Dossier de l'Art

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La possibilité de la perte d’une part non négligeable de son œuvre doit certainement conduire à se montrer circonspect lorsque l’on entreprend de porter un jugement d’ensemble sur l’art religieux de Jérôme Bosch. Cette réserve étant faite, le maître de Bois-le-Duc ne paraît pas avoir compté parmi les artistes qui ont laissé les images les plus fortes et les plus émues du thème le plus rebattu peut-être de l’art chrétien, en dehors de la crucifixion : la toute-puissance divine circonscrite dans un enfant chétif et la maternité radieuse de celle par le truchement de laquelle le Verbe se fit chair.

La Nativité La plus importante œuvre de Bosch relative à la Nativité est incontestablement le triptyque de l’Adoration des mages du Prado (14901500 ?), signé dans l’angle inférieur gauche du panneau central jheronimus bosch. En dépit de la présence, bien visible, de leurs blasons, l’identité des donateurs (et donc des commanditaires de l’œuvre), représentés agenouillés mains jointes sur les panneaux latéraux, demeure incertaine, bien que les noms de Pieter Bronchorst et d’Agnès Bosschuyse, sa femme, aient été avancés. Au centre du polyptyque, l’artiste a donc placé devant une misérable masure (les bergers intimidés s’y dissimulent pour épier la scène) les trois mages venus honorer l’Enfant Jésus qui, placé sur les genoux de sa mère, les 38 L’ŒUVRE DE DIEU

Jérôme Bosch, triptyque de l’Adoration des mages, volets ouverts, 1490-1500 (?). Huile sur bois, panneau central 146,7 x 84 ; volets 146,7 x 42 cm. Madrid, musée national du Prado © Museo Nacional del Prado, dist. RMN / image du Prado

reçoit avec un détachement royal. Le panneau de gauche abrite un donateur des plus distingués, en oraison, accompagné par son saint patron, un saint Pierre sévère pourvu de ses habituelles clefs. À l’arrière-plan, Joseph – que l’art chrétien a longtemps relégué à un rang subalterne – sèche des langes comme il peut dans un édifice de pierre (le palais de David ?) largement ruiné. Le panneau de droite est, quant à lui, dominé par la figure de la donatrice, évidemment prénommée Agnès, dont la sainte patronne fait paître son agneau un peu plus loin. Le manteau rose/rouge de cette dernière répond à celui de Pierre. Terrassant de beauté, un paysage paraissant épuiser ou presque toutes les possibilités chromatiques du jaune et du vert, unifie brillamment les trois panneaux en inscrivant les différentes scènes dans un espace continu. Le registre supérieur du panneau central est couronné par l’un des plus spectaculaires paysages urbains de la période, renvoyant sans doute moins à Bethléem qu’à Jérusalem. Le spectateur distrait ou pressé ne distinguera rien de très surprenant dans tout cela. Un examen plus attentif révèle, au contraire, une accumulation compulsive de signes outrepassant de


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