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rue pture

rochefort andreas dettloff

Loti , un jeune marié sous rayons

A

Peut-on réduire une île à son image idylique et marchande ?

ndreas Dettloff est capable de tatouer Mickey à la manière d’un chef maori et de le glisser dans l’alignement des statues de l’île de Pâques. Il a aussi fleurdelisé un crâne, assurant qu’il s’agit de la tête emperruquée de Louis XVI. Il prétend de même avoir retrouvé (et restitué par voie postale à sa famille) le crâne de Gauguin. Autant de réinterprétations des figures ou symboles de nos sociétés croisant le sacré et le profane, la farce et le réel, dans un perpétuel désir d’« ailleurs ».

Partageant avec Dettloff un intérêt pour l’art océanien, le musée d’Art et d’Histoire a invité le plasticien à évoquer Pierre Loti en sa période polynésienne, celle des clichés d’époque où il pose en jupe traditionnelle – mais, par le jeu du photomontage, on lui voit en main une cannette de boisson gazeuse américaine. Andreas Dettloff vit à Papeete. Les deux hommes se sont « rencontrés » là, tout près de l’endroit où Loti lui-même, en rêve et en livre, connut la douce Rarahu. À qui profite le crâne ? L’exposition a deux entrées : l’une est rétrospective (Carte mer, Grand colon colonisé...) ; l’autre révèle les plus récentes recherches de l’artiste sur ce « rose » Loti, ainsi joliment nommé par la reine Pomaré lorsqu’elle vit accoster le jeune officier de marine. Un nom de fleur, de romancier, un nom de roman d’abord. Dettloff plonge dans son premier, le Mariage de Loti : il en ressort tenant la robe des noces de Rarahu, les assiettes offertes par Pomaré aux motifs qui décoiffent – un pétomane, un champignon de Paris né des jeux nucléaires de Mururoa, sans doute. S’il veut parler aux explorateurs qui s’en sont emparés et aux musées d’Occident qui ont du mal à les restituer, Dettloff sculpte des crânes rituels… à la gloire de Coca ou de Colgate ! Il ne juge pas, il pose la question : peut-on détourner la tradition à des fins commerciales ? Peut-on réduire une île à son image idyllique et marchande ? Le crâne le plus imposant de la série (cf. photo ci-contre), Dettloff l’a réalisé en résidence durant le mois de juin qui a précédé l’inauguration de cette installation titrée « À l’artiste polynésien inconnu ». Ici il joue à brouiller les pistes et les identités. Dans Né sous X, il observe la radiographie de son propre corps présenté comme étant celui de Loti, avec un fait saillant comme un os : le squelette est marqué de tattoos marquisiens, preuve que Loti et Dettloff, l’un charentais-maritime, l’autre allemand d’origine, sont tahitiens de l’intérieur. « Avec Internet, des termes comme artiste français, allemand, chinois où polynésien font-ils encore sens ? Ne sommes-nous pas tous des artistes d’origine inconnue, nés sous X ? » se demande le plasticien. À vérifier jusqu’au 31 décembre. • Élian Monteiro Da Silva un magazine à l’ouest 17


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