Récits du terrain

Page 2

LETTRES DU TERRAIN

Travail d’équipe salvateur en République centrafricaine

A

près plusieurs semaines chargées, après avoir vu la douleur, le chagrin, la mort et le désespoir, j’ai finalement participé à un événement heureux : le sauvetage d’un enfant des griffes de la mort.

Quand un enfant souffre d’une infection des voies respiratoires, les guérisseurs traditionnels accusent souvent la luette, cette petite excroissance de chair située au fond de la gorge. Pour traiter l’enfant, le guérisseur traditionnel peut enlever la luette, souvent à l’aide d’un instrument non stérile. L’enfant se retrouve avec à la fois une infection des voies respiratoires et une infection causée par l’instrument malpropre. C’est généralement alors que les parents viennent à nous, voyant que l’enfant ne va pas mieux. Ici, nombreux sont les gens qui doutent des bienfaits de la médecine occidentale. Ils viennent souvent à nous très tard - en dernier recours. En plus de la fièvre, l’organisme d’Alfred répondait au paludisme par des convulsions. Nous avons commencé un traitement par antibiotiques, antipaludéens, analgésiques, anticonvulsivants et oxygène. Alfred était stable et semblait bien réagir. Mais le lendemain, j’ai trouvé Papa David, l’aideinfirmier, au chevet d’Alfred, l’air bouleversé. Alfred présentait un faible taux d’oxygène dans

© MSF

Alfred, six mois à peine, a été admis pour paludisme grave, infection des voies respiratoires, et ablation de la luette.

le sang et une détresse respiratoire. Il avait commencé des convulsions, sa respiration était erratique et ses yeux étaient vides. J’ai senti une montée d’adrénaline. J’ai demandé à David d’apporter l’aspiration portable. Les infirmiers Thomas, John et Wilfred sont accourus. J’ai dit à l’un de préparer un diazépam IV, à un autre d’appeler le Dr Maurice, et au troisième de m’aider avec l’aspiration. Il fallait faire vite. David a actionné la machine d’aspiration à pédale pour retirer le mucus du petit corps d’Alfred. Mais les sécrétions étaient si épaisses que ça n’allait pas. J’ai envoyé David chercher notre unité d’aspiration sur batterie. Entre-temps, nous avons administré du diazépam à Alfred, mais ses convulsions ne diminuaient pas. Sa bouche était contractée et ne s’ouvrait pas. J’ai demandé un dispositif pour maintenir ses voies respiratoires ouvertes et un masque de réanimation.

RÉPUBLIQUE CENTRAFRICAINE : UNE CRISE PERSISTANTE Ces derniers mois, les équipes de MSF sont témoins d’actes de violence extrême en République centrafricaine (RCA). MSF exhorte la communauté internationale à améliorer l’aide d’urgence pour répondre aux immenses besoins humanitaires et médicaux. La RCA se trouve en état de crise depuis des années. Le pays souffre d’un manque de services gouvernementaux et d’infrastructures, en plus d’être aux prises avec des inondations pendant la saison des pluies. La faim est omniprésente et le taux de mortalité dans certaines régions a atteint des niveaux alarmants. Le paludisme demeure par ailleurs la première cause de mortalité.

La violence et l’insécurité se sont nettement aggravées depuis un coup d’État mené par un groupe de rebelles en 2013. Des dizaines de milliers de personnes ont été déplacées. Les établissements de santé ont été pillés et le personnel médical a fui. Et même dans les endroits où les soins de santé sont disponibles, la plupart n’ont pas les moyens de se les offrir. MSF œuvre en RCA depuis 1997 et administre actuellement sept hôpitaux, deux centres de santé et une quarantaine de postes sanitaires. Il y a plus de 1 100 membres du personnel qui sont embauchés sur place par MSF, en plus de 100 autres provenant d’autres pays, dont 17 du Canada.

Nous avons essayé d’ouvrir ses voies respiratoires, sans succès. Son taux d’oxygène continuait à chuter. Et le masque de réanimation était trop grand. « David, » j’ai dit, « apportez-moi un masque d’enfant, vite! » Enfin, la machine d’aspiration est arrivée et le Dr Maurice est apparu. Il est parvenu à ouvrir les voies respiratoires d’Alfred tandis que je démarrais l’unité d’aspiration, et que John mettait en place le masque de réanimation approprié. Après le retrait d’une bonne quantité de mucus, le taux d’oxygène d’Alfred à 80 pour cent, j’ai commencé à oxygéner le petit bébé avec le réanimateur. Nous attendions tous en surveillant son taux d’oxygène : 80 pour cent... 85... 92, enfin 100 pour cent! Nous pouvions tous respirer. Peu à peu, sa respiration a ralenti, son rythme cardiaque s’est calmé et son taux d’oxygène dans le sang s’est stabilisé. Ses convulsions se sont enfin arrêtées. Nous avions travaillé 45 minutes. Je suis restée l’heure suivante - je voulais être certaine qu’Alfred continuerait à respirer. Une semaine plus tard, Alfred allait bien. Il avait l’air en bonne santé, et a quitté l’hôpital avec ses parents.

Janique Gagnon Infirmière

Janique Gagnon est infirmière au Centre hospitalier pour enfants de l’est de l’Ontario, à Ottawa. Elle est récemment revenue d’une mission à Boguila, un village de la République centrafricaine. Le texte suivant est adapté d’un blog qu’elle a écrit sur son expérience (blogs.msf.org/janiqueg).


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.