Grand entretien Rosario Grasso â Interviewâ: VĂ©ronique Poujol et Jean-Michel Gaudron â Illustrationâ: Anne MĂ©lan
«âNous ne sommes pas trop nombreuxâ» âș Le nouveau bĂątonnier du Barreau de Luxembourg Ă©voque les prioritĂ©s de son mandat et les enjeux de la profession dâavocat. âș Informatisation, accĂšs Ă la justice, durcissement des contrĂŽles et communication sur le rĂŽle et la spĂ©cificitĂ© de lâavocat sont au menu de son mandat. âș Le bĂątonnier exclut tout dĂ©bat sur lâouverture du capital des firmes dâavocats et annonce des contrĂŽles renforcĂ©s sur lâindĂ©pendance des Ă©tudes.
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aĂźtre Grasso, lâinformatisation de la justice constitue, avec la Cour suprĂȘme et le Conseil national de la justice, un des grands chantiers de la lĂ©gislature. ConcrĂštement, pourra-ton sâattendre Ă des avancĂ©es dans lâutilisation de lâinformatique dĂšs cette annĂ©e judiciaireâ? «âLe chantier de lâinformatisation est un chantier qui remonte Ă presque 10 ans. LâarrivĂ©e de FĂ©lix Braz au ministĂšre de la Justice a accĂ©lĂ©rĂ© le mouvement. Une grande rĂ©union, au printemps dernier, a rassemblĂ© tous les acteurs, magistrats, greffiers, notaires, huissiers, barreaux, informaticiens, fonctionnaires du ministĂšre de la Justice pour dresser un Ă©tat des lieux. Des deadlines ont Ă©tĂ© Ă©tablies avec les diffĂ©rents groupes de travail. Pour les procĂ©dures au tribunal et le travail des avocats, un parallĂšle peut ĂȘtre fait avec lâintroduction du fax Ă lâĂ©poque. Des prescriptions et des modalitĂ©s pratiques se rattachent au support papier. Les juristes se demandent sâil est possible de les transposer avec la matiĂšre informatique ou bien si des risques dâincompatibilitĂ© et dâannulation de procĂ©dures existent. Il convient donc de revoir les dispositions des codes de procĂ©dures civile et pĂ©nale. La rĂ©flexion concerne aussi lâarchivage Ă©lectronique ainsi que les fixations des dossiers que nous aimerions pouvoir faire par e-mail, voire par intranet. De son cĂŽtĂ©, le Barreau sâapprĂȘte Ă mettre en place un systĂšme informatique accessible aux seuls avocats, une sorte dâintranet. Nous avons votĂ© Ă lâassemblĂ©e de juillet dernier un budget (500.000 Ă 600.000 euros pour la mise en place et la maintenance, ndlr) pour rĂ©aliser ce projet, qui dâun point de vue technique et conceptuel est dĂ©jĂ en place. Nous espĂ©rons pouvoir le lancer en avril ou mai 2015, avec lâidĂ©e que notre intranet puisse ĂȘtre compatible avec le systĂšme qui sera mis en place par le ministĂšre de la Justice.â Pour vous, lâavocat est le garant de lâaccĂšs Ă la justice et il convient, de ce fait, dâen assurer lâaccĂšs Ă lâavocat. OĂč en est-on de la mise en ligne de la jurisprudence et de son accĂšs gratuitâ? «âLâaccĂšs Ă la jurisprudence est une expression de la transparence de la justiceâ: il ne faut pas uniquement que la justice soit rendue en public, encore faut-il quâelle soit transparente. Les avocats ont Ă©videmment un besoin absolu et vital dâaccĂ©der Ă la jurisprudence. Il est inadmissible quâun juge interpelle un avocat en lui demandantâ: âNe connaissez-vous
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â Novembre 2014
Je nâaccepterai plus que des confrĂšres aient rĂ©guliĂšrement des affaires oĂč les rĂšgles dĂ©ontologiques nâont pas Ă©tĂ© respectĂ©es et que certains avocats soient des rĂ©cidivistes.
pas notre jurisprudenceâ?â si celle-ci nâest pas publiĂ©e ou autrement accessibleâ! Un avocat doit avoir accĂšs Ă toute la jurisprudence pour mieux dĂ©fendre et conseiller le justiciable. Cela fait aussi partie de notre formation permanente continue. Câest par cette lecture et cette analyse de la jurisprudence que lâon peut assurer une bonne assistance et une bonne dĂ©fense. On est sur la bonne voie. En ce qui concerne les instances ordinales du Barreau, les dĂ©cisions affectant les avocats de maniĂšre directe seront rendues accessibles, quitte Ă les anonymiser. Je parle des affaires disciplinaires. Cela vaudra preuve que le Barreau a un pouvoir dâautorĂ©gulation et dâautorĂ©glementation. Au-delĂ de cette expression, il est important que les avocats sachent ce que fait le bĂątonnier. Ă partir du moment oĂč une dĂ©cision importante sera prise au niveau disciplinaire, elle sera communiquĂ©e au grand public. Un avocat rayĂ© Ă vie du Barreau, tout le monde a le droit de savoirâ! LĂ , il est clair que lâanonymat ne peut plus jouerâ! Pour une radiation Ă durĂ©e dĂ©terminĂ©e, je pense quâil faut aussi la communiquer. Le justiciable doit savoir si lâavocat quâil entend consulter peut exercer ou bien si cet avocat est rayĂ© Ă vie, sinon suspendu Ă temps dĂ©terminĂ© du Barreau.â Quels avocats sont concernĂ©sâ? «âJe nâaccepterai plus que des confrĂšres aient rĂ©guliĂšrement des affaires oĂč les rĂšgles dĂ©ontologiques nâont pas Ă©tĂ© respectĂ©es et que certains avocats soient des rĂ©cidivistes. Il faudra clairement serrer la vis et songer, Ă lâextrĂȘme, Ă renvoyer ces personnes. Nul nâest infaillible et chacun peut sâĂ©garer un moment. On procĂšde alors par un rappel Ă lâordre ou un blĂąme. Mais dans le cas de rĂ©cidives avĂ©rĂ©es, il faudra envisager de prononcer des sanctions plus sĂ©vĂšres. Cela fait non seulement partie de nos obligations de rĂ©gulateur que de garantir la probitĂ© de la profession, mais câest aussi une manifestation du respect Ă lâĂ©gard de la grande majoritĂ© des confrĂšres qui font bien leur travail. Il ne faut pas toujours y aller avec un bazooka. Il faut parfois ĂȘtre didactique. TrĂšs souvent, les confrĂšres sâexcusent et disent quâils ne le feront plus. Et ils ne le font plusâŠ
Rosario Grasso Illustrationâ: Anne MĂ©lan peinture Ă l'huile 50Ă40 cm, 2014.
Peut-on encore sĂ©rieusement parler dâunicitĂ© de la profession Ă lâheure oĂč lâon rencontre de plus en plus dâavocats pauvresâ? «âElle existe, oui. Pour la bonne et simple raison quâelle est ancrĂ©e dans la loi de 1991 sur la profession dâavocat. La diffĂ©renciation quâon entend entre avocats du âcontentieuxâ, du âdroit des affairesâ,