Les Actes des 25es Controverses européennes

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Mercredi 17 juillet 2019

CONTRIBUTIONS

Six témoignages en quête de sens

rencontrant des gens avec beaucoup d’expérience, en âge et en années de travail, que j’ai compris que j’étais typiquement un Nima. Tous ensemble, nous nous sommes demandés ce qui permettait aux Nima de réussir ou au contraire quels étaient les grands échecs vécus par ces populations. C’est le sens des interventions qui vont suivre : les Nima sources d’innovation, de transmission, leurs apports à la communauté, le sens de leur projet. Et puis, nous adressons deux grandes questions à la table ronde et aux échanges avec le public : quelle est la viabilité dans le temps de ce type d’installations, d’une part ? S’ils représentent actuellement environ un tiers des installations, quel est leur poids dans l’agriculture de demain, d’autre part ?

Un apport décisif

Avec Arnaud Bourgeois, éleveur, ferme conservatoire du Domaine de la Valette ; Jacques Chèvre, paysan retraité ; Jean-Paul Landat, agriculteur à la retraite ; Francis Cadalen, Cuma des éleveurs du Bergeracois ; Hervé Delage, maire de Monsaguel (24) ; Didier Bertholy, Chef de projet Culture et Agriculture, Tulle Agglo.

Ils sont élus, agriculteurs, membres d’associations et se sont constitués en Groupe de réflexion local, afin de contribuer à nourrir les sujets des Controverses européennes. Leur apport : faire entendre les réalités de leurs territoires, de la Dordogne à la Corrèze, qui entrent en résonance avec le thème traité. Cette année, la question des nouveaux venus en agriculture, les fameux « hors cadres » ou Non Issus du Milieu Agricole (NIMA), ont animé bon nombre de leurs échanges. Témoignages.

Avec eux j’ai appris que j’étais un Nima Arnaud Bourgeois : Je fais partie de cette catégorie des Nima. Qu’est-ce que cela signifie pour moi ? Cela veut dire qu’enfant j’allais en vacances d’été chez mes grands-­ parents en Normandie et je passais mon temps, à la grande inquiétude de mes parents, à regarder les animaux. Déjà à huit ans, je décidai que je voulais travailler à la ferme quand je serai grand. Comme on n’avait pas de terres, ni de biens de famille, on m’a convaincu qu’il valait mieux être vétérinaire et à l’époque, j’ai probablement bien fait de suivre ce conseil. J’ai donc été vétérinaire mais j’avais toujours ce rêve en tête : être paysan, pouvoir élever mes animaux, vivre à la campagne. Peu à peu, c’est devenu une volonté, un acte militant. Il y a quatre ans, j’ai donc tout arrêté et je me suis installé à une quinzaine de kilomètres de Bergerac. C’est en rejoignant ce groupe de réflexion local, grâce aux Controverses, et en

Jacques Chèvre : Je me suis installé paysan à Razac d’Eymet (Dordogne) en 1975, à l’âge de 28 ans. Je n’étais pas issu du milieu agricole même si j’avais travaillé tous les étés dans des fermes pendant mes études et que je sortais d’un centre de gestion agricole. Les agriculteurs de « souche » - plus ou moins ancienne, la souche ! - avaient souvent une image assez négative de ces nouveaux arrivants. Ils les imaginaient à l’époque moitié hippies, de toute façon ignorants des choses de l’agriculture, donc l’accueil n’était pas chaleureux. La plupart des chevriers étaient, comme moi, des Nima. C’est pourtant avec eux que nous avons inventé le fameux « Cabécou du Périgord » qui a permis le développement de la production caprine en Dordogne. Dans ces années 1970/80, l’apport des Nima a en effet été important en matière d’innovation dans de nombreuses filières, telles que les canards gras, les ovins ou encore l’agritourisme… ils ont été ainsi des pionniers pour la vente directe et se sont montrés très inventifs dans l’organisation de la profession, par exemple pour initier le service de remplacement ou porter les Cuma locales. Quand, avec mon collègue du Gaec, nous avons pris notre retraite en 2008, nous avons là encore transmis la ferme à un couple de jeunes eux-aussi Nima. Et ces derniers ont développé avec succès des activités nouvelles de transformation, embauchant deux salariés supplémentaires. Aujourd’hui, une nouvelle génération d’actifs non issus du milieu cherche à s’installer en agriculture. Ils ont pour la plupart un projet de vie orienté vers l’échange, associant des projets culturels et tous sont guidés par une forte motivation environnementale. Pour favoriser et accompagner leur installation dans le département, Terre de Liens, la Maison des Paysans, AgroBio Périgord et Pays’en Graine qui gère les EspacesTest agricoles ont créé une plateforme de compétences. Car bien que ces nouveaux venus soient encore trop souvent regardés comme n’étant pas de « vrais » agriculteurs, plutôt comme de futurs « bénéficiaires » du RSA (l’insulte suprême), nous sommes convaincus, avec d’autres, que leur apport sera décisif, comme il l’a été dans les années 1970, pour garder des campagnes vivantes et une agriculture nourricière dynamique. Une précision : j’ai eu une vie professionnelle heureuse et je reste un retraité heureux. 25ES CONTROVERSES EUROPÉENNES À BERGERAC P 39


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