5 minute read

Saint-Pierre-et-Miquelon

L’HYDROPONIE COMME SOLUTION ALIMENTAIRE POUR L’ARCHIPEL ?

Depuis 2020, la ferme maraîchère verticale Ligne Verte, à Saint-Pierre, produit salades, aromates et champignons en circuit court. La technique de l’hydroponie, novatrice dans l’archipel, permettrait de réduire la très forte dépendance alimentaire du territoire, à condition de composer avec le prix de l’énergie.

Produire des laitues, des piments ou des herbes aromatiques sous le rigoureux climat de Saint-Pierreet-Miquelon ? C’est possible depuis 2020 grâce à Ligne Verte, une ferme verticale en hydroponie, un type de culture hors-sol sur substrat neutre – en l’occurrence un buvard – et où les nutriments et sels minéraux nécessaires à la croissance des plants sont artificiellement distribués au compte-gouttes.

« Avant tout, nous souhaitons titiller le palais des gens et prouver que la culture hors-sol regorge de goût et possibilités, et que l’on peut produire toute l’année à Saint-Pierre ! ». Alex Bry, chargé de la communication de Ligne Verte, travaille avec son père, Stéphane Bry, fondateur et président de l’entreprise familiale.
© Clémence Cormier

Dans un bâtiment de 350 m2 où tous les paramètres atmosphériques – température, humidité… – sont informatiquement optimisés et où la photosynthèse se fait par lumière LED, les plates-bandes forment autant de murs végétaux productifs toute l’année. Bien que non « bio », le label étant réservé aux cultures en terre, celles-ci n’ont besoin ni d’intrants, ni de pesticides. Le concept, déjà bien répandu en Amérique du Nord et expérimenté dans l’Hexagone, est totalement novateur sur l’archipel.

Laitue, cresson, mâche, roquette, basilic thaï, menthe, coriandre... Dans ces écrins de verdure singuliers, la photosynthèse se produit grâce à des lumières LED qui diffusent une lumière contrôlée pour répondre précisément aux besoins des plantes.
© Chantal Briand

OPTIMISER LES RESSOURCES, DANS UNE LOGIQUE D’ÉCONOMIE CIRCULAIRE

La production maraîchère qui n’est pas vendue directement sur les marchés est valorisée dans une conserverie qui transforme aromates et piments en pestos et autres sauces et, depuis 2022, dans une distillerie qui fournit l’archipel en gins, rhums et cocktails.

« L’idée, c’était d’avoir une économie circulaire où nous pouvons transformer ce que nous produisons d’une manière ou d’une autre. Nous en sommes encore à la phase de test, mais nous nous développons bien », se réjouit Stéphane Bry, Saint-Pierrais à l’origine de ce projet né en 2018 et dont le coût d’investissement se chiffre à plus d’un million d’euros.

Les champignons, autre production phare de Ligne Verte, ont par exemple vocation à finir en soupe ou en rillettes. Au-delà du plaisir d’expérimenter, la raison est économique : les produits transformés sont plus rentables, a fortiori sur un marché aussi étroit et concurrencé par les importations que celui de Saint-Pierre-et-Miquelon. « À terme, nous avons aussi l’objectif d’exporter nos produits. C’est déjà le cas pour nos spiritueux qui sont vendus depuis cette année dans l’Hexagone », poursuit le président de Ligne Verte.

Huiles d’olive et pestos. 
© Ligne Verte

UN SYSTÈME TRÈS ÉNERGIVORE

Avec trois salariés permanents – épaulés occasionnellement par un quatrième – et une production de laitue qui s’élève à plus d’une tonne par an, l’expérience de Ligne Verte est pour l’instant un succès. « Notre production est encore très faible au regard du volume importé, mais comme nos produits sont frais et en circuit ‘’ultra-court’’, nous arrivons à tirer notre épingle du jeu », explique Stéphane Bry.

En plus de s’émanciper des contraintes bioclimatiques, la ferme verticale permet d’économiser deux ressources précieuses : la surface et l’eau. Le système fonctionnant en circuit fermé, chaque goutte est recyclée. Seulement, l’informatisation généralisée et le maintien artificiel de conditions climatiques idéales en font aussi un procédé très énergivore. « C’est le seul point noir de notre système, qui tire nos prix vers le haut. La consommation électrique de la ferme est assez énorme et nous sommes les premiers impactés quand le prix de l’énergie augmente », reconnaît Stéphane Bry. Enfin, l’impact environnemental est loin d’être neutre, puisque l’archipel dépend d’une centrale thermique pour sa consommation électrique.

La ferme urbaine a une capacité d’environ 11 000 plants et propose des produits ultra-frais, comme ici des champignons. Au total, une demi-heure seulement s’écoule entre la récolte d’une salade et sa mise en rayon !
© Ligne Verte

DES VUES SUR LE CANADA

Malgré cette contrainte, l’expérience de Ligne Verte laisse penser que l’hydroponie pourrait être élargie à plus grande échelle, afin d’accroître l’autonomie alimentaire de l’archipel. En 2022, l’ADEME estimait que Saint-Pierre-et-Miquelon était le territoire ultramarin qui comptait le plus sur les importations hexagonales pour se nourrir, avec un taux de dépendance de 98 %.

L’année dernière, la Chambre d’agriculture, de commerce, d’industrie, de métiers et de l’artisanat de l’archipel avait justement lancé son Projet alimentaire territorial (PAT) dont le but est, d’ici 2028, d’atteindre une meilleure résilience alimentaire.

Concrètement, plusieurs mesures ont été prises pour à la fois soutenir la production locale et encourager les consommateurs à plus de « patriotisme économique ». Une dynamique dont bénéficiera l’équipe de Ligne Verte. En attendant, elle continue d’étoffer, test par test, son catalogue de produits avec des objectifs ambitieux en tête comme, par exemple, s’insérer sur le marché canadien, très difficile d’accès en matière de spiritueux, mais autrement plus dynamique que celui de Saint-Pierre-et-Miquelon.

QU’EST-CE QUE L’HYDROPONIE ?

Ce mot vient du grec « hydro » – « eau » – et « ponos » signifiant « effort, travail ». L’agriculteur en hydroponie travaille l’eau. Cette méthode prend peu de place et permet d’économiser l’eau. De plus, les plantes poussent en toute saison et sont moins sensibles aux maladies.

Rédaction : Enzo Dubesset
This article is from: