PAPELES DE ERMUA nº Especial Francia

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La derive sécessionniste du nationalisme basque

dans les noyaux industriels, la montée d’un syndicalisme de gauche (CCOO), une faible présence du PSOE et de quelques groupes gauchistes comme ETA-berri ou ESBA (branche basque du FLP), un PNV famélique qui soutenait certaines écoles de cadres et évitait de s’impliquer dans des mobilisations d’envergure. Onaindía oublie de citer ce que moi, à l’ETA, j’ai bien connu: les convulsions agoniques du carlisme qui—après avoir perdu son point de repère dynastique— allait éclater en tendances opposées à de fortes distensions idéologiques, dont certaines se rapprocheraient du nationalisme dans les dernières années de la décennie. C’est dans ce contexte que surgit l’ETA, née de la Vième Assemblée (19679) en tant qu’organisation nationaliste-révolutionnaire qui aspire à fondre en une seule la tradition abertzale et la tradition gauchiste. L’ETA COMME EXPRESSION DE LA CRISE (1960-80) AU PAYS BASQUE La croissance de l’ETA dans la deuxième moitié des années soixante10, est inséparable de deux phénomènes qui dépassent de beaucoup le domaine du Pays Basque: la crise de l’Église catholique après le IIième

[9] [NdT] La Vème Assemblée fut célébrée en deux parties. La première, en décembre 1966 dans la maison paroissiale de Gaztelu (Guipúzcoa); la deuxième a eu lieu en mars 1967 dans le bâtiment réservé aux exercices spirituels de la Compagnie de Jésus à Guetaria (Guipúzcoa). [10] [NdT] L’ETA a été créée en juillet 1959 par un groupe de jeunes qui étudiaient la pensée et l’histoire du nationalisme basque, et aussi sa langue. Ils rejetaient tous la passivité du PNV face au régime franquiste Son premier attentat terroriste n’aura lieu que 9 ans plus tard, en juin 1968.

Concile du Vatican et, ce que j’appellerai la rébellion de la jeunesse de l’époque, faute de trouver un terme meilleur, apparentée, bien sûr, au mouvement français de mai 68, avec la contre-culture américaine, le soulèvement étudiant en Allemagne, en Italie, dans les universités espagnoles, etc… L’ETA fut la principale expression de la crise de soixante-huit au Pays Basque: elle a dépassé les idées traditionnelles, bureaucratiques, dogmatiques et autoritaires, de la gauche communiste, du conservatisme et de l’inanité culturelle du nationalisme du PNV. Cela peut paraître absurde aujourd’hui, mais nous qui avons vécu l’expérience en tant que militaires au sein de l’ETA, pendant ces années-là, nous nous rappelons de ces premiers moments comme d’une explosion de liberté magnifique et inattendue. L’ETA a signifié des discussions, un débat ininterrompu, des livres, l’enthousiasme, l’espoir, l’amitié. Malgré tout ce qui s’est passé ensuite, je ne pourrai jamais avoir un souvenir amer de ces années qui ont donné à ma génération tout ce que le franquisme et le nationalisme familier nous avaient nié jusqu’alors. Elle nous a délivré de la peur, a fait découvrir en nous des réserves insoupçonnées de curiosité intellectuelle, d’amour pour la liberté. Les générations antérieures, effrayées, désenchantées ou cyniques n’eurent pas d’autre choix que celui de nous épauler. Les protestations privées du nationalisme durent passer l’épreuve de la solidarité active avec les jeunes qui avaient décidé d’affronter la dictature.

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Mais les conséquences furent terribles. La dérive de l’ETA vers le terro-

risme, déjà inscrite dans les idées stratégiques exposées dans la Vième Assemblée (1967) -et pas le résultat d’un malheureux hasard, comme on le prétend-, a entraîné une bonne partie de la société basque, dans un vaste syndrome d’identification avec les activistes. Elle a entraîné, évidemment, un large secteur du clergé séculier et régulier, qui était écrasé par les “péchés sociaux ” de l’Église et qui avait soif de modernité; elle a entraîné le secteur de la population que se tenait pour nationaliste et voulait être tenu pour nationaliste, et elle a entraîné aussi beaucoup de gens qui se considéraient antifranquistes, sans racines familiales ni biographiques dans le nationalisme. Lorsque l’ETA a commis son premier attentat mortel (le 7 juin 1968), et lorsque l’auteur de cet attentat a été tué par la Garde Civile, quelques heures plus tard, (le public a appris les deux nouvelles en même temps), le magma auquel l’ETA dirigeait ses allocutions—le peuple basque, une entéléchie de l’imaginaire etarra confus— s’est vu devant l’alternative d’approuver une des deux morts et de condamner l’autre, car condamner les deux supposait un dilemme qui les aurait opposé à l’ETA et au régime. Il a donc fallu choisir entre la condamnation de l’attentat et l’approbation de la mort de l’activiste (et c’est ce qu’ont fait ceux qui, dans l’alternative, ont choisi de rester franquistes) ou choisir le contraire, ce qui supposait non seulement une déclaration d’anti-franquisme mais aussi une adhésion active au nationalisme. Comme un précipité dans une solution chimique, les protestations populaires (manifestations, messes, etc.) pour la mort de Javier Echevarrieta Ortiz défini-

La derive sécessionniste du nacionalisme basque. PAPeLeS de

eRMUA Numéro spécial en français. NOV 2003.

“ La scission d’Eusko Alkartasuna (EA) du PNV (conclue en octobre 1986) vint compliquer les choses, mais pas dans la mesure qui était à craindre de la part du nationalisme. En premier lieu, les socialistes furent beaucoup moins exigeants avec le PNV qu’ils auraient pu l’être, vu les résultats des élections autonomes du 30 novembre de 1986, où le PSE fut le parti le plus voté ”

CONSÉQUENCES NÉFASTES


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