Images des mondes agricoles dans la société : l’état de chocs ?
d’une force de proposition : un ensemble de techniques, une forme d’organisation, un principe d’autonomie paysanne, la ferme considérée comme un organisme vivant, etc. Autant de propositions concrètes pour une agriculture paysanne qui constitue le deuxième principe générateur de la bio avec la contestation. Théoriquement, ces deux principes générateurs conduisent les agriculteurs pionniers à faire que la bio soit, plus qu’un mode de production, un projet social et politique qui ne cesse de progresser, par exemple avec un cahier des charges qui, jusqu’en 2009, évolue vers plus d’exigences.
Une dynamique contestataire perdue en chemin La perte en cours de route du volet contestataire est le fait d’une dépolitisation de la bio, réduite à un simple mode de production et ce, dès le début des années 1980, au moment de reconnaître une agriculture bio définie comme « sans produits chimiques de synthèse », d’homologuer et d’harmoniser les cahiers des charges privés existants. Il y a alors toute une lutte pour élaborer cette définition. Celle qui a été retenue restreint la bio à un simple principe : n’employer ni pesticides, ni fongicides, ni engrais chimiques. Cette dépolitisation de la bio, cette dépossession de sa dynamique contestataire, permet effectivement, dans un processus assez long, de l’intégrer dans une économie agricole dominante industrielle, celle-là même qu’elle critiquait à l’origine. Voilà la contradiction implicite que soulève le titre de ce débat : « Le bio, bientôt conventionnel ? » Après, je reviendrai peut-être sur cette notion de « conventionnalisation ». Un processus à l’œuvre déjà depuis plusieurs décennies, aux États-Unis notamment. La dépolitisation débute donc avec le cahier des charges. Anne nous disait au contraire qu’il faudrait l’améliorer, en y intégrant la distribution… Benoît Leroux : Les fondateurs de la bio ont au départ fait confiance à l’État, car il leur fallait une reconnaissance institutionnelle pour sortir cette agriculture de sa marginalité et la développer plus largement au niveau national et international. Il faut dire qu’à ce niveau là, la France s’est placée à l’avant-garde, notamment avec « Nature et Progrès ». Mais il y a aussi eu une forme de trahison de l’État, qui n’a pas souhaité soutenir l’agriculture biologique. Certes, il existe un ensemble de plans de développement de l’agriculture biologique, mais qui consistent principalement à dire : dans dix ans vous aurez 10 % de bio, dans vingt ans vous en aurez 20 %, etc. Car demandez à Jean-Luc ou à d’autres : l’argent n’est pas là ! Le soutien politique n’est pas là ! Vous allez me dire que l’État est un bouc émissaire un peu facile. De fait, le syndicat agricole dominant s’oppose aussi à l’émergence de la bio. C’est à ce niveau-là que se jouent les luttes pour défendre un cahier des charges, lequel ne sera ni porté ni défendu par les institutions étatiques. En 2003, le rapport Saddier2 préconisait que l’Etat opte pour le marché : ce sont les consommateurs qui vont développer la bio, pas les organisations professionnelles agricoles. Nous sommes encore dans cette toile de fond. 2 - Martial Saddier, député de Haute Savoie, a présenté le 17 juillet 2003 son rapport sur l’agriculture biologique en France. Ce rapport dresse tout d’abord un état des lieux de l’ensemble de la filière puis, ayant mis en lumière ses problématiques majeures, propose une quinzaine de recommandations visant toutes un seul et même objectif : permettre à l’agriculture biologique française de reconquérir une première place européenne.
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Cette perspective historique que dresse Benoît est intéressante. Jean-Luc, comment ça se passe localement pour vous, avec les coopératives, les confrères, les acheteurs ? Sont-ils scindés en deux camps ou y a-t-il cohabitation ? De nouveaux opérateurs font-ils leur apparition ? Jean-Luc Bongiovanni : Dans les Hautes-Pyrénées et le Gers, ce sont les mêmes coopératives qui ont diversifié leur activité dans la bio. Elles sont regroupées dans une structure, Agribio Union, qui collecte nos céréales. Elles l’ont fait, mais pas de gaîté de cœur ! Et les opérateurs privés s’y mettent parce qu’ils perdent des hectares, des volumes… Donc tout le monde s’y met. C’est plutôt bien car cela crée un peu de concurrence, ce qui maintient les prix. Du côté des institutions, la chambre d’agriculture des Hautes-Pyrénées a plutôt bien évolué. Huit de ses élus sont en bio : nous arrivons ainsi à nous faire entendre. Les lignes bougent. Notamment parce que ce sont des gens qui étaient en conventionnel qui passent en bio et qui montrent qu’ils arrivent à faire du résultat. D’autres structures ont été déterminantes pour déclencher des conversions en bio, par exemple le Groupement de Vulgarisation Agricole.
ÉCHANGES AVEC LE PUBLIC
Un cahier des charges qui pèse lourd Un agriculteur : Je considère que si on n’est pas satisfait du cahier des charges européen, libre à nous de faire des cahiers des charges privés ! Nous autres, en Bretagne, avons décidé de le faire en 2002 : on avait refusé à l’époque les serres chauffées mais aussi les semences OGM vendues sur les catalogues, y compris en bio. Les paysans peuvent prendre leur destinée en main, décider que le cahier des charges ne leur convient pas, se débrouiller pour faire valoir leurs produits tels qu’ils veulent auprès des consommateurs. Pascal Seingier, agriculteur à la retraite : J’ai converti une partie de mon exploitation en bio, laquelle a été reprise par notre fils et notre belle-fille, qui ont achevé l’intégralité de la bio. Quand on vient de l’agriculture conventionnelle, il faut changer radicalement certaines idées que nous avons. Par exemple, celle du champ « propre », sans un chardon qui dépasse, sans coquelicot. En bio, à l’inverse, il faut accepter de vivre avec tout ça et de créer un équilibre. Si ma femme et moi avons abandonné le conventionnel, c’est que ça ne fonctionnait pas sur notre exploitation. Tous les ans, il y avait un phénomène climatique qui faisait que les rendements n’étaient pas là et que ça ne répondait pas à la mise de fonds qu’on avait fait à travers la chimie. Ensuite, on a fait beaucoup d’accueil pédagogique, on a aussi développé une boutique à la ferme, en 1987. À l’époque, on était pris pour des fous. Or quand on vend à la ferme, on ne peut pas faire autrement que de regarder notre client dans les yeux. Là, on ne peut pas raconter de bêtises. On a toujours dit comment on travaillait. Et très vite, nos clients nous ont dit : mais vous êtes presque en bio ! Donc le pas s’est fait très rapidement. Il s’est fait pour une raison foncière, parce qu’on voulait travailler avec « Terre de Liens », donc il fallait qu’on respecte leur cahier des charges. Je voulais dire aussi que