1335. Pétrarque a l’idée incongrue de se lancer dans l’ascension du Mont Ventoux. Passée une tentative de découragement d’un vieux pâtre, l’homme déterminé poursuit sa pénible ascension. Et, parvenu au sommet, il contemple les paysages, se remémore des épisodes biographiques, historiques puis ne peut résister à l’envie de lire les Confessions de Saint Augustin : « Les hommes s’en vont admirer les cimes des montagnes, les vagues de la mer, le vaste cours des fleuves, les circuits de l’Océan, les révolutions des astres, et ils se délaissent eux-mêmes. » Le choc. Silencieux, il descend le mont, convaincu que rien n’est plus haut que la nature humaine. Fondateur de la considération du paysage et de sa contemplation comme moyen d’élévation, voilà un récit qui met la pression. 2014. Armés de nos chaussures décathlon, grimper un mont ne tient plus grand chose de l’aventure unique. Quant à l’expérimentation du sublime, elle semble se réduire aux photos souvenirs à l’originalité folle. Produites en quantités, ces vues de type carte postale participent d’une banalisation du paysage, semant la confusion entre l’expérience et son image. Malgré tout, le flux semble intarissable. Partant de ce constat et non sans ironie, Carine Klonowski se délecte à séparer les couches de ce sujet devenu tarte à la crème. Le coucher du soleil s’impose comme l’un des classiques du genre. Avec la vidéoprojection Before Sun Sets (2012), l’artiste nous offre, du moins nous le croyons, l’opportunité d’en vivre un dans une exposition. L’image s’étale sur le mur, le soleil entame son déclin, le ciel est rosi, on attend que la mer fasse de même jusqu’à l’extinction. À cela s’ajoute un timer, bien central, au-dessus du soleil, sur lequel le temps s’égraine. Ça gâche un peu le joli spectacle mais après tout, pourquoi pas en connaître la durée. Le visiteur se pose, guette l’évolution, surveille les minutes et... rien. Absolument rien. L’image est fixe, seule l’attente est minutée. Évacuons la
frustration du visiteur pour se concentrer sur ce qui émerge. Par ce procédé, l’artiste désigne, en le figeant, le moment du crépuscule. Lever et coucher de soleil, c’est à dire l’arrivée ou le départ de la lumière naturelle, constituent de manière très prosaïque les phases d’apparition ou de disparition du paysage à contempler. Cet impératif de la lumière occupe une place récurrente chez l’artiste. En effet si elle est indispensable pour voir, elle l’est d’autant plus pour générer une image, l’enregistrer et la faire apparaître. Ainsi, quelles que soient les technologies de l’image utilisées, elles n’échappent pas à cette condition archaïque. Before Sun Sets aborde la chose d’une manière quasi tautologique : un vidéoprojecteur projette artificiellement de la lumière, génère l’image d’une source de lumière naturelle qui, elle, fait émerger l’image de paysage enregistrable puis projetable. Alors si le soleil est un gros projecteur, pourquoi ne pas simplement utiliser un projecteur ? L’artiste le teste. Posé au sol, un projecteur mini-découpe fait surgir un phénomène de crépuscule sur l’ombre d’un mur, l’angle avec le sol formant l’horizon (Projecteur, 2012). La proposition est sèche et radicale, cependant elle déploie 2 axes majeurs dans la pratique de Carine Klonowski. L’un qui explore dans chaque médium son usage le plus basique afin de générer une image indicielle de paysage et tester ainsi notre propension à (vouloir) le voir, même dans l’expression la plus infime ; l’autre qui expose la possibilité de générer ses propres phénomènes merveilleux comme réponse à la fascination perdue pour une nature qui, avec le temps, paraît de moins en moins mystérieuse ou romantique. Le résultat est souvent cheap, peut-être en écho d’une attente parfois trop béate. Pour exemple, Dos bleu (2014), où comme le nom l’indique, un papier dos bleu, normalement utilisé comme support d’impression d’affiche, est utilisé pour son revers et recouvre la totalité du plafond d’une salle. Un gros projec-