Notes pour un parloir avec Jean Zay

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Enthousiastes, un peu inquiets mais fiers d’être les premiers à travailler sur une œuvre littéraire pour laquelle n’existe aucune étude à mémoriser ou recopier. L’inspecteur de Lettres — « Qu’est-ce qui vous a autorisée à mettre ce livre à votre programme ? Document pour l’Histoire, sans doute, mais « littéraire » ? Ce ne sont tout de même pas les Mémoires de De Gaulle ! » … Ai-je osé lui en recommander la lecture ? Une phrase bien sentie, insolente et courtoise, vive répartie à sa suffisance ? J’en doute, affectée trop souvent de l’esprit d’escalier. Pire, ai-je dans une réponse hypocrite supposé qu’il l’avait lu, me recommandant alors de son autorité ? Pourquoi la mémoire ici me fait-elle défaut ? — « Vous risquez d’avoir envoyé vos élèves au casse-pipe ! Tout de même ! Tout de même ! » … et nos silhouettes glissent devant la table garnie des verres de l’amitié. C’est la fin de l’année. Le bureau se métamorphose en pupitre, la classe entière en orchestre, en chorale. Tous écoutent, entendent, savent bientôt par cœur des phrases qu’ils se récitent (Rendre la justice est la plus insensée de toutes les entreprises humaines ou Il est une expression terrible, dont je commence seulement à pénétrer le sens : tuer le temps), s’échangent en dialogue (— La prison nous apprend que nous pouvons nous passer du monde […] et que, plus facilement encore, le monde peut se passer de nous — […] en aucun cas ne pourra-t-on jamais être vraiment seul. Récompense et punition. On ne peut se délivrer de l’humanité tout entière qu’en se délivrant de soi-même : par la mort — C’est affreux ! — C’est affreux !) 13


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