LES MAFIAS ITALIENNES ET LA FIN DU MONDE BIPOLAIRE

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LES MAFIAS ITALIENNES ET LA FIN DU MONDE BIPOLAIRE Analyse géopolitique des relations politico-mafieuses après la chute du mur de Berlin

La fin de la confrontation « Est-Ouest », entraîne dans sa chute le « système politicomafieux » d’après-guerre et la « première République » (1945-1992)1. Au cours de la « deuxième République », les mafias italiennes perdent l’importance qu’elles ont eu sur la scène politique et militaire dans la stratégie américaine du containment visant à empêcher tout pays du monde libre à basculer dans le communisme. Les années quatre-vingt dix sont d’abord marquées par une confrontation entre la justice, les organisations mafieuses et une partie de la classe politique. De 1992 à 1994, l'Italie connaît une phase d’instabilité politique et économique. De nouvelles lois, un relatif renouveau de la classe politique amène à penser qu’une « seconde République » est née. Ce contexte permet une offensive des magistrats contre les organisations mafieuses et leurs complices. Face à ce nouveau rapport de force, la mafia s’adapte et reconquiert les alliances politiques. L’alibi de la lutte contre le communisme qui freinait la répression contre les mafias semble caduc. Les politiques ne sont plus en mesure de garantir l’impunité des mafieux. Les relations-politico-mafieuse semblent entrer dans une nouvelle ère. Les magistrats profitent de ce vide politique et de la remise en cause de la loi du silence pour infliger des coups sérieux aux organisations mafieuses. La réponse de la mafia se résume à une stratégie terroriste. Par la suite, les victoires étatiques comme la terreur mafieuse ont peut-être laissé place à une nouvelle forme de pacte.

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La notion de changement de République en Italie ne repose pas sur une rupture constitutionnelle comme c'est le cas en France.

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a. La lutte antimafia dégagée des contraintes géopolitiques de la « première République ». De 1992 à 1994, le contexte politique de l'Italie est en ébullition. De nouvelles forces politiques plus favorables à la lutte antimafia font leur apparition. Un certain vide du pouvoir est aussi propice à l'action de la magistrature contre les mafias, contre la fraude financière et contre la classe politique corrompue. Enfin, les procès contre Giulio Andreotti témoignent de l'importance des relations internationales dans le changement de « système » en Italie. Le nouveau contexte politique a plusieurs origines. Le 31 janvier 1992, la décision historique de la Cour de cassation ne permet plus de douter de l'importance de la mafia dans la vie politique italienne. Le 17 février, des magistrats débutent l’opération « Mains propres » ou Tangentopoli2. Rapidement, cette enquête met à jour un système de corruption qui compromet l'ensemble de la classe politique. Du 17 février 1992 au 22 novembre 1993, les trois quarts des parlementaires sont mis en examen. Les partis historiques, la Démocratie chrétienne et le Parti socialiste italien sont discrédités. Aux premières élections législatives dans un monde multipolaire en mars 1992, la Démocratie chrétienne perd un grand nombre de sièges et la Ligue du Nord fait son apparition au Parlement. Il s'agit d'un parti raciste qui propose la scission en deux de l'Italie et qui profite du discrédit de l'ancienne classe politique. D'autres forces politiques arrivent aux responsabilités. Par exemple, un ancien communiste, Giorgio Napoletano, est élu président de la Chambre des députés3. Le bouleversement est aussi incarné par le passage du mode de scrutin proportionnel au profit du scrutin majoritaire choisi par référendum en 19934. Le scrutin proportionnel est synonyme d’instabilité politique. Le scrutin proportionnel de liste incarne les collusions potilico-mafieuses5. D’autres questions traitées par le référendum concernaient la suppression de la Caisse du Mezzogiorno, symbole des millions versés aux mafias. Les élections locales de 1993 sont marquées par la poussée de la formation des Ligues du Nord. La classe politique était tellement affaiblie, que le parlement forme un gouvernement de représentants de la société civile, experts dans leurs domaines, 2

Au sens de « ville des pots de vin » en italien. Président de la République italienne depuis 2006. 4 Le 18 avril 1993, la nouvelle loi électorale est approuvée : 75% du parlement sera élu au scrutin majoritaire à un tour contre 25% à la proportionnelle. 5 Dans ce scrutin, les électeurs ont la possibilité d’exprimer trois « préférences » envers les candidats de leur choix parmi ceux de la liste pour laquelle ils optent. En 1968, la DC obtient 458 000 voix (40% des suffrages exprimés) dans la circonscription de Sicile occidentale. Les législatives successives confirmeront, dans cette même circonscription, la forte implantation du parti ainsi que celle de Lima : en mai 1972, celui-ci recueille 85 000 « préférences » et la DC 487 000 votes (40,7%) ; en juin 1976, son score personnel dépasse 100 000 votes (580 000 pour la DC, soit 43,4%). 3

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sous la responsabilité de l’ancien gouverneur de la banque d’Italie, Azeglio Ciampi6. Le but était d’assainir les finances d’un pays au bord de la faillite, d’éviter la sécession voulue par les Ligues du Nord et de prendre en compte la fin du monde bipolaire. Pour la première fois dans l’histoire de l’Italie, le Parti démocrate de gauche (Pds)7, ancien Parti communiste italien (Pci), participe au vote du budget du 22 décembre 1993. La révélation des pratiques illégales est propice à des mesures visant à mettre fin à l’impunité des mafias8. Par exemple, intronisé le 29 juin 1992, le nouveau gouvernement doit faire face à deux attentats mafieux contre les juges Borsellino et Falcone9. Il met en place l’opération « Vêpres siciliennes » lors de laquelle les militaires sont envoyés en Sicile. Il fait voter de nouvelles normes qui confèrent aux « repentis » un autre statut, un salaire et la protection de leurs proches. Le mafieux qui sort de la mafia devient un collaborateur de justice. Enfin, des modifications du Code de procédure pénale permettent de placer les chefs mafieux dans des prisons de haute sécurité. Soumis à un régime carcéral sévère, les mafieux ne peuvent plus exercer leur pouvoir10. Dans ce contexte politique, la magistrature entame une action de lutte de grande ampleur contre les mafias. Elle démontre les pratiques clandestines du pouvoir propres à la « première République ». Les acteurs de ses pratiques sont les loges maçonniques occultes 11, les services secrets « détournés » de leur destination démocratique, les politiciens et les organisations mafieuses. Par exemple, au mois de novembre 1992, le procureur de Palmi en Calabre, Agostino Cardova, débuta une enquête nationale sur la loge maçonnique clandestine P2. Plus de trois cent cinquante frères sont mis en examen pour association mafieuse, pour trafic d'armes, de drogues et pour blanchiment d’argent. Le lien entre la franc-maçonnerie occulte et la mafia pervertissait tous les corps de l’administration. Les deux procès Olimpia, sont à l’origine de la connaissance de la criminalité mafieuse en Calabre sur l'ensemble du territoire et non plus dans le seul Sud de la péninsule. 6

Président de la République italienne de 1999 à 2006. Partito Democratico di Sinistra. 8 Comarin (Elio), Rupture à l'Italienne... op. cit., art., Mafia et mafias, pp. 69-95. 9 Chap. suivant. 10 Art. 41 bis du Code de procédure pénale italien. 11 Rappelons que nous parlons de loges maçonniques occultes et clandestines. A ce sujet les chercheurs italiens utilisent deux mots. Soit la loge est légale mais on dit qu’elle est « deviata » dans le sens de « détournée » de ses engagements initiaux. Soit la loge est « coperta » (« couverte ») c’est à dire, illégale, clandestine ou occulte. Il ne s’agit pas de diffamer la Franc-maçonnerie en elle-même. La Franc-maçonnerie n’est pas une société secrète. Une loge est régie par le droit d’association. Ses membres sont recensés en préfecture. La Franc-maçonnerie est une société discrète qui promeut les valeurs de la République en Italie comme en France. Enfin, au sortir de la seconde guerre mondiale, les Francs-maçons français et italiens ont accentué leur discrétion parce qu’ils avaient subi la répression des régimes fascistes et pétainistes. 7

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En 1992, la conjoncture et les réformes incitent les mafieux à collaborer avec la justice12. Les « proto-repenti », Tommaso Buscetta, Salvatore Contorno et Giuseppe Calderone acceptent désormais de parler des collusions politiques alors qu’ils avaient catégoriquement refusé de le faire préalablement. En 1984, ils avaient permis de comprendre la structure mafieuse. Leurs témoignages étaient néanmoins partiels car ces personnes provenaient des familles mafieuses qui avaient perdu leur combat avec les Corléonais. En 1989, un « repenti » Marino Mannoia, cette fois proche des Corléonais, enrichit le tableau des connaissances de l’organisation mafieuse. En l’absence de statut officiel pour les « repentis » en Italie, ils n’étaient pas assez protégés par l’Etat pour témoigner contre les complicités politiques13. En 1992, Leonardo Messina, chef mafieux de la province de Caltanissetta, décide de collaborer et expose clairement pour la première fois la duplicité des politiciens en matière de mafia. Pour connaître la probité d’un homme politique déclare t-il : « il suffit de voir s'il combat [la mafia nda] avec des mots ou dans les actes. Pendant les réunions publiques, tout le monde s'exprime contre Cosa Nostra, mais cela n'a aucune incidence pour nous. C'est une farce. Il m'est arrivé un soir de recevoir à dîner chez moi un politicien qui, le lendemain, participait à une manifestation contre Cosa Nostra14». Rapidement, les « repentis » Gaspare Mutolo, Giuseppe Marchese et Salvatore Cancemi confirment la thèse de la duplicité15. Par exemple, il ressort de leurs déclarations16 que Bruno Contrada a collaboré avec la mafia. Bruno Contrada était un haut responsable des services de renseignements civils italiens17 depuis le mois de janvier 1992. Ce haut fonctionnaire de l'Etat a été dans un premier temps commandant de la Brigade mobile de Palerme18 puis chef de la police criminelle de la Sicile occidentale en 1976. A ce titre, Bruno Contrada était en charge des enquêtes sur les « cadavres exquis »19. Ces collusions avec la mafia étaient connues de certains magistrats20. 12

Sur le parcours des repentis et de leur famille voir Madeo, (Liliana), Donne di mafia (Vittime, complicità e protagoniste), éditions Baldini/Castoldi, Milan, 1994, 240 pages. 13 C’est pourquoi les deux premiers repentis arrêtés en Amérique, Tommaso Buscetta et Salvatore Contorno, bénéficiaient du statut de protection des autorités américaines, en raison de la loi RICO (Racketeer Influenced Corrupt Organizations) votée par le Congrès en 1970… op. cit., chap. I. C. 2. c. 14 Extrait du témoignage de Messina, O.G.D, Rapport annuel...1992-93... op. cit., pp. 186-188. 15 Dalla Chiesa (Nando), Politica…. op.. cit., 16 De Tommaso Buscetta à Gaspare Mutolo, Giuseppe Marchese et Rosario Spatola mais aussi Marino Mannoia, Salvatore Cancemi, Gioacchino Pennino, Angelo Siino et Giovanni Brusca, ont soutenu que Contrada était à “la disposition de certains mafieux”. 17 Le S.I.S.D.E (Servizio d’Informazione e di sicurezza democratica), Service de Renseignement de Sécurité Démocratique créé le 24 octobre 1977. 18 Il intégra la police de Palerme en 1962 et devint rapidement commandant de ce corps d’élite de la police. 19 Les meurtres du secrétaire provincial de la Démocratie Chrétienne, Michele Reina, du chef de la Brigade mobile Boris Guiliano, du magistrat Terranova en 1979, du président de la région Sicile Piersanti Mattarela en 1980, et même celui du général Carlo Alberto Dalla Chiesa en 1982. 20 Le procureur Vincenzo Immordino affirmait que Contrada avait choisit la “ voie d'une inactivité substantielle sur de grandes et de petites affaires criminelles ”, Anfossi (Francesco), il processo dei morti e le parole dei vivi, Narcomafie, éditions Abele, Turin, numéro 2, février 1995, p. 3.

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Le droit d'enquêter sur la famille Spatola lui fut retiré21. Après avoir occupé le poste du chef de la police, il fut nommé auprès du Haut Commissariat antimafia le 13 septembre 1982. Enfin, à la dissolution de ce dernier en 1992, il fut désigné au poste d’adjoint du Haut Commissaire des services de renseignement. Dans le cadre de ses fonctions, Bruno Contrada était responsable du contre-espionnage à Palerme. Une réputation douteuse le poursuivit. Il appartenait à l’ordre des « Chevaliers du Saint-Sépulcre ». Le maître des lieux était Arturo Cassina, entrepreneur et responsable depuis 1945 des adjudications les plus lucratives22. Parmi les membres de la secte, se trouvaient les chefs d’entreprise les plus importants liés à la mafia et les plus hauts fonctionnaires, y compris de la police et de la magistrature. Certains chefs mafieux en faisaient également partie. Cette loge constituait un véritable « centre de décisions » parallèle au pouvoir politique. Ce type de « système de pouvoir » occulte a assuré l’impunité de Cosa nostra de 1945 à 1990. A la veille de Noël 1992, Bruno Contrada, toujours dans l’exercice de ses fonctions au sein des services de renseignement, fut inculpé d'association mafieuse. Cet épisode est d'autant plus significatif que les services de renseignement ont eu un rôle ambigu durant les grandes affaires criminelles de l'Italie de l'après-guerre, notamment durant les « Années de plomb » en aidant indirectement la mafia 23. Le 5 avril 1996, Bruno Contrada est condamné à dix ans de prison par la Cour d’assise de Palerme24. La nouvelle génération de collaborateurs de justice permet à la justice de progresser dans son combat contre la mafia et ses complices25. Par exemple, au début de l’année 1993, les carabiniers arrêtent Toto Riina, grâce à un mafieux nommé Baldassare Di Maggio. La « cavale » du chef de la mafia sicilienne durait depuis trente trois ans. La même année, d'autres grandes figures des mafias ont été arrêtées26. Au mois de mars, le juge Corrado Carnevale, célèbre pour avoir assuré l’impunité de la mafia pendant vingt ans, est mis en 21

En 1984, Giovanni Falcone soutint officiellement la mise à l’écart de Contrada. Le juge antimafia “ craignait que les milieux des cosche mafieuses puissent être avertis à temps des opérations de police en cours de préparation ”. 22 Le comte Arturo Cassina, fut le premier intermédiare entre le mafieux Rosario Riccobono et le fonctionnaire Bruno Contrada. 23 La thèse des magistrats est la suivante. Bruno Contrada était un « super policier » jusqu’à l’assassinat de son bras droit Boris Giuliano le 21 juillet 1979. A partir de ce moment, il aurait pris peur au point de collaborer avec la mafia. 24 Relaxé par la Cour d’assise d’appel le 4 mais 2001, La décision est infirmée en cassation le 12 décembre 2002. Il est à nouveau condamné le 26 février 2006 par une autre section de la Cour d’assise d’appel de Palerme. Cette décision est confirmée de manière définitive par la sixième section pénale de la Cour de cassation le 10 mai 2007. 25 Pezzino (Paolo), sous la coordination scientifique de, La mafia: 150 anni di storia e di storie, Cd supplemento al quotidiano “la Repubblica”, Città di Palermo, Regione Toscana, Mediateca Regione Toscana, Gruppo editoriale L’Espresso S,p.A - Divisione la Repubblica, Roma, 1998. 26 Antonio Imerti un chef de la ‘Ndrangheta, Michele Zaza et Rosetta Cutolo…

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examen27. Il en va de même des Démocrates-chrétiens Antonio Gava, Paolo Cirino Pomicino et Vincenzo Meo qui sont mis en examen pour complicité avec la Camorra28. L’année 1993 marque la double mise en accusation de Giulio Andreotti. Les éléments contenus dans les dossiers d’instruction témoignent de l’importance des relations internationales dans la pratique politique de ce politicien. Au cours de la première République, il a exercé sept fois les fonctions de président du Conseil et trente-trois fois celles de ministre. En 1993, il est sénateur à vie mais les déclarations de multiples collaborateurs de justice ainsi que celles de simples témoins l’accablent29. Le 27 mars 1993, l’ancien président du Conseil est mis en examen pour « concours externe en association mafieuse » et le 26 mai pour « complicité de meurtre ». En 1995, débutèrent les deux procès à l’encontre des plus important homme politique de la « première République ». Dans un des procès, Giulio Andreotti doit se défendre d’avoir commandité le meurtre du journaliste “ marron ” Mimo Picorelli survenu en 1978. Durant le procès, les juges ont longuement évoqué les rapports de Giulio Andreotti avec la loge P2 et la bande de la Magliana30. Il est acquitté en première instance. Peu d’éléments matériels le relient au meurtre à proprement parler. Sa gestion parallèle et occulte du pouvoir est quand même dévoilée dans l’enceinte d’un tribunal. En ce qui concerne le procès pour complicité d’association mafieuse, les éléments de preuves sont accablants31. Andreotti nia de nombreuses entrevues avec les complices de la mafia, en vain. Les magistrats instructeurs démontreront que Giulio Andreotti s’est appuyé sur le pouvoir mafieux en vue d’accroître son autorité au sein de la Démocratie Chrétienne. Comme celle-ci dominait l’appareil d’Etat, Andreotti a exercé son pouvoir grâce à la mafia. 27

Du chef d’accusation de « concours externe en association mafieuse », il est condamné en première instance et en appel. Puis, le 30 octobre 2002, la Cour de cassation annule « sans renvoi » devant la cour d’appel et l’innocente. 28 Antoni Gava est un ancien ministre de l’Intérieur dans les années quatre-vingt. 29 Fotia (Carmine) et Pellegrino (Giovanni), Processo Andreotti, Palermo chiama Roma , éditions Lupetti, Milan, septembre 1995, 62 pages. 30 C’est le nom du quartier de Rome où la bande avait élu domicile. Elle est composée de criminels qui se mettaient au service de Cosa nostra ou des services de renseignement en fonction de la mission à accomplir. 31 Lors de sa déposition, le repenti Baldassare di Maggio a affirmé avoir été témoin d'une rencontre, le 20 septembre 1987, entre son chef, Toto Riina, et Giulio Andreotti dans la villa des cousins Antonino et Ignazio Salvo. Ces derniers étaient les financiers qui faisaient le lien en Sicile entre la Démocratie chrétienne et Cosa nostra. Le collaborateur de justice Di Maggio ajoute que Riina et Andreotti ont échangé le baiser rituel de Cosa nostra. Selon les témoignages des pilotes, l’ancien président du Conseil s’est rendu à plusieurs reprises en Sicile sur des vols qui n'avaient pas été déclarés par l'Aviation civile. Le 20 septembre 1987, il a été établi qu'il existait un trou de cinq heures dans l'emploi du temps d'Andreotti à Palerme. Pendant ce laps de temps, il aurait délibérément échappé à son escorte pour rencontrer le chef de la mafia sicilienne. A cela s'ajoutent les déclarations du chauffeur de Salvo Lima qui reconnaît avoir conduit lui-même Andreotti chez eux. Après ces révélations, les parlementaires votèrent la levée de l'immunité parlementaire de Giulio d'Andreotti.

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Pour les deux procès, Andreotti s’est défendu en arguant d’une machination des Américains. Le complot américain est l’argument le plus paradoxal, le plus audacieux mais aussi le plus fallacieux de la défense d’Andreotti. En réalité, Andreotti était « protégé » par les Américains et par le contexte de la guerre froide. « Un procès contre Giulio Andreotti pour association mafieuse aurait été inconcevable pendant les années de guerre froide… Pendant toute cette période, l’Italie, pays géographiquement et politiquement à la frontière Est-Ouest, fut maintenue comme rempart de résistance au communisme. A l’intérieur d’une mosaïque de pouvoirs et d’équilibres, la mafia fut partie intégrante [du pouvoir], tolérée et parfois utilisée par ceux qui avaient le but de gouverner, et de surveiller la gouvernance »32. Andreotti était le garant de l’ancien système basé sur l’hégémonie d’un parti, la Démocratie Chrétienne, contrant l’arrivée du PCI aux responsabilités. L’exercice de son pouvoir était étroitement lié aux services de renseignement étrangers, en particulier les services américains qui connaissaient bien le caractère mafieux du personnage. Dans un rapport secret de 198433, le consul américain en Sicile, Ralph Jones témoigne34: « La faction d’Andreotti, qui depuis longtemps se couvre à gauche en favorisant la coopération avec le PCI dans le gouvernement régional, est considérée par beaucoup comme la faction politique la plus liée à la mafia ». Pour le diplomate américain, les poursuites judiciaires contre Ignazio et Nino Salvo, « qui sont, pour nous, les représentants de l’Etat mafieux, sont les plus importantes manœuvres antimafia d’après-guerre »35. Le rapport qui évoque des liens de la mafia avec Salvo Lima et Vito Ciancimino, émet une hypothèse : « Si les enquêteurs italiens réussissaient à flanquer le soliste Buscetta de nouveaux repentis, Lima et Andreotti (voir l’ensemble du corps politique italien) feraient bien de se préparer à un choc dévastateur 36». A contrario, il semble que l’exercice du pouvoir par Andreotti était en adéquation avec une diplomatie américaine qui le protégeait. En effet, la lutte contre le communisme était supérieure à celle contre les mafias. Au milieu des années quatre-vingt, certains services fédéraux ont déjà entamé une politique de lutte contre la criminalité organisée aux Etats-Unis mais aussi contre le trafic de drogue au niveau international. Giulio Andreotti n’était pas inquiété. A l’époque, la magistrature se concentre davantage sur les mafieux plutôt que sur leurs complices politiques.

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Jamieson (Alison), La fine dei alibi, Narcomafie, éditions Abele, Turin, 2001, numéro 7-8, pp. 45 à 46 qui exprime un point de vue assez répandu parmi les intellectuels anglo-saxons. 33 Publié dans l’hebdomadaire l’Europeo au mois de juillet 1993. 34 En 1984, Giulio Andreotti était ministre des affaires étrangères. 35 Pepino (Livio), Andreotti, la mafia, i processi.. op. cit., p. 26. 36 Ibid.

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Deux ministres italiens de la justice ont déposé au cours du procès Andreotti à ce sujet. Le ministre de la justice au moment du maxi-procès de 1986, Mino Martinazzoli, a déclaré que des membres importants du gouvernement américain prévoyaient la chute du régime soviétique dans les années à venir. Cette assertion semble être confirmée par l’étude des stratégies militaro-industrielles des présidences Reagan37. Au cours de ces mandats, « la guerre des étoiles » était un instrument visant à ruiner l’URSS, accélérant ainsi sa chute38. En 1986, les hauts fonctionnaires américains avaient suggéré au ministre de la justice italien la présence de l’ambassadeur des Etats-Unis pendant la première audience du maxi-procès prévu le 10 février39. Le ministre Martinazzoli a refusé cette proposition pour de pas donner une valeur politique à ce procès. Cependant, la présence d’un ambassadeur peut être interprétée comme la volonté des Etats Unis de lutter contre le trafic de drogue. Elle peut aussi renforcer l’idée que les deux premiers repentis, Tommaso Buscetta et Salvatore Contorno, ne devaient pas parler des collusions politiques, ce qui fut le cas comme nous l’avons expliqué au début de ce chapitre. Rappelons que ces « repentis » étaient protégés par l’administration américaine. Les « repentis » avaient donc intérêt à respecter les injonctions des officiels américains. Dans les années quatre-vingt, l’administration luttait contre le trafic de drogue mais n’était pas disposée à mettre en péril la gouvernance italienne. L’évocation des liens politicomafieux par les « repentis » aurait provoqué « le choc prévu » dans le rapport secret cité plus haut. Ces révélations ne pouvaient arriver pendant la guerre froide. A contrario, à partir du début des années quatre-vingt dix, l’administration américaine intensifia ses requêtes. Le Ministre de la justice Martelli a confirmé que le gouvernement américain sollicitait de manière répétée le gouvernement italien pour faire passer des lois qui incitent les mafieux à collaborer avec la justice. Toutes les études en matières de relations internationales s’accordent sur le fait qu’au cours de la guerre froide, la priorité de la politique étrangère américaine était la lutte contre le communisme qui absorbait toutes les ressources de l’Etat. C’est la raison pour laquelle, les Etats-Unis ont accordé une grande tolérance à la criminalité mafieuse considérée comme utile face au « péril rouge ». Après 1989, l’administration américaine a redéfini ses priorités et ses objectifs qui furent la guerre contre le trafic de drogue et les organisations criminelles qui en contrôlaient la production et la distribution. Sur le plan intérieur, les poursuites et les moyens 37

1980-1988. Soppelsa (Jacques), Introduction à la géopolitique, Institut de Géographie, Université Paris I. 39 Scarpinato (Roberto) et procureur au procès Andreotti, exposé introductif du colloque Mafia et pouvoir, Palerme les 18-19 décembre 2005, syndicat Magistrat démocratique, Libera, CGIL et Association des juristes démocrates p. 18. 38

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ont été multipliés au point d’obtenir la condamnation par le tribunal de New York du parrain italo-américain John Gotti en 1992, et de redimensionner le contrôle du territoire des familles mafieuses italo-américaines. Sur le plan international, les pressions et les aides ont été augmentées envers les Etats concernés par la présence mafieuse. Par exemple, le Département d’Etat a fait pression sur le Venezuela pour qu’il accorde l’extradition vers l'Italie des mafieux Caruana. Enfin, le nouveau contexte international entraîne l’amélioration de la prise en charge des « repentis ». En 1992, les « repentis » Buscetta et Mannoia ont accepté de parler des collusions politiques alors qu’ils avaient refusé jusqu’ici. Les procès qui débutent en 1992 et 1993 lèvent le voile sur l’histoire politique de l’Italie. Leurs tenues répondent à plusieurs phénomènes. La classe politique était aux abois. Des mafieux étaient en crise avec leur organisation mais étaient protégés par l’Etat et surtout l’Italie subissait de plein fouet un bouleversement international. Face à ces changements, la mafia répond par la terreur.

b. Le terrorisme mafieux dans la crise du système politique italien. En 1992, la mafia sicilienne doit faire face à l’offensive des magistrats et ce, dans un contexte favorable à la lutte antimafia. Menacée par les déclarations des « repentis », privée de son soutien politique historique, Cosa nostra élimine ses anciens alliés ainsi que deux magistrats protagonistes de l’Antimafia. Puis, en 1993, elle se livre à un terrorisme politique 40. Elle organise des attentats contre les monuments historiques afin de faire pression sur la future classe politique, celle qui sortira vainqueur des élections législatives de 1994. En 1992, le chef de Cosa nostra, Salvatore Riina fait assassiner Salvo Lima et Ignazio Salvo, deux alliés incapables de lui éviter les condamnations du maxi-procès. Ces derniers sont devenus inutiles, voire dangereux dans l’éventualité d’une collaboration avec les forces de l’ordre. Cette violence a aussi une fonction pédagogique envers le président du Conseil et envers les autres responsables politiques. Salvo Lima était le leader de la Démocratie chrétienne en Sicile. Député européen depuis 1979, Lima était le pivot des relations entre Cosa nostra et la Démocratie Chrétienne41. 40

Au cours des années soixante dix, l’Italie se distingue de ses voisins européens par la violence de son terrorisme idéologique des extrémistes de droite et de gauche. Depuis la fin des années soixante dix, l’Etat italien semblait être épargné par le terrorisme. Il s’agit bien d’un faux semblant si on tient compte de l’attentat de Noël 1984 ou de la tentative d’attentat contre Giovanni Falcone en 1988, chap. II. A. 1. a. 41 Il cachait peu ses propensions à lier son destin d'homme politique aux parrains de Cosa nostra. Il a reconnu qu'il avait été élu maire de Palerme à deux reprises en 1959 et en 1965 avec les voix de la mafia. Il avait été la

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En 1992, Lima était encore en mesure de faire élire des candidats proches du courant Andreotti. La « force de frappe électorale » de Salvo Lima était estimée à trois cent mille voix. Son influence s’appuyait sur le placement de ses hommes de confiance à tous les postes des institutions siciliennes. Par exemple, de nombreux alliés de Lima siégent à la Province, équivalant au département en France, et au sein de la Caisse du Mezzogiorno. Des collaborateurs de justice de grande valeur ont confirmé le poids clientéliste de Salvo Lima : « Lima était un point de passage pour atteindre un autre responsable politique... Lima avait le contact avec les hommes d'honneur. Il agissait en personne mais pour les questions délicates, il [Salvo Lima, nda] s'adressait à un niveau politique supérieur [de la Sicile, nda], à un courant particulier [de la Démocratie chrétienne, nda]... Il nous avait ainsi garanti que la Cour de cassation [chargée du maxi-procès de Palerme] se prononcerait en notre faveur »42. La défaillance de Lima entraînait une remise en cause du pouvoir des Corléonais. Le chef de la mafia sicilienne devait envoyer un message fort au monde de la mafia et de ses complices : celui qui ne respecte pas les accords est puni de mort. Par ailleurs, aux yeux des hommes de Cosa nostra, tuer leurs alliés siciliens de la Démocratie chrétienne affaiblissait le pouvoir et l’image d’Andreotti, président du Conseil depuis 1989. Ce dernier devait se rendre en Sicile le lendemain de l’assassinat de Salvo Lima. Giulio Andreotti, peu de temps après l’assassinat de Lima, déclara « Lima était un homme intelligent et très fort ... En Sicile, il représentait un élément décisif pour la force du parti. De tout le parti »43 . A partir de telles déclarations, nous pouvons conclure que l'attaque dépassait la victime directement concernée. Salvo Lima fut assassiné pendant la campagne des élections législatives de 1992. Avec ce meurtre, la mafia envoyait un message fort aux futurs élus. Salvo Lima ne fut pas la seule victime de la rupture d'équilibre entre mafia et l’Etat. Le 17 septembre, la mafia assassine Ignazio Salvo44. Ce dernier et son cousin, décédé en 1986, étaient les percepteurs « privés » des impôts de l'île. Les cousins Salvo étaient les intermédiaires entre les familles mafieuses et les politiciens Salvo Lima et Giulio Andreotti. Avec ce meurtre, la mafia renforce le coup porté au Président du conseil. Au cours de l'été 1992, la rupture est donc radicale et le retour en arrière impossible. La mafia invite les « cheville ouvrière » de la mise à sac immobilière de sa ville durant les années soixante. Lima avait été cité 162 fois dans les rapports de la première commission d'enquête parlementaire antimafia (1963-1976). Il jeta les bases de son succès en devenant le protégé et le proconsul de la Sicile de Giulio Andreotti. 42 Déposition de Leonardo Messina devant la Commission Parlementaire Antimafia (CPA) de la XIème législature, Rapport sur les relations entre mafia et politique, (rapporteur Luciano Violante), approuvé le 6 avril 1993, éditions Laterza, Roma-Bari, 1993. 43 Franco (Maurizio), lo ha ucciso la calumina (intervista con Giulio Andreotti), Panorama, éditions Mondadori, Milan, 22 mars 1992, pp. 52 et suivantes, Brutti (Massimo), Mafie e antimafia, (Cosa nostra nella crisi del sistema italiano), éditions La Terza, Roma-Bari, 1996, p 54. 44 Ignazio Salvo est décédé avant la fin du procès.

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éléments des autres formations politiques à tenir leurs engagements. Cosa nostra fait table rase du passé y compris en ce qui concerne ses ennemis. En mai et juillet 1992, Cosa nostra assassine les deux juges antimafias responsables du maxi-procès. Plus qu’une punition, il s’agit de tuer la mémoire de la lutte antimafia. Les compétences des magistrats en question étaient si importantes que leur mort puisse bloquer les enquêtes en cours. Enfin, les bombes sont des messages envers les autres magistrats45. Le 23 mai 1992, après un virage de l'autoroute 29, l’Institut national de géophysique enregistra une onde de choc titanesque46. Une bombe placée dans une canalisation sous la voie explose et tue le juge Giovanni Falcone, sa compagne et les membres de son escorte. Le juge Falcone était coupable aux yeux des Corléonais - Riina en tête - d'être un juge au-dessus des autres. Il était sicilien et avait grandi à Palerme. Il avait levé le mystère de la structure de Cosa nostra, en créant le pentitismo, le phénomène des « repentis ». Falcone avait déjà échappé à un attentat en 1988, sa protection était très importante. C'est pourquoi la mafia employa les grands moyens. Le 19 juillet 1992, l'ami et le successeur de Falcone, Paolo Borsellino et les quatre policiers de son escorte furent victimes d’un autre engin explosif. Le substitut Borsellino enquêtait à l’époque sur les ramifications de Cosa nostra en Allemagne mais aussi sur le blanchiment de capitaux au sein d’une entreprise domiciliée dans le Nord de l’Italie. La préparation de l’attentat avait été signalée, dans un pays d'Europe du Nord, par un membre de la ’Ndrangheta chargé d’introduire les explosifs sur le sol italien le 14 juillet. Arrivée sans retard à Rome, l'information fut transmise à Palerme une dizaine de jours après l'explosion. En 2008, une enquête est en cours pour déterminer des complicités en plus haut lieu. Les meurtres des juges provoquent un choc dans le pays tout entier. Le fait que les victimes étaient des hommes de l’Antimafia ne laissa pas de place au doute quant à l’identité des terroristes. A contrario, les cibles de l’année suivante ne permettaient pas, sur le moment, de trouver les auteurs des actes criminels. La Commission parlementaire des années quatre vingt-dix et les procès qui l’ont suivi, ont mis en lumière les changements au sein de la mafia

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La violence mafieuse est un langage. Tuer Salvo Lima et Ignazio Salvo en ne mettant personne d’autre en cause signifie que les représailles relèvent d’une question interne au monde de la mafia. La mafia tue deux alliés qui n’ont pas de rapport avec leur ennemi. En revanche en tuant les juges Falcone et Borsellino de manière terroriste, la mafia affirme sa force sur son territoire en opposition à la puissance publique. Le but était de faire comprendre à tous les proches des hommes qui luttaient efficacement contre Cosa nostra qu’ils risquaient leur vie. 46 Cinq cent cinquante kilos d'explosifs (T.N.T. et nitroglycérine) étaient cachés dans une conduite d'eau souterraine et furent déclenchés à distance.

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qui l’ont conduit à basculer dans le terrorisme. Cette période est appelée en Italie la « saison des bombes ». En 1993, cinq attentats terroristes ont lieu à Florence, Rome et à Milan47. Les actes terroristes hors de la Sicile et visant le patrimoine national, constituaient une nouveauté pour Cosa nostra48. Que se passe-t-il au sein de l’organisation mafieuse ? Pourquoi a-t-elle recours à des explosifs alors qu’elle dispose d’interlocuteurs au sein des institutions ? Un tel changement de la stratégie de Cosa nostra ne s’explique pas sans considérer l'association mafieuse comme un sujet politique qui emploie des moyens militaires pour aboutir à ses fins49. En 1992, assommée par la sentence définitive du « maxi-procès », la mafia est au cœur d’un bouleversement géopolitique. Le 14 mai 1993 à Rome, une bombe blessa vingt et une personnes mais n’atteignit pas la cible visée. Il s’agissait d’une attaque envers Maurizio Costanzo, un journaliste ayant récemment pris des positions contre la mafia. Maurizio Costanzo est un journaliste de « pouvoir ». Il était inscrit à la loge maçonnique clandestine P2 et était dans une voiture blindée. Cosa nostra est habituée aux meurtres de journalistes. Cet attentat semble un avertissement pour tous les journalistes. Cosa nostra tente de conditionner les médias afin qu’ils cessent de parler de mafia. Le 27 mai 1993 à 01h 02, une explosion endommagea gravement la Galerie des Offices de Florence tuant en plus cinq personnes dont quatre d’une même famille et faisant une dizaine de blessés. Le 27 juillet 1993 à Milan à 23h14, les explosifs ont détérioré le pavillon d’art contemporain situé dans la Villa Reale50. Cinq personnes ont été tuées et une dizaine blessées. Le même jour à Rome, deux bombes explosent près des deux plus 47

Au mois de février 2001, la Cour de cassassion a confirmé toutes les condamnations pour terrorsime mafieux (à Florence et à Milan) de Bernardo Provenzano, Totò Riina, Filippo Graviano, Leoluca Bagarella, Gaspare Spatuzza, Giuseppe Graviano, Matteo Messina Denaro, Cosimo Lo Nigro, Gioacchino Calabrò, Francesco Giuliano, Antonino Mangano, Gaspare Spatuzza, Filippo Graviano, Giuseppe Barranca, Salvatore Benigno, Luigi Giacalone, Giorgio Pizzo. 48 La méthode utilisée est le stationnement d’une voiture bourrée d’explosifs actionnés par un système de mise de feu à distance. Le choix de la Fiat Uno pour chaque attentat est un acte de communication de la mafia. La marque est italienne. La mafia parle à l’Etat italien. Le choix du même type de voiture traduit la volonté de montrer un plan terroriste unitaire. 49 Segio (Sergio), Politica e mafia, Narcomafie, éditions Abele, Turin, février 1993, pp. 31-32. 50 Pour cet attentat, ce n’est pas l’édifice culturel qui était visé mais le Palais des journaux. Un problème avec la mèche du détonateur a contraint les « soldats » à abandonner la voiture devant la Villa reale. Une lette anonyme envoyée à deux quotidiens avant les attentats exposait les motifs de la mafia : « tout ce qui arrive est seulement un préambule, après ces bombes nous informons la nation que les prochaines [bombes, nda] à venir seront posées de jour et dans des lieux publics, qu’elles auront pour objectif des vies humaines. PS : Nous garantissons qu’il y en aura des centaines [de victimes, nda] », Abbate (Lirio), Gomez (Peter), I complici (tutti gli uomini di Bernardo Provenzano da Corleone al Parlamento), éditions Fazi, 2007, 353 pages, p. 208.

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prestigieuses églises de la capitale. La première bombe endommage la basilique di San Giovanni in Laterano. La seconde détériore la basilique San Giorgio al Velabro. De nombreuses personnes sont blessées. Les cibles ne sont pas choisies par hasard. Les bombes sont des messages en réaction au discours du Pape. Au mois de mai 1993 à Agrigento, pour la première fois le souverain pontife critique et condamne la mafia en l’assimilant à la « culture de la mort ». De surcroît, il invitait les mafieux à se « convertir » ce qui n’était pas acceptable pour la Cosa nostra subissant de plein fouet le phénomène des collaborateurs de justice. Les attentats contre les églises précèdent le meurtre du prêtre Pino Puglisi à Palerme le 15 septembre 1993. Enfin, un attentat de grande ampleur échoua à la fin du mois de décembre 199351. Il devait avoir lieu au stade olympique de Rome le jour d’un match de football. La voiture qui abritait la bombe était placée de telle manière qu’elle devait faire le maximum de victimes au sein du corps des carabiniers chargés de la sécurité pendant cet événement. Le terrorisme mafieux est la conséquence de la fin du monde bipolaire et de la fin de la « partitocratie ». Les anciens médiateurs qui tiraient leur force de la capacité à conduire ou à conditionner l’action du gouvernement ont perdu leur emprise et ne servaient plus. La mafia, actrice de la vie politique italienne, se débarrasse de ces anciens référents afin d’en trouver de nouveaux. Il est possible d’analyser les stratégies mafieuses des années quatre-vingt dix dans le contexte politique du pays. Il n’y pas de coïncidence entre le vide politique que subit l’Italie et les attentats mafieux. Le choix du terrorisme mafieux intervient dans un moment d’instabilité politique et il vise à accentuer la crise de cette période. Nous ne sommes pas en face de changements spontanés des habitudes mafieuses. Nous sommes davantage confrontés à une réflexion lucide de la part des dirigeants de Cosa nostra. Cette stratégie est basée sur une analyse des forces en présence. Il s’agissait d’un projet d’avenir qui vise à créer les conditions politico-institutionelles les plus avantageuses pour l’organisation mafieuse. Le retournement de la politique mafieuse se vérifie dans les faits au cours des années 1992-1993. Cependant, ce changement n’est pas si soudain. Aux dires des collaborateurs de justice, les mafieux avaient pris, dés 1991, la mesure de la rupture entre Cosa nostra et ses référents politiques. Les chefs mafieux comprenaient qu’une partie de la classe politique nationale ne pouvait plus exercer de pouvoir sur la périphérie sicilienne. L’équilibre des forces politico-mafieuses n’existait plus. Auparavant, l’Etat et les politiciens nationaux 51

Le détonateur n’a pas fonctionné.

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avaient encore l’avantage. Désormais, ce sont les mafieux qui commandent. Or, au sein de Cosa nostra, il y a toujours eu deux courants : celui du compromis et celui de l’opposition à l’Etat. Ce dernier courant, dit « subversif », était animé par la philosophie des Corléonais. Elle reposait sur la création d’une structure - la Coupole - qui contrôlait toutes les familles mafieuses de manière transversale, faisant fi de leur implantation traditionnelle territoriale. La gestion de Cosa nostra était donc centralisée, autoritaire et sous-tendue par un réseau occulte de relations internes et externes à l’organisation mafieuse. Avec la fin de la « première République », ce courant qui demandait depuis la fin des années soixante dix la suprématie et l’autosuffisance des familles mafieuse sur les partis politiques a eu gain de cause. Cosa nostra choisit donc la guerre et prévoit des amnisties comme des ententes pacifiques. Cette violence devient une ressource fondamentale. Elle a, de plus, le mérite de renforcer les liens entre les associés. Cette politique de guerre contre l’Etat n’a pu être élaborée dans l’urgence. La stratégie mafieuse a été préparée pendant plusieurs mois. Du mois de novembre 1991 au mois de février 1992, les plus grands chefs mafieux décidèrent de l’avenir de la mafia sicilienne. A Enna, dans cette ville tranquille moins contrôlée par les forces de l’ordre 52, les membres de la « commission » de Palerme et les représentants des provinces, ont formé la « coupole »53. Le but de cette réunion était de faire entrer Cosa nostra dans le vingt et unième siècle. Au cours de ce concile, le grand chef, Toto Riina, fit le constat suivant : la pression des autorités à l’encontre de Cosa nostra s’est accentuée et surtout, certaines alliances traditionnelles avec l’Etat ne fonctionnent plus. Or, si la sentence du « maxi-procès » ne peut être annulée, il faut à tout prix endiguer la collaboration de mafieux avec la justice. Le phénomène des repentis est une plaie pour tous les chefs54. Salvatore Cancemi, un autre « repenti », rapporte qu’il a personnellement entendu les chefs de la « commission » de Palerme, Salvatore Riina, Bernardo Provenzano, Salvatore Biondino et Raffaele Ganci, évoquer le gravissime danger que la diffusion du pentitismo constituait pour Cosa nostra55.

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Audition Messina, CPA , le 4 décembre 1992, pp. 521-527, Brutti (Massimo), Mafie et antimafia… op. cit., p. 54. 53 La plus haute des institutions de Cosa nostra étaient composée par les Corléonais, Toto Riina, Bernardo Provenzano, Leoluca Bagarella et son second Giovanni Brusca. Ils étaient soutenus par les familles Calo, Madonia, Monlalto, Ganci, Graviano, Geraci et Galatolo. 54 Déclarations de Salvatore Cancemi devant le Procureur de la République de Palerme le 16 mars 1994, CPA, Vigna (Piero Luigi), Mafie e antimafia, (le tracce di chi ordino le strage) … op. cit., p. 105. 55 Interrogatoire du 16 février 1994 par le juge d’instruction de Caltanissetta, CPA, Brutti (Massimo) Mafie e antimafia… op. cit. p. 57.

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Pendant cette réunion, deux axes d’action ont été dégagés. La première action consistait à terroriser les collaborateurs ainsi que leurs proches56. La deuxième devait accentuer la pression sur l’Etat. Ce plan d’attaque de l’Etat était partagé par les autres chefs de provinces. Deux repentis, Filippo Malvagna et Giuseppe Pulvirenti, confirmèrent que Nitto Santapaola, chef incontesté de la province de Catane, et les autres membres de la « commission » constataient que de nombreux accords avec le pouvoir politique faisaient défaut. Par conséquent, il fallait inviter les institutions à traiter avec la mafia dans le but d’atténuer leurs attaques contre l’organisation. La décision de faire chanter l’Etat par la violence fut donc prise à l’unanimité par des chefs de la « Coupole » au mois de février 1992, le lendemain de la décision historique de la Cour de cassation57. Après les attentats du mois de mai 1992, le chef de la mafia sicilienne remit un document à un de ses lieutenants afin qu’il le donne à un haut fonctionnaire nommé Paolo Bellini58. Ce petit document écrit constituait un annuaire des requêtes mafieuses : la révision du « maxi-procès », l’atténuation de l’article 41 bis et d’autres faveurs. Par ailleurs, le collaborateur de justice Gioacchino La Barbera, relata une tentative de négociation entre ces acteurs la même année. Dans le cadre de cette tractation pour le compte de la « Coupole », le mafieux Antonino Gioè sollicitait un traitement plus clément de certains parrains emprisonnés. En retour, Cosa nostra proposait sa médiation pour récupérer des œuvres d’art dérobées et recherchées par l’Etat italien59. Les deux négociations ont échoué suite à l’attentat contre le juge Borsellino au mois de juillet 1992. Puis, les menaces mafieuse devinrent plus pressantes. La magistrature a démontré l’existence d’une deuxième transaction. Le mafieux Gioè était en contact avec un homme des institutions surnommé « Alfa » en raison de ses contacts avec les carabiniers qui utilisent des « Alfa Romeo »60. L’identité de ce contact n’est pas connue parce qu’il fait désormais partie d’un programme de protection des témoins. Au cours de l’été 1992, le mafieux Gioè a informé le contact « Alfa » du projet d’attentats non plus, contre des personnes, mais contre le patrimoine artistique, en particulier contre la tour de Pise. Le mafieux Gioé a raconté la réaction horrifiée de l’homme d’Etat « Alfa » qui aurait déclaré : 56

Cette stratégie est nommée « les vengeances transversales ». Le 31 janvier 1992, chap. I. C. 2. c. 58 Déclarations des collaborateurs de justice Gioacchino La Barbera, Antonino Gioè et Giovanni Brusca en 1996, CPA, Brutti (Massimo), Mafie e antimafia… op. cit., pp. 58-59. 59 Interrogatoire du 4 décembre 1993 par le juge d’instruction de Palerme, Mafie e antimafia… op. cit., pp. 48137. 60 Tout cela est confirmé par un sous-officier de carabiniers qui était en contact avec « Alfa » (entendu par le Juge d’instruction de Florence le 7 avril 1994) et par le colonel Mori du groupe des opérations spéciales des carabiniers de Rome, CPA, Brutti (Massimo), Mafie e antimafia… op. cit., p. 59. 57

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« Ce serait la mort d’une ville ». Par ailleurs, le collaborateur de justice Gioacchino, La Barbera, rappelle qu’à la fin de 1992, le mafieux catanais Santo Mazzei, fut mandaté par Cosa nostra pour provoquer un incendie dans le musée de Florence61. Cette fois, l’avertissement était plus précis. Il annonçait l’année 1993. L'arrestation de Riina le 15 janvier 1993 ne changea rien à la ligne de conduite décidée à Enna. Le collaborateur de justice Cancemi a rapporté les discussions entre Bernardo Provenzano et Rafaelle Ganci lors d'un colloque en mai 1993, après le premier attentat de Rome. Il y fait état de l'existence de contacts avec des hommes politiques pour les conduire à orienter la législation en faveur de l'organisation mafieuse62. Après les quatre attentats de 1993, Provenzano aurait confirmé que “ les attentats … à, Rome, à Florence, et à Milan sont une stratégie continue, une lutte contre les repentis63 ”. Avec le terrorisme, les mafieux se sont fabriqué une monnaie d’échange pour obtenir une politique de discrédit des collaborateurs de justice et la suppression de l’article 41 bis du code de procédure pénale contre la fin des attentats64. La loi comprenant l’article 41 bis prévoit un régime pénitencier sévère et spécifique aux mafieux. L’isolement strict et les conditions de vie dures sont des instruments favorables aux nouvelles collaborations puisqu’ils les incitent à parler 65. On peut en conclure que les attentats de Florence, de Rome et de Milan en 1993, ont une charge destructive particulière. Ils étaient déjà planifiés au moment des deux premiers attentats plus traditionnels de 1992. Après s’être débarrassés des anciens référents et des magistrats les plus compétents, les Corléonais ont organisé une campagne d'intimidation contre l'Etat, se traduisant par les attentats à la bombe à Rome, à Florence et à Milan. Ces attentats ont lieu au lendemain du référendum de 1993 abolissant le système proportionnel, mode de scrutin qui figeait l'ordre politico-mafieux d'après-guerre. De telles initiatives terroristes constituent un chantage de Cosa nostra envers la classe politique. La paix avec l’organisation mafieuse sicilienne ne pouvait donc plus se construire comme par le passé. Les attentats contre le patrimoine devaient contraindre le nouvel Etat à négocier. Le collaborateur de justice Leonardo Messina

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Interrogatoire du 3 décembre 1993 par le juge d’instruction de Palerme, CPA, Brutti (Massimo), Mafie e antimafia… op. cit., p. 58. 62 Interrogatoire du 16 février 1994 par le juge d’instruction de Caltanissetta, CPA, Brutti (Massimo), Mafie e antimafia… op. cit., p. 57. 63 CPA, Vigna (Piero Luigi), Mafie e antimafia … op. cit., p. 106. 64 Pezzino (Paolo), sous la coordination scientifique, La mafia: 150 anni di storia e di storie… op. cit. 65 Interrogatoire du 8 mars 1994 par le juge d’instruction de Florence, CPA, Brutti (Massimo), Mafie e antimafia… op. cit., p. 57.

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a qualifié le terrorisme de « coup d’état graduel »66. Il convient de se poser la question suivante : la mafia a-t-elle obtenu ce qu’elle cherchait ?

c. A qui profite la terreur mafieuse? La période des attentats ne resserre pas les liens entre les différents acteurs qui luttent contre les mafias. A l'approche des élections législatives, des personnes à la frontière entre les familles mafieuses et la nouvelle classe politique, s’activent pour conclure des accords. La magistrature a reconstruit ses tractations politico-mafieuses et a émis une hypothèse. Ils y auraient des soutiens politiques derrière les poseurs de bombes. La justice n'est pas en mesure de sanctionner un de ces « commanditaires » mais les actions politiques du premier gouvernement Berlusconi confirment que le nouveau Centre-droit a épousé les revendications de la mafia. Dans un premier temps, les attentats contre les magistrats entraînent une réaction de la société civile qui manifeste une forte volonté d'éradiquer le phénomène mafieux. A partir de 1992, les manifestations contre la mafia, les associations pour promouvoir la légalité et pour utiliser les biens saisis à la mafia, se multiplient. En revanche, la terreur mafieuse exacerbe les divisions entre les membres des forces de l'ordre, entre les magistrats et les politiciens. Les défaites comme les victoires de l’Antimafia sont plombées par des polémiques qui affaiblissent son pouvoir. Par exemple, après l’assassinat du juge Falcone, Domenico Sica, ancien directeur du Haut-Commissariat de la lutte antimafia raconta que la mafia n'avait éliminé qu'un symbole67. Il prétendait que Giovanni Falcone avait abandonné le travail de terrain pour une fonction au ministère de la justice à Rome. De la même veine, le Conseil supérieur de la magistrature répétait les mêmes erreurs. A deux reprises, le CSM italien avait refusé de nommer Giovanni Falcone procureur général de Palerme68. Après l’assassinat de ce dernier, le CSM n’avalise pas la candidature de Paolo Borsellino pourtant soutenue par Claudio Martelli, ministre de la Justice de l’époque. Pour nombre de spécialistes, un tel désaveu de la part des institutions constitue une « autorisation » donnée à la mafia pour tuer Borsellino. Celui-ci est assassiné au mois juillet 1992. 66

Audition Messina, CPA 1993, p. 517, Brutti (Massimo), Mafie e antimafia … op. cit., p. 54. OGD, Dépêche internationale des drogues, numéro 9, juillet 1992. 68 Il fut nommé la veille de son assassinat responsable du parquet spécial antimafia ayant une compétence nationale pour toutes les affaires liées à la criminalité mafieuse. 67

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Les acteurs de la lutte contre les mafias se disputent sur les hommes à promouvoir mais aussi sur les politiques judiciaires. La collaboration de mafieux « repentis » provoque des divisions. En 1992, il y avait environ six cents nouveaux collaborateurs de justice69. Les magistrats craignaient de faux « repentis » manipulés par les mafias pour brouiller les cartes et pour discréditer le pentitismo. Par exemple, Gaspare Mutolo, un collaborateur de justice de très grande qualité, est suspecté d’être manipulé par la mafia. Il révéla que le juge Domenico Signorino était proche de la famille mafieuse de Villagrazia. En 1982 ce magistrat aurait acheté un somptueux appartement à Palerme à très bas prix et ce avec des facilités de paiement inouïes offertes par Riccobono, le chef mafieux local. Gaspare Mutolo ne s'arrêta pas là. Il décrit précisément le dit appartement de Palerme. Cette information a provoqué un scandale. Touché au vif, le juge Signorino se suicida à fin d’année 1992. Jamais résolu, le cas du juge Signorino remet en cause la crédibilité de l'une de ses armes principales dans la lutte antimafia, la collaboration des « repentis ». Même lorsque la méthode fait l’unanimité, le travail contre la mafia est discrédité. Par exemple, le 15 janvier 1993, les carabiniers arrêtent le chef de la mafia sicilienne, alors recherché depuis trente trois ans. L’arrestation de Riina est un symbole : celui de l’action de l'Etat visant à décapiter le sommet de la mafia et à mettre fin à l'impunité des chefs mafieux en fuite. L’arrestation survient le jour de l’entrée en fonction du nouveau procureur de Palerme, Gian Carlo Caselli. Quinze jours plus tard, ce dernier apprend que, malgré l’arrestation, les carabiniers n’ont pas perquisitionné le domicile du chef de la mafia sicilienne. De facto, la police n’a pu obtenir aucune preuve, document ou trace au domicile de Riina. La plus grande victoire sur la mafia des années quatre-vingt dix fait place à un scandale70. L’année 1993 se poursuit avec les attentats contre l’Etat italien. C'est dans ce climat d’effroi que prend forme une nouvelle classe politique en campagne pour les élections législatives de 1994. Aux élections de mars 1994, la victoire de la coalition des trois partis de droite que sont Forza Italia, Alliance nationale et les Ligues du Nord surprennent les politologues. Le leader de Forza Italia, Silvio Berlusconi fédéra, en un temps record, l’électorat de droite du Nord et du Centre de la Péninsule. Il récupéra aussi le « réservoir » de voix de la Démocratie Chrétienne dans le Sud. Le « grand écart » entre l’électorat des ligues du Nord et un électorat du Sud est une réussite. La victoire dans les territoires du Sud est le fruit d’ententes 69

Leur gestion commence à entraîner des problèmes d’organisation. Par exemple, en 1996, Tommaso Buscetta reconnu par un passager, doit interrompre sa croisière. 70 Les détails de ce fiasco, chap. II. B. 2. a.

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délictueuses entre les nouveaux dirigeants de ce parti et les chefs mafieux. En 1994, Forza Italia est le premier parti d’Italie en nombre de voix, en particulier en Calabre et en Sicile. Ces deux régions sont les meilleurs exemples de ces collusions. Les tractations en Calabre sont moins connues que celles qui se déroulées en Sicile mais ont été l’objet d’une étude de la part de la Commission parlementaire antimafia de la douzième législature71. Dans cette région, les magistrats ont reconstitué l’histoire des alliances politico-mafieuses après l’effondrement de la Démocratie chrétienne aux élections de 1992. Les procès dénommés « Olimpia » permirent de comprendre ces collusions renouvelées. En Calabre, l’homme à la frontière entre la mafia et Forza Italia se nomme Amedeo Matacena. Il est soutenu par Giuseppe Aquila72. Tous deux ont été condamnés pour association mafieuse. Afin de comprendre le rôle qu'ils ont joué au sein de Forza Italia, il faut revenir sur les élections législatives de 1992. Amedeo Matacena Junior, un puissant armateur de Reggio de Calabre était le numéro deux du Parti libéral italien (Pli). A Reggio, il tenait à faire élire son collègue de parti, Attilio Bastianini. Bien que sous-secrétaire à l’industrie, celui-ci était peu connu en Calabre. Mais Attilio Bastianini avait un atout. Il défendait la construction d’une centrale à charbon à Gioia Tauro, un projet vivement soutenu par les familles mafieuses. Au cours des élections de 1992, Amedeo Matacena et son bras droit Giuseppe Aquila menèrent des négociations avec la famille mafieuse Rosmini73. D'après un collaborateur de justice, Amedeo Matacena, Giuseppe Aquila et le « repenti » en question rencontrèrent les familles mafieuses de la province de Reggio de Calabre74. En échange de voix, les hommes politiques Matacena et Aquila s’engageaient par exemple à intervenir dans le procès Santabarbara75. Ses accords ont été corroborés par un autre témoin qui, pour sa part, a évoqué les dîners électoraux76. Des mafieux, parfois recherchés par les polices, rencontraient des politiciens de Forza Italia et d’Alliance Nationale dans des restaurants de la Plaine Gioia Tauro. Cet épisode est emblématique. Entre 1992 et 1994, les forces politico-mafieuses renouvellent leurs référents politiques après l'effondrement de la Démocratie chrétienne. En 1992, Attilio 71

De 1995 à 2001, web.camera.it/_dati/leg13/lavori/doc/xxiii/042/pdf003.pdf Giuseppe Aquila, un ancien employé sur les navettes de la famille est entré en politique avec la création de Forza Italia. En 1997, il devient vice-président de la province de Reggio en Calabre. Le premier septembre 1998, il est arrêté pour complicité de meurtre. En effet, en 1991, au cours de la guerre entre les familles mafieuses de Reggio, il aurait soutenu une des familles en utilisant une kalachnikov. Il a été exclu des listes électorales pour les élections de 2001. 73 Les enquêteurs ont réussi à démontrer un lien de parenté entre Giuseppe Aquila et la famille mafieuse Rosmini, ce qui n’est pas anodin. La sœur de la mère de Giuseppe Aquila, Adalgisa Campollo, est l’épouse de Demetrio Rosmini. 74 Le chef de famille Diego Rosmini junior imposa la présence d’un de ses fidèles aux côtés des deux hommes politiques qui devint un « repenti ». 75 Guarino (Mario), Poteri secreti... op. cit., p. 153. 76 Domenico Festa. 72

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Bastianni n'est pas élu avec moins de cent voix d'écart. Il ne s’agit pas d’une défaite pour la mafia calabraise77. La victoire arrive en 1994. Pour cela Amedeo Matacena passa du Parti libéral au nouveau parti Forza Italia. Au cours du second semestre 1993 et afin de préparer les élections législatives de 1994, Amedeo Matacena entreprit un autre « tour » électoral auprès des chefs mafieux78. Au cours des discussions, l’homme politique de Forza Italia demanda les voix de la mafia calabraise contre une politique de discrédit des juges, des repentis et contre l’article 41 bis. D’autres acteurs de la vie politique jouent le rôle d’interface entre les mafieux et les politiciens pour les élections. Giuseppe Scopelliti, le bras droit du chef mafieux Giuseppe Piromalli, a raconté en détail les diverses tentatives de son « boss » pour faire abolir l’article 41 bis du code de procédure pénal. Le chef mafieux s’adressa à un avocat pénaliste de renom, Tommaso Sorrentino, chez qui il avait passé de longues périodes de « cavale ». L’avocat a fait la requête au niveau national auprès de la député Tiziana Maiolo de Forza Italia. En outre, le collaborateur de justice Lombardo a révélé l’existence d’un « projet » visant à délégitimer les « repentis ». Le but était d’annuler le travail des enquêteurs79. De son côté, le parrain Peppino Piromalli appela depuis sa cellule à voter pour les candidats de Forza Italia sur les ondes de Radio-prison. Amedeo Matacena joua son rôle en tonnant contre le « colonialisme judiciaire » des magistrats de Reggio qui assoient leur carrière au détriment des Calabrais honnêtes. Dans la région, Forza Italia reçut l’appui des télévisions locales, comme Telecalabria et Telle Mare 1, contrôlées par la Fininvest. En outre, le propriétaire de l’émetteur privé Radio Telespazio spa de Catanzaro, l’éditeur et publiciste Toni Boemi était, selon les magistrats, un proche des familles mafieuse Piromalli-Molé de la plaine Gioia Tauro. En Sicile, les enquêtes judiciaires démontrent que Pino Mandalari a servi d’intermédiaire entre la mafia et Forza Italia pour orienter le vote de « la Pieuvre » en échange d’un programme politique spécifique. Pino Mandalari, a été reconnu coupable d’association mafieuse par la justice80. Il était le comptable et l’associé du chef de la mafia sicilienne. A l’issue des élections de 1994, Pino Mandalari s’écrie au téléphone « On a gagné, tous nos

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Le député élu, Attilio Santoro se voit proposer par Amadeo Matecana avec insistance, un poste de soussecrétaire d’Etat en échange de sa démission de la charge de député. Face au refus de Santoro, Matacena n’hésita pas à faire appel au chef mafieux Antonio Mammoliti. Le député Santoro n’a pas cédé. En effet, Matacena ne voulait pas donner la somme demandée par Santoro en échange de sa démission. En outre, les familles Mammoliti et Gangemi ont refusé de s’impliquer dans l’affaire, audience du 24 juin 1999, ibid. note 75 . 78 Opération de police « Galassia », DIA, rapporto 1996, et déclaration du collaborateur de justice Marco Tripodoro 79 Guarino (Mario), Poteri secreti... op. cit., p. 150. 80 Il est aussi ancien membre du parti néofasciste, le MSI ((Mouvement Social Italien). Son rôle de personnage à la frontière entre Cosa nostra et l'Etat est développé au chap. II. A. 2. a.

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candidats sont élus ! »81. Les tractations en vue des élections ne sont pas les seuls éléments qui lient le nouveau Centre-droit à la mafia. La magistrature a aussi constaté que la « saison des bombes » avait été inspirée par des personnes proches des nouveaux élus. Marcello Dell'Utri est l'artisan de la victoire de Forza Italia. Il est le créateur du parti et le sponsor de l’entrée en politique de Silvio Berlusconi. Les deux protagonistes sont accusés de nombreux délits financiers. Ils sont aussi mis en examen pour complicité avec la mafia et recyclage d'argent sale. Enfin, ils sont soupçonnés avoir commandité les attentats de 19921993 ! Marcello Dell'Utri et Silvio Berlusconi n'ont pas eu à subir un procès pour ce dernier chef d’accusation parce que les délais d'enquêtes étaient dépassés. Cependant, leur responsabilité politique et historique est établie. Les enquêtes concernant les attentats de 1992 et de 1993 ont permis de mettre en évidence que la mafia sicilienne a posé les bombes. Au cours de leurs investigations, les magistrats ont émis une hypothèse sur l'existence de commanditaires « cachés » derrière la mafia. Dès 1996, le procureur chargé de défendre l’accusation au procès concernant les attentats de 1993, Pier Luigi Vigna, a soutenu la thèse selon laquelle le terrorisme a été une stratégie commune à deux milieux qui avaient intérêt à desserrer l’étau de la magistrature. Le premier acteur est la mafia. Le deuxième milieu regroupe les secteurs corrompus de la politique, la droite subversive, les loges maçonniques occultes, les réseaux de fonctionnaires infidèles à l’Etat, les entrepreneurs et les financiers véreux82. Les éléments contenus dans les dossiers d'accusation contre les mafieux contraignent les magistrats à enquêter sur leurs contacts. Le 14 novembre 1998, le juge des enquêtes préliminaires, Giuseppe Soresina, en charge des attentats de Florence, Milan et Rome, a démontré que Silvio Berlusconi et Marcello Dell'Utri avaient « entretenu des rapports soutenus avec des individus criminels liés à la programmation des attentats »83. Les hommes forts de la « seconde République » étaient en contact avec le clan des Corléonais au moment des attentats. Le magistrat développe « il existe une convergence objective entre les intérêts politiques de Cosa nostra et certaines parties du programme de la nouvelle formation [Forza Italia, nda] »84. Le programme du parti de Silvio Berlusconi propose la surpression de l'article 41 bis, l’encadrement de la législation sur les collaborateurs de justice, le rétablissement des garanties judiciaires volontairement 81

CPA, Mafie e antimafia... op.cit. Piero Luigi Vigna, CPA, Mafie e antimafia… op. cit., p. 109. 83 Ordonnance de classement disponible sur de nombreux sites internet : Gianni Vattimo - news - bErlUsconi 84 Ibid. 82

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négligées par la législation précédente. Au cours de l'instruction, « l'implication de Silvio Berlusconi et celle de Marcello Dell Utri est apparue plausible »85. Le 23 juin 2001, la Cour d'assise de Caltanissetta a condamné en appel, trente sept chefs mafieux pour l'attentat contre le juge Falcone. Dans les motivations de la sentence, un chapitre est intitulé « Les contacts entre Salvatore Riina [le chef de la mafia sicilienne, nda] et les députés Dell'Utri et Berlusconi »86. La décision stipule « il est prouvé que la mafia a entretenu avec les deux parlementaires un rapport fructueux, au moins d'un point de vue économique »87. C'est pourquoi le projet politique de Cosa nostra en matière institutionnelle visait à mettre en place de nouveaux équilibres et des alliances avec de nouvelles personnes dans les milieux de l'économie et de la politique. « Les bombes avaient pour but d'impliquer l'Etat dans la manœuvre permettant de renouveler la classe politique qui, par le biais de nouvelles relations, assurerait comme par le passé, les complicités dont Cosa nostra avaient bénéficié »88. Le 3 mai 2002, Giovanni Battista Tona, le juge chargé des enquêtes préliminaires pour les procès concernant les attentats contre les juges Giovanni Falcone et Paolo Borsellino, demanda la clôture de la procédure pour manque de preuves contre Silvio Berlusconi et Marcello Dell’Utri. Le magistrat motive sa décision en signalant : « que l’existence de rapports de la part des dirigeants des sociétés du groupe Fininvest avec des personnes à la tête de l’organisation Cosa nostra constitue un fait établi. Ces rapports rendent pour le moins tout à fait plausibles les reconstructions faites à partir de déclarations des collaborateurs de justice, examinés pendant l’instruction, et permettent de déduire que les accusés étaient considérés comme facilement « joignables » par le groupe criminel »89. Le magistrat explique qu'en raison du prestige des hommes politiques en question, les mafieux ont considéré Silvio Berlusconi et Marcello Dell'Utri comme de nouveaux interlocuteurs, c’est-à-dire qu’ils remplaçaient ceux de la Démocratie Chrétienne. Ces assertions sont confirmées par les mafieux eux-mêmes. D'après le repenti Salvatore Cancemi, Toto Riina s'était vanté au sujet de l'attentat contre Giovanni Falcone “ d’avoir le feu vert de hautes personnalités 90”. Le collaborateur de justice Cancemi déclara que les objectifs touchés n'avaient pas été choisis de manière autonome par 85

Ibid. Décision disponible sur internet : Gianni Vattimo - news - bErlUsconi 87 Ibid. 88 Ibid. 89 Forgione (Francesco), Amici come Prima.. op.cit., p. 9. www.societacivile.it/memoria/articoli_memoria/archiviazione.pdf 90 CPA, Mafie e antimafia... op. cit., p. 107. 86

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Cosa nostra qui : « n'a pas l'esprit assez fin pour mettre une voiture piégée sur le site de Florence91 ». A son avis, les attentats contre le patrimoine artistique sont des « objectifs suggérés92» par des commanditaires extérieurs à la mafia. A la lecture de ces décisions, on comprend que le but des attentats était de solliciter une solidarité nationale entre les milieux mis à mal par la magistrature93. Dans le monde de la mafia, un collaborateur de justice94 a confirmé que dans le milieu carcéral, les mafieux avaient reçu l’assurance que « la situation s’améliorerait à partir de 1995 »95. En ce qui concerne le report des voix de la mafia vers Forza Italia, il existe d'autres thèses que celle de la collusion. Massimo Brutti, membre à la Commission parlementaire antimafia, estime que les mafieux ont pris unilatéralement la décision de voter pour Forza Italia et ce, à l’insu des dirigeants du parti96. Si tel avait été le cas, pourquoi la coalition du centre-droit au pouvoir en 1994 tente dans les faits d’améliorer le sort des mafieux? En l'espace de dix mois, la majorité au pouvoir prend des mesures fiscales favorables la délinquance financière. Elle remet en cause l'article 41 bis du code de procédure pénale et le statut des collaborateurs de justice. Une fois au pouvoir, le centre-droit prône la fin de la communication sur la mafia : il ne faut plus parler de mafia car ce n'est plus une priorité. En revanche, il faut sortir du « justicialisme », c'est à dire de l'action de la magistrature. L’artisan de cette politique est Gianfranco Micciché. Il obtient des réformes de la justice, des remises fiscales et la régularisation de constructions abusives97. L'action de la majorité est amplement relayée dans les prisons par des avocats qui militaient au sein de Forza Italia et qui défendaient les chefs mafieux. Le gouvernement s'attache aussi à changer les conditions de détentions des mafieux. Par exemple, il projetait la fermeture des prisons de haute sécurité98. Ces établissements pénitenciers étaient utilisés à l'époque des Brigades Rouges. Fermés puis 91

Interrogatoire du 8 mars 1994 par le juge d’instruction de Florence, CPA, Mafie e antimafia… op. cit., pp. 48137. 92 CPA, Mafie e antimafia… op. cit., pp. 48-137. 93 Dans un premier temps, les Corléonais avait envisagé de créer un parti politique. Le collaborateur de justice, Maurizio Avola, avait appris après les attentats de 1992 que Riina comptait poser des bombes contre les édifices publics touchant ainsi l’Etat puis créer un nouveau parti politique. Ainsi, la mafia y aurait inséré des hommes de confiance sans casier judiciaire pour prendre soin des intérêts de l’association mafieuse. 94 Filippo Malvagna devant les procureurs de la République de Catane et Caltanissetta, le 8 avril, le 9 mai et le 26 octobre 1994, CPA, Mafie e antimafia… op. cit., pp. 48-137. 95 Devant les procureurs de la République de Catane et Florence, le 18 avril 1994, le collaborateur de justice Filippo Malvagna répéta les propos du mafieux Marcello d’Agata, un important membre de la famille Santapaola de Catane. Tous deux étaient emprisonnés à la prison Bicocca de Catane au cours de l’année 1993, CPA, Mafie e antimafia… op. cit., pp. 48-137. 96 Brutti (Massimo), Commission parlementaire antimafia, Mafie e antimafia, p. 62. 97 Chap. I. B. 1. a. Les « écomafias», l'Italie du béton et des déchets. 98 Il était question de transformer la prison de l’Asinara, située sur une île au large de la Sardaigne, en un camp de vacances.

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ouverts à nouveau en 1992 pour y accueillir plus de quatre cents des plus dangereux criminels italiens, ils sont des symboles de la lutte antimafia. Dans ces prisons, les mafieux n’exercent plus le contrôle sur leur famille. Demander leur suppression représente un message favorable envers les mafieux. Grâce aux vives protestations de l'opposition et des juges, le projet touristique échoua. Pas découragé dans leur entreprise d’aider leurs alliés mafieux, certains parlementaires n’ont cessé rogner sur les lois antimafias. Le 13 juillet 1994, alors que toute l’Italie assistait à la demi-finale de la coupe du monde de football entre l’Italie et la Bulgarie, le ministre de la justice Alfredo Biondi signe un décret visant à supprimer la détention provisoire pour les délits de corruption99. Baptisé « sauvez les voleurs », le décret fut retiré sous la pression de nombreux citoyens100. Enfin, le 21 octobre 1994, le statut carcéral du parrain de la ‘Ndrangheta Piromalli est débattu au Parlement par le biais d’une interrogation parlementaire. Celle-ci, signée en premier par le député Marco Taradash, semble être un remerciement de l’appui électoral des parrains de Calabre dont nous avons évoqué les détails plus haut. Le gouvernement s’est employé à discréditer les repentis, les collaborateurs de justice. A l’aide de nombreux média en sa possession, les réseaux de Silvio Berlusconi stigmatisent une ou deux affaires de « repentis » qui retournent à leurs activités criminelles. Il s’agit aussi de crier au scandale quant à la rémunération de certain repentis. Dans les faits, en 1994, on dénombre un millier de repentis et presque quatre mille membres de leur famille, protégés par l’Etat. Les gouvernants du centre-droit montent en épingle des affaires pour remettre en question le travail de la justice et limiter les nouvelles collaborations avec la justice. Cette campagne d'intimidation est concomitante à une autre stratégie, celle de la mafia qui cesse d'assassiner des parents de « repentis ». La convergence d’intérêts entre un pouvoir politique qui décrédibilise les « repentis » et une mafia qui cesse sa stratégie d’assassinats systématique de leurs proches a pour effet de dissuader des collaborateurs potentiels parmi les grands parrains. Les programmes électoraux, de 1994 et 1996, contenaient des propositions sans précédent comme la remise en cause des récompenses pour les collaborateurs de justice et la suppression du délit d’association mafieuse. A la fin des années quatre vingt, les négociations « souterraines » entre Cosa nostra et Giulio Andreotti autour de ces thèmes avaient échoué101. 99

Ce décret constituait un galop d’essai avant d’autres actions en faveur de la mafia. Le 18 juillet 1994, le lendemain de la défaite de l’Italie en finale, des manifestations populaires ont lieu dans toute l’Italie. 101 L’historien Salvatore Lupo affirme que le programme du centre-droite exprime « la primauté de la proposition politique », Lupo (Salvatore), histoire de la mafia.. op. cit., p. 318. 100

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En 1994, Forza Italia les a intégrées à son programme pour les proposer aux électeurs et aux mafieux. Entre la fin des années quatre vingt et 1994, il y a eut la fin de la menace communiste, la « saisons des bombes » et la mondialisation. Les mafias italiennes semblent, en définitive, correctement armées pour faire face à ce défi.

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