Catalogue Coucou, techniques, contes et symboles

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Musée de l’horlogerie Saint-Nicolas d’Aliermont

Coucou Techniques, contes et symboles

des premiers mécanismes à la bande dessinée

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Musée de l’Horlogerie - Saint-Nicolas d’Aliermont

Coucou

Techniques, contes et symboles

des premiers mécanismes à la bande dessinée Apolline Barra Marianne Lombardi

Exposition au Musée de l’Horlogerie Du 9 Juillet au 31 décembre 2010

Musée de l’horlogerie Saint-Nicolas d’Aliermont

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Coucous, Marc Mifune., dessin original, 2010

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Musée de l’Horlogerie - Saint-Nicolas d’Aliermont

Préface Haut lieu de l’histoire industrielle de la région, la ville de Saint-Nicolas d’Aliermont est spécialisée depuis le XVIIIème siècle dans la fabrication de mécanismes d’horlogerie en métal. Il s’agit d’un savoir-faire particulier fondé sur un travail de précision et sur l’industrialisation des procédés de fabrication. Le musée de l’horlogerie a voulu à travers cette exposition « Coucou, des premiers mécanismes à la bandedessinée » mettre en valeur un type de production horlogère très différent, établi sur le travail du bois et de l’artisanat. Etudier l’histoire technique et iconographique des horloges de la Forêt Noire et du coucou en particulier, c’est en effet s’intéresser à un modèle de production basé sur des produits bon marché. Ces horloges s’adaptent facilement aux évolutions du goût et surtout s’exportent dans le monde entier grâce à un réseau efficace d’artisans et de revendeurs spécialisés. Moins encombrant qu’une horloge de parquet, moins onéreux qu’une pendule de cheminée en bronze ou en marbre, le coucou est l’horloge la plus populaire. Support de nombreuses variations, il incarne, avec sa forme de guérite de chemin de fer, les avancées techniques du XIXème siècle pour devenir, par la suite, l’incarnation d’un certain kitsch. Même s’il est moins présent sur le mur de nos maisons, le coucou, support facile de gags, est toujours employé dans de nombreux livres, dessins-animés et bandes dessinées. Cette exposition n’aurait pas pu être réalisée sans les prêts de la Bibliothèque Nationale de France, du futur Musée d’histoire de la vie quotidienne du Talou de Saint-Martin en Campagne et de nombreux collectionneurs privés ; et sans le soutien de la DRAC HauteNormandie, de la Région Haute-Normandie, de la Communauté des Communes des Monts et Vallées et de la Ville de Saint-Nicolas d’Aliermont. Marianne Lombardi Directrice du Musée

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Sommaire Introduction Les débuts de l’horlogerie Du

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Des origines floues, plus ou moins légendaires L’artisanat du verre et du bois

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bois au fer

en

Forêt Noire

13

Des mécanismes où le bois domine L’apparition progressive du métal Une nouvelle division du travail Différents centres économiques Le succès commercial de produits bon marché

Une

13 15 15 16 18

20 Les horloges à cadran plat, production majeure de la Forêt Noire 20

production variée

Un profond renouvellement des formes L’apogée de l’horlogerie en Forêt Noire

L’avènement

du

Coucou

La combinaison de plusieurs objets Le mécanisme du coucou La naissance du coucou traditionnel Un succès et une diffusion mondiale

Coucou !

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24 26 26 28 29

Un personnage de cinéma ? 29 Un mécanisme source d’images loufoques 30 Le coucou, parfait déclencheur de gags. 30 Oiseau réel, oiseau de bois 31 Coucou maléfique ? 31 Un coucou poétique 32 Un avenir pour le coucou ? 33

Bibliographie Oeuvres exposées

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Introduction Qu’il évoque les chalets suisses ou le kitsch, qu’il soit synonyme d’agréable surprise ou d’objet horripilant, nous avons tous en tête la même image du coucou : une petite maison en bois, plus ou moins décorée, d’où surgit un oiseau animé qui marque les heures par autant de « coucou ! ». Le coucou appartient à notre imaginaire commun, objet de la vie quotidienne, il a été maintes fois reproduit dans les supports les plus divers, des lithographies aux cartoons et bandes dessinées. Cette exposition propose de retracer l’histoire de la création de cet objet si connu depuis sa naissance en Forêt Noire à sa formidable postérité technique et iconographique. La Forêt Noire est une région montagneuse du Sud-Ouest de l’Allemagne, très bien irriguée et couverte d’épicéas. Jusqu’au XVIIIème siècle l’isolement des habitants contribue à favoriser une économie basée sur l’artisanat et l’agriculture. La vie était austère et dure, les sols peu fertiles et la population était isolée tout l’hiver à cause de la neige. L’histoire du coucou permet de découvrir une tradition horlogère spécifique, basée sur le bois et l’artisanat. Elle s’oppose en cela à la pratique horlogère de Saint-Nicolas d’Aliermont ou de la FrancheComté qui repose sur le métal et la haute précision.

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Les débuts de l’horlogerie en Forêt Noire Pour bien comprendre l’origine du coucou, il faut retracer l’histoire de l’horlogerie en Forêt Noire.

Des origines floues, plus ou moins légendaires Les débuts de l’horlogerie dans cette région remontent au milieu du XVIIème siècle mais sont peu documentés. Les historiens se basent sur les récits de deux chroniqueurs de la fin du XVIIIème siècle : le père bénédictin Franz Steyer et le pasteur Markus Fidelis Jäck . Si leurs thèses doivent parfois être considérées avec précaution, se sont néanmoins les plus vieilles sources sur la question. Jäck avance la thèse d’un colporteur qui vers 1640 aurait rapporté de Bohème une pendule. Les habitants de la Forêt Noire l’auraient copiée en utilisant des outils et matériaux rudimentaires et facilement accessibles. Steyer affirme que les frères Kreuz à Glashof auraient produit la première horloge de Forêt Noire avant 1667. Tous s’accordent néanmoins pour affirmer qu’un certain génie paysan ou une prédisposition favorisée par l’habitude de la taille du bois est à l’œuvre dans la fabrication des premiers mécanismes intégralement en bois. L’image du pauvre paysan, reclus dans ses montagnes austères, qui œuvre, avec des moyens rudimentaires, à la fabrication d’horloges durant les longs mois d’hiver est très répandue dans les écrits du XIXème siècle . Franz STEYER (1749-1831), Histoire de l’horlogerie de la Forêt Noire, Freiburg , 1796 Markus Fidelis Jäck puplie son ouvrage en feuilleton « Présentation historique de l’industrie et des échanges commerciaux de la Forêt Noire» en 1810, 1811 et 1815. Cette actuelle région de la République Tchèque appartenait à l’époque à l’empire d’Autriche. Cette vision est encore perceptible dans les écrits d’Edga POHL, L’Homme à la poursuite du temps, Paris, Plon, 1957 p.285288, ainsi que dans l’article de Paule PENDELEUR, « Les horloges de la Forêt Noire », revue AFAHA, n° 13, 1983. 10

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L’artisanat du verre et du bois Cependant, cette image est erronnée. Au lieu de paysans qui s’adonnent à l’horlogerie, il vaut mieux parler de véritables artisans horlogers qui quelques fois prêtent main-forte aux tâches paysannes . Cette activité demande un savoir-faire précis et découle de deux artisanats bien implantés en Forêt Noire , celui du verre et celui du bois. Ces deux activités seront à la base de l’horlogerie en Forêt Noire. La taille du mécanisme en bois nécessite un travail précis et minutieux. Les cloches présentes sur chaque mécanisme pour sonner les heures sont en verre jusqu’en 1800. La fabrication d’horloges en Forêt Noire est mentionnée dès les années 1650. Mais elle ne se Mécanisme en bois à foliot droit et cloches développe pleinement qu’en 1713, en verre. Forêt Noire, 1750 avec la fin de la guerre de Succession Tirée de l’ouvrage d’Helmut Kahlert. d’Espagne qui agite toute l’Europe. La paix revenue, le commerce fleurit à nouveau et l’activité horlogère se développe autour de deux grands maîtres, Simon Dilger à Urach et Franz Anton Ketterer à Schönwald. Franz Anton Ketterer est même parfois cité comme l’inventeur du mécanisme reproduisant le cri du coucou vers 1730 . Il aurait d’abord souhaité reproduire le cri du coq. Celui-ci étant trop complexe, il aboutit à la reproduction du cri du coucou avec deux soufflets et deux tuyaux basés sur le modèle de l’orgue. Cependant, le coucou sortant de sa fenêtre n’apparaît que plus tard. Helmut KAHLERT, 300 Jahre Schwarzwälder Uhrenindustrie, Gernsbach, Casimir Katz, 2007,p. 33-37 Richard Chavigny, « Les Horloges de la Forêt Noire », revue de l’ANCAHA n°42, 1985. 11

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à cette époque, le modèle le plus produit est celui de l’horloge murale, actionnée par des poids. Les horlogers installent leur atelier au sein de leur maison et toute la famille prête main-forte à la réalisation des mécanismes. Ce mode de production a inspiré de nombreuses représentations un peu stéréotypées de l’horloger et sa famille à l’atelier.

Représentation de la famille de l’horloger au travail dans l’atelier. Gravure de 1840, tirée de l’ouvrage d’Helmut Kahlert 300 Jahre Schwarzwälder Uhrenindustrie.

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Du bois au fer Des mécanismes où le bois domine Les premières horloges réalisées en Forêt Noires ont quasiment toutes disparu. Le doute subsiste sur la réalité de premiers mécanismes entièrement réalisés en bois dans lesquels des roues dentées en bois auraient été en contact direct avec des pignons du même matériau. Les pièces en bois frottant l’une contre l’autre, des problèmes d’usure et de lubrification se posent. On privilégie souvent la thèse de mécanismes qui intégraient dès le départ des « pignons lanterne » fabriqués en fil de fer .

Pignon lanterne du mécanisme de l’Horloge ci-gauche. Fin du XVIIIème siècle.

Horloge datant de la fin XVIIIème siècle Cette horloge est un bon exemple de réalisation presque intégralement en bois. Collection privée.

Un pignon est une petite roue dentée qui transmet la puissance à travers un mécanisme. Il est fixé et mené sur l’axe d’une roue plus grande. Le pignon classique, ci-contre, est plein. Ses dents sont nommées ailes. Dans le pignon-lanterne, les ailes sont remplacées par des tiges de fil de fer. Pignon classique

Helmut KAHLERT, 300 Jahre Schwarzwälder Uhrenindustrie, op. cit., p. 50 13

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Jusqu’en 1750 environ, les horlogers fabriquent des mécanismes dit à foliot droit et roue de rencontre. Mais ce principe de balancier horizontal est soumis à des frottements et provoque de grandes imprécisions. De fait, l’aiguille des minutes est inutile.

Reproduction datant des années 1960 d’un mécanisme à foliot droit. Collection privée

Principe du foliot droit. Un poids suspendu à une corde fournit de l’énergie à la machine tandis que le va-et-vient du foliot interrompt régulièrement la chute du lest. La position des masses placées sur chaque extrémité du foliot permet de régler le rythme du va-et-vient

Puis, vers 1740 Christian Wherle diffuse en Forêt Noire l’utilisation du pendule inventé par Huyghens. Le foliot droit est abandonné au profit de ce système, plus précis. Le pendule est alors placé devant l’écran, ce qui lui vaut l’appellation d’horloge en « queue de vache ». Principe du pendule. (1). Le poids (2) fournit l’énergie au mécanisme. L’échappement (4) et la roue d’échappement (3) entretiennent les oscillations régulières du balancier (1). Ce principe est plus précis : l’aiguille des minutes apparaît. 14

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L’apparition progressive du métal L’usage du mécanisme à pendule introduit l’utilisation de l’échappement à ancre à partir de 1760. Cette pièce oblige à tailler des dents de forme très particulière, difficiles à réaliser en bois et qui surtout s’usent rapidement. Les horlogers commencent, à partir de cette innovation, à introduire des pièces en laiton dans leurs mécanismes. Progressivement, le fer et le laiton sont utilisés : ils sont en effet plus résistants et peuvent être produits en série. Les cloches en fonte remplacent les cloches en verre à partir de 1800. En 1840, les mécanismes en bois deviennent assez rares.

Echappement à ancre. Cette pièce, primordiale dans les mouvement à pendule, introduit l’utilisation du métal dans les mécanismes.

Une nouvelle division du travail La lente évolution des techniques favorise une spécialisation des métiers et une redistribution du travail. La division du travail se limite en 1750 entre l’horloger, le souffleur de cloches en verre, éventuellement un peintre de cadran et le revendeur. Celui-ci assure la vente et la diffusion des produits dans toute l’Europe en achetant en gros et régulièrement aux horlogers tout en exigeant d’eux des prix bas. L’horloger réalise toutes ses pièces dans l’atelier familial. Mais la taille des pièces en laiton requiert un savoir-faire spécifique. Peu à peu, l’atelier - où tout pouvait être réalisé à l’exception des clochesdoit s’entourer d’un réseau de fabricants spécialisés : tailleurs de roues, de pignons, fondeurs de cloches etc. L’apparition progressive de la mécanisation et de la standardisation force la mise en place de ce nouvel équilibre économique.

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L’horlogerie prend une place de plus en plus importante dans l’économie globale de la région. Cependant, le modèle économique reste basé sur l’artisanat. Chaque type de pièces est produit dans des ateliers séparés, alors que dès 1800 de véritables usines horlogères apparaissent en France où la production est intégralement assurée en un même lieu. En Forêt Noire, la transistion ne s’opère pas de la même façon et les horlogers rechignent à devenir ouvriers. Ce nouveau statut impliquerait de quitter l’atelier familial et de perdre la responsabilité de l’assemblage total des horloges .

Différents centres économiques Cependant, certains centres de production émergent durant la première moitié du XIXème siècle. Autour des années 1840, alors que les mécanismes en bois ont presque disparu, ont lieu les premières campagnes d’études statistiques de l’activité horlogère en Forêt Noire . Celles-ci mettent en évidence cinq villes horlogères très importantes : Saint Georges, Schönwald, Güttenbach, Neukirch et surtout, Furtwangen. La concurrence est rude entre certaines de ces villes, notamment entre Neustadt et Furtwangen. Un dicton dépeint ironiquement la situation : « Quand les horlogers de Neustadt commencent à peine à travailler, ceux de Furtwangen ont déja fini une horloge ». Avant la campagne d’enquête statistique et quasi sociologique menée entre 1841 et 1843 dans le grand duché de Bade, on dispose d’assez peu d’informations précises et chiffrées sur l’activité des horlogers en Forêt Noire. Des estimations, se basant sur le récit de plusieurs chroniqueurs, permettent de retracer l’évolution de la Helmut Kahlert, 300 Jahre Schwarwälder Uhrenindustrie, op. cit., p 63 Notamment la première enquête menée dans le grand duché de Bade, « Statistik der Schwarzwalder Industrie 18411843 », GLA, Karlsruhe (Statistiques de l’industrie en Forêt Noire, Archives générales du Land, Karlsruhe) 16

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Centres horlogers en Forêt Noire, d’après les statistiques de 1841-43. Légendes : de 10 à 29 Horlogers de 30 à 59

60 et plus.

production au cours de la deuxième moitié du XVIIIème siècle. Elle connaît une nette augmentation autour des années 1845 grâce à la nouvelle organisation du travail et à l’amélioration des outils.

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Le succès commercial de produits bon marché Le métal remplace progressivement le bois dans les mécanismes, mais le cadre et les platines sont toujours fabriqués en bois et certaines pièces en laiton restent montées sur des axes en bois jusqu’en 1870. L’alliance des deux matières assure un coût de production et de vente faible. Associée à une décoration variée qui s’adapte aux goûts des clients, les horloges de la forêt noire se vendent ainsi dans le monde entier, principalement en Europe mais aussi en Russie et jusqu’aux EtatsUnis. Mouvement en métal monté sur des platines en bois. Musée de l’horlogerie.

Durant la deuxième moitié du XVIIIème,siècle et jusqu’au début du XIXème siècle, les horloges sont surtout vendues par des colporteurs qui parcourent à pied le territoire. Ces vendeurs d’horloges appartiennent à l’image folklorique de la Forêt Noire, à ce titre ils sont fréquents dans l’imagerie populaire du XIXème siècle.

Lithographie de Carle Vernet, 1820 « Marchand d’Horloges de bois ». Tirée de l’ouvrage d’Helmut Kahlert. 300 Jahre Schwarzwälder Uhrenindustrie

Le commerce des horloges de Forêt Noire se développant, des revendeurs s’installent un peu partout en Europe. On trouve même la trace de l’un d’entre-eux, Célestin Ketterer, installé en 1813 à Valognes, dans la Manche. Né en 1786 à Schönwald, il fait peut-être

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partie de la famille de Franz Anton Ketterer, un des maîtres horlogers de Schönwald qui met au point le mécanisme du coucou autour de 1730. Une facture établie par le magasin de Celestin Ketterer met en avant la vente d’Horloges Allemandes : l’en-tête précise « Fabrique d’Horloges d’Allemagne, vente en gros et en détail ».

Facture établie par le magasin de Celestin Ketterer-Douville, à la «Maison rouge près de l’Eglise» à Valognes dans la Manche. L’en-tête précise «Fabrique d’Horloges Allemandes». Collection privée

Celestin vendait sans doute des coucous à Valognes en 1850. Mais les ateliers de la Forêt Noire ne produisent pas que des coucous, qui finalement apparaissent assez tardivement. Le modèle classique du coucou est en effet la combinaison de plusieurs types de pendules.

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Une

production variée

Dès le début de l’horlogerie en Forêt Noire, la production est très diversifiée. En 1780, la plupart des modèles, des types de décorations et des formes de cadrans sont inventés. Les modèles restent quasiment inchangés, jusqu’en 1850. On peut ainsi dire que le XVIIIème siècle est une phase d’invention des formes des horloges et que le début du XIXème est surtout une période de réorganisation des méthodes de production et de vente. Cependant, la décoration des horloges s’adapte au goût des marchés, majoritairement européens. Cette sensibilité au marché aboutira à la création du coucou tel qu’on le connaît aujourd’hui, en forme de petit chalet.

Les horloges à cadran plat, production majeure de la Forêt Noire Les premières horloges produites en Forêt Noire entre 1700 et 1750 sont majoritairement murales. Elles possèdent un cadran plat rectangulaire surmonté d’une partie arquée destinée à cacher la cloche. Le cadran est peint à même le bois ou est recouvert d’un papier imprimé. Certains sont réalisés en peinture sous verre. à partir de 1780 apparaît une nouvelle technique de peinture. Les cadrans sont désormais en bois laqué. Le fond est préparé à base de craie pulvérisée et de blanc de céruse (pigment blanc à base de plomb). Des motifs colorés sont appliqués sur cette préparation avant d’être vernis. Le rendu final est ainsi très lumineux et remporte un

Horloge à cadran plat laqué, reproduction d’un modèle du XVIIIème siècle. Années 1960. Collection privée.

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grand succès. Il s’agit du modèle type de la pendule de Forêt Noire. La décoration des cadrans varie selon le public visé : les Anglais préfèrent des cadrans très sobres, sans couleurs, où seuls les chiffres sont indiqués. Les Russes apprécient des décors de fruits, tandis que les Allemands préfèrent les décors floraux très colorés. Ces derniers modèles, très en vogue en France, peuvent être agrémentés de décorations en stuc (enduit à base de chaux utilisé pour créer des reliefs décoratifs). Les cadrans sont d’abord plats puis légèrement incurvés au début du XIXème siècle. A la fin du XVIIIème siècle apparaissent des horloges de taille moyenne, les Sorg Uhr, du nom de leur inventeur. Certaines, les Jockele Ensemble de sont même miniatures. Elles ne petites horloges. De gauche à droite : mesurent que 10 à 15 cm de largeur pendule Jockele en laiton, deux Sorg Uhr en et rencontrent un franc succès. porcelaine, une Sorg Uhr avec cadran en bois. Colllection Privée.

Sur ce principe de cadran plat, de plus ou moins grande taille, de nombreux modèles sont déclinés, toujours dans un souci de s’adapter au goût du jour. La décoration évolue, allant de motifs fleuris ou géométriques à la scène de genre. Certains sont réalisés en porcelaine d’autres métal ou en stuc. Les cadrans de forme plus arrondie sont particulièrement prisés en France. Ils sont, autour des années 1780-1800, agrémentés de stuc doré dans un style Baroque. De petites colonnes, peintes à même le cadran ou légèrement sculptées apparaissent reprenant un motif prisé des horloges françaises et viennoises.

Horloge de taille moyenne, en porcelaine, avec une représentation champêtre. Collection privée. 21

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Un profond renouvellement des formes Alors que la production augmente grâce à l’introduction du laiton et du fer dans les mécanismes, un besoin de diversification et de renouvellement des formes se fait sentir autour des années 1830. Parallèlement aux pendules à cadran plat, des horloges à caisson profond sont produites. Les pendules de style Biedermeier ont un caisson profond, peint en noir, rehaussé d’or qui intègre des petites colonnes en porcelaine.

Le style Biedermeier se développe dans l’Empire d’Autriche et la Confédération Germanique (regroupement d’Etats Germaniques) de 1815 à 1848, période de paix consécutive aux guerres napoléonniennes. Le terme de «Biedermeier» vient d’un personnage de fiction. Ce Monsieur-Tout-le-monde, prénommé Weiland Gottlieb «Biedermaier», est l’incarnation du bourgeois germanique modèle, à l’existence monotone et confortable. La généralisation de ce mode de vie bourgeois dans le courant du XIXème siècle aboutit donc à baptiser cette époque du patronyme de Biedermeier. Le style est contemporain des styles dit «Restauration» et «Louis Philippe». Il se caractérise en ameublement par une simplicité des matériaux (bois et porcelaine) doublé d’une grande fantaisie des formes, presque baroques.

Horloge d’inspiration Biedermeier, vers 1860 De part et d’autre du cadran sont placées de petites colonnes en porcelaine. Un automate représentant un moine est logé dans une niche dans la partie inférieure du caisson. Il agite la cloche toutes les heures. Collection privée. 22

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a cette même période, les pendules dites à encadrement apparaissent : le cadran est intégré dans un tableau, portrait ou paysage, et le tout est agrémenté de petite figures animées. Toutes ces formes et les différentes matières sont combinées à l’infini pour varier l’offre. On peut ainsi voir une pendule à encadrement d’inspiration Biedermeier dotée de petites figures animées qui ponctuent les heures. Horloge d’inspiration Biedermeier, vers 1860. Cette horloge est dite à encadrement : le cadran est inséré dans une peinture sous verre représentant une scène champêtre. Collection privée.

L’apogée de l’horlogerie en Forêt Noire Depuis les années 1840, un effort de rationalisation et de réorganisation de la production horlogère en Forêt Noire est tangible. Après l’enquête statistique de 1841-43, qui faisait le point sur le nombre d’artisans, leur répartition sur le territoire et leur production annuelle, le Grand duché de Bade propose la création d’une école d’horlogerie. Elle ouvre ses portes en 1850 à Furtwangen. La ville devient ainsi le principal centre horloger de la région. Durant la même année plusieurs usines sont créées. Un nouveau mode de production s’organise en parallèle du système artisanal qui persiste. Cette volonté de réorganiser l’ensemble de la production horlogère aboutit à la création du coucou traditionnel en 1850. 23

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L’avènement

du

Coucou

Les premiers coucous apparaissent assez tôt dans l’horlogerie de la Forêt Noire mais ils ne dominent pas le marché et leur production est presque anecdotique à côté des pendules à cadran plat classique. Là encore, son origine est peu documentée et les deux principales sources, les écrits de Jäck et Steyer, ne concordent pas sur ce point. La version de Jäck est la plus repandue : « Franz Anton Ketterer, à Schönwald, fabriqua au début de l’année 1730 une horloge, ornée d’un coucou animé, qui annonce les heures avec le cri du coucou10 ». Franz Steyer, quant à lui, évoque deux marchands d’horloges qui auraient acheté lors d’un voyage un coucou en bois à un marchand venu de Bohème. Il aurait ensuite été copié par Michael Dilger et Matthäus Hummel11. Si l’origine du premier coucou semble se perdre, sa construction en Forêt Noire remonterait aux alentours des années 1750. La première mention écrite du coucou date de 1758 lorsque le légat Garampi mentionne que les « horlogers de la forêt Noire ont commencé à créer des horloges avec le cri du coucou12 ».

La combinaison de plusieurs objets L’invention du coucou est issue de la combinaison et de l’imitation de différents objets. Il faut citer en premier lieu la vogue et le grand succès remportés par les automates. Ces derniers sont visibles dans les horloges monumentales animées dès le XVème siècle dans les grandes villes13. C’est d’ailleurs en voulant imiter le cri du coq, automate présent dans la grande horloge de Berne, que Franz Anton Ketterer aurait abouti au mécanisme du coucou chantant. Quelques horlogers, comme le Maître d’Ausbourg marqueront durablement les mémoires avec la création d’horloges munies d’automates et de systèmes de 10 Markus Fidelis Jäck, HistorischeDarstellungen der Industrie und des Verkehrs auf dem Schwarzwalde, 1810, § 297. 11 Franz STEYER, Geschichte der Schwarzwälder Uhrmacherkunst, Freiburg, 1796, § 18. 12 Helmut KAHLERT, 300 Jahre Schwarzwälder Uhrenindustrie, op. cit., p 110. 13 On peut citer celle de Berne, 1530, celle de Starsbourg, 1574. 24

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musique mécanique très perfectionnés14 créés autour des années 1580. Enfin, il faut citer les automates du renommé Vaucanson15 et de la famille Jaquet-Droz16, qui proposent notamment des oiseaux chanteurs spectaculaires de vraisemblance. Parallèlement à cette vogue des automates, des horloges particulières se développent en Forêt Noire entre 1770 et 1850. Il s’agit des Flötenuhren ou horloges à sifflets. Elles intègrent un mécanisme musical, la serinette, à un mouvement horloger. La serinette est un petit instrument de musique mécanique actionné par une manivelle, créé pour apprendre des mélodies aux oiseaux chanteurs. Un mécanisme actionne un soufflet qui alimente successivement un sifflet différent pour chaque note. Ces sifflets sont basés sur le modèle du Oiseau intégré dans une Flôtenuhr. tuyau d’orgue. Dans les Flötenuhren, chaque heure est signalée par une mélodie. Comme les horloges traditionnelles en Forêt Noire, elles sont munies d’un cadran plat laqué, orné de peinture, et Croquis d’une Flötenuhr. Le métrès souvent d’automates. canisme de la serinette est bien Très vite un petit oiseau visible, avec son rouleau à picots. animé apparaît soit au Cadran de Flötenuhr avec dessus du cadran, soit oiseau animé. dans une petite fenêtre prévue à cet effet. Croquis tirés de Schwarzwälder Flötenuhren de Jüttemann

14 Herbert JÜTTEMANN, Schwarzwälder Flötenuhren, Waldkirch, Waldkirch Verlag, 1991, p. 13-14. 15 Jacques de Vaucanson (1709-1782) invente notamment le célèbre canard mécanique, 16 Pierre Jaquet-Droz (1709-1790) et son fils Henri-Louis Jaquet-Droz (1752-1791) créent des automates aux mouvements très complexes. 25

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Le succès des automates et des Flötenuhren, avec leur oiseau sortant d’une petite fenêtre, donne naissance aux premiers coucous à un cadran plat de la Forêt Noire. Coucou à cadran plat des années 1760. Image tirée de l’ouvrage d’Helmut Kahlert

Le mécanisme du coucou Le mécanisme du coucou est directement relié au mouvement horloger. Le chant est produit par deux soufflets, alimentant chacun un sifflet, ou tuyau flûte, l’un en ré, l’autre en si bémol. Ces tuyaux flûtes sont semblables à ceux utilisés dans les orgues. L’animation de l’oiseau est plus ou moins complexe. Les coucous les plus perfectionnés tournent légèrement sur eux-même, se penchent d’avant en arrière et ouvrent le bec. Mais de nombreux types de mécanismes ont été élaborés et certains sont beaucoup plus simples, le coucou se contentant alors de se pencher d’avant en arrière.

Croquis détaillant l’animation du coucou par des tirettes reliées au mécanisme horloger. Tiré de l’ouvrage d’Helmut Kahlert

La naissance du coucou traditionnel En 1850, à la tête de la toute nouvelle et première école d’horlogerie17 de Furtwangen, Robert Gerwig décide d’organiser un concours de modèles d’horloges pour relancer la création. Parmi les centaines de dessins envoyés, un seul est retenu : celui de Friedrich Eisenlohr. Architecte de formation, il est en charge de la construction de tous les bâtiments de la ligne de chemin de fer du duché de Bade.

17 L’école ouvre ses portes le 1 avril 1850. 26

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Pour son dessin, il a simplement repris le modèle des guérites des gardesbarrières qui faisaient aussi office de gare et de billetterie. Il propose une maison au toit pointu où le coucou vient se loger derrière une petite porte, sous le pignon. La porte rappelle celle du guichet des gares. La maison est décorée d’un motif floral de style néo-gothique. Ce dessin a donc été retenu comme le plus à même de renouveler l’image de l’horlogerie de Modèle de coucou par Friedrich Eisenlohr la Forêt Noire, alliance de modernité, vers 1850. représentée par la gare, et d’un décor Image extraite de l’ouvrage d’Helmut Kahlert qui incarne un certain style allemand. Le modèle du coucou traditionnel remporte un immense succès et s’impose toujours aujourd’hui comme la forme de base du coucou typique. Il éclipse totalement les anciennes formes de coucou à cadran plat et est décliné à l’infini. Les motifs évoluent rapidement vers le sylvestre ou le bucolique (ajouts de fruits, d’oiseaux...). Aux alentours de 1870 s’impose le style « trophée de chasse » avec armes, tête de cerfs, gibiers etc. Il est depuis le support de toutes les variantes et de toutes les fantaisies. Le coucou est sujet à la création de véritables petits mondes miniatures, souvent féériques et bucoliques. Cette horloge possède un coucou qui sonne les heures et une caille qui marque les quarts. Deuxième moitié du XIXème siècle Collection privée 27

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Un succès et une diffusion mondiale Cette nouvelle forme rencontre un succès international. Il est notamment très populaire en France où sa circulation est facilitée en 1871 par la signature du traité de Francfort, signé entre la France et l’Allemagne, qui prévoit la suppression de tout frais de douane sur les produits horlogers. Sa diffusion dépasse de loin les frontières européennes : le coucou charme les Américains, mais aussi les Japonais et cette popularité ne se dément pas jusque dans les années 1960.

Coucou miniature, années 1960, Collection privée.

Coucou, années 1960 Musée d’histoire de la vie quotidienne du Talou, Saint-Martin en Campagne

Coucou, années 1960, Collection privée. Coucou de marque Hönes Maison du Coucou, Rouen 2010

Le succès n’est pas seulement commercial : le coucou est certes dans tous les foyers, mais aussi dans notre imaginaire collectif. Plus qu’un objet, le coucou devient un personnage à part entière. La production de films, de dessins et de bandes dessinées nous le prouve fréquemment.

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Coucou ! Un personnage de cinéma ? Est-ce parce qu’il représente un monde où tout est petit et agréable que le coucou a remporté un tel succès dans l’imaginaire collectif ? Où est-ce son principe même, celui d’un petit oiseau, enfermé, qui toutes les heures vient créer l’évènement si attendu et prévisible ? Son attraction réside peut être dans le plaisir de l’attente. Le coucou ne suscite pas la surprise mais bien le suspense, tel que le définit Alfred Hitchcock dans ses entretiens avec François Truffaut18. Celui-ci oppose la surprise, événement brutal et totalement inattendu, au suspense, attente plus ou moins angoissée de l’événement attendu (l’explosion d’une bombe que l’on sait cachée sous la table par exemple). Plaisir de l’attente donc, à chaque fois récompensée. Le suspense est donc au cœur même du principe du coucou, qui devient un ressort scénique et cinématographique largement exploité dans le cinéma et les dessins animés. Le coucou, très tôt dans l’histoire du cinéma, est l’objet privilégié du film d’horreur. Le drame va nécessairement arriver, comme dans film d’angoisse qui se respecte, et le coucou est le symbole de cette attente de l’événement déclencheur tant attendu. Le coucou marque ainsi les heures de l’angoisse dans les toutes premières minutes du film M. Le maudit de Fritz Lang Coucou réalisé par Fabien Chalon pour le film Le Mystère de la chambre jaune. (1939). Une mère attend sa fille qui ©Anne-François Brillot/Why Not Productions ne rentre pas, alors qu’un tueur en série sévit en ville. Les plans repétitifs montrent régulièrement le coucou et assènent la certitude que la fillette ne reviendra pas. Cette fonction du coucou est soulignée dans Le Mystère 18 François TRUFFAUT et Alfred HITCHCOCK, Hitchcock /Truffaut, édition définitive, Gallimard, Paris, 2001, 311p. 29

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de la chambre jaune, adaptation de Bruno Podalydès (2003) du livre de Gaston Leroux. Les douze «coucou » de minuit retentissent, minuit heure du crime et heure du cri de Mathilde, que l’on tente d’assassiner dans la chambre jaune.

Un mécanisme source d’images loufoques Si le coucou de la Forêt Noire illustre parfois des scènes de crime, c’est sa dimension comique qui est le plus largement représentée. L’objet a quelque chose de fascinant et d’un peu absurde à la fois. Deux couvertures du Journal de Mickey l’illustrent : l’une montre Donald en proie avec un mécanisme récalcitrant qui s’écrase finalement sur sa tête, l’autre le « coucou » de Géo, sorte de robot qui prépare le réveil avec brosse à dent, tasse de café etc. Cette idée de mécanisme un peu loufoque a été largement reprise par les Guignols de l’Info avec leurs célèbres « Boîtes à coucou ». Dans l’univers fictif de l’émission, ce gadget a été inventé par Johnny Hallyday. Lorsque l’on prononce le mot « coucou » à proximité, un oeuf apparaît et elle profère un « coucou » qui déclenche systématiquement l’hilarité de son inventeur.

Le coucou, parfait déclencheur de gags Ce côté un absurde en fait une excellente ressource comique et burlesque. Le coucou devient ainsi à partir des années 1940 un personnage privilégié des cartoons. Par exemple, dans un Tex Avery de 195019, le chat devient fou en cherchant à attraper ce drôle d’oiseau qui le nargue toutes les heures. Les gags se succèdent au rythme du coucou avec leur lot de bâtons de dynamite, d’enclumes et de blessures loufoques typiques des cartoons de la première moitié du XXème siècle. La panthère rose, quant à elle, ne supporte plus cet horripilant volatile qui trouble son sommeil. Elle mène une lutte sans merci contre le 19 Tex AVERY, The Cuckoo Clock, MGM, 1950 30

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coucou pour finalement devenir son ami20.

Oiseau réel, oiseau de bois Dans ces cartoons, le coucou est assimilé à un vertiable oiseau, dont le rôle est de sonner les heures mais qui a une vie et une personnalité propre. Cet aspect d’oiseau bien vivant est une des clefs des cartoons et bandes dessinées. Il devient un véritable personnage avec des sentiments et des intentions. On se prend ainsi à éprouver un peu de compassion pour l’oiseau de Coucou Clock21, qui toutes les heures sert de cible facile à une poterie et un tire bouchon désœuvrés. Le jeu entre vrai et faux oiseau, entre le réel et l’imitation du réel donne source à toute une série de gags dans les strips et bandes dessinées dès les années 1960. Des couvertures du Journal de Mickey expriment bien ce jeu entre vrai et faux : Mickey chasseur croit Extrait du film d’animation au cri du faux coucou ou soigne un vrai oiseau Coucou Clock , 2005 malade. Génius remplace à plusieurs reprises le coucou mécanique et surprend ses amis.

Coucou maléfique ? Le jeu permanent entre vrai et faux coucou nous rappelle qu’à l’origine, avant d’être une horloge, le mot coucou désigne un véritable oiseau. C’est un animal peu sympathique qui a la particularité de déposer ses œufs dans le nid d’oiseaux d’autres espèces. Il les laisse s’occuper de sa progéniture à sa place et les parents adoptifs s’épuisent à nourrir cet hôte vorace. Ce comportement dit « cleptoparasitaire » a valu au coucou de devenir le symbole de l’infidélité, de la trahison, du parasitisme. Cette symbolique du coucou est très tôt utilisée en poésie et en musique. L’oiseau devient le mauvais larron des contes de morales. 20 Art DAVIS, In the pink of the Night, United artists,1969 21 François Cailleau et Audrey Fobis, Network Ireland Television, 2005. 31

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Ainsi, le recueil de contes moraux de Virginie Delafollie, Le nouveau meunier de sans-souci publié en 1833, loue la bonté et la générosité du phénix, oiseau magnifique et immortel, face à la méchanceté et au cynisme du coucou. Plus proche de nous, le dessin de Karim Friha, montre le coucou sous la forme Karim Friha, dessin orginal, 2010 d‘un Mégaman, personne maléfique d’une série de jeux vidéo des années 1980. Le cynisme du coucou est repris dans le court métrage Engrenages22. L’oiseau de l’horloge ne supporte plus sa captivité, il séduit une « dame coucou » et l’enferme finalement dans sa geôle avant de s’envoler vers d’autres cieux. Le coucou est ici présenté comme infidèle et trompeur mais aussi comme victime d’un mécanisme brutal dont il veut s’affranchir. Il est victime et bourreau à la fois, devenant méchant par force. Ce thème de l’enfermement donne lieu à des représentations plus poétiques de l’objet.

Un coucou poétique Loufoque, burlesque, absurde, le coucou se prête à toutes les représentations. C’est aussi un objet poétique, symbole du temps inexorable. P. Charrière, dans Echos et sentiers publié en 1879 en fait le témoin de la vie des hommes, de leur naissance à leur mort, dans les moments de peine et de joie. Dans la Mécanique du Coeur de Mathias Malzieu, le coucou est présenté comme un objet poétique, voire féérique. Le héros de ce roman, Jack, naît le jour le plus froid du monde. Il gèle tellement que son coeur ne bat pas à sa naissance. Le Docteur Madeleine, un peu 22 Dessin animé réalisé par un groupe d’élèves de l’école Supinfograph en 2007 : Cyril Cohen, Audrey Henneton, Virginie Kernel, Hélène Ourabah, Martin Reneleau, Jérôme Rouvelet, Sylvain Sarradin, Jérémy Soudjoukdjian, Marine Vaudour 32

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sorcière, lui greffe un mécanisme de coucou qui fera, à chaque tic-tac, battre le cœur de l’enfant. Le mécanisme fragile s’affole dans sa poitrine à la moindre émotion et manque de se briser lorsque Jack tombe amoureux. Jack est ainsi prisonnier de son cœur, comme un coucou en cage et ne cherche qu’à se libéer. Le dessin de Marc Mifune (en couverture)montre l’accomplissement de ce procesus où les Couverture de la Mécanique du coucous se libèrent enfin de leurs chaînes.

Un avenir pour le coucou ?

coeur de Mathias Malzieu, Flammarion, 2007 ©Joan Sfar, Karim Friha. Adaptation André Palais

On pourrait croire que le coucou fait désormais parti d’un monde un peu désuet, cantonné au domaine du kitsch. Ce terme ne désigne pas forcément un jugement négatif, il peut qualifier une véritable esthétique, faite de juxtaposition d’éléments disparates. Le coucou est toujours l’objet de création. De nombreux modèles, redessinés selon une esthétique épurée, remettent le coucou au goût du jour, comme le designer Natao Fukasawa. Plusieurs artistes contemporains reprennent son principe dans leur création. Ainsi Xavier Veilhan a créé un grand Coucou de Xavier Veilhan dans la engrenage, actionné par une bille en acier. Ce Galerie des Glaces, 2008 mécanisme qui tourne dans le vide a pris place ©ADAGP, Banque d’images, en 2008 dans la Galerie des Glaces de Versailles. Paris 2010 Il symbolise notamment l’absurdité de construire des machines sans buts, qui finalement ne sont qu’apparence. Il répond en cela à la Galerie des Glaces, magnifique incarnation de la vanité du Grand siècle. 33

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Bibliographie Ouvrages et articles sur l’horlogerie en Forêt Noire Richard CHAVIGNY « Les Horloges de la Forêt Noire », ANCAHA, n°42,1985. Markus Fidelis JÄCK, « Présentation historique de l’industrie et des échanges commerciaux de la Forêt Noire», Feuilleton paru en 1810, 1811 et 1815. Herbert JÜTTEMANN, Schwarzwälder Flötenuhren, Waldkirch, Waldkirch Verlag, 1991 Helmut KAHLERT, 300 Jahre Schwarzwälder Uhrenindustrie, Gernsbach, Casimir Katz, 2007 Edga POHL, L’Homme à la poursuite du temps, Paris, Plon, 1957 Paule PENDELEUR, « Les horloges de la Forêt Noire », AFAHA, n° 13, 1983 Franz STEYER, Geschichte der Schwarzwälder Uhrmacherkunst, Freiburg, 1796 « Statistik der Schwarzwalder Industrie 1841-1843 », GLA, Karlsruhe (Statistiques de l’industrie en Forêt Noire, Archives générales du Land, Karlsruhe) Ouvrages généraux Alfred HITCHCOCK et François TRUFFAUT, Hitchcock /Truffaut, édition définitive, Gallimard, Paris, 2001 Mathias MALZIEU, La mécanique du cœur, Flammarion, 2007 Films et films d’animation Tex AVERY, The Cuckoo Clock, MGM, 1950 François CAILLEAU et Audrey FOBIS, Coucou Clock, Network Ireland Television, 2005. Art DAVIS, In the pink of the Night, United artists,1969 Bruno PODALYDÈS, Le Mystère de la chambre jaune, Why Not Productions, 2003 Engrenage, Groupe de l’école Supinfograph, 2007 : Cyril Cohen, Audrey Henneton, Virginie Kernel, Hélène Ourabah, Martin Reneleau, Jérôme Rouvelet, Sylvain Sarradin, Jérémy Soudjoukdjian, Marine Vaudour

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Oeuvres

exposées

Horloges • Mécanisme en bois, fin XVIIIème siècle. Collection privée. • Coucou sonnant les heures et les quarts, de style néogothique, deuxième moitié du XIXème siècle. Collection privée. • Horloge à encadrement d’inspiration Biedermeier, automates ours et montreurs d’ours, deuxième moitié du XIXème siècle. Collection privée • Horloge d’inspiration Biedermeier, automate de moine, deuxième moitié du XIXème siècle. Collection privée. • Sorg Uhren en porcelaine. Deux horloges de taille moyenne, deuxième moitié du XIXème siècle • Sorg Uhr en cadran plat laqué. Deuxième moitié du XIXème siècle. Collection privée. • Horloge miniature Jockele en laiton, deuxième moitié du XIXème siècle. Collection privée • Mécanisme Forêt Noire, fin du XIXème siècle. Musée de l’Horlogerie • Horloge à cadran plat laqué, reproduction de modèles typiques de la Forêt Noire, années 1960. Collection privée • Coucou miniature des années 1960. Collection privée • Horloge automates des années 1960. Collection privée • Coucou des années 1960. Collection privée. • Coucou des années 1960. Musée de l’Histoire de la vie quotidienne du Talou de Saint-Martin en Campagne. • Coucou de style trophée de chasse, années 1960. Collection privée. • Reproduction d’horloge à foliot droit, années 1960. Collection privée • Coucou de marque Hönes à automates, 2010. Maison du Coucou à Rouen • Coucou de marque Hönes, 2010. Maison du Coucou à Rouen Vidéos et dessins animés • Boîtes à coucou, Guignols de l’Info, avec l’aimable autorisation de Canal + et des auteurs • Coucou Clock, Audrey Fobis et François Cailleau , Network Ireland Television, 2005 • Engrenages, Cyril Cohen,Audrey Henneton, Virginie Kernel , Hélène Ourabah,Martin Reneleau, Jérôme Rouvelet ,Sylvain Sarradin, Jérémy Soudjoukdjian, Marine Vaudour, 2008 Livres, illustrés et bandes-dessinées • Virginie Delafollie, Le nouveau meunier de sans-souci, 1833, Bibliothèque Nationale de France • Mathias Malzieu, La mécanique du Coeur, Flammarion, 2007 • Le Journal de Mickey, 10 numéros parus entre 1956 et 1991, avec le concours de Disney Hachette Presse • Xavier Veilhan, Coucou, reproduction photgraphie fournie par l’ADAGP, Banque d’images, Paris, 2010 Dessins réalisés spécialement pour l’exposition • Karim Friha, Méga man coucou, dessin original, 2010 • Marc Mifune, Coucous, dessin original, 2010 35

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Musée de l’horlogerie 48 rue Édouard Cannevel 76 510 Saint-Nicolas d’Aliermont www.musee-horlogerie-aliermont.fr

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