Les plis de la mémoire.

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c’est reconnaître à l’homme adulte des traits juvéniles, voire embryonnaires. Ce fait est très apparent sur le plan physique où, avec sa grosse tête, ses gros yeux et son extrême réduction de la pilosité (le « singe nu »), l’homme adulte des deux sexes apparaît comme une sorte de fœtus de primate. Mais la thèse suggère que le cerveau humain lui-aussi est néoténique, c’est à dire juvénile, et donc particulièrement malléable et plastique jusqu’à un âge avancé (Chapouthier and Tristani-Potteaux, 2013). Il s’ensuit, dans la plupart de activités culturelles de l’homme, une plasticité exceptionnelle qui est sans doute un des traits des notre espèce (Debono, 2013). Si l’on observe le comportement de notre espèce, on constate que cette extrême plasticité se manifeste, en particulier, dans la tendance à jouer sans arrêt et jusqu’à la fin de notre vie. Que l’on considère la place qu’occupent dans la vie quotidienne, toutes les formes de jeu : jeux de hasard, jeux sportifs qui drainent des foules considérables, jeux de société, etc. L’activité sexuelle humaine comporte également, dans ses multiples préliminaires, une part essentielle de jeu. Plus fondamentalement encore, la plupart des grandes activités humaines, qui témoignent de l’humanité de l’homme dans la sphère culturelle, comme la recherche scientifique ou la création artistique, comportent, elles aussi, une part de jeu considérable. Nous touchons ici à des conséquences métaphysiques et morales. Parce qu’elle constitue un sommet de la plasticité cérébrale, l’espèce humaine est, intellectuellement, adaptable à tout. D’où son étonnante autonomie par rapport à son milieu de vie, qui lui donne l’impression de liberté absolue, même si, sur le plan métaphysique, la question du libre-arbitre et de la réalité de la liberté reste posée. Adaptable à tout, l’homme est aussi, sur le plan éthique, adaptable au « bien » comme au « mal » et il peut, selon son parcours existentiel, orienter ses actions vers l’un ou vers l’autre. On pourrait parler, dans l’espèce humaine, sans pour autant minimiser la plasticité des autres espèces animales, de « plasticité existentielle ». --PLASTIR La Revue Transdisciplinaire de Plasticité Humaine

L’ensemble cérébral néoténique humain, avec sa plasticité existentielle, débouche enfin sur un mode d’être culturel original et qui est probablement l’une des plus importantes spécificités de notre espèce : la capacité d’acquérir des mémoires externes, dans l’écriture et ses dérivés (livres, bibliothèques, ordinateurs). Ces mémoires externes donnent à l’espèce humaine une aptitude unique : celle de cumuler des expériences de vie et des connaissances, qui rendent une génération, scientifiquement et technologiquement, plus performante que la précédente. Nos ancêtres préhistoriques Sapiens sapiens disposaient certes du même puissant cerveau que nous, mais ils ne disposaient pas de bibliothèques et d’ordinateurs, seulement de pierres taillées. L’invention des mémoires externes liées à l’écriture a permis un vertigineux cumul historique de connaissances et l’émergence d’une « supériorité humaine » dans un domaine très particulier qui est propre à l’homme (et dans ce domaine seul) : celui du savoir. L’envol de la plasticité a abouti à l’envol de l’écriture et de la connaissance (Debono, 2013). CoNClUsioNs Je n’ai surtout pas dit ici que l’espèce humaine, notre espèce, était une espèce en tout « supérieure ». Au sens de l’évolution, toutes les espèces ont la même capacité à vivre et aucune n’est globalement supérieure. L’espèce humaine n’échappe pas à cette règle. D’ailleurs il se trouve beaucoup de domaines où l’espèce humaine démontre sa faiblesse : faible vitesse de reproduction comparée, par exemple, aux bactéries, incapacité à survivre dans des milieux hostiles comparés aux végétaux, inaptitude à la vie aquatique, au vol… à quoi on pourrait ajouter, malgré un puissant cerveau, un activité destructrice très grande de l’environnement et un comportement moral souvent déficient, qui se traduit, dans les sociétés humaines, au cours de leur histoire, par la permanence des guerres, des crimes ou d’atrocités diverses.

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