Le Philotope 12

Page 50

MaT(i)erre(s)

l’aporie fondamentale. Pour y puiser d’abord les sources d’une explication dans son immédiat, l’homme se heurtera aux limites physiques du monde, pour lesquelles la matière caractérisera le réceptacle et le creuset. Elle en détiendra momentanément le principe et le mystère. Cette expérience promulguera une élision de la forme et l’impossibilité d’un quelconque point de vue pour en établir une définition intelligible; n’était ce qui se posait d’emblée comme l’apparence de cette masse informelle, ce qui se voyait. Aux détours de l’expérience d’un premier visible rendu à lui-même, émergera donc péniblement le phénomène. Mais, alors que l’homme ne se préoccupera plus que de l’Ordre qui lui revient, il en dédaignera le support. La forme épousera les instances d’une pérennité édictée sur ce modèle au prix d’une saisie concrète du réel. Dés lors, la réalité recouvrera le monde de son voile transparent. La matière sombrera avec lui. Très tôt, la phusis sera jugée incapable de garantir une représentation du monde suffisante. De magistrales tentatives d’extrapoler un ordre premier seront échafaudées afin de poser le monde comme le Monde. Et pour apparaître dans sa réalité, il s’énoncera selon les modalités d’un autre situé en un ailleurs que cautionnera le reflet de son image idéelle. L’allégorie de la caverne3 célèbrera la modalité qu’établit la représentation pour la connaissance de l’homme. Intégrant l’image d’une projection d’ombres sur le fond d’une caverne sous l’effet d’une lumière extérieure, cette représentation, construite elle aussi tel un tableau, constitue une parfaite parabole tant par ce qu’elle met en place que par sa construction scénographique. La saisie du réel y est dénoncée comme erronée et avilissante parce qu’unilatéralement orientée vers ce qu’il y a de plus immédiat et, conséquemment, second pour l’homme. Paradoxalement, elle y expose la condition sine qua non d’intelligibilité de la lumière qui, autrement, ne pourra jamais être qu’aveuglante. Ce qui est montré à voir n’est donc pas tant les conditions d’accession à la vérité que la possibilité de reconnaître le procédé selon lequel la connaissance est possible. Par devers l’analyse et la description du paradigme de la vision, déjà, s’inscrit en faux la confusion entre l’eikon (image) et l’idôlon (reflet) par laquelle l’homme ne cessera de pécher. Au nom de la recherche du monde, la représentation deviendra le substitut de l’expérience. L’acte de son objectivisation procédera de sa mise à distance planifiée sous l’autorité du sujet. Le regard de l’homme s’instrumentalisera au moyen de la perspective, laquelle s’imposera comme le mode de représentation réel, figure du Novum Organum du savoir du monde.

3. Platon, La République, [trad. du grec par L. Brisson], Flammarion, 2011

48


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.