Tribune classes bilangues les echos (1)

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Les Echos Jeudi 30 avril, vendredi 1 et samedi 2 mai 2015 er

idées&débats LE POINT DE VUE de Andreas Jung et Pierre-Yves Le Borgn’

Findesclassesbilangues: nonmerci,neindanke! La réforme du collège présentée par Najat Vallaud-Belkacem menace l’apprentissage de l’allemand en France. Ce serait une grave erreur, car notre connaissance linguistique réciproque est indispensable à la coopération culturelle, politique et économique de nos deux pays.

C

e furent des jeunes gens des deux côtés du Rhin qui détruisirent les barrières en bois des douanes après la guerre. Des frontières ouvertes entre l’Allemagne et la France sont une évidence aujourd’hui. Pourtant, la menace d’une frontière d’un nouveau genre se dessine : la barrière linguistique ! Si la France met en œuvre le projet de réforme du collège, ce ne seront plus 15 % comme aujourd’hui, mais uniquement 5 % des élèves qui apprendront l’allemand. De minorité, ils deviendront une espèce en voie de disparition ! En Allemagne, où les programmes de soutien comme les classes bilingues AbiBac ne sont pas remis en cause, on constate déjà une baisse continue de l’enseignement du français. Même dans les régions frontalières, il est parfois difficile de faire passer l’idée que l’apprentissage de la langue du voisin est un véritable atout.Certainsparentscraignentque leurs enfants prennent un mauvais départ dans un monde du travail internationalisé si le dictionnaire d’anglais ne figure pas en haut de la liste de leurs fournitures scolaires. Sans un apprentissage précoce de la « langue des affaires », de la « langue internationale », ils s’imaginent qu’à l’heure de la mondialisation, leurs enfants seront mis au ban de la société. Chaque élève se doit d’apprendre l’anglais, là n’est pas la question. Mais cela ne remplace pas l’apprentissage de la langue du voisin d’outre-Rhin. Un tel apprentissage constitue en effet un atout considérable : l Dès lors que la langue du voisin n’est plus étudiée débute un processus d’éloignement. Que deviendront les échanges scolaires et les autres types de rencontres de jeunes ? Ils s’éteindront peu à peu : sans cours de langue,plusderecherched’échanges

et de correspondants. Et pourtant, ce sont ces contacts qui, bien au-delà de la langue, permettent de créer une proximité et une compréhension de l’autre. Les liens ainsi créés entre un très grand nombre de personnes constituent la base et la particularité de l’amitié franco-allemande. l La langue, c’est la culture. Elle est à la fois une forme d’expression vivante du quotidien et l’outil des écrivains et des philosophes. Il y a toujours eu un débat philosophique et littéraire franco-allemand très intense. Mais là où la connaissance linguistique réciproque fait défaut, le débat s’essouffle. Les filières universitaires franco-allemandes disparaîtront peu à peu, faute de diplômés potentiels.Cefaisant,c’estladiversité culturelle européenne qui sera laissée pour compte. l Allemands et Français sont chacun le principal partenaire économique et politique de l’autre. Nos économies, certes fondées sur des approches différentes, sont interdépendantes et inextricablement liées. Les initiatives communes des derniers mois ont montré toute l’importance politique et l’actualité du couple franco-allemand en tant que moteur de l’Europe. Mais si la coopération est uniquement possible à l’avenir par le biais d’interprètes ou d’un anglais approximatif, elle en souffrira sur la durée. Comment pourrons-nous en effet parler d’une seule voix si nous restons sans voix ? C’est la raison pour laquelle les développements récents suscitent l’inquiétude. Même comme seconde langue, la langue du voisin d’outreRhin est loin d’aller de soi. En Allemagne, alors que le français s’affirme au sein des filières généralistes du secondaire, l’espagnol domine les filières professionnelles. En France, une écrasante majorité des élèves de quatrième (85 %) choisissent l’espa-

Les points à retenir Si la France met en œuvre la réforme du collège, le pourcentage d’élèves apprenant l’allemand passera de 15 % à 5 %. La création des classes bilangues avait permis d’endiguer le recul du nombre de collégiens germanistes. La coopération politique et économique entre nos deux pays justifie un soutien privilégié à l’apprentissage de la langue du voisin.

LE BILLET DE FAVILLA

Dédiabolisationsensérie La dédiabolisation n’est pas une exclusivité du Front national : elle est devenue le mot d’ordre de la plupart des extrêmes droites européennes. Ce qui les aiguillonne dans cette recherche de respectabilité, c’est l’espoir d’accéder aux responsabilités gouvernementales : plus cette perspective leur semble proche, plus elles se soucient de modérer leur discours public. Mais cette stratégie ne plaît pas à tous les militants et on voit subsister, à la droite des partis d’extrême droite, des franges plus ou moins organisées qui la refuse. En France, c’est le clash entre JeanMarie et Marine Le Pen. En Suède, le SD (Démocrates de Suède) a édulcoré sa doctrine pour devenir le troisième parti du

pays et expulsé les auteurs de propos trop sulfureux. En Finlande, le parti des Vrais Finlandais, auquel son score aux dernières élections législatives ouvre l’accès au gouvernement, a fait de même, ainsi que, en Hongrie, le parti d’extrême droite Jobbik, au prix de frictions avec leurs éléments les plus radicaux. En Allemagne même, on constate cette dualité, entre l’AfD, anti-immigration et anti-Europe, et le mouvement Pegida, ouvertement raciste. On aimerait pouvoir dessiner une typologie des droites extrêmes à partir de leurs doctrines, comme l’historien René Rémond l’avait fait pour la droite classique. Mais l’exercice est difficile, car les

gnol comme seconde langue. L’allemand, longtemps considéré comme élitiste et gage d’accès à de meilleures classes, doit faire face à la concurrence de l’espagnol, considéré comme plus simple à apprendre, pluscoloréetdecefaitplusattrayant. La création des classes bilangues il y a plus de dix ans avait constitué un tournant par son offre de cours en allemand et en anglais. Elle a permis d’endiguer le recul du nombre d’élèves germanistes. Ce progrès devrait désormais disparaître dans le cadre de la réforme du collège. C’est précisément ce point que nous critiquons. Nous avons besoin d’un soutien privilégié à l’apprentissage de la langue du partenaire : le français ou l’allemand ne doivent pas uniquement être considérés comme une option parmi d’autres. Quand Charles de Gaulle et Konrad Adenauer ont signé le traité de l’Elysée, les nouveaux amis se sont fait une promesse : nos enfants et petits-enfants apprendront la langue de l’autre. Traduit dans les termes du traité, cela donne : « Les deux gouvernements reconnaissent l’importance essentielle que revêt pour la coopération franco-allemande la connaissance dans chacun des deux pays de la langue de l’autre. » Cela vaut tout autant aujourd’hui qu’hier. C’est la raison de notre plaidoyer des deux côtés du Rhin : priorité à la langue de notre voisin dans les écoles, les enjeux sont énormes !

Andreas Jung est président du groupe d’amitié AllemagneFrance au Bundestag, Pierre-Yves Le Borgn’ est président du groupe d’amitié France-Allemagne à l’Assemblée nationale. Cette tribune est publiée conjointement dans « Les Echos » et le « Frankfurter Allgemeine Zeitung ».

idéologies proclamées par ces partis en cure de dédiabolisation sont fluctuantes : populistes, ils s’adaptent aux clientèles qu’ils visent. Pour cesser de n’être définis que par leurs positions xénophobes, ils ont investi le champ de l’économie à la faveur de la crise, avec l’Europe comme bouc émissaire. De sorte qu’un étrange croisement doctrinal s’est produit : jadis, les droites classiques et extrêmes étaient à peu près d’accord sur l’économie, partageant la même orientation libérale, mais en désaccord sur la société, les premières récusant les tendances racistes des secondes. Aujourd’hui, avec l’aggiornamento des extrêmes droites, une porosité existe avec les droites classiques dans le domaine « sociétal » (sur l’immigration notamment), mais un large fossé sépare les positions dirigistes et protectionnistes des droites extrêmes des idées majoritairement libérales des droites classiques…

L’ÉDITORIAL DES « ÉCHOS »

Coup de volant Une success-story emblématique de l’entrepreneuriat français connaît un rebondissement un peu doux-amer. Le rachat de Norbert Dentressangle par le groupe américain XPO Logistics couronne, certes, des décennies de création de valeur et d’emplois. C’est aussi, dès lors que le fondateur et sa famille voulaient Par Arnaud passer la main, la meilleure option pour les Le Gal salariés du groupe aux camions rouges, tant la complémentarité avec leurs homologues Difficile américains est forte. Mais difficile de chasser d’oublier l’idée que ce rachat aurait pu être mené en sens inverse. Car, dans ce nouveau géant, que ce membre du Top 10 mondial de son secteur, rachat fort de 8,5 milliards de dollars de chiffre aurait pu se d’affaires, c’est le français qui, avec ses 5,5 milliards de dollars (5,1 milliards faire dans pèse le plus. Son président l’autre sens. d’euros), du directoire, Hervé Montjotin, conduira les opérations européennes du nouvel ensemble. Mais le poste de pilotage sera désormais dans le Connecticut, et plus à Lyon… La saga Dentressangle, pépite des services B to B, est un cas d’école pour la vision stratégique, la structuration de cette superETI et cette performance durable dont les entreprises familiales sont des championnes. Depuis que Norbert Dentressangle, fils de Georges et Thérèse qui géraient une dizaine de camions, a créé sa propre société en 1979 pour au début livrer à Londres des pommes du Rhône, il n’a cessé de montrer la voie à suivre. Il a très tôt misé sur la qualité de service pour échapper à la spirale de la baisse des prix, innové pour faire tourner ses camions au maximum de leurs capacités, formé ses chauffeurs pour optimiser la sécurité en même temps que le budget carburant. Le groupe s’est diversifié dans la logistique, puis dans la commission de transport. L’entreprise s’était au passage introduite en Bourse, elle avait transformé sa gouvernance, lorsque le fondateur avait pris la présidence du conseil de surveillance pour laisser le volant du directoire à Hervé Montjotin. Tous deux avaient ouvert un nouveau chapitre aux allures de rêve américain avec le rachat de Jacobson à l’été 2014… Cette conquête de l’Ouest se poursuivra donc sous l’étendard XPO. Cela pourrait raviver des débats sur l’écosystème français où les fleurons de l’entrepreneuriat n’auraient trop souvent d’autre issue pour atteindre le niveau mondial que de s’adosser à des alliés étrangers. Au lieu de se couvrir la tête de cendres, il vaut mieux se réinterroger sur les finalités du leadership. L’une d’elles, l’ultime, si le dirigeant ne veut ou ne peut ni conduire la prochaine grande offensive ni passer le flambeau dans son entourage direct, est de s’assurer que l’entreprise aura les moyens de continuer à grandir. En ce sens, Norbert Dentressangle vient de donner un coup de volant qui s’imposait.

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DANS LA PRESSE ÉTRANGÈRE

Lerenforcementdel’axeTokyo-Washington faitgrincerdesdentsàSéoul rapprochement stratégi•queLeentre Tokyo et Washington

a beau ne pas vouloir être une provocation vis-à-vis des voisins du Japon, il revient tout de même aux diplomates américains la lourde tâche de déminer le terrain. La visite de Shinzo Abe en terre américaine est suivie avec la plus grande attention en Asie orientale. Ainsi, le « Korea Herald » rappelle dans un éditorial les propos tout récents d’un ancien ambassadeur américain en poste à Séoul. Les relations avec la Corée du sud et le Japon sont d’égale importanceauxyeuxdeWashington,a expliqué le diplomate, ce qui gomme tout aspect privilégié de la relation entre le Japon et les Etats-Unis.EtStephenBosworth d’ajouter : la force du lien EtatsUnis et Corée du sud est « une partie fondamentale de notre future stratégie en Asie orientale ». Difficile de réaffirmer une entente sans s’attirer immédiatement les récriminations du voisin. Or Séoul et Tokyo ne sont

pas prêts de normaliser leur dialogue tant que le délicat dossier des « femmes de réconfort », ces quelque 200.000 Coréennes devenues esclaves sexuelles de l’Armée impériale japonaise durant la Seconde Guerre Mondiale n’aura pas été soldé. Le tapis rouge déroulé par Barack Obama à Shinzo Abe ne peut donc que froisser la Corée du sud. Tout comme l’honneur qui lui a été fait de prononcer un discours devant le Congrès. Certes, une « ex-femme de réconfort » a pu y assister. Sans entendre ce qu’elle attendait, à savoir que ces femmes avaient été enrôlées de force. A son arrivée à Washington, Shinzo Abe s’est dit « profondément peiné par le sort des “f e m m e s d e r é c o n f o r t ” » , sans aller jusqu’à présenter des excuses. Washington se rapproche de Tokyo mais va devoir, en même temps donner des gages à ses autres alliés de la région, s’il ne veut pas raviver des blessures mal cicatrisées. — Michel De Grandi


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