Merkur Novembre/Décembre 2017

Page 86

GRAND ENTRETIEN RÉMY JACOB

« LE MICROCRÉDIT PARTICIPE À L’INSERTION DES GENS, MAIS AUSSI ET SURTOUT À LEUR ÉMANCIPATION ET À LEUR DIGNITÉ »

Le Luxembourg est reconnu pour la puissance de sa place financière, où plus de 140 banques proposent des solutions de financement pour presque tout et presque tous. Cependant, jusqu’à récemment, il n’existait pas de solutions pour les micro-entrepreneurs locaux. La microfinance existait bel et bien, via notamment un nombre important de fonds d’investissement dédiés, mais leur activité était tournée vers la coopération avec les pays émergents. Les besoins du Luxembourg semblaient avoir été un peu oubliés, jusqu’à la création de Microlux en avril 2017. Rencontre avec son président, Rémy Jacob. Texte : Catherine Moisy - Photos : Gaël Lesure

On parle tantôt de microfinance et tantôt de microcrédit, quelle est la différence entre ces deux notions ?

« La notion de microfinance est plus large que celle de microcrédit, puisqu’elle englobe également la micro-assurance et le microbanking, c’est-à-dire tous les services financiers mais adaptés à de petits montants. On estime qu’il y a entre 150 et 300 millions de micro-emprunteurs dans le monde, 150 millions de bénéficiaires de micro-assurance et 500 millions de microcomptes épargne. En général, la microfinance comporte toujours un volet accompagnement des personnes bénéficiaires. Chez Microlux, nous proposons uniquement les prêts et l’accompagnement correspondant, c’est-à-dire le microcrédit.

Quand un crédit est-il considéré comme « micro » ? Le microcrédit se définit-il uniquement en termes de montant ?

« En ce qui me concerne, je préfère parler de philosophie plutôt que de définition. Et la philosophie du microcrédit est de faire confiance à certaines catégories de populations vulnérables, mais néanmoins animées par la volonté d’entreprendre et qui en ont les capacités. Ils peuvent être chômeurs, actifs précaires ou réfugiés, peu importe. Il me paraît important de contribuer à garantir la libre entreprise et de proposer l’accompagnement nécessaire à ces entrepreneurs-là. Ce n’est pas de la philanthropie mais de la confiance,

84 MERKUR  Novembre | Décembre 2017

accordée d’égal à égal. Maintenant, pour répondre à votre question sur le montant, le maximum de 25.000 euros vient du fait que les prêts que nous accordons bénéficient d’une garantie dans le cadre du programme européen EaSI (Employment and Social Innovation). Or, ce programme prévoit un plafond de 25.000 euros. Dans les pays voisins, le plafond pour des prêts en microcrédit peut être différent. En France, il est de 11.000 euros. En Belgique, il est à peu près équivalent au nôtre, mais la moyenne des prêts sollicités se situe entre 8.000 et 9.000 euros. Au Luxembourg, il n’y a pas de législation encadrant la microfinance et le microcrédit. Nous avons dû inventer le modèle. Au départ, nous souhaitions monter une ONG (organisation non gouvernementale, ndlr), mais ce statut ne nous aurait pas permis d’accorder des prêts. Il y avait aussi la possibilité de créer une nouvelle banque, mais nous n’en avions pas les moyens. C’est pour cela que Microlux a adopté le statut d’une société anonyme rassemblant quatre partenaires : ADA, acteur luxembourgeois de la microfinance qui mène des projets hors d’Europe ; Adie (Association pour le droit à l’initiative économique), qui est le plus gros organisme de microfinance en France et probablement en Europe ; la BGL, qui est notre actionnaire principal et qui fournit les lignes de crédit, et le groupe BEI (Banque européenne d’investissement), qui apporte

la garantie des prêts via le FEI (Fonds européen d’investissement).

Soutenir le micro-entrepreneuriat est-il selon vous du ressort des pouvoirs publics, de sponsors privés ou les deux ?

« À Luxembourg, il y a de plus en plus d’organismes dédiés à l’entrepreneuriat, qui n’excluent pas le micro-entrepreneuriat. La House of Entrepreneurship, par exemple, fournit toute l’aide nécessaire à la construction d’un projet. La partie conseil est donc assurée. Pour le financement en revanche, de manière générale, la microfinance est toujours d’initiative privée et cela est normal, les pouvoirs publics ne sont pas censés se substituer aux banques et prêter de l’argent. Ce qu’ils peuvent faire en revanche, c’est simplifier la législation pour faciliter l’accès au micro-entrepreneuriat. Je vous donne un exemple. Si un chômeur s’établit en tant qu’indépendant, il perd immédiatement toute indemnité. Or, son affaire aura besoin de temps avant de produire suffisamment de revenus pour couvrir la rémunération de l’entrepreneur. C’est un sujet que nous sommes en train de discuter avec le ministère de la Famille et celui du Travail, dans le cadre de la mise en place du revis (revenu d’insertion sociale, ndlr).

Pourquoi les banques n’accordent-elles pas de microcrédits ?

« La principale raison est le manque de rentabilité de ce genre de prêts. Certes, les taux d’intérêt sont beaucoup plus élevés que pour un prêt traditionnel, mais les frais sont aussi beaucoup plus importants. On

Microlux en chiffres ●

25 prêts accordés en 2017

(à fin septembre), pour un montant total de 285.400 euros

60 bénévoles

120 personnes accueillies

et accompagnées en 2017 (à fin septembre), parmi lesquelles 30 % de demandeurs d’emploi, 58 % ayant entre 30 et 45 ans, 67 % d’hommes et 48 % ayant un diplôme supérieur


Issuu converts static files into: digital portfolios, online yearbooks, online catalogs, digital photo albums and more. Sign up and create your flipbook.