NOVO N°20

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Rencontres par Cécile Becker photo : Pascal Bastien

Dans l’intimité de la folie Regarder les films de Jonathan Caouette, c’est inévitablement se retrouver dans l’intimité de quelque chose, être frappé, touché au plus au point par l’honnêteté de ses images, par son regard tendre. Rencontre au Cinéma Star, à Strasbourg.

Il y a eu Tarnation, portrait d’une famille difficile construit comme les battements d’un cœur blessé. Certains n’y ont vu qu’un long métrage d’un réalisateur auto-centré. Faux. Jonathan Caouette s’immisce simplement dans les secrets pour dévoiler leurs beautés. Exactement comme il a pu le faire avec la musique en réalisant le beau documentaire sur le festival du même nom All Tomorrow’s Parties. Que la folie soit belle, inquiétante, poétique ou musicale, il la met à nue. Cette année, il revient avec Walk Away Renée, comme une suite actuelle à Tarnation, avec sa mère, plus belle que jamais, et lui, définitivement apaisé. Tarnation est un film assez dur évoquant votre évolution avec la maladie de votre mère, dans Walk Away Renée on sent la vie revenir, quelque chose de plus lumineux, êtes-vous d’accord ? Tarnation est venu d’un sentiment d’urgence. Cette histoire est épique, frénétique. Walk Away Renée vient d’autre chose : j’avais des séquences accidentelles qui me restaient de Tarnation, j’ai simplement voulu revisiter ces images. Dans Walk Away Renée, on est vraiment assis avec les personnages. C’est assez étrange pour moi de décrire mon film en parlant de personnages et non de personnes, mais là est la différence. Il y avait de jolis moments avec ma mère sur la route que je voulais transmettre, je voulais montrer une dimension plus grande de nous en tant que personnages. Ce film devait être un road movie sans histoire en toile de fond, un déplacement de Houston à New York. Je souhaitais le sortir en tant que bonus pour le DVD célébrant les dix ans de Tarnation. Au bout d’un moment, cette idée est devenue plus ambitieuse. Le fait que ce film existe, qu’il fasse aujourd’hui le tour des salles et des festivals est une sorte de miracle assez étrange pour moi. Je ne pense pas que je ferai un autre documentaire personnel, mais Walk Away Renée est une bonne conclusion à Tarnation.

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Est-ce une forme de thérapie pour vous aussi de tourner ce genre de films ? Tarnation a été la forme la plus définitive d’une thérapie, autant pour moi, que pour ma mère. C’était une belle manière de justifier les choses. Je veux montrer tout ça pour qu’on ait une meilleure vision de la folie, mais aussi de ce que je suis. Tarnation était tout aussi autobiographique que l’est Walk Away Renée, mais ce dernier implique aussi des éléments de fiction, est-ce que votre prochain film sera narratif ? Oui, c’est un film de transition. Walk Away Renée, c’était l’excitation de la fiction. Mais étrangement, la vision documentaire de Tarnation a nourri la fiction. Tout est vrai, à 110 % mais c’est amusant de parler différemment de cette vérité et de jouer avec. Il y a d’ailleurs cette scène très fictive où je fais un rêve étrange... Justement dans cette scène, tout est très psychédélique, au-delà de l’énergie rock qui se dégage du film et de la nostalgie folk aussi. Est-ce que la musique joue sur vos images ? La musique est le dénominateur commun de tous mes films. Je commence avec elle et l’autorise à dicter, à préméditer ce qu’il va se passer dans l’histoire. En fait, je crée une compilation que je place littéralement dans la timeline et je commence à peindre visuellement sur cette musique. Le prochain film n’aura pas de musique et sera complètement expérimental, il y aura des traces du Dogme 95 [mouvement cinématographique d’avant-garde initié par Lars Von Trier prônant l’usage du 35mm, de la couleur et excluant par exemple tout effet technique ou musical, ndlr]. J’aime jouer avec les genres.


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