Contrepoints

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d'étoffe synthétique. Visiblement elle composait avec cette requête contre-nature de son mâle. Claire songeait que de la même façon ils avaient dû essayer la sodomie. Le coup de booster érotique du milieu de la cinquantaine, phénomène connu des rédactions dans la presse féminine. Coiffée hommasse, comme il se doit, mais brushée, avec de la mèche blonde, violette, mauve, rose bonbon, dans la tendance du moment. De ces vilaines permanentes à soixante-quinze euros que vous façonnent le samedi après-midi les coiffeuses anorexiques des salons prétentieux de province. Le mari de Madame faisait partie de la cohorte d'admirateurs que Claire s'était faits sur cette plage, et dont elle se serait bien passée. Des maris fidèles pour qui une femme seule était une femme disponible, à qui l'on venait faire un doigt de cour à la dérobée pendant que Madame était aux courses, prenait sa douche, s'occupait d'elle-même. Claire si différente, Claire si sexy, Claire que l'on sentait appartenir à un autre milieu. La vieille histoire de la femme du voisin. - Je suis chef de projet dans une grosse boîte de com à Paris, mentit Claire à la soupçonneuse qui, sentencieusement, hocha la tête. - Votre époux va vous rejoindre ? Interrogation prononcée sur le ton de l'allusion, à quoi Claire répliqua par un Pourquoi ? ingénu. Il lui pressait d'envoyer cette chieuse dans les cordes. C'était chose faite, à en voir la soudaine pâleur envahissant son visage affaissé. Mais comme elle avait de l'éducation, et que surtout elle tenait absolument à tout connaître des motivations cachées de sa vis-à-vis, la bonne femme n'en laissa rien paraître. - Je disais ça comme ça... Je vous voyais seule... - Seule, répéta Claire pour elle-même. - Et je me disais, poursuivait l'autre en scrutant l'horizon bleuté derrière ses lunettes de soleil à monture pailletée, que ça ne devait pas être drôle pour une femme, à nos âges, de passer seule ses vacances. - Rassurez-vous, répondit Claire sèchement, je ne suis pas là pour draguer, ni votre jules ni aucun homme ici. D'ailleurs mon type d'hommes n'est pas représenté sur cette plage. De saisissement, la soupçonneuse laissa choir son Femme Actuelle dans le sable varois. La morale occupait une place prépondérante dans sa vie, comme en témoignaient la croix huguenote qui battait son décolleté flétri et sa main tenant comme une laisse celle de sa moitié, qui à ce moment précis aurait aimé disposer d'un sas de téléportation pour se précipiter n'importe où dans l'univers où madame son épouse n'aurait aucune latitude de l'empêcher de fantasmer tranquille sur les jolies parisiennes délurées. C'était un bon monsieur à moustaches et calvitie d'aubergiste, dont le bedon trahissait l'inclination pour la cuisine traditionnelle et les breuvages l'accompagnant. Il était négociant en vins à Haguenau, nul ne pouvait l'ignorer, madame n'ayant cessé de le répéter depuis leur arrivée à l'hôtel à bord d'un break Audi surchargé de bagages et de chromes rapportés. - Ce n'était pas ce que je voulais dire, se récria la soupçonneuse un ton plus bas, soucieuse d'éviter le scandale. - Mais j'en suis persuadée, minauda Claire, enchaînant sur le même ton léger : « En fait je viens de divorcer et je mets à profit mes dernières vacances pour faire le point.» L’attention de la soupçonneuse s’était alors portée sur cette idée de dernières vacances. Etrange expression, en vérité. Dernières vacances avant quoi ? Les vacances sont le temps de liberté conditionnelle accordé par la Société à celles et ceux qui sont en activité. Elle ne le serait plus à la fin de l’année, avait-elle murmuré. Le mot retraite avait effleuré les lèvres décolorées de la soupçonneuse, mais s’était arrêté


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