigueur et indique que, depuis le 1er janvier 2018, toute entreprise de plus de 250 travailleurs doit pouvoir prouver la parité salariale, sous peine d’amende. Une loi qui s’applique de manière graduelle jusqu’aux entreprises de 25 travailleurs : fin 2019, ce sera au tour des entreprises de 150 à 249 travailleurs, fin 2020 pour les entreprises de 90 à 149 travailleurs et de 25 à 89 travailleurs pour fin 2021. La logique est unique au monde en ce que c’est à l’entreprise de prouver la parité et non aux employés de la réclamer, au risque pour l’entreprise de se voir infliger de lourdes amendes. Un bureau de contrôle est chargé de veiller à la bonne application de la loi par les entreprises tandis qu’un certificat de bonne conduite est délivré pour une période de trois ans renouvelable.

De manière générale, l’Islande est un pays précurseur en matière d’égalité. Chaque année, l’Islande caracole en tête du classement sur l’égalité entre les femmes et les hommes lors du Forum économique mondial (WEF). Un classement qui mesure l’égalité des genres en matière notamment de participation économique, d’influence politique, de santé et d’éducation. Bien qu’ayant déjà un faible écart salarial, l’Islande espère arriver à la parité d’ici à début 2022.

B) Au Grand-Duché de Luxembourg

Une loi de 2016 considère l’inégalité salariale entre les femmes et les hommes comme une infraction. A partir du moment où une inégalité ne peut plus se justifier par des raisons objectives et qu’elle est fondée sur des considérations de genre, l’employeur se voit infliger une amende allant de 250 à 25.000 euros. En cas de récidive, ce montant peut être porté au double.

C) En France

Le débat sur la parité salariale y est très vif. En 2017, le média féministe Les Glorieuses appelait les Françaises à s’arrêter de travailler le 3 novembre à 11h44. Symboliquement pour démontrer que les femmes, à salaire et fonction égal, n’étaient plus payées à partir de ce moment-là comparativement aux hommes.

Une étude de la fondation Concorde, publiée en octobre 2017, démontre que si les femmes étaient payées comme les hommes, l’économie française en serait modifiée, avec notamment un gain pour l’Etat de 33,6 milliards d’euros. L’enjeu de la parité salariale serait donc autant social qu’économique. Deux ministères français ont déjà été lourdement sanctionnés pour ne pas avoir respecté les règles existantes : 60.000 euros de condamnation pour la Justice et 120.000 euros pour la Défense.

A l’occasion du 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, Marlène Schiappa, Secrétaire d’Etat française en charge de l’égalité entre les femmes et les hommes, présentait au Conseil des ministres le plan d’action du Gouvernement. Celui-ci propose notamment la mise en place d’un logiciel pour calculer les inégalités salariales au sein même des entreprises avec sanctions alourdies à la clé en cas de non-respect des lois en la matière.

D) En Allemagne

Le 6 janvier 2018, une loi a été promulguée pour « favoriser la transparence en matière de rémunération ».

Etat de la Question 2018 • IEV 10

Une salariée allemande qui travaille dans une entreprise ayant entre 200 et 500 salariés est désormais en droit, lorsqu’elle a des soupçons à l’égard de son employeur, de réclamer la moyenne salariale de six collègues masculins ayant le même poste qu’elle.

Ce système met le travailleur au centre du processus. Ce n’est pas à l’entreprise de prouver mais à la travailleuse de réclamer ses droits. Les syndicats des travailleurs l’ont dénoncé tandis que les entreprises ont dénoncé une charge administrative supplémentaire.

Le plafonnement à 500 travailleurs pose également question. En-dessous de 200 salariés, l’entreprise devra réaliser un rapport, au-dessus de 500, la loi ne s’applique tout simplement pas.

E) Au Royaume-Uni

Une loi similaire à l’Allemagne est en vigueur depuis avril 2017. Elle oblige les entreprises à transmettre à l’administration les salaires de ses employés. L’administration compile ensuite les données et les publie. La première publication de ces données est prévue pour avril 2018.

En 2017, la BBC a été secouée par une affaire liée à la parité salariale. Suite à la publication de certains documents, il s’est avéré que sur 200 travailleurs recevant un salaire de plus de 170.000 euros, un tiers seulement était des femmes, avec des sommets nettement inférieurs à ceux des hommes les mieux payés. Le Directeur général a promis dans la foulée de régler le problème mais ses déclarations n’ont pas été suivies d’effet. Carrie Gracie, journaliste depuis 30 ans, a démissionné le lundi 8 janvier en guise protestation. Elle quitte la chaîne avec une lettre qui fera couler beaucoup d’encre : « La BBC vous appartient. Vous avez le droit de savoir qu’elle enfreint la loi sur l’égalité […] ».

4.1.3. En Belgique

4.1.3.1

Etat des lieux

Les instruments juridiques de notre pays en matière d’égalité de rémunération entre les femmes et les hommes sont nombreux. Les articles 10 et 11 de la Constitution stipulent que « les Belges sont égaux devant la loi », que « l’égalité des femmes et des hommes est garantie » et que « la jouissance des droits et libertés octroyée aux Belges doit être assurée sans discrimination ».

La convention collective de travail n°25 implique, pour un même travail ou pour un travail de valeur égale, « l’élimination de toute discrimination fondée sur le sexe ». Il est également précisé que l’égalité de rémunération « doit être assurée dans tous les éléments et conditions de rémunération, y compris, lorsqu’ils sont utilisés, les systèmes d’évaluation de fonctions ».

La loi du 10 mai 2007 tendant à lutter contre la discrimination entre les femmes et les hommes (abrogeant la loi du 7 mai 1999 sur l’égalité de traitement entre hommes et femmes en ce qui concerne les conditions de travail, l’accès à l’emploi et aux possibilités de promotion, l’accès à une profession indépendante et les régimes complémentaires de sécurité sociale) est allée plus loin encore dans la prise en considération de la dimension du genre dans l’élimination de toutes les formes de discrimination. Elle a par exemple officiellement inscrit que la discrimination salariale fondée sur le sexe est une discrimination répréhensible.

Afin de compléter cet arsenal, et après un long travail parlementaire de concertation, une loi importante a pu être votée en 2012.

4.1.3.2. La loi du 22 avril 2012

La loi du 22 avril 2012 est venue renforcer le cadre existant en imposant des règles très précises s’établissant autour de trois axes : au niveau interprofessionnel, au niveau sectoriel et au sein des entreprises.

A) Au niveau interprofessionnel

La loi impose, en ses articles 2 et 3, la prise en considération de l’égalité salariale dans les négociations bisannuelles

Etat de la Question 2018 • IEV 11

au niveau national. Ces négociations bisannuelles aboutissent à un accord interprofessionnel (AIP), cadre des négociations sectorielles.

B) Au niveau sectoriel

Certaines commissions paritaires disposent de classifications de fonctions. Il s’agit d’un classement de fonctions au sein d’un secteur ou d’une entreprise selon des critères bien précis. Ce classement sert ensuite de base à la détermination de la valeur salariale de la fonction en question. Le chapitre 4 de la loi de 2012 impose que ces classifications de fonctions soient soumises au SPF Emploi. Celui-ci évalue si les classifications sont neutres sur le plan du genre. Dans la négative, une procédure précise est mise en place. Toutefois, si en bout de course la classification n’est toujours pas neutre sur le plan du genre, aucune sanction n’est formellement prévue.

C) Au sein des entreprises

Trois mesures concernent les entreprises : la ventilation des données du bilan social en fonction du genre, un rapport à rendre pour les entreprises de plus de 50 travailleurs et enfin la possible désignation d’un médiateur.

Si la loi de 2012 a instauré un véritable mécanisme multi-niveau de prise en considération de la dimension du genre dans les inégalités salariales, y demeurent des aspects qui méritent d’être améliorés. Outre la sensibilisation des délégués syndicaux qu’il convient de renforcer via des formations continues et une application plus structurelle du cadre législatif, notamment via la concertation sociale, la faiblesse des sanctions est pointée du doigt ainsi que le caractère peu contraignant de certaines mesures comme la désignation d’un médiateur ou encore la mise en place volontaire d’un plan d’action.

Aussi, récemment, le Parti socialiste a déposé plusieurs propositions de loi visant à renforcer ce cadre. En s’inspirant du modèle islandais, les sanctions sont renforcées, certaines mesures deviennent obligatoires et, si ces propositions devaient être adoptées, il appartiendrait désormais aux entreprises de prouver qu’elles payent bien leurs travailleurs de manière égalitaire. Les textes en projet prévoient qu’une procédure est mise en place, sous la houlette de l’Institut pour l’égalité des femmes et des hommes.

4.2. La lutte contre les emplois à temps partiels non volontaires

Si l’emploi à temps partiel est un choix pour la majorité des travailleurs qui y recourent, il n’en demeure pas moins vrai que certains secteurs, en particulier ceux qui engagent de la main-d’œuvre principalement féminine, s’organisent autour du temps partiel. Or, les temps partiels sont un facteur de pauvreté important et une source d’inégalité dans la répartition des tâches ménagères.

Outre le fait de moins gagner, une personne qui travaille à temps partiel obtient également plus difficilement des promotions, se forme moins et présente une sécurité d’emploi moindre. Tout sexe confondu, on peut donc dire que le temps partiel est, dans l’absolu, un facteur d’inégalité de richesse, voire dans certains cas de pauvreté.

Or, les femmes sont surreprésentées dans les emplois à temps partiel : elles y occupent plus de 80% des emplois. En d’autres termes, près d’une femme sur deux est engagée dans un emploi à temps partiel contre un homme sur dix. Cette forme de temps de travail est ainsi devenue « la figure emblématique de la division sexuelle du marché du travail ». Les emplois à temps partiel sont globalement un « choix » pour les femmes et beaucoup moins pour les hommes. Néanmoins, ce choix est en grande partie contraint par les obligations sociales, notamment liées à la répartition des tâches ménagères. Une femme qui travaille à temps partiel sur deux (49%) a fait ce « choix » pour concilier sa vie privée avec son boulot, contre 23% des hommes. En substance, elle a fait son choix pour équilibrer la charge des inégalités qui pèsent sur ses épaules. Le taux atteint la barre des 60% si on y inclut le souhait de ne pas travailler à temps plein, indépendamment de la conciliation avec la vie privée, et la conciliation avec une formation ou des études.

Aussi, sans nier les apports du temps partiel, une plus grande émancipation des femmes passe inévitablement par une meilleure répartition du temps de travail.

4.3. Les inégalités dans la sphère privée

Chaque jour, une femme consacre plus ou moins trois heures dans les tâches ménagères contre une heure et

Etat de la Question 2018 • IEV 12

cinquante minutes pour les hommes. Chaque jour, les femmes dépensent une heure dans l’éducation et les soins des enfants, les hommes trente minutes. Sur une semaine, les femmes accomplissent douze heures de plus que les hommes en tâches ménagères diverses (enfants compris) et disposent près de six heures de loisirs en moins.

La présence d’enfants, en particulier les deux premiers enfants, a pour effet d’accentuer le différentiel initial. L’écart salarial suit le même schéma. Il croît considérablement à l’arrivée des premiers enfants dans le ménage.

L’émancipation des femmes, notamment l’arrivée massive des femmes sur le marché de l’emploi , ne s’est pas réalisée au profit d’une meilleure répartition des tâches ménagères ; elles se sont traduites par une « double journée » (une journée de travail professionnelle plus une privée) et par le développement de l’emploi à temps partiel.

La double journée force les femmes à choisir des emplois moins intenses, moins valorisés mais aussi moins rémunérés. Elle a également un impact sur l’image que la société a des femmes et de leur capacité d’investissement professionnel. Cette responsabilité à l’égard des tâches ménagères est nommée par certains la « charge mentale » . Si ces dernières années, les tâches ménagères ont représenté moins de contrainte de temps pour les femmes, cette contrainte de temps a également diminué pour les hommes. On n’a donc pas assisté à une meilleure répartition mais à une diminution généralisée.

Enfin, les emplois à temps partiel se sont simultanément développés avec l’arrivée des femmes sur le marché de l’emploi. Il existe ainsi « d’importantes différences entre le travail à temps partiel des femmes et des hommes, pas seulement en nombre, mais également au niveau des raisons qui poussent à opter pour un temps partiel ».

4.4. La naissance d’enfants et les congés afférents

Nous l’avons vu, la naissance des enfants est un facteur d’accroissement des inégalités entre les femmes et les hommes.

A) Le congé de maternité

En Belgique, toute mère a droit à quinze semaines de congé de maternité. Dix sont obligatoires et cinq sont facultatives. Globalement, hormis quelques cas spécifiques, l’indemnité de maternité s’élève à 82% du salaire de la femme.

B) Le congé de paternité

Tout père a, quant à lui, droit à dix jours de congé de paternité. C’est dix fois moins que le congé de maternité, et ce congé est entièrement facultatif.

Durant les trois premiers jours du congé, celui-ci est rémunéré à 100% du salaire. Durant les sept autres jours, l’indemnité passe à 82% du salaire.

Certains pères se plaignent des difficultés qu’ils ont eues à prendre leur congé de paternité : un employeur qui met la pression, qui menace de ne pas accorder une promotion, voire qui refuse tout court le congé de paternité. C’est pourtant un droit inscrit dans la loi, droit que certains pères eux-mêmes n’actionnent pas, préférant utiliser leurs congés légaux afin de ne pas subir ces pressions et ne pas perdre de salaire (alors que la mère, elle, en perdra d’office).

S’il ne fait aucun doute que le congé de maternité est une nécessité, qu’il doit être allongé (la Belgique dispose d’un des congés de maternité les plus courts en Europe) et qu’il requiert un cadre légal ferme et complet entourant sa protection, il conduit inévitablement les femmes à davantage s’occuper des enfants que les hommes, à tout le moins durant les premiers instants de leur vie. En plus de l’écart de richesse entre femmes et hommes, si l’un des parents doit cesser ses activités, notamment pour éviter les frais de garde et autres, il est considéré comme logique que ce soit plutôt la mère qui s’y plie. Or, on connait les dangers en termes d’expérience professionnelle, de formation et de promotion qu’impliquent les longs arrêts de carrière, pour quel que motif que ce soit.

Quoiqu’il en soit, que telle ou telle catégorie de personnes bénéficient de certains droits ou obligations n’est pas en soi un problème. Qu’elles soient par contre réduites, d’office et a priori, à ces catégories est une discrimination contre laquelle il faut lutter. Chacun doit être libre de décider ce qui est le mieux pour lui, selon ses qualités et

Etat de la Question 2018 • IEV 13

aspirations propres. Être une femme ne doit pas forcément signifier rester à la maison. Être un père ne doit pas non plus forcément signifier travailler pour subvenir aux besoins de la famille. Chacun est construit différemment et chacun devrait dès lors être libre d’opérer ses choix en fonction de ses singularités, non parce que la société confère des rôles selon les catégories de personnes mais parce qu’il s’agit d’un droit fondamental.

C) Le congé parental

Le congé parental est un congé thématique, à savoir une forme spécifique d’interruption de carrière complète ou partielle, permettant au travailleur de réduire (temps plein, mi-temps ou un cinquième temps) ses prestations pour s’occuper de son ou de ses enfants. Pour un temps plein, l’arrêt peut durer jusqu’à quatre mois. Les durées sont ensuite proportionnelles à la réduction des prestations : huit mois pour un mi-temps et vingt mois pour un cinquième temps . Pour compenser la diminution des revenus, une indemnité de l’État est versée au travailleur. Il s’agit d’une allocation mensuelle forfaitaire octroyée par l’Office national de l’emploi (ONEm).

Le congé parental s’adresse tant aux femmes qu’aux hommes, du moins en théorie. Les femmes représentent en effet, selon les chiffres de l’ONEm pour 2012, 74% des congés parentaux. Comme le démontre le tableau cidessous, si on assiste à une augmentation progressive de la part des pères sur plusieurs années, les mères restent majoritaires à utiliser cette forme de congé thématique.

Source

: onem.be

Pour lutter contre les inégalités et les injustices et pour renforcer les droits des individus, le Parti socialiste plaide pour un allongement du congé de maternité et de paternité, tout en augmentant les indemnités à 100% du salaire. D’autres partis ont également déposé des propositions en ce sens. Le PS plaide également pour rendre le congé de paternité obligatoire. Enfin, pour inciter les pères à davantage prendre leur congé parental, le PS a déposé une proposition au Parlement fédéral afin que, si ces derniers prennent l’intégralité du congé parental auquel ils ont droit, deux mois supplémentaires soient accordés au couple. En outre, il est proposé que l’allocation de congé parental soit majorée pour atteindre le seuil de pauvreté au minimum.

D) La mise en place de crèches en nombre suffisant et selon des tarifs maîtrisés

Puisque la femme s’occupe principalement des tâches ménagères et des enfants, au point d’y sacrifier une partie de sa carrière et de son émancipation, il est du devoir du politique de créer les conditions nécessaires à un véritable équilibre entre femmes et hommes. Cette égalité réelle passe notamment par la création de crèches en suffisance. « Les insuffisances de la prise en charge collective [des soins aux enfants] débouchent sur une pénalisation des femmes salariées tout au long de leur vie professionnelle ». Aujourd’hui, on parle, en moyenne, d’une place en crèche pour quatre enfants. Dans certaines zones géographiques, la situation est encore plus alarmante. L’accueil organisé et public de la petite enfance au sein de structures en nombre suffisant permettra à de nombreuses femmes de pas couper trop longtemps leur carrière si elles le souhaitent. La question du nombre n’est néanmoins pas la seule variable sur laquelle jouer. Les coûts engendrés par cet accueil doivent également être maîtrisés afin justement d’éviter que les crèches ne soient à ce point chères qu’elles constituent un frein à la reprise du travail des femmes. Puisqu’elles sont majoritairement employées à temps-partiel et subissent un écart salarial, donc de richesse, supérieur à 20%, il est parfois financièrement plus intéressant de ne pas reprendre le

Etat de la Question 2018 • IEV 14

travail vu les coûts de garde (crèche, garderie, etc.). Le simple coût d’une crèche à temps plein s’élève à 500 ou 600 euros par mois, ce qui représente une charge considérable, surtout pour les bas salaires.

4.5. La représentation des femmes en politique

Le nombre de femmes élues est passé de 34,9% en 2012 à 38,6% en 2018 en Wallonie suite au récent au scrutin communal. Aux provinciales, la progression est encore plus marquée : de 32,7% en 2012 à 43% cette année. A Bruxelles, le nombre d’élues cette année est de 48,8%. Sur les 262 communes wallonnes, 46 seront dirigées par une femme, soit 18 % à peine. A Bruxelles, le problème est encore plus criant : il n’y aura qu’une bourgmestre dans la capitale, à Molenbeek . Si nous ne disposons pas encore d’analyses détaillées de la composition des collèges communaux et donc du nombre d’échevines, la tendance devrait suivre celle des élues, en particulier en Wallonie avec la nouvelle règle de parité dans les Collèges (un tiers des échevins/échevines doit être du sexe opposé).

Au niveau des gouvernements, tandis que le gouvernement bruxellois est paritaire, la Fédération Wallonie-Bruxelles compte 3 femmes sur 7 portefeuilles ministériels (43%), la Wallonie 2 femmes sur 7 (29%), le Fédéral 4 sur 18 (22%) . Au niveau des Parlements, les chiffres ne sont pas meilleurs. Comme le montre le tableau ci-dessous, en moyenne, la part des femmes dans chaque assemblée avoisine les 40%. Le pire score est celui de la Chambre des représentants avec seulement 38% de femmes dans l’hémicycle.

Pourtant, les femmes représentent 51% de la population belge. La représentation des femmes en politique est donc clairement inégale par rapport à leur proportion dans la population.

Les stéréotypes évoqués supra conduisent les femmes à moins s’investir en politique. La répartition inégale des tâches ménagères y est pour beaucoup. Comme pour les hautes fonctions dans le secteur public ou privé, la politique requiert du temps. Or, ce sont les femmes qui en ont le moins. Pour rappel, sur une semaine, les femmes accomplissent douze heures de plus que les hommes en tâches ménagères diverses (enfants compris) et disposent près de six heures de loisirs en moins. Pour inciter les femmes à s’investir et à le faire sur le long terme, deux combats doivent être menés concomitamment. D’un côté, il faut que la société brise les stéréotypes selon lesquels la place des femmes est à la maison. D’un autre côté, il est du devoir du politique de créer les conditions de la présence de toutes les personnes (femmes et hommes) qui veulent garantir un équilibre entre leur investissement en politique et leur vie familiale (éviter les réunions trop tardives, privilégier les contacts vidéoconférence, etc.). La parité en politique est un enjeu vital. Si l’on veut que les intérêts des femmes soient mieux pris en compte, il est impérial que des femmes se retrouvent là où des décisions se prennent.

L’obligation de parité sur les listes a grandement contribué à changer les choses mais, dans les faits, la représentation des femmes est encore trop peu effective. Dès lors, s’est posée la question controversée des quotas : comme les choses n’évoluent pas assez vite naturellement, l’idée d’imposer la présence d’un certain nombre de femmes, en particulier dans les exécutifs, a germé. Tout en reconnaissant qu’il ne s’agit pas d’un modèle parfait, selon le Parlement européen, « les quotas hommes-femmes ont conduit, dans certains cas, à des augmentations remarquablement rapides de la représentation des femmes […] ». La politique doit être la

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Source : Institut Emile Vandervelde

locomotive de l’égalité.

L’enjeu est triple : les femmes doivent avoir davantage confiance en leur capacité d’investissement. Les hommes doivent mieux reconnaître l’intérêt de la présence des femmes aux hautes fonctions politiques et agir afin de renforcer celle-ci. Enfin, les électeurs doivent accorder leur confiance aux femmes autant qu’aux hommes, sans distinction de genre.

4.6. L’écart global de richesse

Au-delà de l’écart salarial, il existe en Belgique un véritable écart de richesse, tous statuts confondus, entre les femmes et les hommes. En effet, nombre de traitements sont calculés sur base du salaire : indemnité de maternité ou de paternité, allocations de chômage, pension, etc. S’il y a un écart de salaire, il y aura des écarts dans toute une série de droits dérivés. Ce qui n’était un écart salarial devient un écart de richesse.

En termes de pension, en janvier 2014, 931.164 hommes ont touché l’équivalent de 1,08 milliard d’euros (54%) . Les femmes étaient 1.007.609 pour 0,92 milliard d’euros (46%). Il y avait donc 75.000 femmes de plus que d’hommes à toucher une pension, alors que le montant qui leur est alloué globalement est inférieur de 160 millions d’euros à celui des hommes. En janvier 2014, une femme percevait en moyenne une pension de 913 euros, un homme une pension de 1.160 euros, soit un écart de plus de 20%.

La pension se calcule en fonction de deux éléments : la durée de la carrière et le salaire perçu durant celleci. Or les femmes gagnent moins durant leur carrière, qui est par ailleurs moins complète (interruption, emploi à temps partiel, etc.). Ainsi, en Belgique, 75 % des femmes ont une carrière incomplète , ce qui joue considérablement sur le montant de leur pension. Autre élément intéressant, les femmes étaient près de deux fois plus nombreuses à bénéficier de la garantie de revenu aux personnes âgées (Grapa) que les hommes (69.000 contre 36.000).

En termes de chômage, en 2014, on comptait 351.981 chômeurs hommes indemnisés. Ces derniers ont touché, sur l’ensemble de l’année 2014, 4,10 milliards d’euros. Les femmes chômeuses indemnisées étaient 281.381 et ont touché 2,81 milliards d’euros (soit un écart de 1,29 milliard d’euros et un différentiel de 14%). Les hommes ont donc représenté 55,6% des chômeurs indemnisés et ont touché 59,3% des montants versés.

Pour en revenir à la question des salaires, 48,5% des salariés étaient, en 2014, des femmes. Elles ont perçu 41% seulement des revenus, soit 46,43 milliards d’euros. Quant aux hommes, pour 51,5% des salariés, ils ont touché 59% de la masse salariale, soit 67,18 milliards d’euros.

Ce n’est donc pas qu’un écart de salaire, c’est un écart profond de richesse entre les revenus des femmes et ceux des hommes. A l’échelle belge, ces derniers gagnent, chaque année, plusieurs dizaines de milliards en plus que les femmes. En outre, l’écart salarial ne prend pas en compte l’inactivité pour laquelle, là encore, les femmes sont perdantes. En 2010, 2.300.000 de personnes en âge de travailler (15-64 ans) étaient inactives. Parmi celles-ci, on retrouve 1.363.000 femmes (58%) contre 957.000 hommes (42%). Ces chiffres sont notamment à nuancer à l’aune du nombre d’étudiantes de l’enseignement supérieur (qui entrent dans le calcul des inactifs), largement au-dessus du nombre d’étudiants. Pour autant, cette nuance ne remet pas en cause le constat général (on compte 106.000 étudiantes contre 80.000 étudiants ).

Lutter contre l’écart salarial, c’est donc aussi lutter pour plus de justice sociale entre les genres.

5. Conclusion

L’écart salarial est donc un outil extrêmement utile mais pas absolu. Il permet de réaliser un instantané des inégalités salariales mais n’offre pas la possibilité d’affiner la réalité de ces inégalités. Il n’indique ainsi pas si, à fonction égale, les femmes sont réellement moins bien payées que les hommes. Il prend simplement en considération une donnée brute et la décompose en éléments explicatifs.

Etat de la Question 2018 • IEV 16

C’est donc bien à travers sa décomposition en éléments expliqués et non-expliqués que l’outil dévoile ce qu’il a de plus intéressant. L’écart salarial est un marqueur des inégalités profondes existant dans quasiment tous les domaines de la société, toujours fortement marqué par le patriarcat. Si l’écart salarial annuel est de 20,6%, tous les facteurs constituant cet écart n’ont pas le même impact.

48,2% de cet écart s’explique selon des facteurs connus. Un cinquième de ces 48,2% s’explique par l’emploi choisi. De même, la présence ou non d’enfants au sein du ménage influence pour plus d’un huitième cet écart expliqué.

A côté des facteurs connus, 51,8% de cet écart ne s’expliquent pas, en tout cas pas de manière avérée. Il s’agit d’éléments abstraits, non mesurables et bien ancrés dans notre société. Ils résultent pour une partie de facteurs qui n’ont pu encore être découverts, mais surtout de facteurs liés à de la discrimination pure et dure. Parmi l’ensemble des facteurs encore méconnus, la place de la femme à travers l’histoire, la maternité de même que les stéréotypes intériorisés occupent une place certaine.

Nous l’avons vu, l’écart salarial, comme marqueur des inégalités sociétales, incarne de nombreux défis.

Le premier des défis est de créer un cadre juridique qui permette de donner les moyens à la justice pour poursuivre efficacement les auteurs d’actes de discrimination salariale. Outre les lois de 2007, la loi du 22 avril 2012 est venue apporter un cadre plus contraignant à la lutte contre cette discrimination salariale. Néanmoins, son application est encore trop peu effective, notamment en raison des aspects peu contraignants de certains de ses principes clés.

Le deuxième grand défi concerne l’emploi à temps partiel. Il s’agit d’un facteur de paupérisation sérieux. La pauvreté touche davantage les femmes que les hommes, soit que les secteurs où la main-d’œuvre est essentiellement féminine recourent souvent à l’emploi à temps partiel, soit que les femmes elles-mêmes « choisissent » cette forme de contrat de travail, en particulier pour concilier leur vie professionnelle avec leur vie privée. Même s’il s’agit bien d’un choix consenti, celui-ci est plus souvent dicté par des prescrits sociaux qu’une réelle volonté personnelle et singulière.

Ces prescrits sociaux sont liés au troisième grand défi que couvre l’écart salarial : l’inégale répartition des tâches ménagères. Celle-ci confine les femmes à des rôles prédéfinis qu’elles finissent, en partie, par intérioriser, agissant et confirmant les stéréotypes. Les femmes disposent ainsi de six heures hebdomadaires de loisirs en moins que les hommes et dépensent, en moyenne, douze heures de plus en tâches ménagères diverses. C’est inacceptable et surtout dommageable pour leur émancipation car l’inégale répartition des tâches ménagères réduit leur capacité à s’investir pleinement au niveau professionnel comme au niveau politique.

Or, quatrième grand défi, l’insuffisante représentation des femmes à l’échelon politique ne permet pas encore à la problématique des inégalités de genre de prendre toute l’ampleur qu’elle mérite. Dans tous les parlements, le nombre de femmes avoisinent les 40%. La majorité des députés, ainsi que des ministres, sont des hommes alors qu’ils représentent moins de la moitié de la population globale. C’est encore pire pour les femmes bourgmestres et les échevines.

Un autre élément qui influence l’investissement professionnel des femmes est la garde des enfants. Le nombre de places en crèches est insuffisant par rapport aux besoins réels de la population. En outre, le coût des crèches est souvent exorbitant, à tel point qu’il en devient un handicap. Ce coût peut être tellement élevé qu’il est parfois plus avantageux de garder son enfant chez soi que de reprendre le travail. Or, ce sont le plus souvent les femmes qui font ce choix, que l’on peut qualifier de choix forcé. Développer un réseau de crèches plus dense, avec davantage de places, en lien avec les besoins réels et selon des coûts maîtrisés est un enjeu de taille en matière d’émancipation des familles, et donc des femmes.

Enfin, dernière mise en perspective, l’écart salarial a un impact considérable sur la richesse globale des femmes. Au-delà de la vingtaine de milliards d’euros que les femmes ont perdu sur la seule année 2014 comparativement aux hommes, les droits dérivés sont forcément tout autant touchés. Il en est ainsi des allocations de chômage ou de la pension, pour lesquelles les femmes subissent également un certain écart. Dès lors, les femmes font davantage face à un écart de richesse qu’un écart salarial à proprement parlé. Il faut avoir à l’esprit ce point lorsqu’on traite, notamment politiquement, de l’écart salarial.

Nous sommes toutes et tous différents. Nous avons chacune et chacun nos spécificités. Nos différences fondent

Etat de la Question 2018 • IEV 17

la richesse du vivre-ensemble. Il en est de même entre les sexes. Ces différences sont une plus-value, elles ne peuvent constituer une motivation à l’inégalité de traitement. Nous naissons différents mais pas inégaux en droit. Et là est la clé de tout processus de lutte contre les discriminations. Notre couleur de peau, au même titre que le sexe ou tout autre trait singulier, ne peut en aucun cas justifier le traitement différencié. Le droit doit être garant de ce mode de pensée et il est du devoir du politique de mettre en œuvre et enrichir le cadre juridique qui protège de la discrimination, consciente comme inconsciente. Être un homme signifie pouvoir choisir de rester à la maison pour s’occuper des enfants. Être une femme signifie pouvoir choisir de ne pas avoir d’enfant et se consacrer à sa carrière professionnelle. Cela sans être discriminé parce que l’on est femme ou homme.

Dans la réalité, les choses sont malheureusement plus compliquées. Souvent, l’écart salarial conduit les femmes à davantage interrompre leur carrière que les hommes, que ce soit pour s’occuper des enfants ou d’autres motifs. Inévitablement, ces arrêts de carrière contribuent à directement creuser l’écart salarial en tant que tel et à limiter les possibilités d’évolution. A l’heure des choix de vie, ce sont les femmes qui vont mettre entre parenthèses leur carrière, que ce soit pour les enfants ou d’autres motifs privés. C’est ainsi que l’écart salarial conforte les inégalités de genre dont elle est également l’une des plus notables conséquences. La boucle est ainsi bouclée.

Etat de la Question 2018 • IEV 18

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RÉSUMÉ

L’écart salarial entre femmes et hommes est de 20,6%. A l’arrivée d’enfants, ce sont les femmes qui, le plus souvent, interrompent leur carrière. Ce faisant, elles limitent leur évolution de carrière et finissent par, davantage encore, gagner moins.

Une partie de l’écart salarial est issu de facteurs connus comme le plafond de verre (difficulté d’atteindre les hautes fonctions dans le secteur public ou le secteur privé), le fait d’avoir des enfants, le secteur d’activité, etc. Néanmoins, plus de la moitié de l’écart ne s’explique pas par des facteurs connus. Entrent alors en jeu les discriminations pures (soupçon de potentielle maternité de la part d’un employeur, héritage de la place des femmes dans nos sociétés ou encore intériorisation par les femmes de certains rôles sociaux).

L’écart salarial est surtout un écart de richesse. Chaque année, les femmes perdent des sommes significatives comparativement aux hommes, ce qui renforce l’injustice sociale. Pourtant, des solutions existent (représentation des femmes en politique, lutte contre le travail à temps partiel involontaire, augmentation des crèches à tarifs maîtrisés, etc.).

Cette publication de l’Institut Emile Vandervelde propose ainsi quelques éclairages relatifs à l’écart salarial comme marqueur des inégalités de genre.

Institut Emile Vandervelde

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Téléphone : +32 (0)2 548 32 11

Fax : + 32 (02) 513 20 19

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d'ou viennet les inegalites entre les femmes et les hommes?-2018 by ps-be - Issuu