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Kram Ngoy

Kram Ngoy

Kram Ngoy chantait ses poèmes en s’accompagnant de sa cithare monocorde de village en village. La nouvelle de son succès auprès des paysans vint jusqu’à la capitale, où il chanta devant le Samdech Chakrei ou ministre de la Guerre. Puis, notre poète-chanteur fut présenté au roi Sisowath qui, charmé par ses chansons au monocorde, le récompensa par de l’argent. Le roi l’appela Preah Phirum Pheasa (l’auguste parole mélodieuse). Jusqu’en 1975, on considéra Kram Ngoy comme un poète révolutionnaire qui a lancé des idées et des réflexions nouvelles et réalistes. L’écho du talent de Kram Ngoy arriva à G.Cœdès, membre de l’École française d’Extrême-Orient et grand khmérisant. En 1930 ce dernier le présenta à Suzanne Karpelès, alors directrice de l’Institut bouddhique de Phnom Penh. Elle fit noter les poèmes par un scribe au moment où Kram Ngoy chantait pendant plusieurs jours devant elle, en compagnie d’autres érudits khmers. Elle fit publier ces poèmes et en récompense elle donna une piastre à notre poète-chanteur.

Les Chinois sont riches grâce aux échanges et aux ventes de paddy et de son par le panier et par le boisseau, d'articles cuits ou crus, de pagnes, de chemises et pantalons noirs et blancs. Les Khmers se fient au paddy dans leur coffres, et cependant ils échangent à n'importe quel prix, quelle que soit la qualité; à bout de paddy, devenus pauvres, ils supplient les Chinois de leur prêter leur propre paddy. Le travail de la rizière est très pénible. Les Chinois restent couchés fièrement à la maison, ils ont des maisons de deux ou trois sections, avec une place pour leur grenier à paddy. Les Khmers manquent de jugement; ils mangent sans réfléchir, sans regarder le faux et le juste; ils empruntent aux Chinois à chaque saison, tout l'héritage de leurs parents est confisqué par les Chinois. Les Chinois viennent d'un pays lointain, le baluchon à l'épaule comme seul bien, ne sachant pas encore le khmer, sans patrimoine ni champ inondé ou sec. Ils établissent leur foyer en associant la force avec l'intelligence: ils portent la palanche sur l'épaule, avec du bétel et de l'arec comme capital. Ils ont toutes sortes de marchandises, étalées et rangées selon leurs catégories. les Chinois portent deux fardeaux sur l'épaule, jamais un seul; leurs greniers débordent de paddy.

Kram Ngoy est décédé en 1936 à l'âge de soixante et onze ans. Il a laissé plusieurs recueils de poèmes gnomiques. Voici un extrait de "recommandations", longues suites d'injonctions à l'adresse du peuple khmer pour le mettre en garde contre ses ennemis chinois et vietnamiens qui abusent de ses faiblesses : "Mes enfants, filles et garçons, examinez avec crainte vos actions fausses et justes, réfléchissez-y de tous les côtés, à celles que nous tous faisons. Des yeux sont ouverts et valides mais voient trop près et superficiellement, des yeux fermés voient loin, totalement sans qu'il ne reste rien. Apprenez à faire du commerce, réfléchissez afin de comprendre la perte et le bénéfice, pour connaître les affaires à fond, alors naîtront les profits chez vous. Apprenez l'arithmétique, l'addition, la division, la multiplication, de toutes vos forces, tenez la craie et l'ardoise de crainte que les Chinois et les Vietnamiens ne vous dupent. La balance a des graduations, regardez-les vraiment, sans faire d'estimation de crainte que ce soit faux et que cela vous fasse perdre sûrement, n'ayez pas confiance même en ceux que vous connaissez bien. Les yeux de l'homme sont grands et luisants, les yeux de la balance, on les a faits tout petits. L'honnête homme pèse avec rigueur parce qu'il a pitié des Khmers ignorants et sots.

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------------------------KHING Hoc Dy Ecrivains et expressions littéraires du Cambodge au XXème siècle-1993

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