Catalogue Premiers Plans 2006

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> VERS LA TURQUIE / TOWARDS TURKEY

Renaissance plurielle…

Vers la Turquie

73 > PANORAMA, HOMMAGES ET RÉTROSPECTIVES

L

a sève devrait bien finir par monter. L’attente fut pourtant longue. La renaissance du cinéma turc qui s’est dessinée peu avant le début du millénaire après deux décennies de crise, n’en a été que plus forte, riche, plurielle et paradoxale.

Cette renaissance se développe de surcroît sur une base saine, puisqu’elle concerne un large éventail de genres et de modes de production. D’un côté le film intimiste, existentialiste dans son contenu et poétique dans sa forme, de l’autre la comédie sociale, pur divertissement intelligent, porté par les grands noms du monde des spectacles, promus par la télévision. Alors que les jeunes cinéastes produisent souvent euxmêmes leurs films avec peu de moyens, les grandes productions battent des records d’entrées [3]. Depuis deux ans, un spectateur sur trois, en moyenne, choisit d’aller voir un film turc. Des cinéastes femmes se font également de plus en plus nombreuses. Avec la bonne santé du documentaire et le renouveau du cinéma politique, même si la production annuelle ne dépasse guère une trentaine de titres, cette véritable renaissance s’installe dans la durée, et aussi dans l’espace, avec l’émergence des cinéastes d’origine turque vivant en Europe que le cinéma national s’approprie sans état d’âme.

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[1] 301 films ont été produits en 1972, record absolu pour le cinéma de Yeºilçam (Hollywood turc) qui n’avait heureusement pas réussi à étouffer les films d’auteur, signés entre autres par Metin Erksan (né en 1929), Yılmaz Güney (1937-1984) ou Ömer Kavur (1944-2005).

Après la période faste des années 60-70 [1] cette cinématographie populaire, la deuxième au monde après l’Inde en nombre de films réalisés, s’est réduite comme une peau de chagrin : dans les années 90, la production moyenne a été pratiquement divisée par dix et le nombre de salles était tombé en dessous de 500 pour les 60 millions de Turcs de l’époque ! La mutation fut donc radicale, douloureuse et finalement bénéfique. Aujourd’hui il y a beaucoup moins de mélodrame -que l’on nommait “arabesque”- et bien plus de films d’auteur [2]. Un certain souci esthétique fait désormais écho à l’attente cinéphilique du public. Le travail sur le scénario est revalorisé. L’individu, souvent un citadin, est au centre du récit. Près des deux tiers des Turcs vivent aujourd’hui dans les villes et la mondialisation a profondément changé la société, en accentuant parfois ses contradictions. Les multiples facettes de cette vie contemporaine, ou des faits historiques, sont portées à l’écran avec sensibilité et discrétion mais sans complaisance. Sur le plan technique, les possibilités de coproduction avec les pays européens, stimulées notamment par le fond Eurimages, rehaussent le niveau des films qui remportent de plus en plus de prix aux festivals internationaux.

Leçon de cinéma : “Vers la Turquie” avec Yeºim Ustao¿lu et Zeki Demirkubuz Mardi 24 janvier, Centre de Congrès - 10h30

“KARPUZ KABUGUNDAN GEMILER YAPMAK” (DES BATEAUX D’ÉCORCE DE PASTÈQUE), DE AHMET ULUÇAY

❙ Petits budgets, grands films… La plupart des réalisateurs réunis dans cette programmation ont fait leurs premiers pas dans les années 90 et pour certains, après l’an 2000. Ils ont l’avantage d’être mieux formés que leurs aînés. Ils voyagent également plus et collaborent volontiers avec les équipes étrangères.

(2] Le cinéma d’auteur ne déplace jamais les foules. La Turquie ne fait pas exception en la matière. Un seul exemple : Uzak (2003) de Nuri Bilge Ceylan, avec ses quelques 50 000 spectateurs turcs, a fait deux fois moins d’entrées dans son pays qu’en France ! La fréquentation globale est également très faible : de l’ordre de 30 millions d’entrées en 2004, soit près d’un septième de celle de la France pour une population plus importante (70 millions)

“Petits budgets, grands films”, telle pourrait être leur devise. Ce n’est plus le cinéma du Tiers monde, mais le cinéma d’un autre monde qu’ils font désormais. Nuri Bilge Ceylan, figure emblématique et chef de file solitaire de ce renouveau, trouve son alter ego chez Zeki Demirkubuz, plus écorché vif et davantage pointu dans l’approche sociopolitique du vécu de ses contemporains. Tous deux, déjà primés à Angers, puisent leur énergie vitale dans les contradictions du présent et la richesse d’un héritage pluriculturel. Il en va de même pour Yeºim Ustao¿lu et encore plus pour Kazım Öz, qui privilégient, eux, la question identitaire en pointant du doigt les problèmes liés aux différences culturelles et ethniques. Leur approche, plus subtile et pragmatique, est bien différente de la radicalité des films politiques des années 60 et 70. D’autres, comme Fatih Akın, Yılmaz Arslan et Ferzan Özpetek, appréhendent les réalités d’aujourd’hui au-delà des frontières, à travers l’angle élargi d’une double culture. Quant à Kutlu¿ Ataman, artiste polyvalent dont les œuvres et travaux en vidéo s’exposent dans les galeries d’art moderne de New York, Londres ou Sydney, sa sensibilité cinématographique se conjugue dans toutes les langues. Il est tout à fait naturel qu’Atıf Yılmaz, le vétéran du cinéma turc qui fête ses 80 ans, soit l’exception de cette programmation consacrée aux jeunes auteurs. Avec plus de 125 films à son actif, celui qui a formé toute une

(3] Le cinéma populaire a réussi à réconcilier le public avec son cinéma. Alors que la part du cinéma national ne dépassait guère, il y a dix ans, les 5% de la fréquentation globale, près de 40% des spectateurs étaient allés voir un film turc en 2004, année exceptionnelle. Vizontélé Tuuba de Yılmaz Erdo¿an, présenté à Angers, est l’un des plus intéressants exemples de ce cinéma populaire. Il a réalisé près de 3 millions d’entrées en 2004. G.O.R.A. (2004) de Ömer Faruk Sorak (né en 1964), une comédie de sciencefiction, a attiré en 2004-2005 un peu plus de 4 millions de spectateurs, record absolu du box-office.


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