Lettre de Marc André Meyers

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Louis Ensch, un héros luxembourgeois En 2023, cela fera soixante-dix ans que Louis Jacques Ensch nous a quittés: la vie glorieuse mais tourmentée de ce héros luxembourgeois, décédé en 1953 au Luxembourg, a été brossée à grands traits dans une fiction intitulée A Dama e o Luxemburguês que je publie au Brésil (ed. Record, Brésil, 2013) avant d’être traduite deux ans plus tard en français sous le titre D’amour et d’acier (éd. saint-paul, Luxembourg, 2015). Le caractère pionnier de l'œuvre de Louis Ensch a partie liée avec l’épopée d’une génération de Luxembourgeois ayant érigé au Brésil la première usine sidérurgique moderne d’Amérique latine. Les marques de reconnaissance dont Louis Ensch a bénéficié de son vivant de la part des Brésiliens furent sans précédent. À sa mort, politiciens, entrepreneurs et journalistes se succéderont pour lui rendre hommage. L’amour dont Ensch a toujours fait montre à l’égard du Brésil, et qui fut réciproque, vibre aujourd’hui encore au coeur de Monlevade, une ville pour ainsi dire fondée deux fois: d’abord par Jean de Monlevade, l’ingénieur français qui a implanté une forge au Brésil; ensuite par Louis Ensch qui a su donner un essor de taille à cette activité en pariant sur le minerai de fer le plus riche au monde. Jean de Monlevade et Louis Ensch sont d’ailleurs sépultés côte à côte, dans l’ancien cimetière “des esclaves”, à Monlevade. Reconnaissante, la municipalité baptisera plus tard son stade “Louis Ensch” et son hôpital “Margarida” - d’après le prénom de sa mère, Marguerite. Même à un niveau fédéral, son nom est resté gravé dans l’histoire puisque l’École d’Ingénieurs de l’Université fédérale de Minas Gerais, l’une des meilleurs du Brésil, a baptisé sa chaire Minéraux-Métallurgie “Louis Ensch”.


Marc bambin - et son frère Pedro (à g.) - face à Louis Ensch, en 1952; l’homme à gauche est Joseph Hein venant de se faire remettre une décoration par le gouvernement luxembourgeois.

Je n’étais qu’un gamin lorsque je rencontre pour la première fois Louis Ensch. La photo ci-dessus représente un souvenir mémorable pour moi et mon frère Pedro: en effet, nous avions tous deux été élus pour remettre un bouquet de fleurs à Louis Ensch. L’année suivante, ce dernier meurt. Albert Scharlé lui succède, prend la relève de la direction de la Belgo Mineira et poursuit la dure labeur d’expansion des usines entreprise par Ensch. Mon père, l’ingénieur Henri Meyers, aura passé quarante ans au service de la Belgo Mineira, partageant avec nous au quotidien l’épopée de la sidérurgie brésilienne. Plus tard, je me servirai de ces mémoires de manière romanesque. Une des erreurs fréquemment commises dans l’opinion publique est de juger le passé à l’aune des connaissances et des critères de l’ère actuelle. Serons-nous également jugés par nos descendants pour les pratiques immorales que nous infligeons impunément à la société d’aujourd’hui? Il est vrai que l’usine avait besoin de charbon pour ses hauts-fourneaux. Le charbon minéral brésilien était de piètre qualité, peu profitable à la production sidérurgique. Conséquence: les


belles forêts de Rio Doce, Zona da Mata, ne sont plus, hélas. Les montagnes de minerai ont, elles, été anéanties.

Le site sidérurgique de Monlevade

En 2015, le pire advient à Mariana, dans une ville voisine de Monlevade: la rupture d’un barrage contenant des résidus industriels libère une énorme coulée de boue toxique qui, sur son passage, inonde la vallée et fait plusieurs victimes, sans parler des dégâts écologiques considérables. Samarco, société minière autrefois liée à la Belgo et à l’Arbed, est tenue pour responsable: le progrès et le degré d’industrialisation aujourd’hui atteints ne sont pas étrangers à cette catastrophe. Or le niveau de connaissance dont nous disposons actuellement peut nous faire éviter pareils désastres écologiques. Reste que la production d’acier par la Belgo Mineira aura été le fer de lance pour un rapide progrès économique au Brésil. Le travail engagé d’une pléiade d’ingénieurs et de techniciens luxembourgeois aura permis de forger la conscience de plusieurs générations de Brésiliens, aujourd’hui leaders mondiaux de la sidérurgie et exportateurs d’une technologie de pointe vers les États-Unis. Un de mes anciens camarades de classe de l’école de Monlevade, Gilson Brum Neves, a été envoyé aux Etats-Unis pour, dit-il, “apprendre aux Américains à


produire de l’acier”. Certes, sa formule est exagérée sinon prétentieuse mais n’empêche que la technologie brésilienne de fabrication d’acier fait autorité. Arcelor Mittal, qui possède encore deux lettres d’origine de l’Arbed, le A et le R, est aujourd’hui la plus grande entreprise sidérurgique du Brésil, voire au monde. Tout cela pour dire que l’Arbed aura vu grand dès la première moitié du XXe siècle, trouvant en Louis Jacques Ensch son paladin au Brésil.

Louis Jacques Ensch et l’amour de sa vie

Les connaissances dont je dispose sur Louis Ensch, figure emblématique au destin remarquable établie au Brésil dès 1927, sont aussi foisonnantes que rares. L’histoire que je rapporte dans A Dama e o Luxemburguês à travers le prisme de l’imaginaire et des filtres de la poésie, est une offrande aux Luxembourgeois afin qu’ils s’approprient l’épopée de cet avec fierté. Cette petite nation si glorieuse qu’est le Luxembourg, au sein de laquelle tant de Portugais ont aujourd’hui trouvé leur foyer, est ainsi invitée à lire symboliquement l’histoire d’amour entre Louis Ensch et le Brésil - mais aussi une Brésilienne - comme le premier pas de rapprochement entre le Luxembourg et le Portugal. Marc André Meyers, 2015