Images des mondes agricoles dans la société : l’état de chocs ?
TABLE RONDE
Du glyphosate à l’élevage : questions scientifiques, traitements médiatiques et politiques
Avec Sylvestre Huet, journaliste indépendant et auteur du blog {Sciences²} sur Le Monde, Antoine Messéan, Association française d’agronomie, Eddy Fougier, politologue et consultant indépendant, spécialiste des mouvements protestataires, et Pascale Hébel, directrice du pôle consommation et entreprise du Crédoc.
Glyphosate et élevage, deux sujets en proie à la polarisation des débats et la radicalisation des positions. L’objectif de cette table ronde : rester à la surface médiatique et tenter de déceler ce que ces crispations disent de nos sociétés, avec des allers retours entre les crises et points de discorde d’hier (OGM, vache folle, DDT...) et ceux d’aujourd’hui. Une séquence animée par le journaliste Yann Kerveno.
Yann Kerveno : Antoine Messéan, vous avez beaucoup travaillé sur la question des OGM… Y-a-t-il des similitudes entre les discussions sur les OGM, datant de la fin des années 1990, et des dossiers comme le glyphosate et l’élevage ?
Expertise et radicalisation Antoine Messéan : Il y a beaucoup de similitudes. Jusque dans les années quatre-vingt dix, la science produisait des connaissances et un certain nombre de certitudes qui se traduisaient, sous la férule des experts, dans les décisions publiques. Et puis, la vache folle et les OGM ont remis en cause ce schéma de construction de l’expertise publique, avec l’immersion d’autres acteurs de la société, et provoqué ce que j’appelle « le choc de l’expertise ». C’est encore le cas aujourd’hui, mais voici ce qui me frappe : d’une part la radicalisation accrue des positions, à la fois de ceux qui contestent l’expertise publique et, en retour, de certains scientifiques et experts ; et d’autre part, une violence qui s’exprime très vite dans les échanges, notamment sur les réseaux sociaux. Mais cela ne peut pas être une réponse, c’est une impasse. Le débat sur les OGM s’est envenimé mais il est monté progressivement. Concernant le glyphosate qui, à part les spécialistes, n’intéressait personne il y a encore quatre ans, c’est arrivé de manière plus rapide et plus violente. Alors, forcément, il y a eu impréparation du politique, mais également des scientifiques qui n’ont pas anticipé. Sylvestre vous êtes journaliste, vous avez également travaillé sur les OGM. Voyez-vous, vous aussi, des similitudes dans ces polémiques, ces controverses ? P 26 25ES CONTROVERSES EUROPÉENNES À BERGERAC
Sylvestre Huet : Il y a un enjeu central, pour notre société, quant à la manière dont nous allons utiliser ou pas des technologies de plus en plus puissantes mises à notre disposition par la science et les ingénieurs afin d’affronter les défis du XXIe siècle. Stéphane Le Foll est au fond de cette salle… En septembre 2012, au terme d’une folle journée provoquée par le titre en Une du Nouvel Observateur « Oui, les OGM sont des poisons ! », il annonce au JT que la manière dont sont évalués les risques des plantes transgéniques va changer. Autrement dit, désolé pour le terme, il se soumet à une pression médiatique qui l’oblige à faire quelque chose de mauvais pour la démocratie et pour la qualité du débat public. Qu’aurait dû-t-il dire ? « Un article est paru dans une revue scientifique, une équipe de chercheurs affirme qu’elle a découvert que l’ingestion de maïs génétiquement modifié pour tolérer un herbicide, le glyphosate, tue les rats utilisés lors de l’expérience. Mais, comme nous ne sommes pas si différents des rats, cela pourrait aussi tuer les vaches et les hommes. Cela peut être considéré comme une information extrêmement alarmante. Moi, Stéphane Le Foll, je ne sais pas si cette affirmation, c’est du lard ou du cochon, mais heureusement, nous disposons avec l’Anses, l’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentation, et avec le Haut Conseil des Biotechnologies d’une expertise publique dirigée par des personnes que nous avons nommées et que nous considérons compétentes, sincères, sans conflit d’intérêt avec des puissances économique et financière. Ces agences sont capables de fournir aux gouvernants et aux citoyens des conseils sur ce genre de sujet. Eh bien, nous leur avons donné les moyens financiers pour réunir des groupes d’experts qui nous diront ce qu’il faut penser de cet article. Je pourrai alors vous dire les décisions